« Psychologie cognitive pour l'enseignant/L'apprentissage de la lecture » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m →‎Automatisation : remplacement: quelque soit la → quelle que soit la avec AWB
mAucun résumé des modifications
Ligne 1 :
{{Psychologie cognitive pour l'enseignant}}
Tout le monde (ou presque) sait parler et écrire. Mais les humains ne naissent pas avec un langage inné : ils doivent apprendre celui-ci. Les mécanismes de l'apprentissage du langage sont plus ou moins complexes, et certains sont biologiquement programmés, disponible dès la naissance. Ainsi, les bébés commencent à apprendre à reconnaitre les sons dans le ventre de leur mère, première étape de l'accès au langage.
 
Apprendre à lire est une chose importante, et ceux qui n'y arrivent pas sont souvent promis à un avenir sombre. De nos jours, l’analphabétisme et l’illettrisme sont relativement rares, et ne concernent que 5% de la population, selon les études réalisées lors de la Journée d'Appel de Préparation à la Défense. Selon les études PIRLS, la majorité des difficultés portent essentiellement sur la compréhension de texte.
Le résultat de cet apprentissage doit être stocké quelque part. Ce que l'on apprend pour parler, ce sont plusieurs choses :
*des suites de sons ou de lettre, qui forment des syllabes que l'on assemble pour prononcer des mots ;
*la prononciation ou l'écriture des mots ;
*les règles syntaxiques et grammaticales ;
 
Cependant, quiconque est familier avec le domaine de l'éducation sait que d'interminables débats sont toujours en cours concernant l’efficacité des différentes méthodes de lecture. Cette querelle sur les méthodes de lecture est relativement caricaturée dans les débats grand public, ainsi que dans la majorité des productions sur le sujet, en une confrontation entre deux camps : les méthodes globales (et semi-globales), et syllabiques. Ce chapitre vise à faire une synthèse des faits avérés sur l'apprentissage de la lecture. Cet article n'est pas totalement exhaustif, même si l'auteur cherche à rendre celui-ci le plus complet possible.
Tout cela doit être stocké en mémoire et doit être utilisable le plus rapidement possible pour parler, écrire ou comprendre un texte ou un discours. On pourrait penser que tout cela est stocké en mémoire sémantique, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. Contrairement à ce que l'on pense, les mots ne sont pas représentés dans le cerveau avec les concepts : les mots ne sont que des étiquettes, qui sont reliés aux concepts dans notre cerveau.
 
==Les mécanismes de la lecture==
Ainsi, les scientifiques ont postulé d'existence d'une mémoire spécialisée dans le langage : le '''lexique mental''', ou mémoire lexicale. Celui-ci contient toutes les informations sur les mots et symboles que l'on connait. Elle permet de savoir comment prononcer un mot, comment l'écrire, etc. Elle contient aussi les symboles comme les lettres, les syllabes, les sons d'une langue (maternelle ou non), et les chiffres, voire certains nombres.
 
Lire est un processus qui fait intervenir diverses zones de notre cerveau, et qui se base sur plusieurs processus : comprendre le sens d'un texte demande l'usage de la mémoire, de nos capacités intellectuelles, d'automatismes liés à la syntaxe, etc. Dans les grandes lignes, comprendre un texte ou un discours implique deux types de processus relativement bien séparés : un processus purement perceptif de reconnaissance des mots et lettres et de nombreux processus grammaticaux, syntaxiques et sémantiques.
Les chercheurs en psychologie ont tenté de savoir comment est organisé ce lexique mental, et quel est son contenu. Ce lexique mental ne serait pas unique : il serait composé de plusieurs lexiques mentaux spécialisés. On trouverait ainsi :
 
===Reconnaissance des mots===
 
L'ensemble des connaissances sur le vocabulaire forme ce qu'on appelle le '''lexique mental''', ou mémoire lexicale. Celui-ci permet de savoir comment prononcer un mot ou comment l'écrire. Il contient aussi les symboles comme les lettres, les syllabes, les sons d'une langue (maternelle ou non), les chiffres, certains nombres, et toutes les notations possibles et imaginables (comme les notations mathématiques, par exemple). Vision et audition sont des portes d'entrée qui permettent d’accéder à ce lexique mental, afin de comprendre respectivement l'écrit et l'oral. Ce lexique mental ne serait pas unique : il serait composé de plusieurs lexiques mentaux spécialisés. On trouverait ainsi :
*un lexique pour la compréhension orale, qui stocke la prononciation des mots.
*un lexique pour la lecture, qui stocke la représentation visuelle et/ou orthographique des mots ;
Ligne 17 :
*et la mémoire sémantique, qui stocke le sens des mots, les concepts qui y sont associés.
 
Le processus de reconnaissance des mots, est la première compétence travaillée par les méthodes de lecture : si l'enfant ne sait pas reconnaitre les mots d'un texte, il ne peut évidemment pas comprendre celui-ci. Donc, l'apprentissage de la lecture doit forcément travailler la reconnaissance de mots isolés en premier lieu. Chez la personne qui a appris à lire, la reconnaissance des mots connus est un processus automatique. Pour le prouver, on peut utiliser l'effet Stroop, qui nous dit que réprimer des automatismes a tendance à allonger les temps de réaction. Et c'est ce qu'on observe dans le cas de la reconnaissance des mots. Par exemple, si on vous demande de donner la couleur d'un mot, vous prendrez beaucoup plus de temps si jamais le mot que question est un adjectif de couleur qui ne correspond à la couleur dans laquelle le mot est écrit : cela vient du fait que le processus automatique de reconnaissance du mot entre en conflit avec le processus d'identification de la couleur, et doit être inhibé. Essayez par vous-même :
Nous avons déjà abordé la mémoire sémantique il y a quelques chapitres. Le lexique de sortie n'est pas si important pour l'acquisition du vocabulaire, aussi nous n'en parlerons pas dans ce chapitre. Nous aborderons les lexiques spécialisés dans la perception des mots.
 
{|
Une autre controverse est née lorsque les chercheurs ont étudiés les cas de personnes bilingues : y-a-t-il un ou plusieurs lexiques mentaux chez ces personnes ? La réponse n'est pas encore connue avec certitude, et plusieurs théories sont en compétition :
|----- bgcolor="silver"
|
'''<span style="color:green">Vert</span> <span style="color:red">Rouge</span> <span style="color:blue">Bleu</span> <span style="color:yellow">Jaune</span> <span style="color:blue">Bleu</span> <span style="color:yellow">Jaune</span>'''
|----- bgcolor="silver"
|
'''<span style="color:red">Bleu</span> <span style="color:green">Jaune</span> <span style="color:blue">Rouge</span> <span style="color:blue">Vert</span> <span style="color:red">Jaune</span> <span style="color:yellow">Vert</span>'''
|}
 
===Compréhension===
* une qui postule un lexique mental unique pour tous les mots,
* une qui postule un lexique mental par langue, avec un stockage du sens séparé ,
* et une autre qui postule un stockage séparé en deux lexiques mentaux, et deux mémoires pour le sens.
 
Les processus sémantiques, syntaxiques et grammaticaux sont impliqués dans la compréhension d'un texte ou d'un discours oral, la mémorisation et le raisonnement. Ceux-ci impliquent fortement la mémoire sémantique, une sous-portion de la mémoire qui stocke les connaissances conceptuelles, la signification des mots. Pour faire très simple, comprendre un texte ou un discours consiste à former un modèle mental de la situation décrite dans le texte/discours. Cela demande juste de former des relations entre connaissances présentes en mémoire sémantique, et à utiliser ces connexions pour récupérer l'information adéquate. Les personnes avec beaucoup de connaissances antérieures pourront donc former plus de relations, leur donnant un avantage en terme de compréhension de texte. C'est ce qui explique que plus le vocabulaire d'un enfant est développé, plus ses capacités de compréhension sont bonnes. Cela provient du fait qu'un vocabulaire développé est souvent relié à une mémoire sémantique développée, remplie de connaissances, de concepts, et d'idées. Avec l'âge, le lexique mental se développe progressivement et s'enrichit de mots. Pour pouvoir parler de manière fluide, que ce soit sa langue maternelle ou une langue étrangère, un élève doit connaitre environ 4000 à 5000 mots dans la langue étrangère à apprendre.
==Acquisition du vocabulaire==
 
[[File:Chart_updated.jpg|centre|Acquisition du vocabulaire.]]
Le lexique mental se développe progressivement au fur et à mesure du temps : plus un enfant devient grand, plus il connait de mots. Pour pouvoir parler de manière fluide, un élève doit connaitre environ 4000 à 5000 mots dans la langue étrangère à apprendre. En conséquence, tout apprentissage d'une langue étrangère voire de la langue maternelle, nécessite de connaitre un nombre suffisant de mots.
 
De plus, la compréhension de texte utilise fortement la mémoire de travail. Automatiser la lecture permet évidemment de libérer de la mémoire de travail, au profit des processus de compréhension. Les expériences sur les élèves montrent que plus l'élève apprend à lire, plus la lecture devient économe en mémoire de travail. Cela a un effet assez positif sur la vitesse de lecture, mais aussi sur la compréhension de texte. Ainsi, les mauvais décodeurs ont des difficultés pour comprendre un texte. Plus un enfant sait déchiffrer vite et bien, plus il sera capable de comprendre le texte qu'il lit<ref>Perfetti, 1988</ref><ref>Yuill et Oakhill, 1991</ref>.
[[File:Chart_updated.jpg]]
 
[[File:Reading_speed_by_age.jpg|centre|thumb|Vitesse de lecture en fonction de l'âge. L'augmentation de la vitesse de lecture est le signe que la lecture s'automatise, devenant de moins en moins consommatrice en ressources attentionnelles.]]
La taille du lexique mental joue beaucoup sur les performances scolaires ultérieures. Pour en donner une illustration, on peut dire que la corrélation entre moyenne scolaire et le nombre de mots connus lors de l'entrée en classe de 5ème est de 0.72. La corrélation est la même avec le taux de redoublement 4 ans plus tard, ce qui est plus élevé que les corrélations avec les tests de QI ou de raisonnement (0.50)[2].
 
==Acquisition du vocabulaire==
===Audition===
 
La mémorisation des mots implique fortement l'audition, et notamment la mémoire de travail auditive : la fameuse boucle phonologique. Des études ont montré une corrélation entre le développement de la boucle phonologique et développement du langage: plus notre boucle phonologique fonctionne bien, plus il est facile de mémoriser des mots. De plus, des études faites sur des patients ayant une boucle phonologique atteinte par des lésions cérébrales montrent que ceux-ci ont de fortes difficultés à acquérir la vocabulaire d'un nouveau langage, alors que leur mémoire verbale à long terme n'est pas touchée.
 
===Automatisation===
 
La reconnaissance des mots écrits est un processus qui se met en place progressivement. Selon le docteur Linnea Ehri, l'apprentissage de la lecture s'effectue en trois grandes phases.
Mais les expériences sur montrent clairement que plus l'élève apprend à lire, plus la lecture devient économe en attention. Au tout début de l'apprentissage, les enfants lisent un nombre limité de mots par minutes. Puis, la lecture s'automatise progressivement : l'élève devient capable de reconnaitre les mots ou portions de mots de plus en plus vite, sans devoir les découper en sons et les déchiffrer consciemment.
 
La toute première étape de l'apprentissage de la lecture a lieu avant même la scolarisation en primaire et l'apprentissage explicite de la lecture. Lors de cette étape, les enfants peuvent reconnaître des mots, qu'ils interprètent comme des dessins : ils peuvent ainsi reconnaître des mots vus régulièrement, comme Carrefour ou Auchan. On parle d''''étape logographique'''. Cette reconnaissance ne se fait pas dans le détail des lettres : à la place, les enfants analysent l'image en se basant sur la forme générale du mot, sa couleur, la couleur des lettres, et divers indices visuels. Sans ces indices visuels, les enfants ne peuvent pas reconnaître le mot : il n'y a aucune intervention du langage oral dans la reconnaissance des mots.
[[File:Reading_speed_by_age.jpg]]
 
Lors de l''''étape alphabétique''', les enfants prennent conscience de l'existence de lettres, et se basent sur le langage oral pour reconnaître des mots : ils font le lien entre lettres et phonèmes. Ces correspondances entre lettres et sons sont utilisées lors de la lecture : l'enfant va alors traduire les lettres en sons, et reconstruira le mot sous forme auditive : c'est là que le mot "entendu" sera reconnu. Au tout début de l'apprentissage, les enfants se basent non sur une prononciation complète des mots, mais se contentent d'une traduction partielle : ils traduisent certaines zones du mot, qui leur servent d'indices pour identifier le mot complet. Par exemple, les enfants peuvent traduire les lettres du début et de fin de mot, et en déduisent quel est le mot. Ce processus est utile, mais pas efficace : les enfants commencent à savoir lire, mais le font lentement, et ont du mal à reconnaître un grand nombre de mots. Par la suite, les enfants lisent lettre par lettre, et fusionnent les sons individuels pour former de mots complets. Cette capacité à fusionner les sons progresse et devient de plus en plus rapide avec le temps, sans pour autant devenir automatique : l'enfant doit faire les conversions lettres -> sons consciemment.
En somme, l'automatisation et la répétition sont une bonne chose pour l'apprentissage de la lecture ou d'une langue étrangère. C'est ce processus d'automatisation qui permet de devenir un bon lecteur, quelle que soit la langue : il est impliqué dans l'usage de la bonne orthographe d'un mot, dans l'usage correct de la grammaire, dans la vitesse de lecture, et j'en passe.
 
Puis, progressivement, les enfants font de moins en moins appel à un déchiffrage des lettres et commencent à reconnaître visuellement des portions de mots. Au lieu de traiter les mots lettre par lettre, ils sont capables de reconnaître des groupes de plusieurs lettres, qui correspondent à des syllabes. La lecture est alors de plus en plus rapide, et devient de plus en plus automatique. L'enfant qui a atteint ce stade a mémorisé l'orthographe des mots, qu'il peut alors reconnaître plus ou moins indirectement. L'enfant peut aussi utiliser ces connaissances orthographiques pour effectuer des analogies entre mots, et en déduire la prononciation de mots nouveaux en se basant sur des mots connus similaires. Cependant, les correspondances entre sons et suites de lettres sont encore utilisées dans certains cas particuliers, notamment pour les mots inconnus. L'enfant a alors atteint l''''étape orthographique'''.
Les ressources attentionnelles libérées peuvent alors servir à mieux comprendre le texte lu : plus un enfant sait déchiffrer vite et bien, plus il sera capable de comprendre le texte qu'il lit<ref>Perfetti, 1988</ref><ref>Yuill et Oakhill, 1991</ref>.
 
==Accès au lexique mental==