« Théorie quantique de l'observation » : différence entre les versions

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intrication et communication instantanée à distance
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Il y a quelque chose de fou dans cette validité universelle de la superposition quantique. Supposons que <math>|1\rangle</math> et <math>|2\rangle</math> sont des états de la lune dans deux endroits différents. Si la lune est dans l'état <math>\frac{1}{\sqrt 2}(|1\rangle+|2\rangle</math>), elle semble être en deux endroits différents en même temps. Cela devrait être un phénomène général. Avec la superposition quantique, tout système peut être simultanément en autant d'endroits que l'on veut. Don Juan pourrait-il multiplier ses aventures de façon quantique?
 
Le principe de superposition ne peut pas être appliqué au cas de Don Juan, ou pas d'une manière simple et directe, mais les raisons en sont difficiles à comprendre. Pourquoi la lune est-elle à un endroit défini sur son orbite ? Pourquoi n'est-elle pas uniformément répartie dans le ciel? (cf. 4.6, 4.1920 et 4.2021) C'est le problème du chat de Schrödinger: un chat peut-il être vivant et mort en même temps ? (Schrödinger 1935)
 
La validité universelle du principe de superposition peut être illustrée par de nombreux exemples. La dualité onde-particule et la polarisation de la lumière sont des applications très directes. Les explications physiques qui dépendent du principe de superposition sont incroyablement nombreuses: les propriétés des particules élémentaires, la stabilité des atomes, des molécules et des matériaux, la radioactivité, l'existence des métaux, des semi-conducteurs et des matériaux isolants, la supraconductivité, la superfluidité, les lasers ... Le principe de superposition explique de manière unifiée tous ces divers phénomènes.
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Preuve : <math>Tr(\rho | \psi \rangle \langle \psi | ) = Tr(\sum_j p_j |j\rangle \langle j| \psi \rangle \langle \psi | ) = \sum_j p_j \langle j| \psi \rangle Tr(|j\rangle \langle \psi | ) = \sum_j p_j | \langle j |\psi \rangle |^2 </math>
 
Comme un opérateur densité détermine les probabilités de détection de tous les états quantiques, il détermine les probabilités de tous les résultats de toutes les mesures possibles. En ce sens, il détermine complètement l'état physique du système.
 
 
== Exemples de mesures quantiques ==
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La vision passe par la formation d'images. Chaque point de l'image représente un point d'un objet dans le champ visuel. Si l'objet est non-localisé, on ne peut pas en avoir une image nette et stable. Mais peut-être qu'on pourrait le voir tantôt à une position tantôt à une autre. La réduction apparente du vecteur d'état, lors d'une observation, prouve que ce n'est pas possible. Si l'objet vu est initialement non-localisé, il passe, de mon point de vue, dans un état localisé dès que je le vois à une position définie. Si je répète l'observation plusieurs fois, je le verrai à la même place. Les autres composantes du vecteur d'état initial ne peuvent plus être observées, dès qu'une des composantes a été sélectionnée par une observation. A cause de l'intrication par l'observation, le simple fait de voir un objet à une position définie suffit pour détruire son état non-localisé initial.
 
Mais cela ne prouve pas qu'il est impossible d'observer des états macroscopiques non-localisés (cf. 4.2021), cela prouve seulement qu'il est impossible de les voir.
 
=== L'explication quantique de l'intersubjectivité ===
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<math>\rho'_A = Tr_E(\rho'_{AE})</math>
 
=== Pourquoi les paires intriquées ne permettent-elles pas de communiquer ? ===
 
Soient A et B deux parties d'un système AB. On suppose qu'elles ont interagi dans le passé, que AB est maintenant dans un état intriqué <math>|\psi\rangle</math> où elles sont très éloignées l'une de l'autre. Si on observe une seule des parties, et si on raisonne sur la réduction du vecteur d'état comme si elle était un effet réel, on conclut qu'il devrait y avoir une action instantanée à distance de la partie observée sur celle qui ne l'est pas, parce que l'état de B après la mesure est différent de son état avant. On est alors étonné de constater que cet effet, supposé réel, ne permet pas de communiquer instantanément à distance. S'il y avait vraiment action, il devrait y avoir une possibilité de communication.
 
En toute généralité, qu'il s'agisse d'action instantanée ou avec retard, les paires intriquées ne permettent jamais de communiquer de la façon suggérée par la réduction du vecteur d'état. De ce point de vue la physique quantique ne se distingue pas de la physique classique. Pour qu'il y ait communication, ou transport d'information, il faut qu'il y ait une action ou une interaction qui se propage à la vitesse de la lumière ou à une vitesse inférieure. Lorsqu'on observe une partie éloignée d'une paire intriquée, il n'y a pas d'interaction avec la partie inobservée. Aucun effet mesurable de celle-la sur celle-ci ne peut être détecté.
 
Formellement, cette absence de communication entre les parties se traduit par l'invariance de l'opérateur densité réduit de la partie inobservée à l'issue de l'observation. La partie inobservée ne change pas d'état, elle n'est pas perturbée par l'onservation de l'autre partie. Il est entendu que l'état non-perturbé est un état mixte. Un opérateur densité réduit détermine toutes les probabilités des mesures effectuées sur une partie tant qu'on n'a pas d'information sur les résultats des mesures effectuées sur les autres parties (cf. 2.8). Comme une observation ne change pas les opérateurs densité réduits des parties inobservées, elle ne peut avoir aucun effet mesurable sur celles-ci.
 
=== La décohérence par l'intrication ===
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On dit parfois que les figures d'interférences sont détruites à cause de la perturbation par les sondes placées sur les chemins suivis. Ce n'est pas tout à fait exact puisque ces figures peuvent être reconstituées après que ces perturbations se sont produites. Les sondes ne détruisent pas forcément les figures d'interférence mais seulement les conditions de leur observation. L'intrication de l'objet observé avec les sondes change ces conditions parce que les états observés sont toujours des états relatifs, au sens d'Everett, à l'observateur.
 
 
=== La fragilité des états macroscopiques non-localisés ===
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Mais une superposition de résultats de mesure n'est pas un résultat de mesure. Qu'est-ce qui nous oblige à choisir une base d'états pointeurs plutôt qu'une autre, obtenue avec des superpositions des précédents ? (Zurek 1981)
 
Si les appareils de mesure sont macroscopiques, le choix des états pointeurs, ou des sous-espaces pointeurs, s'impose naturellement, parce que les états macroscopiques non-localisés sont très fragiles (cf. 4.1920), et en général inobservables. Pour qu'une mesure fournisse un résultat défini, il faut que ce résultat ait une durée minimale, au moins le temps nécessaire pour l'enregistrer, sur un disque dur, une feuille de papier, ou simplement notre mémoire. Si le résultat de mesure est détruit dès qu'il est obtenu, sans avoir été enregistré, il n'est pas un résultat. C'est pourquoi les états pointeurs des appareils macroscopiques sont toujours ou presque des états localisés, et que les sous-espaces pointeurs ne contiennent que des états localisés. On n'a pas d'autre choix, sauf si la décohérence par l'environnement est suffisamment faible pour que l'observation d'états macroscopiques non-localisés soit possible.
 
=== Les états pointeurs des sondes microscopiques ===
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Comme tous les êtres matériels interagissent avec d'autres êtres matériels, ils peuvent tous être considérés comme des instruments d'observation, et utilisés à cette fin. Mais lorsque nous concevons des instruments de mesure, nous voulons optimiser leur fonctionnement. Deux contraintes nous guident alors : il faut bien sûr que l'instrument d'observation recueille au mieux l'information souhaitée sur le système observé, mais il faut aussi que l'information recueillie nous soit accessible, et que nous puissions l'enregistrer avant qu'elle soit effacée. L'interaction entre le système observé et l'instrument d'observation permet au second d'obtenir des informations sur le premier. L'accessibilité de l'information ainsi obtenue dépend de l'interaction entre l'instrument d'observation et son environnement. Ces deux contraintes ensemble déterminent le choix de la base des états pointeurs. Si elles ne peuvent pas être satisfaites simultanément alors on n'a pas de bon instrument d'observation.
 
 
 
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Deux destinées sont incomposables lorsqu'elles ne sont pas composables. Des destinées incomposables sont définitivement séparées. Elles ne pourront jamais se rencontrer. Ce livre introduit le néologisme d'incomposabilité parce que incompatibilité a déjà un autre sens en physique quantique (cf. 2.7). Si les destinées de deux observateurs idéaux contiennent des résultats d'observation mutuellement contradictoires alors elles sont incomposables. La probabilité d'une rencontre entre deux destinées incomposables est toujours nulle.
 
On peut définir l'incomposabilité d'une façon plus formelle, moins intuitive et plus aisée à utiliser mathématiquement. Formellement, tous les observateurs idéaux peuvent être réunis par produit tensoriel en un unique observateur idéal. Les suites <math>(O_{ij},t_{ij})</math> des observateur <math>j</math> permettent de définir une nouvelle suite <math>(O'_k,t'_k)</math> pour l'observateur qui les réunit tous. Chaque destinée de l'observateur total détermine une unique destinée pour chacun des observateurs ainsi réunis. Deux destinées de deux observateurs sont composables s'il existe au moins une destinée de l'observateur total qui les détermine toutes les deux. Elles sont incomposables sinon.
 
La superposition (cf. 1.1) et la discernabilité incomplète (cf. 2.6) des états, l'incompatibilité des mesures (cf. 2.7), l'intrication des parties (cf. 4.1), la relativité des états (cf. 4.3), la décohérence par l'intrication (cf. 4.1617), la sélection des états pointeurs (cf. 5.4) et l'incomposabilité des destinées sont les principaux concepts, spécifiquement quantiques, sans équivalent en physique classique, qui permettent de comprendre la signification physique de l'équation de Schrödinger, ou de façon équivalente, du formalisme des opérateurs unitaires.
=== La croissance d'une forêt de destinées ===
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Une destinée d'un observateur est définie par une succession d'états quantiques à des instants définis, comme un chemin de Feynman. Comme David Deutsch ne distingue pas destinée et chemin de Feynman, il suggère, d'une façon étonnante, que les intégrales sur les chemins de Feynman, pourraient servir à prouver l'existence des mondes multiples (Deutsch 1997). Pour être définis correctement, les mondes multiples doivent être considérés comme des mondes relatifs aux observateurs, qui ont des destinées multiples. L'état d'un de ces mondes est un état d'un environnement (l'Univers sauf l'observateur) relatif à un état d'un observateur.
 
Une destinée d'un système observateur est réelle. Les résultats d'observation sont vraiment obtenus. Ils font partie d'une destinée qui existe vraiment. Les chemins de Feynman ne peuvent pas être des destinées réelles, parce que les états intermédiaires ne doivent pas être observés pour qu'on puisse intégrer des amplitudes de probabilité et non des probabilités (cf. 4.1718). Si les chemins de Feynman étaient des destinées réelles, il faudrait sommer des probabilités.
 
Une autre raison fondamentale empêche d'identifier les chemins de Feynman à des destinées réelles. Ils attribueraient de très nombreux passés à un même état présent. Les chemins de Feynman ne forment pas une arborescence parce qu'ils peuvent converger aussi facilement qu'ils divergent. Un état quantique sur un chemin de Feynman est un point de convergence de très nombreux chemins qui définiraient autant de passés s'ils étaient des destinées réelles.
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Deux destinées réelles différentes d'un même observateur idéal ne peuvent jamais converger sur un seul état parce qu'un observateur idéal n'oublie jamais et parce qu'il ne peut pas conserver des souvenirs contradictoires. Mais s'il oubliait, pourrait-il avoir plusieurs passés, à la façon du qubit dans l'algorithme quantique de Deutsch ci-dessus ?
 
Pour qu'un calcul quantique parallèle puisse fournir un résultat il est nécessaire que le calculateur soit protégé contre la décohérence par intrication avec son environnement. Si une telle décohérence se produit, tout se passe comme si les destinées virtuelles parallèles étaient observées par l'environnement. Dans ce cas il ne faut plus sommer des amplitudes mais des probabilités pour calculer la probabilité du résultat final (cf. 4.1718). Les états
<math>|x^+\rangle</math> et <math>|x^-\rangle</math> se produiraient avec la même probabilité quelle que soit la valeur de la fonction <math>f</math>, et il n'y aurait plus aucune raison d'affirmer qu'ils ont deux passés virtuels.
 
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La thèse d'Everett est ridiculisée quand on affirme qu'elle postule l'existence d'autres mondes, ou d'autres branches de l'Univers, qu'on ne pourra jamais observer, comme si elle était une sorte de mystique et non une véritable théorie physique. Elle est souvent injustement méprisée parce qu'on ne se rend pas compte qu'elle prend la physique quantique au sérieux (Wallace 2012). Elle ne postule pas l'existence des destinées multiples, elle les déduit à partir des principes quantiques (cf. 2.3). Pour étudier des destinées multiples il suffit de calculer une solution de l'équation de Schrödinger pour un système qui contient des instruments d'observation.
 
Mais si les autres destinées ne peuvent pas être observées (cf. 4.5, 4.1413 et 6.4), quel sens y a-t-il à affirmer leur existence ? Et comment peuvent-elles être l'objet d'une théorie physique ?
 
Les autres destinées, que nous ne connaissons pas, sont des objets de la théorie au même titre que les destinées que nous connaissons. La théorie est inclusive. Elle décrit tout, ce que nous observons et ce que nous n'observons pas. Elle décrit un univers dans lequel de nombreux êtres matériels ont chacun de nombreuses destinées enchevêtrées avec les destinées des autres. Les destinées que nous ne connaissons pas sont des destinées d'êtres matériels. Il ne s'agit pas de matière indétectable, ce qui serait absurde (Dugnolle 2017). Elles sont observables mais pas par nous. Elles existent du point de vue d'autres observateurs mais pas du nôtre. Comme la physique quantique décrit tous les points de vue de tous les observateurs, elle doit décrire des destinées que nous ne connaissons pas.