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Cette approche théorique a été initiée par John von Neumann (1932). Elle se distingue des interprétations courantes de la mécanique quantique (Niels Bohr, interprétation de Copenhague) qui demandent que l'appareil de mesure soit considéré comme un système classique, qui n'obéit donc pas à la physique quantique. Cette exigence n'est pas justifiée parce que les lois quantiques sont universelles. Elles s'appliquent à tous les systèmes matériels, microscopiques et macroscopiques. Cette universalité est une conséquence directe des principes : si deux systèmes quantiques sont réunis, ils forment ensemble un nouveau système quantique (cf. troisième principe de la physique quantique, ci-dessous). Le nombre de composants ne change donc rien à la nature quantique d'un système.
 
 
'''À qui s'adresse ce livre ?''' Principalement aux étudiants qui ont déjà eu un premier cours de physique quantique (par exemple, les premiers chapitres de Feynman 1966, Cohen-Tannoudji, Diu & Laloë 1973, Griffiths 2004). Plus généralement, à tout lecteur intéressé qui n'est pas effrayé par les expressions ''espace de Hilbert'' ou ''opérateur unitaire''. Le premier chapitre propose une initiation, destinée à un lecteur qui aborde la physique quantique pour la première fois. Elle devrait suffire pour comprendre les concepts présentés dans les autres chapitres.
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'''Objectifs pédagogiques''' : à la fin du livre, le lecteur disposera des principaux éléments pour étudier les travaux de recherche sur la théorie quantique de l'observation. Ils peuvent aussi préparer à la recherche sur le calcul et l'information quantiques (Nielsen et Chuang 2010).
 
'''Table des matières'''
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Introduction|1. Introduction]]
 
[[Théorie quantique de l'observation/ La réalité quantique|2. La réalité quantique]]
== Initiation à la physique quantique ==
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Exemples de mesures|3. Exemples de mesures]]
Ce chapitre est destiné au grand débutant. Il peut bien sûr être omis par un lecteur qui connaît déjà un peu de physique quantique.
 
[[Théorie quantique de l'observation/ L'intrication|4. L'intrication]]
=== Le grand principe : l'existence des superpositions quantiques ===
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Théorie générale de la mesure quantique|5. Théorie générale de la mesure quantique]]
La physique quantique peut être résumée par un unique grand principe, le principe de superposition des états, dont la signification est difficile à comprendre :
 
[[Théorie quantique de l'observation/ La forêt des destinées|6. La forêt des destinées]]
'''Tout système physique qui peut être dans les états <math>|1\rangle</math> et <math>|2\rangle</math> peut être aussi dans l'état <math>\alpha|1\rangle+\beta|2\rangle</math> où <math>\alpha</math> et <math>\beta</math> sont des nombres complexes.'''
 
[[Théorie quantique de l'observation/ L'apparition des mondes classiques relatifs dans l'Univers quantique|7. L'apparition des mondes classiques relatifs dans l'Univers quantique]]
Le même principe peut être formulé d'une manière équivalente:
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Références|Références]]
L'espace des états de tout système physique est un espace vectoriel complexe.
 
Autant que nous sachions, la validité du principe de superposition n'est pas limitée: tout système physique. Il n'y a pas de frontière entre les systèmes quantiques qui obéissent au principe de superposition et les systèmes classiques qui ne lui obéiraient pas. Tous les systèmes connus sont fondamentalement des systèmes quantiques, car ils sont tous faits de particules quantiques.
 
'''Table des matières détaillée'''
Il y a quelque chose de fou dans cette validité universelle de la superposition quantique. Supposons que <math>|1\rangle</math> et <math>|2\rangle</math> sont des états de la lune dans deux endroits différents. Si la lune est dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle+|2\rangle</math>), elle semble être en deux endroits différents en même temps. Cela devrait être un phénomène général. Avec la superposition quantique, tout système peut être simultanément en autant d'endroits que l'on veut. Don Juan pourrait-il multiplier ses aventures de façon quantique?
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Introduction|1. Introduction]]
Le principe de superposition ne peut pas être appliqué au cas de Don Juan, ou pas d'une manière simple et directe, mais les raisons en sont difficiles à comprendre. Pourquoi la lune est-elle à un endroit défini sur son orbite ? Pourquoi n'est-elle pas uniformément répartie dans le ciel? (cf. 4.6, 4.20 et 4.21) C'est le problème du chat de Schrödinger: un chat peut-il être vivant et mort en même temps ? (Schrödinger 1935)
 
1.1 Le grand principe : l'existence des superpositions quantiques
La validité universelle du principe de superposition peut être illustrée par de nombreux exemples. La dualité onde-particule et la polarisation de la lumière sont des applications très directes. Les explications physiques qui dépendent du principe de superposition sont incroyablement nombreuses: les propriétés des particules élémentaires, la stabilité des atomes, des molécules et des matériaux, la radioactivité, l'existence des métaux, des semi-conducteurs et des matériaux isolants, la supraconductivité, la superfluidité, les lasers ... Le principe de superposition explique de manière unifiée tous ces divers phénomènes.
 
=== 1.2 La dualité onde-particule ===
 
1.3 La polarisation de la lumière
La lumière est-elle un flux de particules ou un phénomène ondulatoire ? Les rayons lumineux pourraient être des chemins de particules et ils ont été considérés ainsi par Newton. La réflexion lumineuse dans un miroir est alors naturellement interprétée avec l'hypothèse que les particules de lumière, ou photons, sont comme des balles rebondissantes (Newton 1704). Néanmoins Huygens a soutenu que ce phénomène et d'autres ont été mieux interprétés avec l'hypothèse que les rayons lumineux sont des lignes perpendiculaires aux fronts d'onde (Huygens 1690).
 
1.4 Qu'est-ce qu'un nombre complexe ?
La photographie donne une preuve de l'existence de particules de lumière, car les traces laissées par la lumière sont toujours comme des impacts de particules.
 
1.5 Pourquoi la réalité quantique est-elle représentée par des nombres complexes ?
Mais si la lumière est faite de particules comment pouvons-nous expliquer des figures d'interférence telles que celles trouvées par Young et Fresnel ? L'interférence est toujours une interférence entre des ondes. Il semble qu'il ne puisse y avoir aucune interférence avec des particules. Une figure d'interférence est une preuve expérimentale que la lumière est un phénomène ondulatoire. Elle est confirmée par la théorie de l'électromagnétisme de Maxwell, qui définit la lumière comme une onde électromagnétique.
 
1.6 Le produit scalaire et les opérateurs unitaires
Que la lumière soit faite de particules n'est pas contredit par l'existence de figures d'interférence. Voici ce que nous pouvons voir si nous regardons comment une figure d'interférence apparaît sur une plaque photographique :
 
1.7 Le produit tensoriel et l'intrication
[[File:Wave-particle duality.gif|center|thumb| Cliquez pour animer]]
 
1.8 Les briques quantiques de l'Univers : les qubits
Le phénomène ondulatoire, l'interférence, résulte des impacts des particules.
 
Le principe de superposition donne une explication très directe de la dualité onde-particule. Tout système physique est une particule ou un système de particules, mais elles se comportent parfois comme des ondes parce qu'elles peuvent être en plusieurs endroits en même temps. L'onde d'une particule ou d'un système de particules détermine leur présence diffuse.
 
[[Théorie quantique de l'observation/ La réalité quantique|2. La réalité quantique]]
Par exemple, l'état d'une particule peut être un paquet d'ondes:
 
2.1 Les principes de la physique quantique
[[Fichier:Wavelet.gif|center|thumb| Cliquez pour animer]]
 
2.2 Les mesures idéales
Cette ondelette solitaire représente le mouvement d'une particule. La particule ne peut être détectée que là où son onde n'est pas nulle, dans les régions colorées.
 
2.3 Le théorème d'existence des destinées multiples
Parce que son état est identifié à une onde, une particule peut interférer avec elle-même :
 
2.4 La règle de Born
[[File:Interference_of_a_quantum_particle_with_itself.gif|center|thumb| Cliquez pour animer]]
 
2.5 Peut-on observer les états quantiques ?
C'est pourquoi des figures d'interférence sont obtenues avec des particules.
 
2.6 Orthogonalité et discernabilité incomplète des états quantiques
En 1923, de Broglie a généralisé la dualité onde-particule de la lumière aux électrons. Avec cette hypothèse, il a confirmé les contraintes de Bohr sur le modèle planétaire de l'atome, soutenu par des preuves expérimentales du spectre de l'hydrogène. L'hypothèse de de Broglie a été confirmée en 1927 par les figures d'interférence des électrons (Davisson & Germer). En 1925, Schrödinger découvre une équation d'onde pour un modèle de l'atome, Heisenberg une équation matricielle, appliquée par Pauli au même modèle, qui donnent tous une nouvelle explication théorique du spectre de l'hydrogène. Dirac a alors prouvé que les formalismes de Heisenberg et de Schrödinger étaient équivalents - ou presque équivalents - et à partir d'eux il a donné des principes généraux pour la mécanique quantique (Dirac 1930). Sur ces fondations, avec le principe de superposition en première ligne, toute la physique quantique pouvait alors être développée.
 
2.7 L'incompatibilité des mesures quantiques
=== La polarisation de la lumière ===
 
2.8 L'incertitude et les opérateurs densité
Les expériences sur la polarisation de la lumière peuvent être bon marché, simples et donner une interprétation directe du grand principe quantique.
 
[[image:Antifilter2.jpg|300px]] [[image:Antifilter1.jpg|300px]]
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Exemples de mesures|3. Exemples de mesures]]
L'introduction d'un filtre améliore la transparence. Cela pourrait être appelé un antifiltre.
 
3.1 L'observation des superpositions quantiques avec l'interféromètre de Mach-Zehnder
Cette expérience peut être interprétée avec un modèle simplifié. L'espace d'états d'un photon est un espace vectoriel complexe bidimensionnel. <math>|\leftrightarrow\rangle</math> et <math>|\updownarrow\rangle</math> sont deux vecteurs de base de cet espace. Ces deux états de polarisation ont une signification expérimentale définie. La lumière ordinaire n'est pas polarisée, c'est-à-dire que tous les photons peuvent être dans différents états de polarisation. Mais la lumière transmise par un polariseur - comme des lunettes de soleil - est toujours polarisée, c'est-à-dire que tous les photons sont dans le même état de polarisation. Si le polariseur est orienté dans une certaine direction déterminée, alors les photons transmis sont tous dans l'état <math>|\leftrightarrow \rangle </math>. S'il est tourné de 90 degrés, les photons transmis sont tous dans l'état <math>|\updownarrow \rangle </math>. S'il est tourné de 45 degrés, les photons transmis sont tous dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|\leftrightarrow\rangle + |\updownarrow\rangle)</math>.
 
3.2 Une mesure idéale : la porte CNOT
<math>|\leftrightarrow\rangle</math> et <math>|\updownarrow\rangle</math> sont des états orthogonaux. La signification d'orthogonal ici n'est pas seulement géométrique, mais aussi quantique, c'est-à-dire que si un photon est dans l'état <math>|\leftrightarrow\rangle</math> il ne peut pas être détecté dans l'état <math>|\updownarrow\rangle</math>, et inversement. Cela signifie ici que lorsque deux polariseurs perpendiculaires sont associés, la lumière ne peut pas être transmise, car toute lumière transmise par le premier est bloquée par le second. Ceci est visible sur l'image, où la partie noire montre l'association de deux polariseurs perpendiculaires.
 
3.3 Une mesure non-idéale : la porte SWAP
<math>|\leftrightarrow\rangle</math> et <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|\leftrightarrow\rangle + |\updownarrow\rangle)</math> ne sont pas orthogonaux, <math>|\updownarrow\rangle</math> et <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|\leftrightarrow\rangle + |\updownarrow\rangle)</math> non plus. Si un photon est dans l'état <math>|\leftrightarrow\rangle</math>, il a une probabilité 1/2 d'être détecté dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|\leftrightarrow\rangle + |\updownarrow\rangle)</math>, et inversement. La conséquence de cela est l'existence d'un antifiltre. Si un polariseur est introduit entre deux polariseurs perpendiculaires, avec un angle de 45 degrés, alors tous les photons émis par le premier polariseur sont dans l'état <math>|\leftrightarrow\rangle</math>, la moitié d'entre eux - dans le cas idéal d'un polariseur parfait - sont transmis par le second, et sont alors dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|\leftrightarrow\rangle + |\updownarrow\rangle)</math>. La moitié de ces derniers photons sont ensuite transmis par le troisième polariseur, c'est-à-dire un quart des photons <math>|\leftrightarrow\rangle</math> d'origine, alors qu'aucun photon n'aurait été transmis sans l'antifiltre intermédiaire. Cet effet d'antifiltre peut être clairement vu sur l'image.
 
3.4 Une réalisation expérimentale des portes quantiques
=== Qu'est-ce qu'un nombre complexe ? ===
 
Pour construire les nombres complexes on considère les rotations autour d'un point <math>O</math> dans un plan.
 
[[Théorie quantique de l'observation/ L'intrication|4. L'intrication]]
On appelle <math>i</math> la rotation d'un quart d'un tour dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, sens que les mathématiciens appellent direct, parce que c'est la convention usuelle.
 
4.1 Définition
Si <math>r_1</math> et <math>r_2</math> sont deux rotations, on note <math>r_2 r_1</math> la rotation obtenue en faisant d'abord <math>r_1</math> puis <math>r_2</math>. C'est la convention usuelle parce que <math>g(f(x)) = (g \circ f)(x) = (gf)(x) </math> est l'image de <math>x</math> par <math>f</math> suivie de <math>g</math>. On note <math>r^2=rr</math>
 
4.2 Interaction, intrication et extrication
On note <math>1</math> l'absence de déplacement. Ainsi <math>r1 = 1r = r</math> pour toute rotation r. On note <math>-1</math> la rotation d'un demi-tour, parce que deux demi-tours font un tour et <math>(-1)(-1)=1</math>. On a donc :
 
4.3 Les états relatifs d'Everett
<center>'''<math>i^2=-1</math>'''</center>
 
4.4 La réduction du vecteur d'état par l'observation est une extrication
Cela veut seulement dire que deux quarts de tour font un demi-tour.
 
4.5 L'extrication apparente résulte de l'intrication réelle entre le système observé et l'observateur
Comme les carrés des nombres ordinaires sont toujours positifs, on ne peut pas identifier <math>i</math> à l'un d'entre eux. Mais cela n'empêche pas de calculer avec <math>i</math> comme s'il était un nombre ordinaire. Comme les nombres ordinaires sont appelés des nombres réels, on dit de <math>i</math> qu'il est un nombre imaginaire.
 
4.6 Peut-on voir des états macroscopiques non-localisés ?
Pour compléter la construction on ajoute aux rotations les agrandissements et les rétrécissements, les zooms, qu'on appelle des homothéties. L'homothétie de centre <math>O</math> et de rapport <math>\rho</math> est le zoom centré sur <math>O</math> de rapport <math>\rho</math>. C'est un agrandissement si <math>\rho > 1</math>, un rétrécissement si <math> 0 \le \rho <1 </math>. L'homothétie de rapport <math>1</math> est une absence de déplacement, elle est donc identifiée au nombre <math>1</math>.
 
4.7 L'explication quantique de l'intersubjectivité
Les rotations et les homothéties de même centre commutent. Cela veut dire que le résultat d'une succesion d'opérations ne dépend pas de leur ordre. <math>z_1z_2=z_2z_1</math> pour tous <math>z_1</math> et <math>z_2</math>. En combinant plusieurs rotations et plusieurs homothéties on obtient donc toujours le même résultat qu'avec une seule rotation et une seule homothétie. On appelle l'ensemble de ces transformations du plan l'ensemble des nombres complexes. La composition des transformations définit le produit de ces nombres.
 
4.8 Einstein, Bell, Aspect et la réalité de l'intrication quantique
Un nombre complexe est uniquement déterminé par deux nombres réels. L'un est l'argument, c'est l'angle de rotation, compris entre <math>0</math> et <math>2\pi=1</math>tour <math>=360</math>degrés. L'autre est le module, c'est le rapport d'homothétie, toujours positif.
 
4.9 La coprésence sans rencontre possible
Pour un repère orthonormé centré sur <math>O</math>, soit <math>A</math> le point de coordonnées <math>(1,0)</math>. Chaque nombre complexe peut être associé à l'image de <math>A</math> par la transformation du plan qu'il définit. De cette façon chaque nombre complexe est associé à un unique point du plan, et chaque point du point plan est associé à un unique nombre complexe. On dit qu'il y a une bijection entre les points du plan et les nombres complexes. Chaque nombre complexe peut donc être identifié par les coordonnées du point du plan auquel il est associé. Par exemple <math>1</math> est associé au point <math>A</math> et a donc pour coordonnées <math>(1,0)</math>, les coordonnées de <math>i</math> sont <math>(0,1)</math> et celles du nombre complexe <math>0</math> sont <math>(0,0)</math>.
 
4.10 L'espace-temps enchevêtré
La première coordonnée d'un nombre complexe est appelée sa partie réelle, la seconde, sa partie imaginaire. On appelle imaginaire pur un nombre complexe dont la partie réelle est nulle. <math>i</math> est imaginaire pur.
 
4.11 Action, réaction et pas de clonage
On peut équiper l'ensemble des nombres complexes avec l'opération d'addition en la définissant par l'addition des coordonnées. On a alors <math>z=a+ib</math> pour un nombre complexe dont la partie réelle est <math>a</math> et la partie imaginaire <math>b</math>.
 
4.12 La mesure idéale des états intriqués
On dit de l'ensemble des nombres complexes ainsi construit, équipé avec les opérations d'addition et de multiplication, qu'il est un corps. Cela veut seulement dire qu'on peut calculer avec les nombres complexes comme avec des nombres ordinaires.
 
4.13 Pourquoi la mesure des états intriqués ne permet-elle pas d'observer les autres destinées ?
A partir de la définition de l'exponentielle complexe, on peut prouver que le nombre complexe de module <math>\rho</math> et d'argument <math>\phi</math> est égal à <math>\rho e^{i\phi}</math>, on a donc :
 
4.14 Les opérateurs densité réduits
<center><math>e^{i\phi}=cos\phi+isin\phi</math></center>
 
4.15 Les opérateurs densité relatifs
En particulier :
 
4.16 Pourquoi les paires intriquées ne permettent-elles pas de communiquer ?
<center><math>e^{i\pi}=-1</math></center>
 
4.17 La décohérence par l'intrication
Cette formule d'Euler est une des plus jolies des mathématiques parce qu'elle relie simplement quatre des nombres les plus importants.
 
4.18 Les règles de Feynman
=== Pourquoi la réalité quantique est-elle représentée par des nombres complexes ? ===
 
4.19 La reconstitution a posteriori des figures d'interférence
La physique classique énonce plusieurs principes de superposition : superposition des ondes, des forces, des distributions de probabilité... Mais aucun ne fait usage des nombres complexes. Le rôle des nombres complexes en physique classique est réduit. Ils sont surtout très utiles pour étudier les fonctions sinusoïdales, mais ils ne jouent pas de rôle fondamental. Selon la physique classique les grandeurs qui décrivent la réalité sont toujours des nombres réels.
 
4.20 La fragilité des états macroscopiques non-localisés
Le débutant est tenté d'interpréter les superpositions quantiques comme des distributions de probabilités. Mais c'est une impasse, parce que les distributions de probabilités sont définies avec des nombres réels.
 
4.21 Les expériences du type "chat de Schrödinger"
Les nombres complexes font que les états quantiques sont plus que des distributions ordinaires de probabilité. Ils sont essentiels à la façon d'être quantique. Pourquoi est-ce ainsi ? Personne ne sait.
 
=== Le produit scalaire et les opérateurs unitaires ===
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Théorie générale de la mesure quantique|5. Théorie générale de la mesure quantique]]
Pour la géométrie plane le produit scalaire de deux vecteurs <math>u=(u_1,u_2)</math> et <math>v=(v_1,v_2)</math> est <math>\langle u,v \rangle = u_1 v_1 + u_2 v_2</math>, ce qui se généralise à <math>\langle u,v \rangle = \sum_i u_i v_i</math> dans les espaces de dimension supérieure. Le produit scalaire d'un vecteur <math>v</math> par lui-même est le carré de sa longueur <math>|v|</math> : <math>{v_1}^2 + {v_2}^2 = |v|^2</math>. C'est simplement le théorème de Pythagore.
 
5.1 Les opérateurs de mesure
Lorsque les vecteurs sont définis avec des nombres complexes, leur produit scalaire est défini par :
 
5.2 Les observables et les projecteurs
<math>\langle u|v \rangle = \sum_i {u_i}^* v_i</math>
 
5.3 L'incertitude sur l'état du détecteur et les superopérateurs de mesure
où <math>z^*</math> est le nombre complexe conjugué de <math>z</math>. Il est défini par <math>z^* = a - ib</math> pour <math>z=a+ib</math>. L'opération de conjugaison dans le plan des nombres complexes est la réflexion par rapport à l'axe horizontal.
 
5.4 La sélection des états pointeurs et la pression de l'environnement
Une transformation <math>T</math> du plan ou de l'espace conserve les longueurs lorsqu'elle conserve le produit scalaire :
 
5.5 Les états pointeurs des sondes microscopiques
<math>\langle T(u),T(v) \rangle = \langle u,v \rangle</math>
 
5.6 Une double-contrainte pour la conception des instruments d'observation
On l'appelle alors une isométrie. C'est une rotation, une réflexion, ou une de leurs combinaisons.
 
Si <math>T</math> est une transformation d'un espace vectoriel complexe et si elle conserve le produit scalaire, on l'appelle un opérateur unitaire.
Les superpositions quantiques définissent des ditributions non de probabilités, qui sont des nombres réels, mais d'amplitudes de probabilité, qui sont des nombres complexes. On calcule une probabilité en prenant le module au carré d'une amplitude de probabilité. Ces probabilités sont attribuées à tous les résultats possibles d'une expérience. Il faut donc que leur somme soit égale à un. C'est pourquoi les états quantiques sont toujours identifiés à des vecteurs de longueur un lorsqu'il faut calculer des probabilités.
 
[[Théorie quantique de l'observation/ La forêt des destinées|6. La forêt des destinées]]
Les opérateurs d'évolution qui décrivent les changements d'états entre deux instants successifs ne doivent pas changer la longueur des vecteurs d'état pour qu'on puisse interpréter leurs composantes comme des amplitudes de probabilité. Le principe d'évolution unitaire (cf. 2.1, second principe) impose des opérateurs unitaires d'évolution et garantit ainsi la possibilité d'une interprétation probabiliste.
 
6.1 L'arborescence des destinées d'un observateur idéal
Un opérateur unitaire <math>U</math> est linéaire :
 
6.2 Destinée absolue de l'observateur et destinée relative de son environnement
<math>U(\alpha u + \beta v)= \alpha U(u) + \beta U(v)</math>
 
6.3 Les probabilités des destinées
C'est une des formules les plus importantes de la physique quantique (cf. 2.3).
 
6.4 L'incomposabilité des destinées
Les physiciens ont souvent pris l'habitude de noter <math>|v \rangle</math> le vecteur d'état <math>v</math>. C'est la notation de Dirac. Avec la notation duale <math>\langle v|</math> elle permet de faire très commodément de l'algèbre linéaire, et de calculer juste même si on n'y comprend rien. Elle induit parfois en erreur. C'est pourquoi elle est rejetée par certains physiciens (Peres 1995, Weinberg 2012). Elle est utilisée dans tout ce livre.
 
6.5 La croissance d'une forêt de destinées
=== Le produit tensoriel et l'intrication ===
 
6.6 Les destinées quantiques virtuelles et les chemins de Feynman
Les <math>|a_i \rangle</math> sont une base de l'espace <math>H_A</math> des états de A, les <math>|b_j \rangle</math> une base de l'espace <math>H_B</math> des états de B.
 
6.7 Le parallélisme du calcul quantique et la multiplicité des passés virtuels
Les couples <math>(|a_i \rangle,|b_j \rangle)</math>, notés <math>|a_i \rangle \otimes |b_j \rangle</math>, peuvent être considérés comme des vecteurs d'un nouvel espace vectoriel, noté <math>H_A \otimes H_B</math>, le produit tensoriel de <math>H_A</math> et <math>H_B</math>. Il peut être construit simplement en prenant tous les <math>|a_i \rangle \otimes |b_j \rangle</math> comme des états de base. Il ne dépend pas du choix des bases <math>|a_i \rangle</math> et <math>|b_j \rangle</math>.
 
6.8 Peut-on avoir plusieurs passés si on les oublie ?
Si <math>|u\rangle= \sum_i u_i |a_i \rangle</math> et <math>|v\rangle= \sum_j v_j |b_j \rangle</math> sont des vecteurs de <math>H_A</math> et <math>H_B</math>, on définit leur produit tensoriel par :
 
6.9 Les autres destinées existent-elles ?
<math>|u\rangle \otimes |v\rangle = (\sum_i u_i |a_i \rangle) \otimes (\sum_j v_j |b_j \rangle) = \sum_{ij} u_i v_j (|a_i \rangle \otimes |b_j\rangle)</math>
 
<math>|u\rangle \otimes |v\rangle</math> est un vecteur séparable. Il attribue un unique vecteur <math>|u\rangle</math> à A et un unique vecteur <math>|v\rangle</math> à B. Les vecteurs de <math>H_A \otimes H_B</math> ne sont pas toujours séparables, parce qu'en général l'addition de deux vecteurs séparables n'est pas un vecteur séparable. Les états inséparables, qu'on appelle aussi intriqués, sont d'une importance fondamentale en physique quantique (cf. chapitre 4).
 
[[Théorie quantique de l'observation/ L'apparition des mondes classiques relatifs dans l'Univers quantique|7. L'apparition des mondes classiques relatifs dans l'Univers quantique]]
=== Les briques quantiques de l'Univers : les qubits ===
 
7.1 Les apparences classiques ne sont-elles pas des preuves que la physique quantique est incomplète ?
L'espace d'états quantiques le plus simple est l'espace des états d'un qubit. C'est un espace de dimension deux. Si sa dimension était un, un être quantique ne pourrait pas évoluer, il n'y aurait pas de mouvement donc pas de physique.
 
7.2 L'espace et la masse
Tous les espaces d'états de tous les systèmes quantiques peuvent être construits à partir des espaces de dimension finie, en passant à la limite si on veut qu'ils soient de dimension infinie, et tout particulièrement à partir du plus simple d'entre eux, l'espace des états d'un qubit. Les qubits peuvent donc être considérés comme les briques quantiques de l'Univers.
 
7.3 L'évolution quantique de l'Univers détermine les destinées classiques des mondes relatifs
 
== La réalité quantique ==
 
[[Théorie quantique de l'observation/ Références|Références]]
=== Les principes de la physique quantique ===
 
Quatre principes (Dirac 1930, von Neumann 1932, Cohen-Tannoudji, Diu & Laloë 1973, Weinberg 2012) suffisent :
 
* L'espace des états d'un système quantique est un espace de Hilbert complexe, c'est à dire un espace vectoriel complexe (cf. 1.1), muni d'un produit scalaire (cf. 1.6) et complet pour la norme définie par ce produit.
 
* L'évolution entre deux instants d'un système isolé est déterminée par un opérateur unitaire (cf. 1.6).
 
* L'espace des états d'un système composé est le produit tensoriel des espaces de ses composants (cf. 1.7).
 
* Un dernier principe, la règle de Born, permet de calculer les probabilités des résultats de mesure à partir du vecteur d'état du système observé. Elle sera expliquée plus loin (cf. 2.4). Elle donne un sens physique au produit scalaire dans l'espace de Hilbert (cf. 2.6).
 
Le postulat d'évolution a été formulé sous sa forme intégrale. Sous sa forme différentielle, c'est l'équation de Schrödinger <math> i \hbar \frac{d}{dt} |\psi\rangle = H |\psi\rangle </math>. Elle ne sera pas utilisée dans ce livre parce que la forme intégrale convient mieux à la théorie de l'observation.
 
Le troisième principe peut être considéré comme une conséquence du premier. Ce n'est pas une conséquence strictement logique, mais dès qu'on accepte le premier principe, et qu'on conçoit qu'un système peut être composé de parties, qui peuvent être dans divers états, on est obligé d'accepter le troisième principe.
 
Le premier principe a été énoncé sous sa forme courante et légèrement incorrecte. L'état d'un système physique doit être identifié non à un vecteur mais à un rayon - un sous-espace de vecteurs colinéaires - de l'espace de Hilbert, ou, si des probabilités sont calculées, l'ensemble des vecteurs unitaires de ce rayon. Le vecteur nul, qui est de longueur nulle, n'est donc pas un vecteur d'état. Dans la pratique la différence entre vecteur et rayon ne pose pas de difficultés pour identifier les états quantiques.
 
Dans le premier principe, la clause de complétude est nécessaire pour raisonner sur les espaces d'états de dimension infinie. On lui ajoute en général une clause de dénombrabilité des états de base. Ces clauses ne sont pas nécessaires quand on raisonne, comme dans ce livre, sur les espaces vectoriels complexes de dimension finie, parce qu'ils sont toujours complets.
 
On ajoute souvent à ces principes que les grandeurs physiques doivent être représentées par des observables, c'est à dire des opérateurs hermitiens sur l'espace des états du système observé (cf. 5.2). Cette addition n'est pas nécessaire (Zeh, in Joos, Zeh &... 2003).
 
Un autre principe, le postulat de la réduction du vecteur d'état (ou de la fonction d'onde), est souvent considéré comme un principe quantique. Il contredit le principe d'évolution unitaire et l'équation de Schrödinger. Il ne peut donc pas faire partie de la physique quantique, sinon la théorie serait contradictoire. Ce postulat est pourtant souvent considéré comme nécessaire pour donner une signification physique aux mathématiques quantiques, mais Everett (1957) a montré qu'il ne l'est pas (cf. 4.4 et 4.5).
 
=== Les mesures idéales ===
 
Une mesure est déterminée par une base d'états de l'appareil de mesure : les <math>|i\rangle_A</math> sont les états pointeurs. <math>i</math> indexe les résultats possibles de la mesure. Lorsqu'une mesure est idéale (von Neumann 1932), il existe une base orthonormée d'états du système observé <math>|i,j\rangle_S</math> telle que l'interaction entre le détecteur et le détecté est décrite par :
 
<math>U|i,j\rangle_S|ready\rangle_A = |i,j\rangle_S|i\rangle_A</math>
 
quels que soient <math>i</math> et <math>j</math>, où <math>U</math> est l'opérateur d'évolution entre l'instant initial, avant la mesure, et l'instant final, quand la mesure est terminée, <math>|ready\rangle_A</math> est l'état initial du détecteur, les
<math>|i,j\rangle_S</math> sont les états propres associés au résultat <math>i</math>. <math>j</math> indexe les états propres associés au même résultat.
 
Les états propres d'un résultat de mesure sont ceux pour lesquels l'observation conduit certainement à ce résultat. Lorsqu'une mesure est idéale, et seulement dans ce cas, si le système observé est dans un état propre alors il reste dans le même état, il n'est pas perturbé par le processus de mesure.
 
Lorsqu'un seul état propre est associé à un résultat de mesure, on peut dire qu'il est détecté, ou pointé, par la mesure.
 
<math>|i,j\rangle_S|ready\rangle_A</math> est une écriture abrégée de <math>|i,j\rangle_S \otimes |ready\rangle_A</math> où <math>\otimes</math> représente le produit tensoriel de deux vecteurs (cf.1.7).
 
=== Le théorème d'existence des destinées multiples ===
 
D'après le principe d'évolution unitaire, si l'état initial du système observé est
<math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S</math>, l'état final après la mesure doit être :
 
<math>U(\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S)|ready\rangle_A = \sum_{ij} \alpha_{ij}U|i,j\rangle_S|ready\rangle_A = \sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math>
 
Les <math>|i\rangle_A</math> correspondent à des résultats de mesure différents.
<math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math> est donc une superposition
de résultats de mesure.
 
On obtient ainsi, directement à partir des principes de la physique quantique, le '''théorème fondamental de la mesure quantique''' : si le système observé est initialement dans une superposition d'états propres de la mesure, l'état final du système complet (système observé plus appareil de mesure) est dans une superposition de résultats de mesure.
 
Ce théorème est très surprenant. A l'issue d'une mesure, on observe un unique résultat <math>|i\rangle_A</math>. Une superposition de résultats de mesure n'est pas un résultat de mesure. Comment alors comprendre que la physique quantique prédit l'existence de <math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math> ?
 
Hugh Everett III (1957) a proposé la réponse suivante :
 
<math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math> décrit une superposition de destinées de l'observateur. Un observateur obtient un seul résultat de mesure parce qu'il ne connaît de lui-même qu'une seule de ses destinées. Les autres résultats de mesure sont eux aussi obtenus, mais dans les autres destinées de l'observateur. La physique quantique
décrit un univers dans lequel les êtres ont de très nombreuse destinées. Le monde tel qu'il est connu par un observateur n'est qu'une infime partie de la réalité quantique, une destinée parmi des myriades d'autres. Le théorème fondamental de la mesure quantique peut donc aussi être appelé le théorème d'existence des destinées multiples. Il est une conséquence directe des principes de la physique quantique. Il a été énoncé dans le cas particulier des mesures idéales mais il reste valable pour toutes les formes de mesure quantique. Pour le nier il faut nier que la physique quantique décrit correctement la réalité. Il est possible qu'une nouvelle physique dépasse la physique quantique et prouve que ces autres destinées n'existent pas, mais jusqu'à présent la physique quantique a toujours fait ses preuves. Aucun résultat expérimental ne l'a jamais réfutée.
 
Il n'est pas nécessaire de croire à l'existence de ces autres destinées pour comprendre la physique quantique, il suffit de les considérer comme des objets théoriques, des fictions, dont la seule existence est d'être définies par la théorie. Dès que le système étudié contient des instruments d'observation, les évolutions calculées (les solutions de l'équation de Schrödinger) décrivent des destinées multiples. Une seule solution de l'équation de Schrödinger suffit pour décrire les nombreuses destinées d'un même système matériel. La physique quantique nous montre qu'en raisonnant sur ces destinées théoriques nous pouvons expliquer la destinée que nous observons réellement (cf. chapitre 6). Que les êtres théoriques sont purement fictifs ne les empêche pas de nous aider à expliquer la réalité (Dugnolle 2017).
 
=== La règle de Born ===
 
Les nombres complexes <math>\alpha_{ij}</math> dans la superposition <math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math> sont conçus comme des amplitudes de probabilité. La probabilité d'observer le résultat <math>i</math> est <math>\sum_{j} |\alpha_{ij}|^2</math>. On peut l'admettre à titre de principe :
 
Si l'état initial du système observé est
<math>|\psi\rangle=\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S</math>,
où les <math>|i,j\rangle_S</math> sont une base orthonormée d'états propres de la mesure, alors la probabilité du résultat <math>i</math> est <math>\sum_{j} |\alpha_{ij}|^2</math>.
 
Pour appliquer cette règle il faut que <math>|\psi\rangle</math> soit normé à l'unité :
<math>\sum_{ij} |\alpha_{ij}|^2=1</math>.
 
On peut essayer de prouver ce quatrième principe à partir des trois premiers (Everett 1957, Zurek 2003 ...). Ces preuves sont controversées et ne seront pas exposées ici.
 
La règle de Born a été énoncée seulement pour les mesures idéales. Nous montrerons qu'elle peut être généralisée à toutes les formes de mesure (cf. 5.1 et 5.3).
 
=== Peut-on observer les états quantiques ? ===
 
Pour qu'il y ait observation, il faut que l'état du système observateur (le détecteur, l'appareil de mesure) après la mesure apporte une information sur l'état du système observé avant la mesure. Une observation est parfaite si on peut déduire exactement l'état du système observé à partir du résultat de la mesure. Les mesures quantiques ne sont jamais parfaites. Si l'état initial du sondé n'est pas connu par avance, l'état final du sondeur ne suffit jamais pour connaître l'état du sondé, parce que de nombreux états différents du sondé peuvent conduire au même résultat. Il suffit qu'ils aient une probabilité non-nulle de produire ce résultat. La seule information que nous donne l'observation est que l'état du système observé n'avait pas une probabilité nulle de produire ce résultat. Si le résultat <math>i</math> a été obtenu, tout ce qu'on sait sur l'état initial <math>\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S</math> du système observé est que <math>\sum_{j} |\alpha_{ij}|^2 > 0</math>
 
Comment alors peut-on connaître le vecteur d'état d'un système quantique ?
 
On ne peut pas détecter l'état quantique d'un système initialement inconnu, produit spontanément par la Nature. En revanche on peut préparer des systèmes matériels de telle façon qu'ils se retrouvent dans un unique état quantique. S'il existe un résultat de mesure dont il est l'unique état propre, on peut alors vérifier que cet état quantique existe réellement. Il suffit de répéter la préparation un grand nombre de fois et de vérifier qu'on obtient toujours le même résultat de mesure.
 
L'observation à elle seule ne suffit pas pour connaître les états quantiques. Il faut agir sur la matière pour la préparer dans les états que l'on souhaite observer.
 
Une mesure idéale est une façon de préparer un état, lorsque les résultats de mesure ont chacun un seul état propre. Si le résultat de la mesure est <math>i</math> alors on sait avec certitude que l'état du système observé est <math>|i\rangle_S</math> juste après la mesure. On peut le vérifier en répétant la mesure sur le système qu'on vient de préparer.
 
Afin d'échapper au théorème d'existence des destinées multiples, de nombreux physiciens affirment que les vecteurs d'état sont seulement des outils théoriques pour calculer des probabilités, et qu'ils ne représentent pas vraiment la réalité (Peres 1995). Mais lorsque le système observé a été convenablement préparé, on peut connaître avec certitude son vecteur d'état, on peut le vérifier sans que le moindre doute soit permis. Désormais les physiciens savent préparer, manipuler et observer les vecteurs d'états qu'ils imaginent (par exemple, Haroche & Raimond 2006), n'est-ce pas suffisant pour affirmer qu'un vecteur d'état représente vraiment un état physique, réel, du système observé ?
 
=== Orthogonalité et discernabilité incomplète des états quantiques ===
 
On dit parfois, improprement, que lorsqu'un être matériel est dans une superposition d'états telle que <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math> il est en même temps dans les états <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math>. Par exemple, lorsqu'on commente l'expérience de Young, on dit que le photon passe par les deux fentes en même temps. Cela semble absurde. Si le photon est dans une fente, il ne peut pas être dans l'autre. Dire qu'il est dans les deux simultanément est donc une contradiction. On dit qu'il passe par les deux fentes seulement pour dire que si on cherchait à détecter son passage, on le trouverait dans une fente ou dans l'autre. Mais on ne le trouvera jamais dans les deux en même temps.
 
Si un être est dans l'état <math>|0\rangle</math> il n'est pas dans l'état <math>|1\rangle</math> et inversement. Lorsqu'il est dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math>, il n'est ni dans l'état <math>|0\rangle</math> ni dans l'état <math>|1\rangle</math>, mais dans un troisième état, différent des deux précédents (Griffiths 2004).
 
Si un être est préparé dans l'état <math>|0\rangle</math> il ne peut pas être détecté, immédiatement après la préparation, dans l'état <math>|1\rangle</math>, parce que <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> sont orthogonaux, c'est à dire que leur produit scalaire <math>\langle 1|0\rangle</math> est nul. En revanche si un être est préparé dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math>, il y a une chance sur deux de le détecter dans l'état <math>|0\rangle</math> et de même une chance sur deux de le détecter dans l'état <math>|1\rangle</math>, parce que <math>|\langle 0|\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)|^2= |\langle 1|\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)|^2 = \frac{1}{2}</math>. Lorsque deux états sont orthogonaux, ils sont très nettement différents. Ils sont complètement discernables, parce qu'ils peuvent être tous les deux des états propres du même instrument de mesure. Lorsqu'ils ne sont pas orthogonaux, leur différence s'est partiellement estompée, d'autant plus que leur produit scalaire est proche de 1. Ils ne sont pas complètement discernables, au sens où il n'est pas possible de faire une mesure qui permettrait de les distinguer, parce qu'ils ne peuvent pas être des états propres du même instrument de mesure associés à des valeurs différentes.
 
On dit parfois que <math>|\langle \phi|\psi\rangle|^2</math> est la probabilité qu'un être dans l'état <math>|\psi\rangle</math> soit dans l'état <math>|\phi\rangle</math>. Cela sonne comme une absurdité, puisque si <math>|\psi\rangle</math> et <math>|\phi\rangle</math> sont différents, un être ne peut pas être dans les deux états en même temps. Mais si on l'entend charitablement, on comprend que cela veut seulement dire qu'un être préparé dans l'état <math>|\psi\rangle</math> a une probabilité <math>|\langle \phi|\psi\rangle|^2</math> d'être détecté dans l'état <math>|\phi\rangle</math>. C'est pourquoi on est tenté de dire que si <math>|\phi\rangle</math> n'est pas orthogonal à <math>|\psi\rangle</math>, un être dans l'état <math>|\psi\rangle</math> est partiellement dans l'état <math>|\phi\rangle</math>.
 
=== L'incompatibilité des mesures quantiques ===
 
Si <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> sont des états propres d'une mesure, on peut dire qu'ils sont des états observés, ou pointés par la mesure. En revanche les superpositions de <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> ne sont pas des états qui peuvent être observés par une telle mesure.
 
Soient <math>|x^+\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math> et <math>|x^-\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle - |1\rangle)</math> deux nouveaux vecteurs de base (les noms <math>x^+</math> et <math>x^-</math> viennent de la théorie du spin 1/2).
 
<math>|x^+\rangle</math> et <math>|x^-\rangle</math> peuvent eux aussi être des états propres d'une mesure, et donc des états observés par cette mesure. Les mesures de {<math>0,1</math>} d'une part, et de {<math>x^+,x^-</math>} d'autre part, sont incompatibles. Il n'y a pas d'état du système observé tel que <math>|0x^+\rangle</math> parce qu'aucun état quantique n'est un état propre commun aux deux mesures. Si on fait une mesure juste après l'autre, on trouvera toujours des résultats aléatoires. Il n'est pas possible de préparer le système observé dans un état qui fournisse un résultat certain pour les deux mesures successives. Si le résultat de la première mesure est certain, le second ne peut pas l'être.
 
Lorsque deux mesures ont une base d'états propres communs, on dit qu'elles sont compatibles. S'il s'agit de mesures idéales, elles ne se perturbent pas mutuellement. L'une peut être faite juste avant l'autre sans affecter son résultat.
 
L'existence de mesures incompatibles est une conséquence immédiate du principe de superposition quantique. C'est un effet typiquement quantique qui n'a pas d'équivalent en physique classique.
 
Que peut-on dire de la réalité de <math>x^+</math> et <math>x^-</math> lorsque le système observé est dans l'état <math>|0\rangle</math> ?
 
Comme <math>|0\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|x^+\rangle + |x^-\rangle)</math> le système est dans une superposition de <math>x^+</math> et <math>x^-</math>. Ni l'un, ni l'autre n'est réel. Il n'y a que leur superposition qui est réelle.
 
Heisenberg a montré que les mesures de position et d'impulsion d'une particule quantique sont incompatibles. Elles ne peuvent que se perturber mutuellement. C'est pourquoi on ne peut jamais attribuer simultanément une position et une impulsion exactement définies à une même particule. Cette incompatibilité se traduit mathématiquement par la relation <math>\Delta x \Delta p \ge \hbar</math> où <math>\Delta x</math> est l'indétermination de la mesure de position, <math>\Delta p</math> l'indétermination de la mesure d'impulsion et <math>\hbar</math> la constante de Planck <math>h</math> divisée par <math>2\pi</math>. Si cette relation n'est pas respectée, aucun état quantique ne peut être état propre commun aux deux mesures.
 
Il faut l'appeler la relation d'indétermination de Heisenberg, plutôt que relation d'incertitude, parce que cette dernière expression suggère que nous ne connaissons pas simultanément la position et l'impulsion d'une particule, mais qu'elles pourraient être connues. Pour qu'il y ait incertitude, il faut qu'il y ait quelque chose à connaître que nous ne connaissons pas. Mais l'incompatibilité des mesures quantiques ne dit pas qu'il y a plus à connaître que ce que nous observons. Elle dit au contraire qu'il n'y a pas d'état réel pour lequel la position et l'impulsion sont exactement définies. De tels états ne peuvent pas être observés parce qu'ils n'existent pas. La relation de Heisenberg ne vient donc pas de notre ignorance, ou de notre incertitude, mais de l'indétermination du réel. Les états quantiques ne peuvent pas être simultanément des états propres de toutes les mesures possibles, à cause de leur incompatibilité.
 
=== L'incertitude et les opérateurs densité ===
 
Un opérateur densité <math>\rho</math> sert à décrire des situations où l'état quantique d'un système n'est pas connu avec exactitude. Il est défini à partir d'un ensemble d'états <math>|j\rangle</math>, supposés normés à l'unité, mais pas nécessairement orthogonaux, chacun affecté d'une probabilité <math>p_j</math>. Par définition <math>\rho=\sum_j p_j|j\rangle \langle j|</math> où <math>|j\rangle \langle j|</math> est la projection orthogonale sur l'état <math>|j\rangle</math>.
 
Si les <math> | j \rangle </math> sont orthogonaux alors <math> p_j </math> est le poids de <math> | j \rangle </math> dans <math> \rho </math>. Avec un léger abus langage, on peut dire de <math>p_j</math> qu'elle est la densité de présence dans l'état <math>|j\rangle</math>.
 
On dit de <math>\rho</math> qu'il décrit un mélange d'états, ou un état mixte. Un même opérateur densité peut être défini à partir de différents mélanges, mais nous montrerons plus loin (4.3) que de tels mélanges ne peuvent pas être distingués par l'observation. Un opérateur densité contient toute l'information disponible sur l'état du système observé.
 
Si tous les <math>p_j</math> sont égaux à zéro sauf <math>p_0 = 1</math>, le vecteur d'état
<math>|0\rangle</math> est connu avec exactitude. On dit alors que le système est dans un état pur. Dans ce
cas <math>\rho=|0\rangle \langle 0|</math>. Le formalisme des opérateurs densité
peut donc être appliqué à la fois aux états mixtes et aux états purs.
 
La trace d'un opérateur densité est toujours égale à un :
 
<math>Tr(\rho)=Tr(\sum_j p_j|j\rangle \langle j|)=\sum_j p_j Tr(|j\rangle \langle j|)=\sum_j p_j=1</math>
 
Si un système est préparé dans l'état mixte <math>\rho</math> la probabilité qu'il soit détecté dans un état pur <math>|\psi\rangle</math> est <math>Tr(\rho | \psi \rangle \langle \psi | )</math>
 
Preuve : <math>Tr(\rho | \psi \rangle \langle \psi | ) = Tr(\sum_j p_j |j\rangle \langle j| \psi \rangle \langle \psi | ) = \sum_j p_j \langle j| \psi \rangle Tr(|j\rangle \langle \psi | ) = \sum_j p_j | \langle j |\psi \rangle |^2 </math>
 
Comme un opérateur densité détermine les probabilités de détection de tous les états quantiques, il détermine les probabilités de tous les résultats de toutes les mesures possibles. En ce sens, il détermine complètement l'état physique du système.
 
 
== Exemples de mesures quantiques ==
 
=== L'observation des superpositions quantiques avec l'interféromètre de Mach-Zehnder ===
 
[[Fichier:Mach-zender-interferometer.png|thumb|230px|L'interféromètre de Mach-Zehnder]]
 
Cette expérience classique est l'une des plus simples qui permette d'observer réellement des superpositions quantiques.
 
Un faisceau de lumière rencontre une première lame séparatrice équilibrée qui le sépare en un faisceau transmis et un faisceau réfléchi. Sur les trajectoires de ces deux faisceaux on place des miroirs afin de les faire se rencontrer sur une deuxième lame séparatrice. Sur les trajectoires des faisceaux transmis et réfléchis par cette deuxième lame, on place des détecteurs de photons.
 
Un modèle très simplifié d'une lame séparatrice consiste à attribuer au photon incident deux état quantiques <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> qui correspondent aux deux directions perpendiculaires selon lesquelles il peut rencontrer la lame. S'il est transmis, il conserve sa direction et reste dans le même état. S'il est est réfléchi il bascule dans l'autre état. C'est très simplifié évidemment, mais cela suffit pour rendre compte de l'expérience.
 
Avec cette simplification, une lame séparatrice équilibrée peut être décrite par une porte d'Hadamard. C'est une porte à un qubit définie par :
 
<math>H|0\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math>
 
<math>H|1\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle - |1\rangle)</math>
 
Entre les deux lames l'évolution du photon est décrite par un simple décalage de phase, qui dépend de la longueur du chemin suivi :
 
<math>U_{int}|0\rangle = e^{i\delta_0}|0\rangle</math>
 
<math>U_{int}|1\rangle = e^{i\delta_1}|1\rangle</math>
 
La propagation du photon dans l'interféromètre est donc décrite par l'opérateur :
 
<math>U_{MZ}= H U_{int} H</math>
 
Si <math>|0\rangle</math> est l'état initial du photon son état à la sortie de la deuxième lame est :
 
<math>U_{MZ}|0\rangle = \frac{1}{2}[(e^{i\delta_0}+e^{i\delta_1})|0\rangle + (e^{i\delta_0}-e^{i\delta_1})|1\rangle ]</math>
 
Si <math>\delta_0</math> et <math>\delta_1</math> ne différent que d'un multiple de <math>\pi</math> le chemin de sortie d'un photon est toujours le même. On peut donc prédire avec certitude quel détecteur il rencontrera. Cette conclusion est surprenante parce qu'elle nous oblige à supposer qu'un photon emprunte en même temps les deux chemins intermédiaires entre les deux lames. S'il n'empruntait qu'un seul de ces chemins on ne pourrait pas prédire son chemin de sortie.
 
Un détecteur précédé d'une lame séparatrice est donc capable de détecter une superposition quantique. Dans l'expérience de Mach-Zehnder, l'un des détecteurs détecte les photons dont l'état intermédiaire est <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math>, l'autre détecte les photons dont l'état intermédiaire est <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle - |1\rangle)</math>. Une telle détection n'est pas une mesure idéale parce que le photon est détruit lorsqu'il est détecté.
 
Dans l'interféromètre de Mach-Zehnder, la première lame séparatrice prépare un photon dans une superposition quantique non-localisée, la seconde lame suivie d'un détecteur nous permet d'observer cette superposition.
 
Lorsque les chemins optiques optiques sont égaux, on peut ignorer l'effet de <math>U_{int}</math> :
 
<math>U_{MZ}= H^2= Id</math>
 
Que la porte d'Hadamard est son propre inverse résume le principe de l'interférométrie Mach-Zehnder.
 
=== Une mesure idéale : la porte CNOT ===
 
La porte CNOT est une porte quantique (Nielsen & Chuang 2010) à deux qubits déterminée par l'opérateur d'évolution suivant :
 
<math>CNOT|00\rangle = |00\rangle</math>
 
<math>CNOT|01\rangle = |01\rangle</math>
 
<math>CNOT|10\rangle = |11\rangle</math>
 
<math>CNOT|11\rangle = |10\rangle</math>
 
Le changement d'état du second qubit est contrôlé par l'état du premier. C'est pourquoi
on les appelle qubit cible et qubit de contrôle.
 
<math>|00\rangle</math> est une écriture abrégée de <math>|0\rangle \otimes |0\rangle</math>.
 
Si l'état initial du qubit cible est <math>|0\rangle</math> ou <math>|1\rangle</math>
(mais pas une superposition des deux) alors la porte CNOT réalise une mesure idéale du
qubit de contrôle par le qubit cible. Le qubit cible d'une porte CNOT est l'exemple le
plus simple de détecteur quantique. Les états-pointeurs sont les états <math>|0\rangle</math>
et <math>|1\rangle</math> du qubit cible. Les résultats de mesure sont
<math>0</math> et <math>1</math>. Si l'état initial du détecteur est <math>|ready\rangle =
|0\rangle</math> alors l'état propre du qubit détecté associé au résultat
<math>i</math> est <math>|i\rangle</math>.
 
=== Une mesure non-idéale : la porte SWAP ===
 
La porte SWAP est une porte quantique à deux qubits déterminée par l'opérateur d'évolution suivant :
 
<math>SWAP|00\rangle = |00\rangle</math>
 
<math>SWAP|01\rangle = |10\rangle</math>
 
<math>SWAP|10\rangle = |01\rangle</math>
 
<math>SWAP|11\rangle = |11\rangle</math>
 
Chaque qubit passe dans l'état de l'autre. Chacun est donc sensible à l'autre. C'est
pourquoi on peut interpréter la porte SWAP comme une mesure quantique d'un qubit par
l'autre. Par exemple le second qubit peut être interprété comme un détecteur pour lequel
on a choisi l'état initial <math>|ready\rangle = |0\rangle</math> et les états pointeurs <math> | 0 \rangle </math> et <math> | 1 \rangle </math>. Les résultats de mesure sont <math>0</math> et <math>1</math> qui ont respectivement pour états propres les états
<math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> du premier qubit. Si l'état initial de ce qubit est <math>\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle</math>, l'état final après la mesure est :
 
<math>SWAP(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)|ready\rangle = SWAP(\alpha|00\rangle +
\beta|10\rangle) = \alpha|00\rangle + \beta|01\rangle)</math>
 
La porte SWAP n'est pas une mesure idéale, parce que l'un des états propres du système
observé est perturbé par la mesure.
 
=== Une réalisation expérimentale des portes quantiques ===
 
L'interaction d'un atome avec une cavité nous permet de construire des portes quantiques.
 
On peut faire un qubit avec un atome. L'état <math>|0\rangle_A</math> est par exemple un état <math>|g\rangle_A</math>, fondamental ou excité, l'état <math>|1\rangle_A</math> un autre état excité <math>|e\rangle_A</math>. De même une cavité peut servir de qubit. L'état <math>|0\rangle_C</math> est son état vide de photons, l'état <math>|1\rangle_C</math> celui où elle contient un seul photon. Si l'atome passe par la cavité d'une façon telle qu'ils échangent leur énergie, on peut obtenir l'interaction suivante (Haroche & Raimond, 2006, p.282) :
<math>U|0\rangle_C|0\rangle_A=|0\rangle_C|0\rangle_A</math>
 
<math>U|0\rangle_C|1\rangle_A=|1\rangle_C|0\rangle_A</math>
 
<math>U|1\rangle_C|0\rangle_A=-|0\rangle_C|1\rangle_A</math>
 
<math>U|1\rangle_C|1\rangle_A=|1\rangle_C|1\rangle_A</math>
 
Ce n'est pas la porte SWAP mais elle lui ressemble. On obtient par exemple :
 
<math>U|0\rangle_C(\alpha|0\rangle_A + \beta|1\rangle_A)
=(\alpha|0\rangle_C+ \beta|1\rangle_C)|0\rangle_A</math>
 
<math>U(\alpha|0\rangle_C+ \beta|1\rangle_C)|1\rangle_A
= |1\rangle_C(\alpha|0\rangle_A + \beta|1\rangle_A) </math>
 
L'échange d'énergie peut aussi conduire à un changement d'état :
 
<math>U|1\rangle_C(\alpha|0\rangle_A + \beta|1\rangle_A)
=(-\alpha|0\rangle_C + \beta|1\rangle_C)|1\rangle_A</math>
 
<math>U(\alpha|0\rangle_C+ \beta|1\rangle_C)|0\rangle_A
= |0\rangle_C(\alpha|0\rangle_A - \beta|1\rangle_A) </math>
 
 
En modifiant les paramètres de l'expérience, et avec un autre état excité <math>|i\rangle_A</math> de l'atome, on peut aussi s'arranger pour que le passage de l'atome par la cavité soit décrit par (pp.320-322):
 
<math>U'|0\rangle_C|g\rangle_A=|0\rangle_C|g\rangle_A</math>
 
<math>U'|0\rangle_C|i\rangle_A=|0\rangle_C|i\rangle_A</math>
 
<math>U'|1\rangle_C|g\rangle_A=-|1\rangle_C|g\rangle_A</math>
 
<math>U'|1\rangle_C|i\rangle_A=|1\rangle_C|i\rangle_A</math>
 
Si on redéfinit les états <math>|0\rangle_A</math> et <math>|1\rangle_A</math> par :
 
<math>|0\rangle_A = \frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle_A + |i\rangle_A)</math>
 
<math>|1\rangle_A = \frac{1}{\sqrt 2}(-|g\rangle_A + |i\rangle_A)</math>
 
alors l'opérateur <math>U'</math> ci-dessus détermine une porte CNOT, où la cavité est le qubit de contrôle et l'atome le qubit cible. De cette façon on est capable de détecter un photon sans le détruire.
 
 
== L'intrication quantique ==
 
Selon la physique classique, l'état d'un système composé est toujours déterminé par la liste des états de ses composants. Formellement on définit l'espace d'états du composé comme le produit cartésien des espaces d'états des composants. Si l'état du composé est connu exactement, les états des composants sont donc nécessairement connus avec la même exactitude. Cela n'est plus vrai en physique quantique, parce que l'espace d'états du composé est le produit tensoriel des espaces d'états des composants. Par exemple, si un système à deux qubits est dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math> on ne peut pas attribuer des vecteurs d'état aux qubits pris séparément. Chaque qubit est intriqué avec l'autre. Cet effet d'intrication est purement quantique. Il n'a pas d'équivalent en physique classique. Il est souvent considéré, depuis Schrödinger (1935), comme l'effet quantique par excellence. L'intrication est au cœur du grand mystère de la superposition quantique.
 
Ce chapitre est le plus important du livre parce que l'intrication quantique est fondamentale pour expliquer la réalité des observations.
 
=== Définition ===
 
L'état d'un système composé AB...Z est dit séparable lorsqu'il est le produit des états de ses composants :
 
<math>|\psi_{AB...Z}\rangle = |\psi_A\rangle |\psi_B\rangle...|\psi_Z\rangle</math>
 
pour un état pur,
 
<math>\rho_{AB...Z} = \rho_A \rho_B...\rho_Z</math>
 
pour un état mixte.
 
Un état est intriqué lorsqu'il n'est pas séparable. On l'appelle parfois un état inséparable, ou enchevêtré.
 
=== Interaction, intrication et extrication ===
 
Lorsque deux parties d'un système interagissent, un état initialement séparable peut devenir intriqué. Par exemple, <math>CNOT[\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)|0\rangle]
= \frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math>
 
Mais les interactions ne conduisent pas toujours à une intrication. CNOT n'intrique pas les états de la base de calcul (pour deux qubits la base de calcul est : <math>|00\rangle, |01\rangle, |10\rangle, |11\rangle)</math>. SWAP est une interaction qui n'intrique jamais les états séparables sur lesquels elle agit :
 
<math>SWAP|\alpha\rangle|\beta\rangle=|\beta\rangle|\alpha\rangle</math>
 
Losqu'une interaction <math>U</math> transforme un état séparable en état intriqué, il est en principe possible de revenir à l'état séparable initial, pourvu que la dynamique de l'interaction soit réversible, parce qu'alors <math>U^{-1}</math> représente une interaction possible. La quasi-totalité des interactions élémentaires autorisent une telle réversibilité temporelle.
 
Par exemple :
 
<math>CNOT \frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle) = |00\rangle</math>
 
CNOT est son propre inverse : <math>CNOT^{-1}=CNOT</math>. Tout état qui a été intriqué par CNOT redevient séparable si CNOT est appliqué une deuxième fois. Lorsque l'intrication est ainsi détruite, on peut parler d'extrication, de démêlage, ou de retour à la séparabilité.
La porte d'Hadamard est très utile pour modéliser l'intrication et l'extrication des qubits. A partir de la base de calcul, la combinaison de H sur le premier qubit suivie de CNOT produit la base des états de Bell :
 
<math>CNOT (H_1 |00\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle) = |\beta_{00}\rangle</math>
 
<math>CNOT (H_1 |01\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|01\rangle + |10\rangle) = |\beta_{01}\rangle</math>
 
<math>CNOT (H_1 |10\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle - |11\rangle) = |\beta_{10}\rangle</math>
 
<math>CNOT (H_1 |11\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|01\rangle - |10\rangle) = |\beta_{11}\rangle</math>
 
Les états de Bell <math>|\beta_{ij}\rangle</math> sont les états intriqués les plus simples qu'on puisse concevoir.
 
Deux systèmes peuvent s'intriquer sans interagir directement, par l'intermédiaire d'un troisième système. Par exemple, si dans un système à trois qubits, le second et le troisième mesurent tous les deux le premier, on peut obtenir :
 
<math>U\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)|00\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|000\rangle + |111\rangle)
</math>
 
De même, si le second qubit mesure le premier avant d'être mesuré par le troisième, on peut obtenir :
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)|00\rangle</math> → <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)|0\rangle</math> → <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|000\rangle + |111\rangle)</math>
 
Si deux qubits sont initialement intriqués et si le premier interagit par un SWAP avec un troisième, alors il y a transfert d'intrication :
 
<math>SWAP_{13}\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)
= SWAP_{13}\frac{1}{\sqrt 2}[\alpha(|000\rangle + |110\rangle) + \beta(|001\rangle + |111\rangle)]</math>
 
<math>= \frac{1}{\sqrt 2}[\alpha(|000\rangle + |011\rangle) + \beta(|100\rangle + |111\rangle)]
= \frac{1}{\sqrt 2}(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)(|00\rangle + |11\rangle)
</math>
 
Le troisième qubit devient ainsi intriqué avec le second sans avoir interagi directement avec lui. Le premier qubit est extriqué grâce au SWAP avec le troisième.
 
=== Les états relatifs d'Everett ===
 
En général, une observation fait passer le système observé et l'appareil de mesure d'un état séparable à un état intriqué. Pour une mesure idéale :
 
<math>U(\sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S)|ready\rangle_A = \sum_{ij} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|i\rangle_A</math>
 
Il n'y a pas d'intrication seulement si le système observé est dans un état propre de la mesure.
 
Après l'observation, <math>\frac{\sum_{j} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S}{|\sum_{j} \alpha_{ij}|i,j\rangle_S|}</math> est l'état du système observé relatif, au sens d'Everett, à l'état <math>|i\rangle_A</math> de l'appareil de mesure, et inversement.
 
Plus généralement, si <math>\sum_{ij} \alpha_{ij} |a_i\rangle|b_j\rangle</math> est l'état d'un système AB, où les <math>|a_i\rangle</math> et les <math>|b_j\rangle</math> sont deux bases orthonormées quelconques de A et B, alors <math>\frac{\sum_{i} \alpha_{ij} |a_i\rangle}{|\sum_{i} \alpha_{ij} |a_i\rangle|}</math> est l'état relatif de A par rapport à l'état <math>|b_j\rangle</math> de B, et <math>\frac{\sum_{j} \alpha_{ij} |b_j\rangle}{|\sum_{j} \alpha_{ij} |b_j\rangle|}</math> est l'état relatif de B par rapport à l'état <math>|a_i\rangle</math> de A (Everett 1957).
 
<math>|\sum_{i} \alpha_{ij} |a_i\rangle|^2 = \sum_{i} | \alpha_{ij} |^2</math> est le poids de l'état <math>|b_j\rangle</math> de B dans l'état <math>\sum_{ij} \alpha_{ij} |a_i\rangle|b_j\rangle</math> de AB. De même <math>|\sum_{j} \alpha_{ij} |b_j\rangle|^2 = \sum_{j} | \alpha_{ij} |^2</math> est le poids de l'état <math>|a_i\rangle</math> de A.
 
Par commodité mathématique on convient que si le poids de <math>|b_j\rangle</math> dans <math>\sum_{ij} \alpha_{ij} |a_i\rangle|b_j\rangle</math> est nul, l'état de A relatif à <math>|b_j\rangle</math> est le vecteur nul <math>0</math>. Il faut le distinguer de <math>|0\rangle</math> dont la longueur est un, parce que la longueur de <math>0</math> est nulle. Le vecteur <math>0</math> n'est pas un vecteur d'état. C'est le seul élément de l'espace vectoriel des états d'un système qui ne peut pas être identifié à un état du système.
 
Un état pur <math>|\psi\rangle</math> d'un système AB peut toujours être décomposé de la façon suivante :
 
<math>|\psi\rangle = \sum_i \sqrt{p_i}|a_i\rangle|b_i\rangle</math>
 
où les <math>|a_i\rangle</math> sont des vecteurs orthonormés, ainsi que les <math>|b_i\rangle</math>. Elle est appelée une décomposition de Schmidt. Elle est unique lorsque les <math>p_i</math> sont tous différents. Elle contient au moins deux termes si et seulement si <math>|\psi\rangle</math> est un état intriqué.
 
Pour chaque <math>i</math>, <math>|a_i\rangle</math> est l'état de A relatif à l'état <math>|b_i\rangle</math> de B, et inversement. Ils ont le même poids <math>p_i</math> dans <math>|\psi\rangle</math>.
 
<math>\sum_i (\sum_j \alpha_{ij}|i,j\rangle_S)|i\rangle_A </math> est une décomposition de Schmidt du système SA. Selon la règle de Born, le poids <math>\sum_j |\alpha_{ij}|^2</math> de <math>\sum_j \alpha_{ij}|i,j\rangle_S</math> et de <math>|i\rangle_A </math> est la probabilité que la mesure fournisse le résultat <math>i</math>.
=== La réduction du vecteur d'état par l'observation est une extrication ===
 
La plupart des livres d'enseignement de la physique quantique exposent les deux principes suivants :
 
L'évolution du vecteur d'état est décrite par un opérateur unitaire, ou par l'équation de Schrödinger, tant que le système étudié n'est pas observé.
 
Quand le système est observé, son état initial <math>|\psi\rangle</math> avant l'observation devient l'un des états <math>\frac{P(i)|\psi\rangle}{|P(i)|\psi\rangle|}</math> où <math>P(i) = \sum_{j}|ij\rangle\langle ij|</math> est le projecteur sur le sous-espace des états propres <math>|ij\rangle</math> du résultat <math>i</math>. On dit alors qu'une réduction du vecteur d'état s'est produite, une sorte de saut quantique qui fait passer le système de l'état <math>|\psi\rangle</math> à l'état <math>\frac{P(i)|\psi\rangle}{|P(i)|\psi\rangle|}</math>. On dit aussi que c'est une réduction de la fonction d'onde, ''wave function collapse'', parce qu'une fonction d'onde représente les composantes d'un vecteur d'état dans une base d'états de position.
 
Après une mesure qui a fourni le résultat <math>i</math>, l'état relatif du système observé par rapport au système observateur est <math>\frac{P(i) |\psi\rangle}{|P(i) |\psi\rangle|}</math>. La réduction du vecteur d'état est donc le passage du vecteur d'état initial au vecteur d'état relatif, au sens d'Everett, au résultat de la mesure.
 
La réduction du vecteur d'état par l'observation est une extrication parce que le système observé passe dans un état propre de la mesure après l'observation. Si la mesure est exacte, c'est à dire s'il y a un seul état du système observé pointé par le résultat de mesure, l'extrication est complète. Si le système observé était intriqué avec son environnement, il ne l'est plus après la mesure. L'observation détruit ainsi toute intrication préalable du système observé avec son environnement.
 
L'extrication par l'observation explique pourquoi la physique quantique permet de faire d'excellentes prédictions à partir du calcul sur des états purs. Comme les interactions entre toutes les parties de l'Univers se produisent sans cesse, et comme les interactions sont souvent intriquantes, tout devrait être intriqué avec tout, ou presque. La matière ne cesse jamais d'interagir avec la matière. Tous les êtres matériels ont en général une longue histoire d'interactions, et donc d'intrications, avec tous les autres êtres matériels qu'ils ont rencontrés. Comment se fait-il alors qu'on puisse décrire leurs états par des états purs, séparés du reste de l'Univers, et faire des prédictions exactes à partir d'une telle description ?
 
Nous connaissons les états quantiques des êtres matériels seulement si nous nous donnons des conditions d'observation qui permettent de les connaître. Comme de nos points de vue nos observations sont extriquantes, nous pouvons ignorer toutes les intrications préalables à nos observations, et attribuer ainsi des vecteurs d'état aux systèmes que nous observons.
 
=== L'extrication apparente résulte de l'intrication réelle entre le système observé et l'observateur ===
 
La réduction du vecteur d'état par l'observation ne peut pas être décrite par un opérateur unitaire. On devrait donc admettre deux sortes d'évolution, l'une est unitaire et se produit en l'absence d'observation, l'autre n'est pas unitaire et se produit lors d'une mesure. Or une mesure est une évolution naturelle. Le postulat d'évolution unitaire est universel. On suppose qu'il décrit tous les processus naturels. On est donc confronté à une contradiction. Le saut quantique, la réduction du vecteur d'état, est une évolution naturelle, mais elle n'est pas unitaire.
 
La physique quantique est-elle contradictoire ? N'est-il pas possible de donner une théorie unifiée, qui décrit sans contradiction, avec les mêmes principes, tous les processus naturels, qu'il y ait ou non observation ?
 
On peut croire que la physique quantique est seulement une approximation, que le postulat d'évolution unitaire n'est pas universel, qu'une nouvelle physique expliquera dans quels cas l'évolution est unitaire, ou presque, et dans quels autres cas la réduction du vecteur d'état se produit. Mais jusqu'à présent, une telle nouvelle physique, qui dépasse et supplante la physique quantique n'existe pas. Les diverses spéculations sur ce sujet n'ont jamais porté de véritables fruits.
 
Le postulat de la réduction du vecteur d'état permet de nier le théorème d'existence des destinées multiples. Si une observation conduit vraiment à la réduction du vecteur d'état alors nous n'avons qu'une seule destinée. Le principe de la réduction du vecteur d'état nous permet de conserver notre préjugé, que les autres destinées n'existent pas. C'est sa seule justification. Il n'en a pas d'autres. On introduit une contradiction au cœur de la théorie quantique parce qu'on ne veut pas croire aux autres destinées, parce qu'on n'accepte pas que la réalité pourrait être davantage que ce que nous pouvons observer directement.
 
Pour expliquer nos résultats d'observation, le postulat de la réduction du vecteur d'état n'est pas nécessaire. Le principe d'évolution unitaire et l'intrication entre le système observé et l'observateur suffisent pour rendre compte des probabilités mesurées. Pour le comprendre il suffit de raisonner sur des probabilités conditionnelles : quelle est la probabilité qu'une observation fournisse un résultat sachant le résultat d'une observation antérieure?
 
Supposons que nous fassions deux mesures successives sur un même système (Everett 1957), préparé initialement dans l'état <math>|\psi\rangle</math>. Après les deux mesures, le système global (système observé + appareils de mesure) se retrouve dans l'état suivant :
 
<math>\sum_{ij} (P_2(j) U_S P_1(i) |\psi\rangle)(U_{A_1}|i\rangle_1)|j\rangle_2</math>
 
où les <math>P_1(i)</math> et <math>P_2(j)</math> sont les projecteurs associés aux deux mesures successives, <math>U_S</math> est l'opérateur d'évolution du système observé entre les deux mesures et <math>U_{A_1}</math> celui du premier appareil de mesure.
 
La probabilité d'obtenir le résultat <math>j</math> lors de la deuxième mesure sachant que
<math>i</math> a été obtenu lors de la première est :
 
<math>\frac{Pr(ij)}{Pr(i)} = \frac{|P_2(j) U_S P_1(i) |\psi\rangle|^2}{|P_1(i) |\psi\rangle|^2}</math>
 
C'est la même probabilité que celle qu'on obtiendrait si juste après la première mesure le système avait été dans l'état <math>\frac{P_1(i) |\psi\rangle}{|P_1(i) |\psi\rangle|}</math>.
Une fois qu'on a obtenu le résultat <math>i</math> tout se passe comme si l'état du système observé était passé de l'état <math>|\psi\rangle</math> à l'état <math>\frac{P_1(i) |\psi\rangle}{|P_1(i) |\psi\rangle|}</math>, comme s'il y avait eu une réduction du vecteur d'état. Les autres états du système observé, les <math>\frac{P_1(i') |\psi\rangle}{|P_1(i') |\psi\rangle|}</math> pour <math>i'</math> différent de <math>i</math> n'ont aucune influence sur les mesures ultérieures. S'ils existent, ils sont obtenus dans d'autres destinées qui n'ont pas d'influence sur la nôtre, puisqu'elles n'ont pas d'influence sur nos observations.
 
Si on prend la physique quantique au sérieux, si on croit qu'elle décrit correctement la réalité, si donc on accepte le théorème d'existence des destinées multiples, on n'a pas besoin du postulat de la réduction du vecteur d'état. Le principe d'évolution unitaire suffit pour décrire la réalité.
 
Selon le point de vue choisi, on peut dire que les observations sont intriquantes ou extriquantes. Elles sont intriquantes parce qu'elles conduisent à une intrication entre le système observé et l'observateur. Elles sont extriquantes parce qu'elles conduisent à une réduction apparente du vecteur d'état du système observé.
 
L'extrication par l'observation est un effet seulement subjectif. L'observation est extricante seulement du point de vue de l'observateur. D'un point de vue extérieur, une observation est au contraire en général intricante. C'est justement l'intrication entre le système observé et l'observateur qui produit la réduction apparente du vecteur d'état, parce qu'après une observation un observateur ne peut connaître que l'état relatif, au sens d'Everett, du système observé. Tous les autres états ne peuvent plus avoir d'influence sur des observations ultérieures. Mais c'est seulement du point de vue de l'observateur que le vecteur d'état du système observé a été réduit à son état relatif à l'observateur. La réduction du vecteur d'état est seulement une sorte d'illusion, produite par notre point de vue d'observateur intriqué, qui ne connaît de la réalité qu'une infime partie, qui ne peut connaître qu'une destinée parmi des myriades d'autres, toutes aussi réelles.
 
=== Peut-on voir des états macroscopiques non-localisés ? ===
 
Si un système quantique peut être dans les états <math>|1\rangle</math> et <math>|2\rangle</math>, il peut aussi être dans l'état <math>\alpha|1\rangle + \beta|2\rangle</math>. Par exemple <math>|1\rangle</math> et <math>|2\rangle</math> peuvent être deux états de la lune à des positions différentes. Or on ne voit jamais la lune à des positions différentes. Un état non-localisé de la lune tel que <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle + |2\rangle)</math> n'est jamais observé. Il en va de même pour tous les objets macroscopiques (Schrödinger 1935) même s'ils sont très petits. (Du point de vue du biologiste, une bactérie est microscopique, mais du point de vue du physicien, elle est macroscopique, parce qu'elle est constituée de milliards d'atomes.)
 
La vision passe par la formation d'images. Chaque point de l'image représente un point d'un objet dans le champ visuel. Si l'objet est non-localisé, on ne peut pas en avoir une image nette et stable. Mais peut-être qu'on pourrait le voir tantôt à une position tantôt à une autre. La réduction apparente du vecteur d'état, lors d'une observation, prouve que ce n'est pas possible. Si l'objet vu est initialement non-localisé, il passe, de mon point de vue, dans un état localisé dès que je le vois à une position définie. Si je répète l'observation plusieurs fois, je le verrai à la même place. Les autres composantes du vecteur d'état initial ne peuvent plus être observées, dès qu'une des composantes a été sélectionnée par une observation. A cause de l'intrication par l'observation, le simple fait de voir un objet à une position définie suffit pour détruire son état non-localisé initial.
 
Mais cela ne prouve pas qu'il est impossible d'observer des états macroscopiques non-localisés (cf. 4.21), cela prouve seulement qu'il est impossible de les voir.
 
=== L'explication quantique de l'intersubjectivité ===
 
Comme l'Univers est dans un état intriqué, on ne peut pas en général attribuer d'état réellement défini à chacune de ses parties. Le problème n'est pas que nous ne connaissons pas les états de ces parties, mais qu'ils ne sont pas définis, qu'ils n'existent tout simplement pas, du moins selon la théorie. Cependant nous connaissons l'Univers toujours en observant ses parties. Nous ne pouvons rien savoir de lui en dehors des parties que nous observons. Et lorsque nous les avons observées nous croyons savoir comment elles sont réellement. Pourquoi dire que nous connaissons leur état réel, alors que selon la théorie un tel état n'existe même pas ?
 
La réponse de la physique quantique est essentiellement relativiste, aus sens où la réalité observée est toujours relative aux observateurs. Les êtres réellement présents dans l'Univers n'ont pas un unique état défini de façon absolue, invariante, c'est à dire le même pour tous les observateurs. La théorie ne leur attribue pas un unique état mais de très nombreux états, parce que l'état réel d'un être est toujours relatif à l'état d'un autre être.
 
Si A, B et C sont trois êtres, l'état de A relatif à un état de B est en général différent de l'état de A relatif à un état de C. On en conclut que B et C ont chacun leur réalité. Les représentations du monde de tous les observateurs devraient donc être toujours différentes. Comment se fait-il alors que nous puissions nous mettre d'accord sur une même réalité que nous observons tous ?
 
Everett (1957) a montré que communication entre observateurs suffit pour observer la même réalité :
 
Supposons que A est observé par B qui est ensuite observé par C de telle façon que l'information possédée par B sur A soit transmise à C.
 
On raisonne sur un modèle simplifié : les états <math>|a_i\rangle</math> de A sont les états propres associés aux états pointeurs <math>|b_i\rangle</math> de B, qui sont eux-mêmes les états propres associés aux états pointeurs <math>|c_i\rangle</math> de C.
 
A partir de l'état initial <math>\sum_i \alpha_i |a_i\rangle</math> de A, on obtient après l'observation de A par B, l'état <math>\sum_i \alpha_i |a_i\rangle|b_i\rangle</math> de AB. Après l'observation de B par C, on obtient l'état <math>\sum_i \alpha_i |a_i\rangle|b_i\rangle|c_i\rangle</math> de ABC. Avant la communication entre B et C, le vecteur d'état de A relatif à un état de C n'est pas défini, parce que A est intriqué avec B. Nous montrerons plus loin (cf. 4.15) qu'il peut être défini comme un état mixte, mais ce n'est pas un vecteur d'état. Après la communication entre B et C, l'état <math>|a_i\rangle</math> de A relatif à un état <math>|c_i\rangle</math> de C est le même que l'état de A relatif à l'état <math>|b_i\rangle</math> de B relatif à l'état <math>|c_i\rangle</math> de C. La réalité de A est donc la même pour B et C. La théorie quantique explique donc la possibilité de l'intersubjectivité dans un univers essentiellement relativiste.
 
=== Einstein, Bell, Aspect et la réalité de l'intrication quantique ===
 
Supposons que deux qubits intriqués dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math> sont très éloignés l'un de l'autre. On peut donc faire une mesure sur l'un sans toucher à l'autre. Si on fait une mesure sur le premier qubit, si elle a <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> pour états propres, on peut déduire du résultat de
la mesure l'état <math>|0\rangle</math> ou <math>|1\rangle</math> du second qubit, qui est très éloigné de l'instrument de mesure. Einstein en conclut que cet état doit représenter un élément de réalité qui existait avant la mesure (Einstein, Podolsky & Rosen 1935). Une action instantanée à distance du premier qubit, ou de l'instrument de mesure, sur le second qubit, est exclue. Elle est contraire aux principes de physique qu'il a grandement contribué à établir. Mais les équations quantiques n'attribuent pas d'état défini au second qubit avant la mesure. Selon Einstein elle ne décrivent donc pas complètement la réalité, il doit y avoir des variables cachées, c'est à dire des grandeurs réelles ignorées par la théorie quantique, qui doivent compléter la description quantique de la réalité, nécessairement incomplète.
 
Einstein ne pouvait pas croire que la physique quantique donne une description complète de la réalité parce qu'il ne voulait pas renoncer au principe de la séparabilité du réel. Toute la physique classique respecte le principe que l'état du système est toujours être identifié à la liste des états de ses parties. Parler d'un état intriqué, d'un état défini d'un système dans lequel les parties n'ont pas d'état défini, n'a pas de sens en physique classique.
 
L'existence de ces variables cachées, postulées par Einstein, est restée très hypothétique jusqu'à ce que Bell comprenne, en 1964, comment mettre cette hypothèse à l'épreuve de l'expérience (Bell 1988). L'expérience a été faite (Aspect, Grangier & Roger 1982, Gisin, Tittel, Brendel & Zbinden 1998, Gisin 2012) et le résultat est très clair: Einstein a eu tort de croire que la réalité est nécessairement séparable. Les états quantiques intriqués existent vraiment et ils décrivent complètement la réalité, autant que nous sachions.
 
On peut comprendre le raisonnement de Bell et les résulats obtenus par Aspect en étudiant un système à deux qubits intriqués et en considérant deux instruments de mesure pour chacun d'eux.
 
{<math>|0\rangle,|1\rangle</math>} et {<math>|x^+\rangle,|x^-\rangle</math>} (cf. 2.7) sont les deux bases d'états propres des intruments de mesure du premier qubit.
 
{<math>|v^+\rangle,|v^-\rangle</math>} et {<math>|w^+\rangle,|w^-\rangle</math>} sont les deux bases d'états propres des intruments de mesure du second qubit.
 
A chaque itération de l'expérience, Alice choisit un des deux instruments et l'applique à son qubit, Bob fait de même sur l'autre qubit. Il y a donc quatre expériences possibles, qui peuvent avoir pour résultats :
 
* <math>0v^+, 0v^-, 1v^+, 1v^-</math>
 
* <math>0w^+, 0w^-, 1w^+, 1w^-</math>
 
* <math>x^+v^+, x^+v^-, x^-v^+, x^-v^-</math>
 
* <math>x^+w^+, x^+w^-, x^-w^+, x^-w^-</math>
 
Il semble que l'état de Bell <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math> privilégie la base {<math>|0\rangle,|1\rangle</math>} mais c'est une illusion:
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|x^+x^+\rangle + |x^-x^-\rangle)=\frac{1}{2 \sqrt 2}[ (|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle + |1\rangle) + (|0\rangle - |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle)] = \frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math>
 
Si on choisit :
 
<math>|v^+\rangle=cos(\pi/8)|0\rangle + sin(\pi/8)|1\rangle</math>
 
<math>|v^-\rangle=sin(\pi/8)|0\rangle - cos(\pi/8)|1\rangle</math>
 
<math>|w^+\rangle=cos(3\pi/8)|0\rangle + sin(3\pi/8)|1\rangle</math>
 
<math>|w^-\rangle=sin(3\pi/8)|0\rangle - cos(3\pi/8)|1\rangle</math>
 
on arrive à corréler positivement les huit couples suivants : <math>0</math> avec <math>v^+</math> et <math>w^-</math>, <math>x^+</math> avec <math>v^+</math> et <math>w^+</math> , <math>1</math> avec <math>v^-</math> et <math>w^+</math>, <math>x^-</math> avec <math>v^-</math> et <math>w^-</math>:
 
<math>Pr(0v^+) = \frac{1}{2} | \langle 0v^+| ( |00\rangle + |11\rangle ) |^2 = \frac{1}{2} cos^2(\pi/8) > Pr(0) Pr(v^+)= \frac{1}{4}</math>
 
On trouve le même résultat pour les sept autres couples. Leur somme est plus grande que 3 :
 
<math>4 cos^2(\pi/8) \approx 3.414</math>
 
Bell a compris qu'un tel résultat, prédit par la physique quantique et vérifiable empiriquement, est incompatible avec le principe de séparabilité du réel.
 
Comme on a :
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|v^+v^+\rangle + |v^-v^-\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|w^+w^+\rangle + |w^-w^-\rangle)</math>,
 
si Alice mesurait sur le premier qubit les états <math>|v^+\rangle</math> et <math>|v^-\rangle</math> elle pourrait déduire de ses résultats ceux de Bob, s'il mesurait lui aussi <math>|v^+\rangle</math> et <math>|v^-\rangle</math> sur le second qubit. Il en va de même pour <math>|w^+\rangle</math> et <math>|w^-\rangle</math>. Selon le critère d'Einstein, il devrait donc y avoir des éléments de réalité qui déterminent les résultats de Bob. Comme les rôles d'Alice et Bob sont symétriques, il devrait aussi y avoir des élements de réalité qui déterminent les résultats d'Alice. On devrait donc pouvoir répartir les expériences en seize groupes qui correspondent aux seize combinaisons possibles d'éléments de réalité. Si l'expérience est bien faite, ces seize groupes devraient se produire toujours avec les mêmes probabilités. On ne peut pas mesurer ces probabilités parce que la physique quantique interdit de mesurer simultanément les quatre éléments <math>0</math> ou <math>1</math>, <math>x^+</math> ou <math>x^-</math>, <math>v^+</math> ou <math>v^-</math>, et <math>w^+</math> ou <math>w^-</math>, d'une combinaison. Mais si on accepte le raisonnement d'Einstein fondé sur le postulat de séparabilité, on doit accepter l'existence de ces seize probabilités.
 
Les huit probabilités mesurables des couples corrélés peuvent être considérées comme les espérances de huit variables aléatoires. Par exemple <math>Pr(0v^+)</math> est l'espérance de la variable qui vaut 1 si <math>0v^+</math> est observé et zéro sinon. La somme de ces huit variables est elle aussi une variable aléatoire dont l'espérance est la somme des huit espérances des variables sommées. On peut vérifier sur chacune des seize combinaisons que cette somme est toujours inférieure ou égale à trois. Par exemple elle vaut trois pour la combinaison <math>0x^+v^+w^+</math>. Son espérance est donc nécessairement inférieure ou égale à trois. Le principe de séparabilité contredit donc la prédiction quantique qui a pourtant été confirmée empiriquement.
=== La coprésence sans rencontre possible ===
 
Est-il possible de se trouver en un même lieu sans pouvoir se rencontrer ?
 
Soient deux êtres A et B qui sont capables d'interagir lorsqu'ils sont à proximité. <math>|0\rangle_A</math> et <math>|0\rangle_B</math> sont des états de A et B lorsqu'ils sont dans un lieu 0, et de même <math>|1\rangle_A</math> et <math>|1\rangle_B</math> pour un autre lieu 1. On suppose que s'ils sont dans des lieux différents, ils ne peuvent pas interagir. On a donc :
<math>U|0\rangle_A|1\rangle_B=|0\rangle_A|1\rangle_B</math>
 
<math>U|1\rangle_A|0\rangle_B=|1\rangle_A|0\rangle_B</math>
 
S'ils sont initialement dans l'état intriqué <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_A|1\rangle_B+|1\rangle_A|0\rangle_B)</math> alors ils n'interagiront pas.
 
Preuve : <math>U[\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_A|1\rangle_B+|1\rangle_A|0\rangle_B)] =\frac{1}{\sqrt 2}(U|0\rangle_A|1\rangle_B+U|1\rangle_A|0\rangle_B) =\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_A|1\rangle_B+|1\rangle_A|0\rangle_B)</math>. Fin de la preuve.
 
Cependant il y a une probabilité <math>\frac{1}{2}</math> de trouver A dans le lieu 0, de même pour B. Ils sont donc tous les deux présents dans le lieu 0, au moins partiellement, mais ils ne peuvent pas s'y rencontrer. De même pour le lieu 1.
 
Par exemple Alice et Bob ont convenu d'un rendez-vous, mais pour des raisons de sécurité ils n'ont pas défini le lieu par avance. Ils se servent d'une paire intriquée, supposée dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_a|0\rangle_b+|1\rangle_a|1\rangle_b)</math>. Juste avant le rendez-vous, chacun doit observer sa partie de la paire et décider en conséquence du lieu où ils se retrouveront. Mais à l'insu d'Alice et Bob, Charles est jaloux et a remplacé la paire intriquée par une autre, <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_a|1\rangle_b+|1\rangle_a|0\rangle_b)</math>. Alors Alice et Bob iront à leur rendez-vous sans pouvoir s'y rencontrer tout en y étant présents tous les deux.
 
=== L'espace-temps enchevêtré ===
 
Les parties d'un système quantique sont en général conçues comme des êtres matériels, des particules, des atomes, des molécules, ou de plus gros objets. Mais à un niveau plus fondamental, il semble qu'il faille considérer les particules élémentaires et leurs composés comme des formes d'excitation de l'espace, ou du vide quantique. Les parties du système sont alors conçues comme des régions de l'espace. L'espace des états de l'espace entier est le produit tensoriel des espaces d'états des régions en lesquelles on l'a décomposé. Le vecteur d'état de l'univers décrit ainsi l'intrication entre toutes les régions de l'espace (Wallace 2012). Or il décrit les destinées multiples de tous les êtres de l'univers. La plupart de ces destinées sont séparées et ne pourront jamais se rencontrer, alors qu'elles se produisent dans le même espace et parfois dans les mêmes lieux. Cela pose une difficulté de principe : pourquoi dire de deux destinées qu'elles passent par un même lieu si elles ne peuvent pas s'y rencontrer ?
 
Cela a du sens parce que même si A et B ne peuvent pas se rencontrer dans un certain lieu quand ils y passent tous les deux, ils peuvent tout de même rencontrer chacun un troisième être C présent en ce lieu. C ne rencontrera jamais A et B en même temps, seulement l'un ou l'autre, mais pas les deux. La destinée initiale de C bifurquera en deux destinées, l'une où il rencontre A, l'autre B.
 
La thèse d'Everett est parfois énoncée d'une façon qui semble un peu absurde : à chaque observation l'univers de l'observateur se séparerait en plusieurs univers indépendants qui correspondraient chacun à un résultat possible. On conçoit alors l'évolution de l'Univers comme une arborescence où chaque branche peut se diviser en plusieurs branches qui peuvent alors se diviser, et ainsi de suite. Cette image de l'arborescence est parfois utile (cf. chapitre 6) mais elle suggère à tort qu'il y aurait plusieurs espaces et plusieurs temps, plusieurs branches de l'écoulement du temps et plusieurs espaces où il s'écoule. La thèse d'Everett ne dit rien de tel. Elle prend la physique quantique telle qu'elle est, sans lui ajouter la moindre hypothèse. Elle admet donc qu'il y a un unique espace-temps. Elle constate seulement que la physique quantique attribue aux êtres matériels non une mais de nombreuses destinées qui sont toutes enchevêtrées dans un même espace-temps.
 
=== Action, réaction et pas de clonage ===
 
Lors de l'interaction CNOT il semble que le qubit de contrôle agit sur le qubit cible mais pas l'inverse. Cette apparence est fausse. Si l'état initial du qubit de contrôle est <math>\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle</math>, l'état final après la mesure est :
 
<math>CNOT(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)|0\rangle = CNOT(\alpha|00\rangle + \beta|10\rangle)
= \alpha|00\rangle + \beta|11\rangle)</math>
 
Lorsque <math>\alpha</math> et <math>\beta</math> sont tous les deux différents de zéro,
le qubit de contrôle ne reste pas dans son état initial. Il s'intrique avec le qubit cible.
 
De fait, il y a une symétrie cachée dans la porte quantique CNOT. Avec un changement de base approprié, le premier qubit devient la cible et le second le contrôle (Nielsen & Chuang 2010) :
Avec la base {<math>|x^+\rangle,|x^-\rangle</math>} (cf. 2.7), l'opérateur <math>CNOT</math> est déterminé par :
 
<math>CNOT|x^+x^+\rangle = |x^+x^+\rangle</math>
 
<math>CNOT|x^-x^+\rangle = |x^-x^+\rangle</math>
 
<math>CNOT|x^+x^-\rangle = |x^-x^-\rangle</math>
 
<math>CNOT|x^-x^-\rangle = |x^+x^-\rangle</math>
 
Le calcul est très simple. Par exemple :
 
<math>
CNOT|x^+x^-\rangle = CNOT[\frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle)]
</math>
<math>
= CNOT[\frac{1}{2}(|00\rangle - |01\rangle + |10\rangle - |11\rangle)]
</math>
 
<math>
= \frac{1}{2}(|00\rangle - |01\rangle + |11\rangle - |10\rangle)
</math>
 
<math>
= \frac{1}{2}(|0\rangle - |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle) = |x^-x^-\rangle
</math>
 
Une porte CNOT classique copie l'information portée par le bit de contrôle sur le bit cible. C'est un clonage d'information. A première vue il semble qu'une porte quantique CNOT fait la même chose avec des qubits. Mais cette apparence est fausse. L'information quantique portée par le qubit de contrôle n'est pas copiée sur le qubit cible. Le clonage de l'information quantique est en fait interdit par les principes quantiques (Dieks 1982, Wooters & Zurek 1982). Pour qu'il y ait clonage quantique, il faudrait une interaction U telle que :
 
<math>U|\phi\rangle|ready\rangle = |\phi\rangle|\phi\rangle</math>
 
pour tous les états <math>|\phi\rangle</math> du système cloné. Il faudrait en particulier que pour deux états orthogonaux <math>|\phi_1\rangle</math> et <math>|\phi_2\rangle</math> on ait :
 
<math>U|\phi_1\rangle|ready\rangle = |\phi_1\rangle|\phi_1\rangle</math>
 
<math>U|\phi_2\rangle|ready\rangle = |\phi_2\rangle|\phi_2\rangle</math>
 
Mais on n'a pas <math>U(|\phi_1\rangle+|\phi_2\rangle)|ready\rangle = (|\phi_1\rangle+|\phi_2\rangle)(|\phi_1\rangle+|\phi_2\rangle)</math> parce que l'interaction est nécessairement intricante :
 
<math>U(|\phi_1\rangle+|\phi_2\rangle)|ready\rangle = |\phi_1\rangle|\phi_1\rangle + |\phi_2\rangle|\phi_2\rangle</math>
 
L'intrication est responsable de l'impossibilité du clonage quantique.
 
=== La mesure idéale des états intriqués ===
 
Si on observe séparément les parties d'un système intriqué, on détruit nécessairement leur intrication, puisqu'on est conduit à attribuer à chacune un état determiné. Comment alors observer des états intriqués sans les détruire ?
 
On souhaite faire une mesure idéale dont les états propres sont les états de Bell d'un système à deux qubits AB.
 
On se donne deux qubits observateurs C et D destinés à mesurer les états de Bell des deux premiers qubits A et B.
 
Une première méthode de mesure consiste à faire interagir A et B de la façon suivante (Kaye & Laflamme 2007):
 
<math>U_1|00\rangle = |x^+ 0\rangle</math>
 
<math>U_1|01\rangle = |x^+ 1\rangle</math>
 
<math>U_1|10\rangle = |x^- 1\rangle</math>
 
<math>U_1|11\rangle = |x^- 1\rangle</math>,
 
où <math>|x^+\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math> et <math>|x^-\rangle =
\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle - |1\rangle)</math>
 
<math>U_1</math> consiste à faire opérer la porte CNOT sur AB puis la porte d'Hadamard H sur A :
 
<math>U_1 = H_A CNOT_{AB}</math>
 
<math>U_1</math> détruit l'intrication des états de Bell :
 
<math>U_1|\beta_{00}\rangle = |00\rangle</math>
 
<math>U_1|\beta_{01}\rangle = |01\rangle</math>
 
<math>U_1|\beta_{10}\rangle = |10\rangle</math>
 
<math>U_1|\beta_{11}\rangle = |11\rangle</math>
 
Ensuite C et D mesurent les états <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> de A et B :
 
<math>U_2 = CNOT_{AC} CNOT_{BD}</math>
 
Plus explicitement :
 
<math>U_2|0000\rangle = |0000\rangle</math>
 
<math>U_2|0100\rangle = |0101\rangle</math>
 
<math>U_2|1000\rangle = |1010\rangle</math>
 
<math>U_2|1100\rangle = |1111\rangle</math>
 
L'évolution <math>U_1</math> suivie de <math>U_2</math> donne donc sur les états de Bell de AB:
 
<math>U_2 U_1 |\beta_{00}\rangle |00\rangle = |0000\rangle</math>
 
<math>U_2 U_1 |\beta_{01}\rangle |00\rangle = |0101\rangle</math>
 
<math>U_2 U_1 |\beta_{10}\rangle |00\rangle = |1010\rangle</math>
 
<math>U_2 U_1 |\beta_{11}\rangle |00\rangle = |1111\rangle</math>
 
Ce n'est pas encore une mesure idéale, parce que A et B ont été perturbés. Pour qu'ils retrouvent leur état initial il faut faire opérer <math>U_1^{-1} = CNOT_{AB}^{-1} H_A^{-1} = CNOT_{AB} H_A </math>
parce que CNOT et H sont leurs propres inverses.
 
La mesure idéale complète est donc définie par :
 
<math>U = U_1^{-1} U_2 U_1 = CNOT_{AB} H_A CNOT_{AC} CNOT_{BD} H_A CNOT_{AB}</math>
 
<math>U|\beta_{00}\rangle |00\rangle = |\beta_{00}\rangle|00\rangle</math>
 
<math>U|\beta_{01}\rangle |00\rangle = |\beta_{01}\rangle|01\rangle</math>
 
<math>U|\beta_{10}\rangle |00\rangle = |\beta_{10}\rangle|10\rangle</math>
 
<math>U|\beta_{11}\rangle |00\rangle = |\beta_{11}\rangle|11\rangle</math>
 
C'est donc bien une mesure idéale des états de Bell.
 
Cette méthode de mesure demande que A et B interagissent pour être extriqués (s'ils sont initialement intriqués), puis ils sont mesurés séparément, puis ils interagissent encore une fois pour s'intriquer à nouveau. Si A et B sont éloignés et qu'ils ne peuvent pas interagir directement, est-il quand même possible de faire une mesure idéale de leurs états intriqués ?
 
Le processus de mesure suivant permet d'obtenir un tel résultat. On se sert d'abord de C pour mesurer successivement A et B avec une interaction CNOT :
 
<math>V_1 = CNOT_{BC} CNOT_{AC}</math>
 
On se sert ensuite de D pour mesurer A et B avec une interaction W qui mesure les états
<math>|x^+\rangle</math> et <math>|x^-\rangle</math> :
 
<math>W|x^+0\rangle = |x^+0\rangle</math>
 
<math>W|x^+1\rangle = |x^+1\rangle</math>
 
<math>W|x^-0\rangle = |x^-1\rangle</math>
 
<math>W|x^-1\rangle = |x^-0\rangle</math>
 
La mesure de A et B par D est définie par :
<math>V_2 = W_{BD} W_{AD}</math>
 
On peut vérifier (le calcul est simple mais un peu fastidieux) qu'on obtient ainsi une mesure idéale des états de Bell. Explicitement :
 
<math>V|\beta_{00}\rangle |00\rangle = |\beta_{00}\rangle|00\rangle</math>
 
<math>V|\beta_{01}\rangle |00\rangle = |\beta_{01}\rangle|10\rangle</math>
 
<math>V|\beta_{10}\rangle |00\rangle = |\beta_{10}\rangle|01\rangle</math>
 
<math>V|\beta_{11}\rangle |00\rangle = |\beta_{11}\rangle|11\rangle</math>
 
où <math>V = V_2 V_1 = W_{BD} W_{AD} CNOT_{BC} CNOT_{AC}</math>
 
On a donc :
 
<math>V = SWAP_{CD} U</math>
 
=== Pourquoi la mesure des états intriqués ne permet-elle pas d'observer les autres destinées ? ===
 
Si j'observe, par une mesure CNOT, un qubit préparé dans l'état
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math>, l'observation conduit au vecteur d'état
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math> où le second qubit enregistre le résultat de la mesure. On peut interpréter <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|00\rangle + |11\rangle)</math> comme une superposition de deux destinées, l'une où j'obtiens le résultat <math>0</math>, l'autre où j'obtiens le résultat <math>1</math>. Si on prend au sérieux la physique quantique ces deux destinées existent également. L'observation du qubit fait bifurquer ma destinée en deux destinées séparées, mais je n'en connais qu'une. Est-il cependant possible de vérifier l'existence de cette autre destinée ? Si elle existe, on aimerait bien la voir. Peut-on comme dans ''Fringe'' fabriquer une télévision qui nous montre d'autres destinées?
 
Il semble que la mesure idéale des états intriqués rend possible l'observation de ces autres destinées. Après avoir observé le premier qubit, je nous place, lui et moi, devant un appareil de mesure qui détecte notre état d'intrication. Afin d'être sûr qu'une telle expérience (observation d'un qubit préparé dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle)</math> puis mesure idéale de notre état intriqué) nous met toujours dans un état intriqué, je la répète de nombreuses fois. Si l'appareil de mesure de l'intrication m'informe à chaque fois que nous sommes bien dans l'état intriqué prévu, j'aurai la confirmation que d'autres destinées existent.
 
Il y a cependant un problème. Quand je fais une observation, je suis capable de la mémoriser. Il y a donc une partie de moi qui conserve cette information. Au minimum il faut un qubit qui reste dans le même état. Or la mesure idéale de l'intrication des deux qubits peut les perturber. Une mesure idéale ne perturbe pas le système observé seulement s'il est dans un état propre de la mesure.
 
Supposons que le qubit observé est initialement dans l'état <math>|0\rangle</math>, l'observation conduit cette fois au vecteur d'état <math>|00\rangle</math>. Il n'y a qu'un seul résultat de mesure et donc pas de bifurcation en plusieurs destinées. Comme cet état n'est pas intriqué, il n'est pas un état propre de la mesure idéale des états intriqués. Si je me place en face d'un appareil qui effectue une telle mesure, je serai donc perturbé. Mon qubit
qui a enregistré la première observation ne pourra pas conserver son information. Le protocole proposé, destiné à vérifier l'existence d'une autre destinée, ne peut donc pas fonctionner si j'ai mémorisé convenablement le résultat de ma première observation.
 
Cela montre que nous ne pouvons pas observer une destinée dans laquelle nous avons mémorisé des observations différentes de celles que nous avons mémorisé dans cette destinée.
 
La réduction apparente du vecteur d'état suffit pour prouver que nous ne pouvons pas observer les autres destinées, puisqu'après une observation tout se passe comme si les composantes non-détectées du vecteur d'état n'existaient plus : elles ne peuvent plus avoir d'effet sur des observations ultérieures. Le raisonnement ci-dessus précise cette conclusion. C'est la mémorisation des résultats d'observation qui nous interdit d'observer des destinées dans lesquelles nous avons obtenu d'autres résultats.
 
=== Les opérateurs densité réduits ===
 
Un opérateur densité réduit représente le maximum d'information sur une partie d'un système tant qu'on ignore l'état du reste.
 
Lorsque l'état <math>|\psi\rangle</math> d'un système AB est donné sous la forme d'une décomposition de Schmidt :
 
<math>|\psi\rangle = \sum_i \sqrt{p_i}|a_i\rangle|b_i\rangle</math>
 
où les <math>|a_i\rangle</math> sont des vecteurs orthonormés, ainsi que les <math>|b_i\rangle</math>, les opérateurs densité réduits de <math>|\psi\rangle \langle \psi|</math> sont :
 
<math>\rho_A = \sum_i p_i|a_i\rangle \langle a_i|</math>
 
et
 
<math>\rho_B = \sum_i p_i|b_i\rangle \langle b_i|</math>
 
De façon générale, les opérateurs densité réduits sont obtenus en attribuant aux états de base d'une partie d'un système des probabilités égales à leurs poids dans l'état du système :
 
Si AB est dans l'état <math>\sum_{ij} \alpha_{ij} |a_i\rangle|b_j\rangle</math> alors :
 
<math>\rho_A = \sum_i ( \sum_{j} |\alpha_{ij}|^2 ) |a_i\rangle \langle a_i|</math>
 
et
 
<math>\rho_B = \sum_j ( \sum_{i} |\alpha_{ij}|^2 ) |b_j\rangle \langle b_j|</math>
<math>\rho_A</math> suffit pour déterminer toutes les probabilités des résultats d'observation sur A seul, lorsqu'il est séparé de B. On peut donc considérer qu'il représente l'état, en général mixte, de A.
 
Les opérateurs densité réduits peuvent être définis avec l'opération de trace partielle :
 
<math>\rho_A = Tr_B(\rho_{AB})</math>
 
et
 
<math>\rho_B = Tr_A(\rho_{AB})</math>
 
où <math>Tr_X(O)</math> est la trace partielle sur <math>X</math> d'un opérateur <math>O</math>.
 
On peut la définir de la façon suivante :
 
Soit <math>O = \sum_{ijkl} O_{ijkl}|a_i\rangle|b_j\rangle \langle a_k|\langle b_l|</math>
 
où les <math>|a_i\rangle</math> sont une base de l'espace des états de A et les <math>|b_i\rangle</math> une base de l'espace des états de B, alors :
 
<math>Tr_A(O) = \sum_{jlm} O_{mjml}|b_j\rangle \langle b_l|</math>
 
et
 
<math>Tr_B(O) = \sum_{ikm} O_{imkm}|a_i\rangle \langle a_k|</math>
 
En particulier :
 
<math>Tr_A(O_A \otimes O_B)= Tr(O_A) O_B</math>
 
et
 
<math>Tr_B(O_A \otimes O_B)= Tr(O_B) O_A</math>
 
 
Si un opérateur densité <math>\rho_{AB}</math> est séparable (<math>\rho_{AB} = \rho_A \otimes \rho_B</math>), alors <math>\rho_A</math> et <math>\rho_B</math> sont ses opérateurs densité réduits.
 
Qu'il soit séparable ou non, <math>\rho_{AB}</math> suffit toujours pour déterminer les opérateurs réduits <math>\rho_A</math> et <math>\rho_B</math>. On peut en conclure que l'état de AB suffit pour déterminer les états de A et de B. Avec les opérateurs densité réduits les états des parties peuvent être déterminées à partir de l'état du tout. Mais cela ne suffit pas pour faire disparaître le mystère de l'intrication, parce que s'il représente un état intriqué, <math>\rho_{AB}</math> n'est pas déterminé par <math>\rho_A</math> et <math>\rho_B</math>.
 
Par exemple, si <math>|\psi\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_A|0\rangle_B + |1\rangle_A|1\rangle_B)</math> alors :
 
<math>\rho_A = \frac{1}{2}(|0\rangle_A \langle 0|_A + |1\rangle_A \langle 1|_A)</math>
 
et
 
<math>\rho_B = \frac{1}{2}(|0\rangle_B \langle 0|_B + |1\rangle_B \langle 1|_B)</math>
 
Mais <math>|\psi\rangle \langle \psi|</math> est intriqué tandis que <math>\rho_A \otimes \rho_B</math> est séparable.
 
=== Les opérateurs densité relatifs ===
 
Soit <math>\rho_{AB}</math> l'opérateur densité du système AB.
 
Soit <math>\rho'_B</math> un opérateur densité quelconque de B:
 
<math>\rho_B' = \sum_i p_i |b_i\rangle \langle b_i|</math>
 
L'état <math>\rho'_A</math> de A relatif à l'état <math>\rho'_B</math> de B quand AB est dans l'état <math>\rho_{AB}</math> est défini par :
 
<math>\rho'_A = \sum_i p_i |a_i\rangle \langle a_i|</math>
 
où les <math>|a_i\rangle </math> sont les états de A relatifs aux états <math>|b_i\rangle </math> de B.
 
On peut alors définir les états relatifs, en général mixtes, de n'importe quelle partie de l'Univers par rapport à n'importe quel état, pur ou mixte de n'importe quelle autre.
 
Soient A et B deux parties de l'Univers et E leur environnement. L'état de l'Univers est un opérateur densité <math>\rho_{ABE}</math>. On peut alors définir l'état <math>\rho'_{AE}</math> de AE relatif à n'importe quel état <math>\rho'_B</math> de B. Par trace partielle on obtient alors l'état <math>\rho'_A</math> de A relatif à l'état <math>\rho'_B</math> de B :
 
<math>\rho'_A = Tr_E(\rho'_{AE})</math>
 
=== Pourquoi les paires intriquées ne permettent-elles pas de communiquer ? ===
 
Soient A et B deux parties d'un système AB. On suppose qu'elles ont interagi dans le passé et que AB est maintenant dans un état intriqué <math>|\psi\rangle</math> où elles sont très éloignées l'une de l'autre. Si on observe une seule des parties, et si on raisonne sur la réduction du vecteur d'état comme si elle était un effet réel, on conclut qu'il devrait y avoir une action instantanée à distance de la partie observée sur celle qui ne l'est pas, parce que l'état de B après la mesure est différent de son état avant. On est alors étonné de constater que cet effet, supposé réel, ne permet pas de communiquer instantanément à distance. S'il y avait vraiment action, il devrait y avoir une possibilité de communication.
 
En toute généralité, qu'il s'agisse d'action instantanée ou avec retard, les paires intriquées ne permettent jamais de communiquer de la façon suggérée par la réduction du vecteur d'état. De ce point de vue la physique quantique ne se distingue pas de la physique classique. Pour qu'il y ait communication, ou transport d'information, il faut qu'il y ait une action ou une interaction qui se propage à la vitesse de la lumière ou à une vitesse inférieure. Lorsqu'on observe une partie éloignée d'une paire intriquée, il n'y a pas d'interaction avec la partie inobservée. Aucun effet mesurable de celle-la sur celle-ci ne peut être détecté.
 
Formellement, cette absence de communication entre les parties se traduit par l'invariance de l'opérateur densité réduit de la partie inobservée à l'issue de l'observation. La partie inobservée ne change pas d'état, elle n'est pas perturbée par l'observation de l'autre partie. Il est entendu que l'état non-perturbé est un état mixte. Un opérateur densité réduit détermine toutes les probabilités des mesures effectuées sur une partie (cf. 2.8) tant qu'on n'a pas d'information sur les résultats des mesures effectuées sur les autres parties. Comme une observation ne change pas les opérateurs densité réduits des parties inobservées, elle ne peut avoir aucun effet mesurable sur celles-ci.
 
=== La décohérence par l'intrication ===
 
Lorsqu'un système est dans un état pur, une superposition telle que <math>\sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle</math> est dite cohérente. C'est presque un pléonasme. Une véritable superposition quantique est toujours cohérente. Mais un mélange d'états <math>|i\rangle</math> avec des probabilités <math>p_i</math> est parfois appelé, improprement, une superposition incohérente.
 
Le formalisme des opérateurs densité précise cette différence. L'opérateur densité d'une superposition cohérente est :
 
<math>(\sum_i \alpha_i|i\rangle)(\sum_i \alpha_{i}^*\langle i|)
= \sum_{ij} \alpha_i \alpha_{j}^*|i\rangle \langle j|</math>
 
tandis que pour une superposition incohérente, il est :
 
<math>\sum_{i} p_i|i\rangle \langle i|</math>
 
Les éléments non-diagonaux <math>\alpha_i \alpha_{j}^*</math> de la matrice densité d'une superposition cohérente font donc toute la différence avec une superposition incohérente. Ils sont parfois appelés les cohérences de cette matrice densité. <math>\alpha_i \alpha_{j}^*</math> est la cohérence entre les états <math>|i\rangle</math> et <math>|j\rangle</math>.
 
Lorsqu'une mesure est idéale, les états propres de la mesure ne sont pas perturbés par l'observation. En revanche toute superposition cohérente d'états propres associés à des valeurs propres distinctes est perturbée. Soit un système initialement dans l'état <math>\sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle_S</math>, où l'on a supposé que les résultats de mesure ont chacun un seul état propre, afin de simplifier les écritures. Après l'observation il est intriqué avec l'appareil de mesure, parce que l'état final du système global est
<math>\sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle_S|i\rangle_A</math>.
 
Après la mesure, l'état du système observé peut être considéré un mélange des états associés à tous les résultats possibles. Pour une mesure idéale, nous connaissons déjà, avec la règle de Born, l'opérateur densité qui représente ce mélange, mais il vaut la peine de faire le calcul en détail pour le comparer à des interactions plus générales que les mesures idéales :
 
<math>\rho^f_{S} = Tr_A[(\sum_i \alpha_i|i\rangle_S|i\rangle_A)(\sum_i \alpha_{i}^*\langle i|_S\langle i|_A)]
= Tr_A(\sum_{ij} \alpha_i \alpha_{j}^* |i\rangle_S|i\rangle_A \langle j|_S\langle j|_A)</math>
 
<math>= \sum_{ij} \alpha_i \alpha_{j}^* Tr_A(|i\rangle_S|i\rangle_A \langle j|_S\langle j|_A)
= \sum_{ij} \alpha_i \alpha_{j}^* |i\rangle_S\langle j|_S Tr(|i\rangle _A\langle j|_A)</math>
 
<math>= \sum_{i} \alpha_i \alpha_{i}^* |i\rangle_S \langle i|_S</math>
 
où la dernière égalité vient de ce que les <math>|i\rangle_A</math> sont orthonormés.
 
Comme les éléments non-diagonaux de la matrice densité ont disparu, la cohérence de la superposition initiale a été détruite. On appelle décohérence cet effet de perturbation par la mesure (Zurek 2003). Dans le cas particulier d'une mesure idéale, la cohérence des superpositions d'états propres associés à des résultats distincts est complètement détruite par la mesure. Leur décohérence est complète. En revanche, la cohérence des superpositions d'états propres associés à un même résultat n'est pas détruite par une mesure idéale. Les sous-espaces de tels états propres sont libres de décohérence.
 
Si un système reste isolé, sans interactions avec son environnement, il n'y a pas de décohérence, parce que l'évolution d'un système isolé est unitaire :
 
<math>U(\sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle) = \sum_{i} \alpha_{i}U|i\rangle</math>
 
Il en résulte que les cohérences <math>\alpha_i \alpha^*_j</math> sont des quantités conservées, au sens suivant : si un système est isolé la cohérence entre les états finaux <math>U|i\rangle</math> et <math>U|j\rangle</math> est égale à la cohérence entre les états initiaux <math>|i\rangle</math> et <math>|j\rangle</math>.
 
Si un système S est perturbé par un environnement E, les cohérences ne sont plus nécessairement conservées. Elles dépendent de l'intrication de S avec son environnement. On croit parfois que les interactions ou les perturbations suffisent pour provoquer la décohérence, mais ce n'est tout à fait exact. La porte SWAP par exemple est une interaction sans intrication. Si les deux qubits qui interagissent par SWAP sont dans des états purs, ils restent dans des états purs. Il n'y a pas de perte de cohérence, parce qu'il n'y a pas d'intrication. La décohérence est mesurée par le degré d'intrication avec l'environnement.
 
Soit S un système soumis à l'influence d'un environnement E. Soient <math>|j\rangle_S</math> et <math>|k\rangle_S</math> deux états orthogonaux de S. Quel est le degré de cohérence <math>|C_{jk}|^2</math> entre ces deux états ?
 
Les <math>|i\rangle_S</math> sont une base orthonormée de S qui contient <math>|j\rangle_S</math> et <math>|k\rangle_S</math>. Les <math>|l\rangle_E</math> sont une base orthonormée quelconque de E. Un état pur quelconque du système SE peut alors être déterminé par :
 
<math>|\psi\rangle= \sum_{il} \alpha_{il} |i\rangle_S|l\rangle_E</math>
<math>= \sum_{i} |i\rangle_S \sum_{l} \alpha_{il} |l\rangle_E</math>
<math>= \sum_{i} |i\rangle_S |\phi(i)\rangle_E</math>
 
où l'on a posé <math>|\phi(i)\rangle_E = \sum_{l}\alpha_{il} |l\rangle_E</math>
 
L'opérateur densité réduit de S est :
 
<math>\rho_S = Tr_E(|\psi\rangle \langle \psi|) = Tr_E(\sum_{ili'l'} \alpha_{il} {\alpha^*}_{i'l'} |i\rangle_S |l\rangle_E \langle i'|_S \langle l'|_E)</math>
 
<math>= \sum_{ili'} \alpha_{il} {\alpha^*}_{i'l} |i\rangle_S \langle i'|_S</math>
 
On en déduit :
<math>C_{jk} = \sum_l \alpha_{jl} {\alpha^*}_{kl}</math>
<math>=\langle \phi(j)|_E\phi(k)\rangle_E</math>
 
<math>|C_{jk}|^2</math> est donc égal <math>|\langle \phi(j)|_E\phi(k)\rangle_E|^2</math>. C'est une mesure de la ressemblance quantique entre <math>|\phi(j)\rangle_E</math> et <math>|\phi(k)\rangle_E</math>. Plus <math>|\phi(j)\rangle_E</math> et <math>|\phi(k)\rangle_E</math> sont différents, plus la cohérence entre
<math>|j\rangle_S</math> et <math>|k\rangle_S</math> est diminuée par l'influence de l'environnement. Si <math>|\phi(j)\rangle_E</math> est orthogonal à <math>|\phi(k)\rangle_E</math> la décohérence entre
<math>|j\rangle_S</math> et <math>|k\rangle_S</math> est complète et l'intrication entre S et E est maximale. Si <math>|\phi(j)\rangle_E</math> est égal à <math>|\phi(k)\rangle_E</math> la cohérence entre
<math>|j\rangle_S</math> et <math>|k\rangle_S</math> est maximale et il n'y a pas d'intrication entre S et E pour ces deux états de S. C'est donc bien l'intrication qui est responsable de la décohérence.
 
=== Les règles de Feynman ===
 
Lorsqu'un système n'est pas dans un état propre d'une mesure idéale, l'observation produit un état intriqué entre le système observé et l'appareil de mesure :
 
<math>U(\sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle_S)|ready\rangle_A = \sum_{i} \alpha_{i}|i\rangle_S|i\rangle_A</math>
 
où l'on a supposé que les résultats <math>i</math> n'ont qu'un seul état propre <math>|i\rangle_S</math> pour simplifier les écritures.
 
L'opérateur densité réduit qui représente l'état mixte du système observé après la mesure est donc :
 
<math>\sum_{i} |\alpha_i|^2 |i\rangle_S \langle i|_S</math>
 
On en conclut qu'une observation fait passer le système observé d'un état pur à un état mixte lorsqu'il n'est pas un état propre de la mesure.
 
Cela permet d'expliquer les règles de Feynman de calcul des probabilités en physique quantique (Feynman 1966) :
 
Soit un système qui passe d'un état initial <math>a</math> à un état final <math>b</math> en passant par des états intermédiaires <math>i</math>.
 
Si les états intermédiaires <math>i</math> ne sont pas observés, il faut sommer les amplitudes de probabilité
<math>[A(a</math>→<math>i)A(i</math>→<math>b)]</math> de tous les chemins <math>a</math>→<math>i</math>→<math>b</math> puis prendre le module au carré de cette somme pour trouver la probabilité que le système aille de <math>a</math> à <math>b</math> :
 
<math>Pr(a</math>→<math>b)= |\sum_i A(a</math>→<math>i)A(i</math>→<math>b)|^2</math>
 
Si les états intermédiaires <math>i</math> sont observés, il faut sommer les probabilités
<math>[Pr(a</math>→<math>i)Pr(i</math>→<math>b)]</math> de tous les chemins <math>a</math>→<math>i</math>→<math>b</math> pour trouver la probabilité que la système aille de <math>a</math> à <math>b</math> :
 
<math>Pr(a</math>→<math>b)= \sum_i Pr(a</math>→<math>i)Pr(i</math>→<math>b)</math>
 
où <math>Pr(x</math>→<math>y)=|A(x</math>→<math>y)|^2</math>
 
La première règle est typique de la physique quantique. Elle résulte du postulat d'évolution unitaire. La seconde règle est une règle classique d'addition des probabilités. Elle résulte de la décohérence par l'observation. Lorsque les états intermédiaires <math>i</math> sont observés, le système observé est représenté par un mélange d'états. Il faut alors appliquer la règle classique d'addition des probabilités. L'intrication par l'observation explique donc la seconde règle de Feynman.
 
=== La reconstitution a posteriori des figures d'interférence ===
 
La reconstitution a posteriori des figures d'interférence illustre de façon saisissante la relativité, au sens d'Everett, des états observés par rapport à l'observateur :
 
Dans un interféromètre de Mach-Zehnder, on place un qubit observateur sur l'une des trajectoires du photon. L'évolution du système peut alors être décrite par l'opérateur :
 
<math>H_1 CNOT_{12} H_1 |00\rangle= \frac{1}{2}(|00\rangle + |10\rangle + |01\rangle - |11\rangle)</math>
 
<math>=\frac{1}{2}[(|0\rangle + |1\rangle)|0\rangle + (|0\rangle - |1\rangle)|1\rangle = |\psi\rangle</math>
 
où le premier qubit représente le photon et le second, l'observateur.
 
L'opérateur densité réduit du photon à la sortie de la seconde lame séparatrice est :
 
<math>\frac{1}{2}(|0\rangle \langle 0| + |1\rangle \langle 1|)</math>
 
Le photon a donc une chance sur deux d'être absorbé par chacun des détecteurs. L'observation du chemin suivi par le photon a donc détruit l'effet d'interférence entre les deux chemins.
 
Appliquons ensuite la porte d'Hadamard au qubit observateur :
 
<math>H_{2} |\psi\rangle
=\frac{1}{2\sqrt2}[(|0\rangle+|1\rangle)(|0\rangle+|1\rangle)+(|0\rangle)-|1\rangle)(|0\rangle-|1\rangle)]</math>
 
<math>=\frac{1}{\sqrt2}(|00\rangle+|11\rangle)</math>
 
Les états relatifs du premier qubit par rapport au second sont donc <math>|0\rangle</math> par rapport à <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> par rapport à <math>|1\rangle</math>. Si l'on observe le second qubit, on peut en déduire l'état du premier. De cette façon on peut reconstruire une figure d'interférence en reliant les observations des deux qubits. Une telle reconstruction peut être faite même si le second qubit est observé longtemps après le premier.
 
On dit parfois que les figures d'interférences sont détruites à cause de la perturbation par les sondes placées sur les chemins suivis. Ce n'est pas tout à fait exact puisque ces figures peuvent être reconstituées après que ces perturbations se sont produites. Les sondes ne détruisent pas forcément les figures d'interférence mais seulement les conditions de leur observation. L'intrication de l'objet observé avec les sondes change ces conditions parce que les états observés sont toujours des états relatifs, au sens d'Everett, à l'observateur.
 
=== La fragilité des états macroscopiques non-localisés ===
 
Il suffit d'un seul photon pour détruire un état macroscopique non-localisé, à cause de la décohérence par l'intrication.
 
Soit par exemple <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle_M + |2\rangle_M)</math> un état macroscopique non-localisé et un photon incident dans l'état <math>|0\rangle_p</math>. Le photon peut être localisé ou non.
 
Supposons qu'il soit initialement localisé à proximité de <math>|1\rangle_M</math>. Après l'interaction on obtient l'état suivant :
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle_p|1'\rangle_M + |0\rangle_p|2\rangle_M)</math>
 
M étant macroscopique, son état localisé <math>|1\rangle_M</math> est très peu affecté par l'impact du photon. <math>|1'\rangle_M</math> est presque égal à <math>|1\rangle_M</math>, au sens où leur produit scalaire est peu différent de 1. Mais cela n'empêche pas la destruction de l'état non-localisé, parce que <math>|1\rangle_p</math> est en général très différent de <math>|0\rangle_p</math>. Si <math>\langle 0_p|1\rangle_p</math> est égal à zéro, la décohérence entre les états <math>|1\rangle_M</math> et <math>|2\rangle_M</math> est complète. L'état non-localisé est donc complètement détruit, à cause de l'intrication avec un seul photon.
 
Si le photon est initialement non-localisé, l'interaction conduit à l'état suivant :
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle_p|1'\rangle_M + |2\rangle_p|2'\rangle_M)</math>
 
<math>|1\rangle_p</math> est en général très différent de <math>|2\rangle_p</math>. Là encore, si <math>\langle 2_p|1\rangle_p</math> est égal à zéro, la décohérence est complète.
 
Tant que les objets macroscopiques ne sont pas dans un ultravide ultrafroid, ils sont en permanence percutés par de très nombreuses particules, photons et molécules de l'air ambiant. Il se peut qu'une seule de ces particules ne suffise pas pour provoquer une décohérence complète d'un état non-localisé, si <math>\langle 2_p|1\rangle_p</math> n'est pas suffisamment proche de zéro. Mais un petit nombre de particules incidentes suffit toujours pour que la décohérence soit complète. La décohérence des états macroscopiques non-localisés est donc un effet très puissant et très rapide. Il est presque impossible d'y échapper. Plus les objets sont gros, plus ils sont sensibles à cette destruction de leurs états non-localisés. Les êtres microscopiques en revanche, les particules et les petites molécules, sont beaucoup moins sensibles, parce qu'ils peuvent se propager sur de grandes distances sans interagir, ou en interagissant peu, avec d'autres particules ou molécules.
 
Même dans un ultravide ultrafroid, les états macroscopiques non-localisés subissent une décohérence très rapide s'ils ne sont pas eux-mêmes ultrafroids, parce qu'ils émettent des photons avec lesquels ils s'intriquent.
 
Les états macroscopiques non-localisés sont très fragiles, parce qu'en général les objets macroscopiques ne peuvent pas être isolés, ou pas très bien, et parce que leurs états non-localisés sont détruits par l'intrication avec l'environnement. Les états macroscopiques localisés ne sont pas aussi fragiles, parce que les interactions sont toujours locales. Tout se passe comme si les objets macroscopiques étaient observés en permanence par leur environnement. Comme les interactions sont locales, les états localisés peuvent être des états propres de cette observation. S'il s'agissait d'une mesure idéale, ils ne seraient alors pas perturbés. La localité des interactions sélectionne les états localisés parmi tous les états d'un objet macroscopique parce qu'ils sont les plus robustes, les moins perturbés par leur environnement (Joos, Zeh &... 2003, Zurek 2003, Schlosshauer 2007).
 
=== Les expériences du type "chat de Schrödinger" ===
 
Les principes quantiques n'interdisent pas l'observation des superpositions quantiques d'états macroscopiques. Ils prédisent seulement que de telles observations sont très difficiles, parce qu'il faut isoler le système observé pour le protéger de la décohérence par son environnement.
 
Schrödinger a inventé une expérience de pensée, hélas un peu sinistre, pour illustrer le caractère très contre-intuitif du principe de superposition quantique, qu'il a contribué à découvrir, puisque ce principe accompagne nécessairement sa célèbre équation. Un chat est enfermé dans une boîte équipé d'un dispositif diabolique : un atome radioactif est couplé à une fiole de poison qui se répandra seulement si l'atome se désintègre. On suppose que la demi-vie de l'atome est de une heure et qu'au début de l'expérience on a vérifié qu'il ne s'est pas désintégré. L'expérience consiste à laisser le chat enfermé pendant une heure puis à ouvrir la boîte (Schrödinger 1935).
 
Si on la boîte est complètement isolée de son environnement, on peut décrire cette expérience avec un opérateur unitaire sur un système à un qubit et un qutrit. Le qubit représente l'atome, qui peut être dans l'état <math>|0\rangle</math> s'il s'est désintégré, et <math>|1\rangle</math> sinon. Le qutrit représente tout le reste de la boîte : le produit de désintégration, s'il existe, la fiole de poison, le chat et la boîte elle-même. <math>|vivant_0\rangle</math> est l'état de la boîte et de son contenu, sauf l'atome, au début de l'expérience lorsque le chat est vivant, <math>|vivant\rangle</math>, l'état de la boîte et de son contenu sauf l'atome à la fin de l'expérience si le chat est vivant, <math>|mort\rangle</math>, s'il est mort. L'expérience est alors décrite par :
 
<math>U|1, vivant_0\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|1, vivant\rangle + |0, mort\rangle)</math>
 
L'état du système à l'issue de l'expérience est donc un état intriqué entre l'atome, le chat et le reste de la boîte, où le chat est simultanément mort et vivant.
 
On appelle expérience du type "chat de Schrödinger", toute expérience qui prépare et d'observe un état tel que <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|vivant\rangle + |mort\rangle)</math> pour un système macroscopique. Évidemment il n'est pas nécessaire de tuer un chat.
 
L'expérience originale de Schrödinger ne prépare pas l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|vivant\rangle + |mort\rangle)</math> du chat, mais seulement un état intriqué entre le chat et son environnement. Pour préparer l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|vivant\rangle + |mort\rangle)</math> du chat, il faudrait isoler complètement le chat de son environnement et mettre le dispositif diabolique dans son ventre. Mais un être vivant ne peut pas survivre dans l'ultravide ultrafroid, il ne pourra donc jamais être dans un état tel que <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|vivant\rangle + |mort\rangle)</math>.
 
L'expérience de pensée de Schrödinger montre qu'en principe rien n'empêche d'appliquer le principe de superposition quantique à un système macroscopique, pourvu qu'il puisse être parfaitement isolé.
 
Une expérience du type "chat de Schrödinger" n'a à ce jour jamais été réalisée avec un système vraiment macroscopique, parce qu'on ne sait pas les isoler suffisamment de leur environnement. En revanche on peut la réaliser de diverses façons avec des objets mésoscopiques, des petits systèmes de particules, d'atomes ou de molécules.
 
Les modes d'excitation d'une cavité électromagnétique sont les états quantiques des photons qu'elle contient. Haroche et ses collaborateurs sont capables de fabriquer une cavité où ils peuvent préparer, manipuler et observer assez librement les états quantiques qu'ils imaginent. Les états de la cavité sont préparés et observés à l'aide d'atomes géants qui fonctionnent comme des sondes microscopiques. Ils ont ainsi réalisé une expérience de type "chat de Schrödinger" avec une cavité ultrafroide qui contient plusieurs photons.
 
Certains états quantiques du champ électromagnétique ressemblent beaucoup à des états classiques, surtout s'ils contiennent en moyenne de nombreux photons. On les appelle des états de Glauber.
 
Un mode du champ électromagnétique est semblable, de façon mathématique, à un oscillateur harmonique, parce que le champ oscille périodiquement comme n'importe quel oscillateur. En physique quantique les énergies accessibles d'un oscillateur harmonique sont quantifiées. Elles correspondent au nombre de photons excités dans un mode d'une cavité électromagnétique. Lorsque l'énergie d'un oscillateur est très grande par rapport à la différence d'énergie entre deux états successifs, on peut construire des états quantiques qui ressemblent beaucoup aux états classiques d'un oscillateur. Ils peuvent avoir une position et une impulsion très précisément définie. Ce sont les états de Glauber. Ce ne sont pas des états à nombre de photons défini, les états de Fock, qui sont purement quantiques, qui n'ont pas d'équivalent en physique classique, même s'ils contiennent un très grand nombre de photons. Les états de Glauber sont aussi appelés "états cohérents".
 
On peut préparer un état de Glauber simplement en couplant brièvement la cavité initialement vide à une source classique de rayonnement électromagnétique. On peut s'arranger pour que l'atome géant perturbe le champ dans la cavité en provoquant un décalage de phase de l'état de Glauber, comme si on avait déplacé un oscillateur sans changer son énergie, un peu comme si l'atome avait donné un coup sur le champ. Selon son état initial <math>|g\rangle</math> ou <math>|e\rangle</math>, l'atome provoque un décalage de phase dans des directions opposées (Haroche & Raimond 2006, pp.377-378). L'interaction entre l'atome et la cavité est décrite par :
 
<math>U|g\rangle|G_0\rangle= |g\rangle|G_\phi\rangle</math>
 
<math>U|e\rangle|G_0\rangle= e^{-i\phi}|e\rangle|G_{-\phi}\rangle</math>
 
où <math>|G_0\rangle</math> est l'état de Glauber initial et <math>|G_\phi\rangle</math> l'état de Glauber obtenu par un décalage de phase de <math>\phi</math>.
 
Si on prépare l'atome dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle+|e\rangle)</math> on obtient donc :
 
<math>U \frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle + |e\rangle)|G_0\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle|G_\phi\rangle + e^{-i\phi}|e\rangle|G_{-\phi}\rangle)</math>
 
Comme les conditions de l'expérience permettent d'atteindre des valeurs de <math>\phi</math> supérieures à un radian, l'état obtenu peut être considéré comme un état du type "chat de Schrödinger" pour le système atome+champ. Pour préparer l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|G_\phi\rangle+|G_{-\phi}\rangle)</math> de la cavité il suffit de mettre initialement l'atome dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle+|e\rangle)</math> puis de l'observer à la sortie de la cavité dans l'un des états <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle+e^{-i\phi}|e\rangle)</math> ou <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle-e^{-i\phi}|e\rangle)</math>.
 
Si par exemple on l'a observé à la sortie dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle+e^{-i\phi}|e\rangle)</math>
 
l'état de la cavité relatif à l'observation est :
 
<math>\frac{1}{\sqrt 2}(|G_\phi\rangle+|G_{-\phi}\rangle)</math>
 
puisque
 
<math>U \frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle + |e\rangle|G_0\rangle) = \frac{1}{\sqrt 2}(|g\rangle|G_\phi\rangle + e^{-i\phi}|e\rangle|G_{-\phi}\rangle)</math>
 
<math>= \frac{1}{2\sqrt2}[(|g\rangle+e^{-i\phi}|e\rangle)(|G_\phi\rangle+|G_{-\phi}\rangle) + (|g\rangle-e^{-i\phi}|e\rangle)(|G_\phi\rangle-|G_{-\phi}\rangle)]</math>
 
Pour vérifier ensuite qu'on a bien préparé l'état "chat de Schrödinger" souhaité, le système d'observation se sert de la détection homodyne (Haroche & Raimond 2006, pp.374-375).
 
En procédant de cette façon Haroche et ses collaborateurs ont préparé de nombreux états "chat de Schrödinger" et ils ont observé leur fragilité. Ils ont ainsi pu vérifier empiriquement la théorie de la décohérence par l'intrication avec l'environnement. Les infimes perturbations par la cavité ultrafroide et très bien isolée suffisent pour détruire très rapidement les états "chat de Schrödinger" même s'ils contiennent un petit nombre de photons.
 
L'expérience de pensée suivante, calquée sur la précédente, montre comment préparer et observer un état macroscopique non-localisé d'un miroir. Faire l'expérience pose de grandes difficultés, parce que le miroir doit être parfaitement isolé de son environnement. Toute interaction entre le miroir et son environnement peut détruire l'état non-localisé que l'on souhaite observer.
On suppose qu'un état <math>|1\rangle_m</math> d'un miroir est en équilibre instable. S'il est percuté par un photon dans l'état <math>|1\rangle_p</math>, il tombe dans l'état <math>|0\rangle_m</math>, tandis que le photon réfléchi passe dans l'état <math>|2\rangle_p</math>. Si le miroir est initialement dans l'état <math>|0\rangle_m</math>, il n'affecte pas le photon. On obtient ainsi le processus de mesure suivant :
 
<math>U|1\rangle_m|1\rangle_p=|0\rangle_m|2\rangle_p</math>
 
<math>U|0\rangle_m|1\rangle_p=|0\rangle_m|1\rangle_p</math>
 
Pour préparer l'état macroscopique non-localisé <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_m + |1\rangle_m)</math> on se sert d'un photon préparé (à l'aide d'une lame séparatrice par exemple) dans un état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_p + |1\rangle_p)</math> où <math>|0\rangle_p</math> est un état pour lequel le photon n'interagit pas avec le miroir. Ayant préparé le miroir dans l'état <math>|1\rangle_m</math> on obtient :
 
<math>U\frac{1}{\sqrt 2}|1\rangle_m(|0\rangle_p + |1\rangle_p)= \frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle_m|0\rangle_p + |0\rangle_m|2\rangle_p)</math>
 
<math>=\frac{1}{2}[(|0\rangle_m + |1\rangle_m)(|0\rangle_p + |2\rangle_p)+(|0\rangle_m - |1\rangle_m)(|2\rangle_p - |0\rangle_p)]</math>
 
Si on détecte ensuite (avec une lame séparatrice suivie d'un photodétecteur) le photon dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_p + |2\rangle_p)</math> on a préparé l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_m + |1\rangle_m)</math> du miroir. Avec cet état macroscopique non-localisé et un nouveau photon dans l'état <math>|1\rangle_p</math> on obtient :
 
<math>U\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle_m + |1\rangle_m)|1\rangle_p= \frac{1}{\sqrt 2}|0\rangle_m(|1\rangle_p + |2\rangle_p)</math>
 
Si on répète de nombreuses fois l'expérience avec un détecteur capable de détecter le photon dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle_p + |2\rangle_p)</math> celui-ci sera toujours détecté. On peut en conclure que l'état non-localisé du miroir a été observé.
 
 
== Théorie générale de la mesure quantique ==
 
La théorie des mesures idéales, initialement proposée par von Neumann, n'est pas pleinement satisfaisante, pour plusieurs raisons :
 
a) Elle suppose qu'il existe une base d'états propres du système observé. Ces états produisent des résultats certains et ne sont pas perturbés par la mesure. Mais en général des états qui produisent des résultats certains n'existent pas. Les détecteurs ne sont pas parfaits. Leurs taux de détection ne sont presque jamais égaux à 100%. Même lorsque des états propres existent, rien n'interdit qu'ils soient perturbés par la mesure. La porte SWAP en fournit un exemple. Il est aussi possible que le système observé soit détruit lors de la mesure. Par exemple, la plupart des photodétecteurs absorbent les photons qu'ils détectent.
 
b) Pour qu'il y ait une mesure idéale, il faut que le détecteur soit toujours initialement dans le même état <math>|ready\rangle_A</math>. Mais en général l'état initial du détecteur n'est pas connu avec exactitude. Il faut également que l'état final <math>|i\rangle_A</math> soit exactement déterminé. Mais en général un tel état final n'est pas, lui non plus, connu exactement.
 
Les opérateurs de mesure répondent aux objections a. Les superopérateurs de mesure répondent aux objections b.
 
=== Les opérateurs de mesure ===
 
Les <math>|i\rangle_A</math> sont la base orthonormée des états pointeurs de l'appareil de mesure.
Les <math>|j\rangle_S</math> sont une base orthonormée quelconque des états du système observé.
 
<math>U</math> est l'opérateur d'évolution qui décrit le processus de mesure.
 
Si <math>|\psi\rangle_S</math> est l'état initial du système observé, l'état final est :
 
<math>U|\psi\rangle_S|ready\rangle_A = \sum_{ij} \alpha(\psi)_{ji}|j\rangle_S|i\rangle_A</math>
 
Les '''opérateurs de mesure''' <math>M(i)</math> sont définis par :
 
<math>M(i)|\psi\rangle_S = \sum_{j} \alpha(\psi)_{ji}|j\rangle_S</math>
 
Ces opérateurs sont déterminés à partir de <math>U</math>. Ils sont linéaires parce que <math>U</math> est linéaire.
 
La probabilité que le résultat <math>i</math> soit obtenu est
<math>\sum_{j} |\alpha(\psi)_{ji}|^2 = |M(i)|\psi\rangle_S|^2</math>. C'est une généralisation de la règle de Born.
L'état du système observé après la mesure de <math>i</math> est
<math>\frac{M(i) |\psi\rangle_S}{|M(i) |\psi\rangle_S|}</math>. C'est l'état relatif, au sens d'Everett, à l'état final <math>|i\rangle_A</math> de l'appareil de mesure.
 
<math>\frac{1}{|M(i) |\psi\rangle|}</math>
est un facteur de normalisation.
Pour rendre compte d'une mesure qui détruit le système observé, il suffit d'introduire un nouvel état <math>|destroyed\rangle_S</math> destiné à représenter cette destruction. Bien sûr ce n'est pas un véritable état quantique, puisqu'il représente l'état d'un système qui n'existe plus. C'est seulement une astuce mathématique pour adapter le formalisme des
opérateurs de mesure au cas des mesures destructives. Une approche plus rigoureuse est possible, avec la théorie quantique des champs et les opérateurs d'annihilation.
 
''Exemples :''
 
'''La porte CNOT'''
 
A partir de :
 
<math>CNOT(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)|0\rangle = \alpha|00\rangle + \beta|11\rangle</math>
 
on déduit :
 
<math>M(0)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = \alpha|0\rangle</math>
 
<math>M(1)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = \beta|1\rangle</math>
 
<math>M(0)</math> et <math>M(1)</math> sont des projections orthogonales sur les états <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math>, respectivement.
 
 
'''La porte SWAP'''
A partir de :
 
<math>SWAP(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)|0\rangle = \alpha|00\rangle + \beta|01\rangle</math>
 
on déduit :
 
<math>M(0)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = \alpha|0\rangle</math>
 
<math>M(1)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = \beta|0\rangle</math>
 
 
'''Mesure destructive et peu efficace'''
 
On suppose que si le système observé est dans l'état <math>|1\rangle</math> le taux de détection est de 10%. S'il est dans l'état <math>|0\rangle</math> il n'est jamais détecté. Une telle mesure peut être décrite par l'évolution :
 
<math>U(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle)|0\rangle = \alpha|00\rangle + {\sqrt {0.9}}\beta|10\rangle + {\sqrt {0.1}}\beta|destroyed\rangle|1\rangle</math>
 
où <math>|0\rangle</math> est l'état initial du détecteur et <math>|1\rangle</math> son état lorsqu'il a détecté le système observé. On en déduit :
 
<math>M(0)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = \alpha|0\rangle + {\sqrt {0.9}}\beta|1\rangle</math>
 
<math>M(1)(\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle) = {\sqrt {0.1}}\beta|destroyed\rangle</math>
 
Pour une telle mesure peu efficace, il n'y pas de base d'états propres de la mesure. Le seul état propre est <math>|0\rangle</math>. Tous les autres états <math>\alpha|0\rangle + \beta|1\rangle</math> où <math>\beta</math> est différent de zéro ne sont pas des états propres parce qu'ils ne conduisent pas à un résultat certain.
 
=== Les observables et les projecteurs ===
 
Les principes de la physique quantique sont en général exposés sans faire référence à la théorie quantique de la mesure, ni aux opérateurs de mesure. Pour rendre compte du lien entre les vecteurs d'état et l'observation, on dit que les grandeurs physiques, c'est à dire mesurables, sont représentées par des opérateurs hermitiens, qu'on appelle des observables. Les résultats de mesure sont les valeurs propres de ces opérateurs. Les vecteurs propres associés à une valeur propre sont les états qui conduisent avec certitude à la mesure de
cette valeur propre. En outre, on admet en général le postulat de la réduction du vecteur d'état, c'est à dire que lorsqu'un résultat de mesure est obtenu le vecteur d'état du système est projeté sur le sous-espace des états propres associés à la valeur mesurée. Une telle observation est donc une mesure idéale, parce que si le système est dans un état propre de l'observable il n'est pas perturbé par la mesure.
 
Lorsqu'une mesure est idéale, un opérateur de mesure <math>M(i)</math> est précisément le projecteur <math>P(i)</math> sur le sous-espace des états propres de <math>i</math>. C'est pourquoi les mesures idéales sont aussi appelées des mesures projectives.
 
Une observable en tant qu'opérateur hermitien <math>O</math> peut être définie à partir des <math>P(i)</math> :
 
<math>O = \sum_{i}iP(i)</math>
 
La définition des observables par des opérateurs hermitiens est donc un cas particulier, limité aux mesures idéales, de la théorie plus générale des opérateurs de mesure.
 
=== L'incertitude sur l'état du détecteur et les superopérateurs de mesure ===
 
Lorsque le résultat <math>i</math> est obtenu, on suppose qu'on ne connaît pas l'état du détecteur, mais qu'on sait qu'il est dans un sous-espace
<math>H(i)_A</math> de son espace des états. Comme les résultats de mesure doivent être
distingués, les <math>H(i)_A</math> doivent être mutuellement orthogonaux. Ils sont les sous-espaces d'états pointeurs.
 
Les <math>|i,j\rangle_A</math> sont une base orthonormée d'états pointeurs de l'appareil de mesure.
<math>|i,j\rangle_A</math> est dans <math>H(i)_A</math>.
 
On suppose que l'état initial du détecteur est <math>|ready,k\rangle_A</math> avec une probabilité <math>p_k</math>. Avant la mesure, le détecteur est donc décrit par l'opérateur densité
<math>\sum_k p_k |ready,k\rangle_A \langle ready,k|_A</math>
 
Les <math>|l\rangle_S</math> sont une base orthonormée quelconque des états du système observé.
 
<math>U</math> est l'opérateur d'évolution qui décrit le processus de mesure.
 
Si <math>|\psi_m\rangle_S|ready,k\rangle_A</math> est un état initial du système, l'état final est :
 
<math>U|\psi_m\rangle_S|ready,k\rangle_A = \sum_{lij} \alpha(m,k)_{lij}|l\rangle_S|i,j\rangle_A</math>
 
Soit <math>|\phi(i,m,k)\rangle = \sum_{lj} \alpha(m,k)_{lij}|l\rangle_S|i,j\rangle_A</math>
 
Les '''superopérateurs de mesure''' <math>M(i)</math> opèrent sur l'ensemble des opérateurs densité. Ils sont définis par :
 
<math>M(i)(|\psi_m\rangle_S \langle \psi_m|_S)= \sum_k p_k Tr_A(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|)</math>
 
pour un état pur. Ce qui se généralise immédiatement à :
 
<math>M(i)(\sum_m p_m|\psi_m\rangle_S \langle \psi_m|_S)= \sum_m p_m M(i)(|\psi_m\rangle_S \langle \psi_m|_S)
= \sum_{mk} p_m p_k Tr_A(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|)</math>
 
pour un état mixte <math>\rho_S = \sum_m p_m|\psi_m\rangle_S \langle \psi_m|_S</math>.
 
Les <math>M(i)\rho_S</math> ne sont pas en général des opérateurs densité parce que leur trace n'est pas égale à un.
 
Comme les opérateurs de mesure, les superopérateurs de mesure déterminent les probabilités des observations et les états finaux du système observé (règle de Born généralisée):
 
Si l'état initial est <math>\rho_S</math>, pur ou mixte, <math>Tr(M(i)\rho_S)</math> est la probabilité d'observer le résultat <math>i</math>. L'état final, en général mixte, après la mesure de <math>i</math> est représenté par l'opérateur densité <math>\frac{M(i)\rho_S}{Tr(M(i)\rho_S)}</math>.
 
On peut en conclure que les probabilités des résultats de mesure ne dépendent que de <math>\rho_S</math>. Différents mélanges d'états qui déterminent le même <math>\rho_S</math> ne peuvent donc pas être distingués par des observations.
 
L'état final du système observé après la mesure de <math>i</math> est l'état relatif, au sens d'Everett, à l'état final <math>\frac{\sum_{mk} p_m p_k Tr_S(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|)}{Tr[\sum_{mk} p_m p_k Tr_S(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|)]}</math> de l'appareil de mesure.
 
La règle de Born généralisée montre comment les principaux théorèmes sur les mesures idéales (théorème d'existence des destinées multiples, calcul des probabilités des résultats de mesure, réduction apparente du vecteur d'état) peuvent être généralisés à tous les processus de mesure.
 
Preuve de la règle de Born généralisée :
 
<math>Tr_A(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|) = Tr_A(\sum_{ljl'j'} \alpha(m,k)_{lij}\alpha^*(m,k)_{l'ij'}
|l\rangle_S|i,j\rangle_A \langle l'|_S\langle i',j'|_A</math>
 
<math>= \sum_{ljl'} \alpha(m,k)_{lij}\alpha^*(m,k)_{l'ij} |l\rangle_S \langle l'|_S</math>
 
Donc :
 
<math>Tr(M(i)\rho_S) = \sum_{ljkm} p_m p_k |\alpha(m,k)_{lij}|^2</math>
 
La règle de Born permet de conclure que c'est bien la probabilité <math>Pr(i)</math> d'obtenir le résultat <math>i</math>.
 
Après la mesure, le système SA est dans un mélange des états <math>\frac{|\phi(i,m,k)\rangle}{||\phi(i,m,k)\rangle|}</math> avec des probabilités <math>Pr(i,m,k)=||\phi(i,m,k)\rangle|^2 p_m p_k</math> pour toutes les valeurs de <math>i</math>, <math>m</math> et <math>k</math>.
 
Sachant que le résultat <math>i</math> a été obtenu, SA est dans le mélange des états <math>\frac{|\phi(i,m,k)\rangle}{||\phi(i,m,k)\rangle|}</math> avec des probabilités <math>\frac{Pr(i,m,k)}{Pr(i)} = \frac{||\phi(i,m,k)\rangle|^2 p_m p_k}{Tr(M(i)\rho_S)}</math> pour toutes les valeurs de <math>m</math> et <math>k</math>. Il est donc représenté par l'opérateur densité :
 
<math>\rho^f_{SA} = \sum_{m,k}\frac{p_m p_k}{Tr(M(i)\rho_S)}|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|</math>
 
L'opérateur densité <math>\rho^f_S</math> du système observé est donc :
 
<math>\rho^f_S = Tr_A(\rho^f_{SA}) = \frac{\sum_{mk} p_m p_k Tr_A(|\phi(i,m,k)\rangle \langle \phi(i,m,k)|)}
{Tr(M(i)\rho_S)} = \frac{M(i)\rho_S}{Tr(M(i)\rho_S)}</math>
 
=== La sélection des états pointeurs et la pression de l'environnement ===
 
La physique quantique n'impose a priori aucune base d'états particulière à l'espace de Hilbert d'un système matériel. N'importe quelle base peut faire l'affaire. Il n'y a pas d'états fondamentaux à partir desquels les autres seraient obtenus par superposition. En particulier <math>|0\rangle</math> et <math>|1\rangle</math> sont tout autant des états de superposition que <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle + |1\rangle) = |x^+\rangle</math> et <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|0\rangle - |1\rangle) = |x^-\rangle</math>, puisque <math>|0\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|x^+\rangle + |x^-\rangle)</math> et <math>|1\rangle = \frac{1}{\sqrt 2}(|x^+\rangle - |x^-\rangle)</math>.
 
Le formalisme des opérateurs et des superopérateurs de mesure n'impose a priori aucune base d'états pointeurs. Pour n'importe quelle base <math>|i\rangle_A</math> des états de l'appareil de mesure, et n'importe quel état initial <math>|ready\rangle_A</math>, on peut définir les opérateurs de mesure <math>M(i)</math>. Pour n'importe quelle décomposition de <math>H_A</math> en sous-espaces <math>H(i)_A</math> mutuellement orthogonaux et n'importe quel opérateur densité qui représenter un état initial, on peut définir les superopérateurs de mesure <math>M(i)</math>.
 
Mais une superposition de résultats de mesure n'est pas un résultat de mesure. Qu'est-ce qui nous oblige à choisir une base d'états pointeurs plutôt qu'une autre, obtenue avec des superpositions des précédents ? (Zurek 1981)
 
Si les appareils de mesure sont macroscopiques, le choix des états pointeurs, ou des sous-espaces pointeurs, s'impose naturellement, parce que les états macroscopiques non-localisés sont très fragiles (cf. 4.20), et en général inobservables. Pour qu'une mesure fournisse un résultat défini, il faut que ce résultat ait une durée minimale, au moins le temps nécessaire pour l'enregistrer, sur un disque dur, une feuille de papier, ou simplement notre mémoire. Si le résultat de mesure est détruit dès qu'il est obtenu, sans avoir été enregistré, il n'est pas un résultat. C'est pourquoi les états pointeurs des appareils macroscopiques sont toujours ou presque des états localisés, et que les sous-espaces pointeurs ne contiennent que des états localisés. On n'a pas d'autre choix, sauf si la décohérence par l'environnement est suffisamment faible pour que l'observation d'états macroscopiques non-localisés soit possible.
 
=== Les états pointeurs des sondes microscopiques ===
 
Un photon, et plus généralement n'importe quelle particule ou molécule, peut-être considérée comme un appareil de mesure, une sonde microscopique. Dans ce cas la décohérence par l'environnement n'agit pas, ou peu. Quelle est alors la base d'états pointeurs ? Elle peut être a priori quelconque. Il suffit que ces états pointeurs soient observables, qu'ils soient eux-mêmes des états pointés par un autre appareil de mesure, pour qu'une sonde microscopique fonctionne comme un instrument d'observation. Il y a cependant un critère qui suffit parfois pour sélectionner la bonne base d'états pointeurs : on veut que l'état du système observateur nous apporte un maximum d'information sur le système observé.
 
Par exemple, dans une porte CNOT, si on veut que le qubit cible nous renseigne au mieux sur le qubit de contrôle, la base {<math>|0\rangle, |1\rangle</math>} s'impose. Il faut aussi choisir <math>|0\rangle</math> ou <math>|1\rangle</math> comme état initial du qubit cible. Tout autre choix de base d'états pointeurs ou d'état de préparation de la sonde empêcherait le qubit cible de réaliser une mesure idéale. En particulier, si on choisit comme base d'états pointeurs {<math>|x^+\rangle, |x^-\rangle</math>} alors le qubit cible ne peut apporter aucune information sur le qubit de contrôle.
 
De façon générale lorsqu'une interaction rend possible une mesure idéale, il y a une seule base d'états pointeurs pour laquelle la mesure est idéale. Tout autre choix de base d'états pointeurs nuirait à l'observation en l'empêchant d'être idéale.
 
L'interaction entre le système observé et l'appareil de mesure suffit donc parfois pour sélectionner une base préférée d'états pointeurs. Mais ce n'est pas toujours le cas. Pour une interaction SWAP, n'importe quel choix de base d'états pointeurs est a priori aussi bon que n'importe quel autre.
 
=== Une double-contrainte pour la conception des instruments d'observation ===
 
Comme tous les êtres matériels interagissent avec d'autres êtres matériels, ils peuvent tous être considérés comme des instruments d'observation, et utilisés à cette fin. Mais lorsque nous concevons des instruments de mesure, nous voulons optimiser leur fonctionnement. Deux contraintes nous guident alors : il faut bien sûr que l'instrument d'observation recueille au mieux l'information souhaitée sur le système observé, mais il faut aussi que l'information recueillie nous soit accessible, et que nous puissions l'enregistrer avant qu'elle soit effacée. L'interaction entre le système observé et l'instrument d'observation permet au second d'obtenir des informations sur le premier. L'accessibilité de l'information ainsi obtenue dépend de l'interaction entre l'instrument d'observation et son environnement. Ces deux contraintes ensemble déterminent le choix de la base des états pointeurs. Si elles ne peuvent pas être satisfaites simultanément alors on n'a pas de bon instrument d'observation.
 
 
== La forêt des destinées ==
 
=== L'arborescence des destinées d'un observateur idéal ===
 
Un observateur idéal est défini comme un système physique capable de réaliser une succession de mesures idéales (cf. 2.2) et de mémoriser leurs résultats. Formellement on peut le considérer comme une collection d'instruments de mesure idéale, isolés de leur environnement sauf aux moments prédéterminés où ils détectent ce qu'ils doivent détecter.
 
Les <math>t_i</math> sont les instants des observations. A chaque instant <math>t_i</math>, l'observateur idéal effectue la mesure associée à l'observable (cf. 5.2) <math>O_i</math>. Un observateur idéal est ainsi défini par la suite des <math>(O_i,t_i)</math>. Les <math>O_i</math> opèrent sur l'espace des états de l'environnement de l'observateur, c'est à dire de tout l'Univers sauf l'observateur lui-même.
 
Idéal ici doit être entendu au même sens que dans mesure idéale. Il ne s'agit pas bien sûr d'un idéal de vertu, mais seulement d'une fiction théorique, simplifiée par rapport à la réalité, mais suffisamment semblable pour nous aider à la comprendre.
 
Un observateur idéal ne peut pas oublier. Bien sûr les observateurs réels (vivants ou mécaniques) oublient souvent ce qu'ils ont d'abord mémorisé. Mais en général l'information n'a pas été complètement perdue, elle leur est seulement devenue inaccessible. Si on complète l'observateur réel par une mémoire physique qui conserve toutes les informations qu'il oublie, on obtient un système qui ressemble davantage à un observateur idéal.
 
Aux hypothèses précédentes on ajoute un principe de communication idéale entre observateurs idéaux. Lorsqu'un observateur A observe directement un autre observateur B, les états pointeurs de B sont toujours des états propres de l'observation par A. De cette façon, lorsque A en observe B, il ne fait que copier l'information mémorisée par B. En s'observant mutuellement, donc en communiquant, les observateurs idéaux peuvent alors partager des informations sur une réalité commune à leurs mondes relatifs respectifs (cf. 4.7).
 
Une destinée complète d'un observateur idéal, est définie par la succession des résultats d'observation <math>x_i</math> aux instants <math>t_i</math>. Elle détermine une succesion d'états quantiques de l'observateur. Le premier état, à l'instant initial, juste avant la première mesure, est le produit <math>\prod_{i=1}^N |ready_i\rangle</math> des états initiaux de tous les instruments de mesure. Le second état est <math>|x_1\rangle \prod_{i=2}^N |ready_i\rangle</math> où <math>|x_1\rangle</math> est l'état pointeur du résultat <math>x_1</math>. Le <math>j</math><sup>ème</sup> état juste avant la <math>j</math><sup>ème</sup> mesure est :
 
<math>|x_1\rangle ... |x_{j-1} \rangle \prod_{i=j}^N |ready_i\rangle</math>
 
Une destinée est soit une destinée complète, soit seulement un segment d'une destinée complète.
 
Les destinées d'un observateur idéal forment une arborescence. Le pied de l'arbre est l'état initial de l'observateur idéal. Entre deux observations, l'arbre grandit sans diviser ses branches. Lorsqu'une observation a lieu, une branche se divise en autant de branches qu'il y a de résultats de mesure dont la probabilité est non-nulle.
 
Dans le modèle de l'observateur idéal, deux branches qui se sont séparées ne peuvent pas se rejoindre à nouveau, parce que les observateurs idéaux gardent la mémoire. Ils ne peuvent pas avoir plusieurs passés parce qu'ils ne peuvent pas mémoriser plusieurs passés qui se contredisent.
 
On pourrait définir un modèle plus général d'un observateur à l'aide de la théorie générale de la mesure (cf. chapitre 5). Il faut alors raisonner non sur des vecteurs d'état mais sur des opérateurs densité. C'est un peu plus compliqué et cela conduit essentiellement aux mêmes conclusions.
 
=== Destinée absolue de l'observateur et destinée relative de son environnement ===
 
L'état initial de l'observateur et de son environnement est un état de l'Univers. Aux instants ultérieurs les états de l'Univers sont déterminés par des opérateurs d'évolution unitaire. Ils sont en général des états intriqués entre l'observateur et son environnement. A chaque état de l'observateur est donc associé un état relatif de son environnement. Un état initial de l'Univers et une destinée d'un observateur idéal suffisent donc pour déterminer la succession des états relatifs de l'environnement, qu'on peut identifier à la destinée de l'environnement relative à cette destinée de l'observateur.
 
On peut dire de la destinée de l'observateur qu'elle est absolue, au sens où elle n'est pas relative à la destinée d'un autre observateur.
 
=== Les probabilités des destinées ===
 
La règle de Born permet d'attribuer des probabilités aux diverses destinées d'un observateur.
 
La probabilité d'un résultat de mesure <math>x_i</math> ne dépend que de l'état <math>|\psi\rangle</math> de l'environnement relatif (cf. 4.5) à l'état de l'observateur juste avant la <math>i</math><sup>ème</sup> mesure :
 
<math>Pr(x_i)= | P(x_i) |\psi\rangle |^2</math>
 
où <math>P(x_i)</math> est le projecteur sur le sous-espace des états propres de <math>x_i</math>.
 
<math>\frac{P(x_i) |\psi\rangle}{| P(x_i) |\psi\rangle |}</math> est l'état relatif de l'environnement juste après la mesure de <math>x_i</math>.
 
De cette façon, avec l'état initial de l'environnement et les opérateurs d'évolution on peut attribuer une probabilité à toutes les destinées d'un observateur idéal. On peut attribuer les mêmes probabilités aux destinées relatives de son environnement.
 
=== L'incomposabilité des destinées ===
 
Une destinée d'un observateur idéal A et une destinée d'un autre observateur idéal B sont composables lorsque l'information mémorisée par l'une peut être copiée par l'autre. On ne demande pas qu'elle soit copiée, seulement qu'elle puisse l'être. Il faut qu'à la fin de la destinée de A on puisse ajouter toutes les observations sur B qui permettront à A d'acquérir les informations qui lui manquent. Les destinées de deux observateurs sont composables lorsqu'ils peuvent se mettre d'accord sur une réalité commune. La probabilité d'une rencontre entre deux destinées composables n'est jamais nulle.
 
Deux destinées sont incomposables lorsqu'elles ne sont pas composables. Des destinées incomposables sont définitivement séparées. Elles ne pourront jamais se rencontrer. Ce livre introduit le néologisme d'incomposabilité parce que incompatibilité a déjà un autre sens en physique quantique (cf. 2.7). Si les destinées de deux observateurs idéaux contiennent des résultats d'observation mutuellement contradictoires alors elles sont incomposables. La probabilité d'une rencontre entre deux destinées incomposables est toujours nulle.
 
On peut définir l'incomposabilité d'une façon plus formelle, moins intuitive et mathématiquement plus commode. Formellement, tous les observateurs idéaux peuvent être réunis par produit tensoriel en un unique observateur idéal. Les suites <math>(O_{ij},t_{ij})</math> des observateurs <math>j</math> permettent de définir une nouvelle suite <math>(O'_k,t'_k)</math> pour l'observateur qui les réunit tous. Chaque destinée de l'observateur total détermine une unique destinée pour chacun des observateurs ainsi réunis. Deux destinées de deux observateurs sont composables s'il existe au moins une destinée de l'observateur total, de probabilité non-nulle, qui les détermine toutes les deux. Elles sont incomposables sinon.
 
La superposition (cf. 1.1) et la discernabilité incomplète (cf. 2.6) des états, l'incompatibilité des mesures (cf. 2.7), l'intrication des parties (cf. 4.1), la relativité des états (cf. 4.3), la décohérence par l'intrication (cf. 4.17), la sélection des états pointeurs (cf. 5.4) et l'incomposabilité des destinées sont les principaux concepts, spécifiquement quantiques, sans analogues classiques, qui permettent de comprendre la signification physique de l'équation de Schrödinger, ou de façon équivalente, du formalisme des opérateurs unitaires.
=== La croissance d'une forêt de destinées ===
 
Lorsque des observateurs n'interagissent en aucune façon, ni de façon directe en s'observant mutuellement, ni de façon indirecte par l'intermédiaire d'un système quantique dans leur environnement, leurs arbres de destinées croissent de façon indépendante. Il faut pour cela que chacun observe des objets différents et complètement séparés, au sens quantique, des objets observés par les autres, c'est à dire qu'ils ne sont pas intriqués avec eux.
 
Lorsque deux observateurs interagissent, directement ou indirectement, ils enchevêtrent mutuellement les branches de leurs arbres de destinées, un peu comme Philémon et Baucis. On peut voir ainsi les destinées multiples de nombreux observateurs qui interagissent comme une forêt en croissance dont les arbres entremêlent leurs branches. Pour représenter une évolution quantique, la croissance d'une telle forêt doit respecter des règles très strictes de sélection des enchevêtrements possibles.
 
Lorsque la communication entre deux observateurs est idéale, leurs arbres de destinées s'enchevêtrent sans multiplier leurs branches, parce que les observations n'ont qu'un seul résultat possible. Chaque branche de l'un se retrouve alors séparée de toutes les branches de l'autre avec lesquelles elle est incomposable.
 
Deux observateurs idéaux A et B peuvent aussi interagir par l'intermédiaire d'un troisième quantique C dans leur environnement. Ce n'est pas forcément une communication idéale.
 
Supposons que A observe un système C qui est ensuite observé par B.
 
Si A et B font la même mesure sur C et si celui-ci est dans un des états propres de la mesure, alors les branches ne se multiplient pas, A et B obtiennent le même résultat, et ils enchevêtrent leurs branches comme s'il y avait eu une communication idéale de ce résultat. Si C n'est pas dans un état propre de la mesure, les branches de A d'abord, puis celles de B, se multiplient après la mesure sur C, et elles s'enchevêtrent comme s'il y avait eu communication idéale du résultat obtenu.
 
Si les observables des mesures de A et B sont incompatibles (cf. 2.7), les résultats obtenus par A ne peuvent pas être identifiés à ceux obtenus par B. Dans ce cas, l'enchevêtrement entre les branches ne peut donc pas être déterminé par l'appariement des résultats. Si par exemple, C n'est pas un état propre de la mesure par A tout en étant un état propre de la mesure par B, les branches de A d'abord, puis celles de B, se multiplient après la mesure sur C, mais les branches de A qui étaient composables avec celles de B avant la mesure de C restent composables. L'interaction par l'intermédiaire de C n'introduit pas de nouvelles contraintes d'incomposabilité entre les destinées de A et de B.
 
Il y a donc essentiellement deux façons pour deux arbres d'enchevêtrer leurs branches lorsque deux observateurs idéaux interagissent. S'ils s'observent mutuellement ou s'ils mesurent la même observable d'un troisième système alors ils enchevêtrent leurs branches par l'appariement des résultats. Si l'interaction ne conduit pas au partage d'une même information alors ils enchevêtrent leurs branches sans discrimination.
 
Avant la première interaction entre A et B, directe ou par l'intermédiaire d'un troisième système, toutes les destinées de l'un sont composables avec toutes les destinées de l'autre. Les interactions ultérieures introduisent des contraintes d'incomposabilité, des interdits de rencontre entre destinées, dès que A et B s'observent mutuellement ou qu'ils font des mesures compatibles sur un troisième système C. La croissance de la forêt est donc accompagnée d'un processus de différenciation, de séparation entre les arbres, semblable à la maturation cérébrale. Initialement, lors des premières années de la vie, les connexions entre neurones sont très peu différenciées et chaque neurone est connecté à de très nombreux autres. La plupart de ces connexions disparaissent au cours du temps.
 
Parler de la croissance d'une forêt de destinées est seulement une façon de décrire les solutions de l'équation de Schrödinger quand on l'applique aux systèmes d'observateurs idéaux. Il s'agit de décrire des solutions mathématiques qui résultent des hypothèses simples qu'on a posées. Il ne s'agit pas d'une imagination délirante mais du calcul des conséquences de principes mathématiques.
 
=== Les destinées quantiques virtuelles et les chemins de Feynman ===
 
Les états initiaux et les états pointeurs des instruments de mesure qui définissent un observateur idéal déterminent, par produit tensoriel, les états pointeurs de l'observateur lui-même. La sélection des états pointeurs des instruments de mesure (cf. 5.4) sélectionne du même coup la base des états pointeurs de l'observateur idéal.
 
Lorsqu'un système quantique n'est pas un instrument de mesure macroscopique ou un observateur idéal, aucune base d'états pointeurs n'est a priori privilégiée (cf. 5.5). On peut quand même définir des destinées multiples en choisissant arbitrairement une de ses bases d'états. Mais il n'y a aucune raison de penser que ces destinées sont réelles, parce que les états qui les définissent ne sont pas en général des états par lequel le système passe réellement. Dans la réalité il est dans une superposition de ces états ou dans un état intriqué avec l'environnement. C'est pourquoi ce livre appellent virtuelles de telles destinées quantiques.
 
Lorsque les <math>t_i</math> sont des instants du temps et les <math>|\phi_i\rangle</math>, des états d'un système S, indexés par le même indice <math>i</math>, la suite des <math>(|\phi_i\rangle, t_i)</math> est un chemin de Feynman.
 
Les <math>U_i</math> sont les opérateurs d'évolution de S entre <math>t_{i-1}</math> et <math>t_i</math>.
 
L'amplitude de probabilité associée au chemin de Feynman <math>(|\phi_i\rangle,t_i)</math> est par définition :
 
<math>\prod_i \langle \phi_i | U_i|\phi_{i-1} \rangle</math>
 
<math>t_0</math> est l'instant initial et <math>t_N</math> l'instant final. <math>|\psi_0\rangle</math> est un état initial de S et <math>|\psi\rangle</math> un état final.
 
L'amplitude de probabilité de l'évolution de <math>|\psi_0\rangle</math> à <math>|\psi\rangle</math> est :
 
<math>\langle \psi | U |\psi_0\rangle</math>
 
où <math>U = \prod_{i=1}^N U_i</math>
 
Les <math>|a_j\rangle</math> sont une base orthonormée d'états de S. Avec les <math>t_i</math> elle détermine un ensemble <math>F</math> de chemins de Feynman de <math>|\psi_0\rangle</math> à <math>|\psi\rangle</math>. <math>F</math> contient tous les chemins <math>(|\psi_0\rangle, t_0)...(|\phi_i\rangle, t_i)...(|\psi\rangle, t_N)</math> où les <math>|\phi_i\rangle</math> sont toujours choisis parmi les <math>|a_j\rangle</math>. Si <math>f</math> est un élément de <math>F</math>, <math>|\phi_i^f\rangle</math> est son état intermédiaire à l'instant <math>t_i</math>.
 
On a :
 
<math>\langle \psi | U |\psi_0\rangle= \sum_{f \in F} \prod_{i=1}^N \langle \phi_i^f | U_i|\phi_{i-1}^f \rangle</math>
 
où <math>|\phi_0^f\rangle=|\psi_0\rangle</math> et <math>|\phi_N^f\rangle=|\psi\rangle</math> quel que soit <math>f</math> dans <math>F</math>.
 
Autrement dit, l'amplitude de probabilité d'une évolution entre un état initial et un état final est la somme de toutes les amplitudes de probabilité de "tous les chemins" qui relient ces deux états. C'est la version finie des intégrales sur tous les chemins de Feynman (Feynman & Hibbs 1965).
 
Preuve : sachant que <math>\sum_j |a_j\rangle \langle a_j| = 1</math>, on a
 
<math>\langle \psi | U |\psi_0\rangle= \langle \psi | U_N \prod_{i=1}^{N-1} (\sum_{j_i} |a_{j_i}\rangle \langle a_{j_i}|)U_i|\psi_0\rangle = \sum_{j_1...j_{N-1}} \langle \psi | U_N |a_{j_{N-1}}\rangle \prod_{i=1}^{N-1} \langle a_{j_i}|U_i|\psi_0\rangle</math>
 
<math>= \sum_{f \in F} \prod_{i=1}^N \langle \phi_i^f | U_i|\phi_{i-1}^f \rangle</math>
 
Une destinée d'un observateur est définie par une succession d'états quantiques à des instants définis, comme un chemin de Feynman. Comme David Deutsch ne distingue pas destinée et chemin de Feynman, il suggère, d'une façon étonnante, que les intégrales sur les chemins de Feynman, pourraient servir à prouver l'existence des mondes multiples (Deutsch 1997). Pour être définis correctement, les mondes multiples doivent être considérés comme des mondes relatifs aux observateurs, qui ont des destinées multiples. L'état d'un de ces mondes est un état d'un environnement (l'Univers sauf l'observateur) relatif à un état d'un observateur.
 
Une destinée d'un système observateur est réelle. Les résultats d'observation sont vraiment obtenus. Ils font partie d'une destinée qui existe vraiment. Les chemins de Feynman ne peuvent pas être des destinées réelles, parce que les états intermédiaires ne doivent pas être observés pour qu'on puisse intégrer des amplitudes de probabilité et non des probabilités (cf. 4.18). Si les chemins de Feynman étaient des destinées réelles, il faudrait sommer des probabilités.
 
Une autre raison fondamentale empêche d'identifier les chemins de Feynman à des destinées réelles. Ils attribueraient de très nombreux passés à un même état présent. Les chemins de Feynman ne forment pas une arborescence parce qu'ils peuvent converger aussi facilement qu'ils divergent. Un état quantique sur un chemin de Feynman est un point de convergence de très nombreux chemins qui définiraient autant de passés s'ils étaient des destinées réelles.
Cette propriété de convergence des destinées virtuelles est importante pour utiliser le parallélisme du calcul quantique, mais elle semble évidemment exclue pour des destinées réelles, qui en général semblent avoir un seul passé.
 
=== Le parallélisme du calcul quantique et la multiplicité des passés virtuels ===
 
Soit un système à deux qubits qui interagissent de telle façon que le premier agit sur le second sans être affecté en retour, quand on raisonne dans la base {<math>|0\rangle, |1\rangle</math>}. Leur interaction est donc décrite par l'opérateur <math>U_f</math> :
 
<math>U_f |00\rangle = |0f(0)\rangle</math>
 
<math>U_f |10\rangle = |1f(1)\rangle</math>
 
<math>U_f |01\rangle = |0f(0)^c\rangle</math>
 
<math>U_f |11\rangle = |1f(1)^c\rangle</math>
 
où <math>f</math> est une fonction a priori quelconque qui décrit l'effet du premier qubit sur le second, <math>0^c=1</math> et <math>1^c=0</math>.
 
Si le système est préparé initialement dans l'état <math>\frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle)</math>, on obtient :
 
<math>U_f \frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle) = \frac{1}{2}(|0f(0)\rangle + |1f(1)\rangle - |0f(0)^c\rangle - |1f(1)^c\rangle)</math>
 
Si <math>f(0)=f(1)</math> on obtient :
 
<math>U_f \frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle) = -\frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|f(0)\rangle + |f(0)^c\rangle)</math>
 
Si <math>f(0) \ne f(1)</math> on obtient :
 
<math>U_f \frac{1}{2}(|0\rangle + |1\rangle)(|0\rangle - |1\rangle) = \frac{1}{2}(|0\rangle - |1\rangle)(|f(0)\rangle - |f(0)^c\rangle)</math>
 
L'état final <math>|x^+\rangle</math> ou <math>|x^-\rangle</math> du premier qubit révèle donc s'il fait toujours ou non le même effet sur son partenaire.
 
On peut analyser ce calcul quantique en distinguant deux destinées virtuelles du premier qubit, celle où il passe dans l'état <math>|0\rangle</math> juste après la préparation initiale, l'autre où il passe dans l'état <math>|1\rangle</math>. L'opérateur <math>U_f</math> détermine l'évolution de ces deux destinées en parallèle. De façon imagée on peut dire que le premier qubit vit deux destinées dans lesquelles il peut faire ou non le même effet sur son partenaire. Ces deux destinées convergent finalement sur un même état <math>|x^+\rangle</math> ou <math>|x^-\rangle</math>. Si c'est <math>|x^+\rangle</math> le qubit a fait le même effet dans ses deux destinées virtuelles passées, si c'est <math>|x^-\rangle</math>, il a fait un effet différent. En ayant plusieurs passés virtuels, le premier qubit permet de récolter les fruits du parallélisme du calcul quantique.
 
Cet exemple a valeur générale (Deutsch 1985). Le calcul quantique permet toujours de calculer en une seule étape toutes les valeurs d'une fonction. Si par exemple, il dispose de 100 qubits de mémoire pour le registre de données, un ordinateur quantique peut calculer en parallèle et en une seule étape <math>2^{100} \approx 10^{30}</math> (mille milliards de millards de milliards environ) valeurs d'une fonction a priori quelconque. Mais la difficulté est de récolter les fruits de ce parallélisme. Il faut observer un état qui résulte de toutes les destinées virtuelles qui se produisent en parallèle, donc un état qui a de très nombreux passés virtuels.
 
=== Peut-on avoir plusieurs passés si on les oublie ? ===
 
Deux destinées réelles différentes d'un même observateur idéal ne peuvent jamais converger sur un seul état parce qu'un observateur idéal n'oublie jamais et parce qu'il ne peut pas conserver des souvenirs contradictoires. Mais s'il oubliait, pourrait-il avoir plusieurs passés, à la façon du qubit dans l'algorithme quantique de Deutsch ci-dessus ?
 
Pour qu'un calcul quantique parallèle puisse fournir un résultat il est nécessaire que le calculateur soit protégé contre la décohérence par intrication avec son environnement. Si une telle décohérence se produit, tout se passe comme si les destinées virtuelles parallèles étaient observées par l'environnement. Dans ce cas il ne faut plus sommer des amplitudes mais des probabilités pour calculer la probabilité du résultat final (cf. 4.18). Les états
<math>|x^+\rangle</math> et <math>|x^-\rangle</math> se produiraient avec la même probabilité quelle que soit les valeurs de la fonction <math>f</math>, et il n'y aurait plus aucune raison d'affirmer qu'ils ont deux passés virtuels.
 
Comme nous sommes en permanence soumis à la décohérence par intrication avec notre environnement, tout se passe comme si nous étions observés en permanence par l'environnement. Quand nous oublions, les informations perdues ne le sont pas complètement. L'environnement en conserve toujours une trace. C'est pourquoi deux destinées réellement vécues ne peuvent pas converger sur un même état où elles se superposeraient, même si dans cet état nous avons oublié ce qui pourrait les distinguer.
 
=== Les autres destinées existent-elles ? ===
 
De son point de vue un observateur a toujours une seule destinée. La physique quantique affirme qu'il en existe beaucoup d'autres qu'il ne pourra jamais connaître. N'est-il pas insensé d'affirmer l'existence de ce qu'on ne peut observer ? Cela semble contraire à la fois au bon sens et aux principes de la physique. Un être matériel n'est-il pas nécessairement observable ?
 
La thèse d'Everett est ridiculisée quand on affirme qu'elle postule l'existence d'autres mondes, ou d'autres branches de l'Univers, qu'on ne pourra jamais observer, comme si elle était une sorte de mystique et non une véritable théorie physique. Elle est souvent injustement méprisée parce qu'on ne se rend pas compte qu'elle prend la physique quantique au sérieux (Wallace 2012). Elle ne postule pas l'existence des destinées multiples, elle les déduit à partir des principes quantiques (cf. 2.3). Pour étudier des destinées multiples il suffit de calculer une solution de l'équation de Schrödinger pour un système qui contient des instruments d'observation.
 
Mais si les autres destinées ne peuvent pas être observées (cf. 4.5, 4.13 et 6.4), quel sens y a-t-il à affirmer leur existence ? Et comment peuvent-elles être l'objet d'une théorie physique ?
 
Les autres destinées, que nous ne connaissons pas, sont des objets de la théorie au même titre que les destinées que nous connaissons. La théorie est inclusive. Elle décrit tout, ce que nous observons et ce que nous n'observons pas. Elle décrit un univers dans lequel de nombreux êtres matériels ont chacun de nombreuses destinées enchevêtrées avec les destinées des autres. Les destinées que nous ne connaissons pas sont des destinées d'êtres matériels. Il ne s'agit pas de matière indétectable, ce qui serait absurde (Dugnolle 2017). Elles sont observables mais pas par nous. Elles existent du point de vue d'autres observateurs mais pas du nôtre. Comme la physique quantique décrit tous les points de vue de tous les observateurs, elle doit décrire des destinées que nous ne connaissons pas.
 
La physique quantique attribue aux destinées des êtres matériels des probabilités de se rencontrer. Si cette probabilité est égale à un, c'est qu'elles se rencontrent certainement, qu'il est donc sûr que l'une existe du point de vue de l'autre. Si cette probabilité est égale à zéro, alors il est certain qu'elles ne se rencontreront jamais et qu'aucune ne pourra exister du point de vue de l'autre. Elles sont alors incomposables (cf. 6.4). Si la probabilité est intermédiaire alors ces destinées bifurquent en de nouvelles destinées dont certaines se rencontrent et d'autres non. La physique quantique permet en principe (cf. 2.4) de calculer toutes ces probabilités et donc de prédire tout ce qui peut exister du point de vue de tous les êtres matériels.
 
Bien sûr il est possible qu'une nouvelle physique montre la fausseté de la physique quantique et nous conduise ainsi à renoncer au théorème d'existence des destinées multiples. Mais jusqu'à nouvel ordre la physique quantique est notre meilleure physique. Si nous voulons la comprendre il faut évidemment étudier ce qu'elle décrit, il faut donc étudier l'intrication des multiples destinées d'un système d'observation avec les destinées de tous les autres (cf. chapitre 4).
 
Ces destinées multiples peuvent être considérées comme des êtres purement fictifs, des fictions seulement utiles pour comprendre la réalité. Mais ne peut-on pas en savoir plus sur leur hypothétique existence ?
 
La réponse est double.
 
Du point de vue du théoricien, les preuves d'existence des destinées multiples sont les meilleures qui puissent être. Le théorème d'existence des destinées multiples est une conséquence immédiate de nos meilleurs principes, les plus solides et les mieux confirmés par l'expérience. Comme la théorie ne distingue pas notre destinée parmi les autres, elle affirme qu'elles sont toutes réelles, que notre unique destinée n'est pas plus réelle que les autres que nous ne connaissons pas.
 
Du point de vue de l'expérimentateur, la réponse est agnostique : nous ne savons pas et vraisemblablement nous ne saurons jamais. Si nous avions une preuve empirique directe de l'existence d'une autre destinée, celle-ci ferait automatiquement partie de la nôtre, et ne serait plus une autre destinée. Ainsi conçues les autres destinées sont nécessairement inobservables. Il serait donc vain de chercher à les observer. Mais ce raisonnement n'est peut-être pas pleinement concluant.
 
 
== L'apparition des mondes classiques relatifs dans l'Univers quantique ==
 
=== Les apparences classiques ne sont-elles pas des preuves que la physique quantique est incomplète ? ===
 
La théorie quantique telle qu'elle est présentée dans ce livre, à la façon d'Everett, c'est à dire sans postulat de la réduction du vecteur d'état, semble contredite par la simple observation que le monde nous apparaît toujours d'une façon qui semble en contradiction avec les enseignements de la théorie. Quand nous parlons de ce monde tel qu'il nous apparaît naturellement, des êtres qui l'habitent et de leurs états, nous ne faisons jamais usage du principe de superposition quantique. Il est au contraire interdit. Les corps macroscopiques et notre corps lui-même en particulier, avec ses organes sensoriels, semblent toujours avoirs des états définis qui ne peuvent pas se superposer, et qui peuvent être déterminés, au moins approximativement, avec les grandeurs de la physique classique (position, vitesse...). N'est-ce pas une preuve suffisante que Bohr a raison d'affirmer qu'il faut penser les instruments de mesure comme des objets classiques pour interpréter la physique quantique ?
 
Il est bien sûr possible que les principes quantiques n'aient qu'une validité limitée, qu'à notre échelle macroscopique de nouveaux effets entrent en jeu, qu'ils sont ignorés par la théorie et qu'ils dérogent à ses principes. C'est possible, mais ce n'est pas nécessaire pour expliquer les apparences classiques, quotidiennement renouvelées, de notre monde, parce qu'en suivant Everett on peut donner une explication quantique des apparences classiques.
 
=== L'espace et la masse ===
 
Le formalisme des opérateurs unitaires se sert implicitement du concept de temps, puisqu'un opérateur unitaire décrit un changement d'état, mais il ne dit rien a priori sur l'espace et sur la masse. Il semble faussement que l'espace et la masse sont des concepts essentiellement classiques, que la physique quantique n'explique pas leur existence, et que donc elle ne peut pas expliquer à elle seule les apparences classiques du monde. La plupart des équations quantiques ont des équivalents classiques et nous avons besoin des secondes pour comprendre les premières. Ainsi présentée la physique quantique n'est pas autonome par rapport à la physique classique, elle n'est qu'une façon très particulière de se servir de concepts empruntés à la physique classique.
 
Les concepts fondamentaux de la physique classique, espace, temps, masse, et les concepts dérivés, vitesse, impulsion, force, moment cinétique, énergie... reposent tous sur le principe que les points matériels ont des trajectoires. Elles sont définies comme des lignes dans l'espace-temps. Même la dynamique des mileux continus, solides ou fluides, décrit les trajectoires des points matériels qui constituent les corps en mouvement. Mais la relation d'indétermination de Heisenberg (cf. 2.7) interdit aux particules quantiques d'avoir de telles trajectoires classiques, puisque leur position et leur vitesse ne peuvent pas être exactement définies en même temps. Comment alors pourrait-elle expliquer toutes les apparences qui légitiment les concepts fondamentaux de la physique classique ?
 
Le formalisme des opérateurs unitaires est la physique quantique sous sa forme la plus générale et la plus abstraite. Il ne fait pas d'hypothèses particulières sur l'espace et sur son contenu. Il peut être appliqué à toutes sortes d'espaces et de contenus. Il n'impose pas des concepts d'espace et de masse semblables à ceux de la physique classique mais il ne les interdit pas non plus. Schrödinger a montré comment calculer les fonctions d'onde des particules massives dans l'espace ordinaire (cf. 1.2). C'est une façon quantique de donner du sens aux concepts d'espace et de masse.
 
Les concepts fondamentaux de la physique, espace, temps, matière, et les concepts dérivés, ne sont pas exclusivement classiques. Toutes les constructions théoriques classiques (mouvements inertiels, collissions entre des billes, oscillations périodiques...) qui permettent de donner une signification physique, c'est à dire en termes d'êtres observables, à la théorie mathématique, peuvent être adaptées à la physique quantique. Il n'est pas nécessaire de supposer l'existence des trajectoires classiques des points matériels pour donner une signification physique au concept d'impulsion par exemple. La physique quantique ne postule pas les vitesses instantanées de la physique classique mais elle n'interdit pas la mesure des vitesses moyennes. Quand la physique classique raisonne sur des points de l'espace ou de l'espace-temps, il suffit souvent de remplacer ceux-ci par des petites régions d'extension finie pour obtenir des raisonnements également valables en physique quantique.
 
Même les mesures de longueur et de durée peuvent être expliquées d'une façon quantique (Peres 1995). On peut ainsi justifier les postulats sur la structure de l'espace-temps à partir des mesures spatio-temporelles aussi bien en physique quantique qu'en physique classique. C'est pourquoi on peut considérer que la physique quantique est autonome. On n'a pas besoin de justifier les équations quantiques à partir des équations classiques correspondantes. On trouve cette correspondance parce que la physique classique et la physique quantique sont toutes les deux des théories du même espace-temps.
 
=== L'évolution quantique de l'Univers détermine les destinées classiques des mondes relatifs ===
 
A partir de l'espace-temps de Minkowski et du principe de superposition quantique, on peut construire tous les espaces d'états quantiques qui nous conviennent pour expliquer les phénomènes naturels (Weinberg 1995), ou presque tous, parce que la théorie quantique de la gravitation pose problème.
 
On peut ainsi construire des modèles de l'Univers dans lequel les mondes relatifs aux observateurs ont une apparence classique (Joos, Zeh &... 2003, Zurek 2003, Schlosshauer 2007). L'évolution quantique de l'Univers ne peut pas être identifiée à une destinée classique, mais elle suffit pour déterminer la croissance d'une forêt de destinées des observateurs et de leurs mondes relatifs (cf. chapitre 6). La physique quantique explique les apparences classiques sans postuler que l'Univers lui-même doit avoir cette apparence. Elle montre comment les apparences classiques relatives aux observateurs émergent à partir d'une évolution quantique qui décrit une forêt de destinées multiples.
 
 
 
== Bibliographie ==
 
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