« Précis d'épistémologie/La modélisation du corps savant » : différence entre les versions

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== Science de l'âme ou science de la matière ? ==
La cognition est la production de représentations internes qui préparent à l'action.
 
Un préjugé courant veut qu'une science se doit d'être matérialiste pour être vraiment une science, ce qui conduit à récuser l'ancienne définition, aristotélicienne, de la psychologie, la science de l'âme.
 
Il faut rappeler que ce préjugé, ou d'autres semblables, sur ce que doit être la science, sont des obstacles au développement du savoir scientifique. Pour faire un travail scientifique il n'est ni nécessaire ni souhaitable de se lier les mains par avance avec de tels a priori, il suffit de chercher honnêtement des vérités et leurs preuves. Aucun autre principe n'a priorité devant celui-ci.
 
Parler des âmes, c'est d'abord parler de nous-mêmes, de ce que nous sommes, de ce que nous vivons quand nous percevons, imaginons, ressentons, pensons, voulons ... Nous ne savons pas très bien ce que c'est et pourquoi ça vit avec un corps, mais nous savons que c'est là, et nous pouvons travailler honnêtement pour développer un véritable savoir à ce sujet. Il n'en faut pas plus pour justifier cette vénérable expression, science de l'âme.
 
L'alliance de l'âme et du corps est tellement mystérieuse que nous ne savons même pas si nous savons l'exprimer correctement : faut-il dire que nous sommes des âmes et que nous avons un corps ? Ou que nous sommes des corps ? Habités par une âme ? L'âme est-elle seulement une façon d'être du corps ?
 
Mais il n'est pas nécessaire de résoudre ces mystères pour progresser dans le savoir.
 
Une chose est sûre du point de vue de la science empirique, c'est que pour connaître les âmes, nous pouvons et devons observer leurs corps, quelle que soit la signification que nous donnons à ces expressions. Étudier des âmes, en tant que scientifique observateur ou expérimentateur, c'est toujours étudier des corps.
 
La science de la matière est-elle en principe suffisante pour expliquer nos existences d'êtres pensants ? Nous ne savons pas. On peut croire que la conscience émerge à partir de la vie cérébrale, mais nous ne savons pas l'expliquer. Les influx nerveux sont produits par des courants électriques dans les neurones et à travers leurs membranes. Ce sont des courants ioniques très ordinaires. Rien ne suggère qu'ils doivent être les messagers de l'esprit. Et si on tient à une cosmologie strictement matérialiste - seulement des atomes et du vide - il semble que l'Univers devrait être sans âmes. Les atomes n'ont pas besoin des âmes pour être des atomes.
 
Nous ne savons pas comment la vie du corps fait apparaître celle de l'âme, nous savons seulement qu'une âme a besoin de son corps pour être ce qu'elle est. Toutes les facultés de l'âme dépendent de son corps. Pour voir il faut des yeux, et un cerveau qui interprète les informations visuelles. Pour agir il faut des pieds et des mains, ou d'autres effecteurs, et un cerveau qui les commande. Pour se souvenir, il faut conserver des enregistrements quelque part dans la tête. Les émotions sont des affections du corps autant que de l'âme. La pensée ne pourrait pas exister sans la parole, et donc sans les langues qui la font entendre. Tout se passe comme si les corps donnaient aux âmes les moyens de faire ce qu'elles font. Nous connaissons ce qu'elles sont en comprenant ce qu'elles font avec leur corps. Plus nous en savons sur le corps, tout particulièrement le cerveau, plus nous pouvons comprendre ce qu'elles sont.
 
Il n'est pas nécessaire de connaître le fonctionnement de son cerveau, ni même de savoir que nous en avons un, pour se connaître soi-même comme une âme, parce que l'âme est toujours capable de réfléchir : quand on voit, on ne connaît pas seulement l'objet vu, on se connaît aussi soi-même en train de le voir. Quand on le voit, on sait qu'on le voit. Il en va de même pour toutes les activités conscientes. Quand on se souvient, on sait qu'on se souvient. Quand on veut, on sait qu'on veut. On ne peut pas vivre consciemment sans savoir qu'on vit consciemment. Par la réflexion l'âme est informée directement de sa propre activité. Elle ne peut pas être une âme sans se connaître ainsi. Il est dans sa nature d'être en permanence un témoin d'elle-même.
 
Parce qu'il est naturel et spontané, on croit parfois que le savoir de soi-même acquis par la réflexion n'a pas sa place dans la science. Il serait seulement préscientifique, comme si la science avait besoin de moyens beaucoup plus sophistiqués pour être vraiment la science. Mais c'est se tromper sur sa nature. Comment pourrait-on développer un véritable savoir si on renonçait à la réflexion ? On ne pourrait pas faire un seul pas en avant. Même les scientifiques qui affirment que le savoir réflexif n'est pas scientifique n'ont pas pour autant renoncé à la réflexion, sinon ils ne pourraient même plus penser. A ce sujet il faut rappeler que la science fait feu de tout bois. Toutes les sources du savoir sont a priori bienvenues. Toutes les pensées, les observations, les principes, les définitions, les hypothèses, les arguments, les raisonnements, les objections, sont accueillis et encouragés, pourvu qu'il s'agisse de chercher honnêtement des vérités et des preuves. L'honnêteté scientifique exige seulement qu'on se soumette volontairement à la critique, pas que l'on renonce à nos facultés naturelles.
 
 
== L'usage des représentations : la cognition ==
 
Toutes les facultés de l'âme repose sur sa capacité à produire et utiliser des représentations. Les images visuelles sont des représentations des objets vus. Quand on imagine, on se représente ce qu'on imagine. Quand on veut, on se représente ce qu'on veut. Même quand on ressent, on se représente les êtres qui ont provoqué nos émotions. L'étude des représentations semble donc être un bon point de départ pour étudier les facultés de l'âme. Mais la définition du concept nous laisse sur notre faim, parce que n'importe quoi peut être considéré comme une représentation. Pour être une représentation il suffit de porter des informations, quelle que soit leur nature et la façon dont elles sont portées, sur un autre être. Comme tous les êtres sont toujours porteurs de telles informations, ils peuvent toujours être considérés comme des représentations. Il suffit de savoir interpréter les signaux qu'ils portent pour qu'ils servent comme représentations. C'est justement ce dernier point qui est essentiel. Les âmes se servent des représentations qu'elles produisent pour agir sur leur environnement et sur elles-mêmes. Mais la capacité à utiliser des représentations n'est pas réservée aux âmes. Les êtres vivants, même les plus simples, et les robots, se servent également de représentations internes pour agir.
 
La capacité à utiliser des représentations est tellement importante qu'elle sert à définir un domaine de recherches, la cognition, qui regroupe toutes les disciplines concernées, les sciences cognitives : psychologie, neurosciences, éthologie, intelligence artificielle, robotique, épistémologie, linguistique ...
 
'''La cognition est la production de représentations internes qui préparent à l'action.'''
 
L'usage des représentations ne suffit pas pour expliquer l'apparition de la conscience - les robots utilisent des représentations sans avoir conscience de ce qu'elles représentent - mais il est quand même fondamental pour connaître les âmes, parce qu'elles ne pourraient pas être ce qu'elles sont si elles ne se servaient pas des représentations qu'elles produisent. Pour exister elles ont justement besoin d'un corps qui les rend capables de produire et d'utiliser des représentations. Étudier la capacité des corps à produire et utiliser des représentation est donc une bonne approche pour comprendre les facultés de l'âme.
 
Le traité d'Aristote, ''De l'âme'', peut être considéré comme le livre fondateur de la science de la cognition, parce qu'il définit l'âme à partir des ses facultés fondamentales, sensation, nutrition, locomotion, volonté, imagination ... (''De l'âme'', Chapitre 2)
 
== La perception, l'imagination et les inférences muettes ==