« Précis d'épistémologie/La parole » : différence entre les versions

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Un locuteur agit sur ceux qui l'écoutent. Il veut toujours attirer leur attention sur ce qu'il dit. Pour savoir ce qu'il fait quand il dit ce qu'il dit, il doit donc savoir ce que les auditeurs en font, ou ce qu'ils pourraient en faire. Un locuteur doit être capable de se mettre à la place des auditeurs et de comprendre ce qu'ils comprennent, sinon il ne se comprend pas vraiment lui-même. Inversement, pour savoir quoi faire avec ce qu'on leur dit, les auditeurs doivent comprendre les intentions du locuteur, pourquoi il dit ce qu'il dit. Ils doivent donc être capables de se mettre à la place du locuteur et de comprendre ce qu'il fait, sinon ils ne comprennent pas vraiment ce qu'on leur dit. La compréhension des paroles est une des formes de la compréhension mutuelle, où chacun connaît les autres et lui-même, et sait qu'il est connu par les autres de la même façon qu'il les connaît.
 
== La pensée ==
 
<i>« - Qu’est-ce que tu appelles penser ?
 
- Une discussion que l’âme elle-même poursuit tout du long avec elle-même à propos des choses qu’il lui arrive d’examiner. (…) voici ce que me semble faire l’âme quand elle pense : rien d’autre que dialoguer, s’interrogeant elle-même et répondant, affirmant et niant. Et quand, ayant tranché, que ce soit avec une certaine lenteur ou en piquant au but, elle parle d’une seule voix, sans être partagée, nous posons que c’est là son opinion. »</i>
 
(Platon, <i>Théétète</i>, 189e-190a, traduit par Michel Narcy)
 
La pensée est l'imagination de la parole.
 
Même laLa pensée solitaire est une sorte de vie sociale imaginaire. On intériorise par l'imagination la comédie humaine, comme si toute la société pouvait vivre et parler sur la scène intérieure.
 
(...)
 
== Les cadres théoriques et la priorité de l'a priori ==
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Lorsque nous prouvons une conclusion par une raisonnement logique, les prémisses déterminent des conditions suffisantes de vérité. Quelle que soit l'interprétation choisie, si les prémisses sont vraies, alors la conclusion est vraie. Les raisonnements ne servent pas qu'à prouver, ils servent aussi à expliciter des conditions de vérité. Pour comprendre un théorème, il faut connaître sa preuve, parce qu'elle donne des conditions de vérité qui précisent comment il faut l'interpréter.
 
== LesLe théoriessavoir purement abstraitesmathématique ==
 
Un cadre théorique peut être identifié au système des principes qui déterminent les façons correctes de raisonner avec les concepts qu'ils emploient. Formellement, un système de principes est un ensemble d'axiomes et de définitions. Il définit une théorie, qui peut être conçue comme l'ensemble de tous les énoncés prouvables à partir des principes, les théorèmes de la théorie. Une théorie donne une signification abstraite aux noms avec lesquels elle forme ses énoncés, parce que ses principes peuvent être admis comme vrais par définition de leurs termes. On dit parfois des axiomes qu'ils sont des définitions déguisées, parce qu'ils servent à donner une signification à leurs termes, donc à les définir.
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Les théories purement abstraites sont parfois d'une utilité prodigieuse pour connaître la réalité concrète. On peut s'étonner de la déraisonnable efficacité des mathématiques pour les sciences de la Nature (Wigner 1960).
 
== Le savoir sur soi-même et le savoir sur le savoir ==
 
Le savoir sur soi-même est d'abord muet. Il suffit de percevoir, d'imaginer et d'agir pour découvrir ses capacités de perception, d'imagination et d'action. Mais bien sûr toutes les ressources de la parole, du raisonnement et de la théorie peuvent être utilisées pour développer le savoir sur soi-même.
 
En se connaissant lui-même comme producteur de savoir un agent développe un savoir sur le savoir.
Le savoir logique, c'est à dire la capacité à reconnaître la correction logique des raisonnements, et plus généralement toutes les formes du savoir théorique, sont des formes du savoir sur le savoir. Pour reconnaître la correction logique nous devons réfléchir, nous devons nous connaître nous-mêmes en tant que raisonneurs. Les théories sont nos inventions. Pour connaître tout ce qu'elles révèlent, nous devons nous connaître nous-mêmes en tant que faiseurs de théories.
 
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Le savoir éthique sur le savoir consiste à évaluer le savoir, donc à définir un idéal du savoir, le savoir tel qu'il doit être. Le chapitre suivant montrera qu'il est fondamental pour le développement du savoir pleinement rationnel.
 
== La construction de soi par la parole ==
 
Comme les agents se construisent par l'imagination et la volonté, et comme ils peuvent influencer par la parole les imaginations et les volontés des autres agents, ils peuvent chacun agir sur la façon dont les autres se construisent. Par la parole ils se construisent, ils se forment, ils se développent tous ensemble.
 
Même la pensée solitaire est une sorte de vie sociale. On intériorise par l'imagination la comédie humaine, comme si toute la société pouvait vivre et parler sur la scène intérieure.
 
On se construit par la parole, parce qu'on s'en sert pour imaginer et vouloir, mais on peut aussi dire que c'est la parole qui nous construit.