« Pour lire Platon/Guide des dialogues/Ménon » : différence entre les versions

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==La première définition de Ménon==
 
{|class=wikitable
|+Première définition : Généralité et énumération
|<small>Laissons donc là Gorgias, puisqu'il est absent. Mais toi, Menon, au nom des dieux, en quoi fais-tu consister la vertu ? apprends-le moi, et ne m'envie pas cette connaissance, afin que si vous me paraissez, toi et Gorgias, savoir ce que c'est, j'aie fait le plus heureux de tous les mensonges, lorsque j'ai dit que je n'ai encore rencontré personne qui le sût.
 
[71e] MENON.
 
La chose n'est pas difficile à expliquer, Socrate. Veux-tu que je te dise d'abord en quoi consiste la vertu d'un homme ? Rien de plus aisé: elle consiste à être en état d'administrer les affaires de sa patrie, et, en les administrant, de faire du bien à ses amis, et du mal à ses ennemis, en prenant bien garde d'avoir rien de semblable à souffrir. Est-ce la vertu d'une femme que tu veux connaître ? il est facile de la définir. Le devoir d'une femme est de bien gouverner sa maison, de veiller à la garde du dedans, et d'être soumise à son mari. Il y a aussi une vertu propre aux enfants de l'un et de l'autre sexe, et aux vieillards : celle qui convient à l'homme libre est autre que celle de l'esclave. [72a] En un mot, il y a une infinité d'autres vertus; de manière qu'il n'y a nul embarras à dire ce que c'est : car selon l'âge, selon le genre d'occupation, chacun a pour toute action ses devoirs et sa vertu particulière. Je pense, Socrate, qu'il en est de 'même à l'égard du vice.</small>
|}
 
 
SOCRATE.
 
N'est-ce qu'à l'égard de la vertu seule, Menon, que tu penses qu'elle est autre pour un homme, et autre pour une femme, et ainsi du reste ? ou penses-tu la même chose par rapport à la santé, la grandeur, la force? Te semble-t-il que la santé d'un homme soit autre que celle d'une femme? ou bien qu'elle a partout le même caractère, en tant que santé, [72e] quelque part qu'elle se
 
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trouve, soit dans un homme, soit en toute autre chose ?
 
MENON.
 
Il me paraît que c'est la même santé pour l'homme et pour la femme.
 
SOCRATE.
 
N'en dis-tu pas autant de la grandeur et de la force? en sorte que la femme qui sera forte, le sera au même titre et par la même force que l'homme. Quand je dis, par la même force, j'entends que la force, en tant que force, ne diffère en rien d'elle-même, qu'elle soit dans un homme ou dans une femme. Est-ce que tu y vois quelque différence?
 
MENON.
 
Aucune.
 
[73a] SOCRATE.
 
Et la vertu sera-t-elle différente d'elle-même en tant que vertu, qu'elle se trouve dans un enfant ou dans un vieillard, dans une femme ou dans un homme ?
 
MENON.
 
Je ne sais comment, Socrate, il me paraît qu'il n'en est pas de ceci comme du reste.
 
SOCRATE.
 
Quoi donc! n'as-tu pas dit que la vertu d'un homme consiste à bien administrer les affaires
 
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publiques, et celle d'une femme à bien gouverner sa maison?
 
MENON.
 
Oui.
 
SOCRATE.
 
Est-il possible de bien gouverner, soit un État, soit une maison, soit toute autre chose, si on ne l'administre sagement et justement?
 
MENON.
 
Non.
 
[73b] SOCRATE.
 
Mais si on les administre justement et sagement, n'est-ce point par la justice et la sagesse qu'on les administrera?
 
MENON.
 
Nécessairement.
 
SOCRATE.
 
La femme et l'homme, pour être bons, ont donc besoin des mêmes choses, savoir, de la justice et de la sagesse?
 
MENON.
 
Cela est évident.
 
SOCRATE.
 
Mais quoi ! l'enfant et le vieillard, s'ils sont déréglés et injustes, seront-ils jamais bons ?
 
MENON.
 
Non certes.
 
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SOCRATE.
 
Mais il faut qu'ils soient sages [73c] et justes?
 
MENON
 
Oui.
 
SOCRATE
 
Tous les hommes sont donc bons de la même manière, puisqu'ils }e sont par la possession des mêmes choses?,
 
MENON
 
Vraisemblablement.
 
SOCRATE.
 
Mais ils ne seraient pas bons de la même manière, si leur vertu n'était pas la même vertu ?
 
MENON.
 
Non sans doute.
 
SOCRATE.
 
Ainsi, puisque la vertu est la même pour tous, tâche de me dire et de te rappeler en quoi Gorgias la fait consister et toi avec lui.
 
MENON.
 
Si tu cherches une définition générale, [73d] qu'est-ce autre chose que la capacité de commander aux hommes?
 
SOCRATE.
 
Voilà bien ce que je cherche : mais dis-moi, Menon, est-ce là la vertu d'un enfant, est-ce celle d'un esclave d'être capable de commander
 
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à son maître? et te semble-t-il qu'on soit encore esclave, alors qu'on commande?
 
MENON.
 
Il ne me le semble point, Socrate.
 
SOCRATE.
 
Cela serait contre toute raison, mon cher. Considère encore ceci. Tu fais consister la vertu dans ia capacité de commander; n'ajouterons-nous pas : justement et non. injustement?
 
MENON.
 
C'est mon avis ; car la justice, Socrate, est de la vertu.
 
[73e] SOCRATE.
 
Est-ce la vertu, Menon, ou quelque vertu?
 
MENON.
 
Que veux-tu dire?
 
SOCRATE.
 
Ce que je dirais de toute autre chose : par exemple, je dirais de la rondeur que c'est une figure ; mais non pas simplement que c'est la figure ; et la raison pourquoi je parlerais de la sorte, c'est qu'il y a d'autres figures.
 
MENON.
 
Tu parlerais juste. Je conviens aussi que la justice n'est pas l'unique vertu, et qu'il y en a d'autres.
 
[74a] SOCRATE.
 
Quelles sont-elles? nomme-les, de même que je te nommerais les autres figures, si tu l'exigeais de moi ; fais la même chose à l'égard des autres
vertus.
 
MENON.
 
Il me paraît que le courage est une vertu, ainsi que la tempérance, la sagesse, la générosité, et une foule d'autres.
 
SOCRATE.
 
Nous voilà retombés, Menon, dans le même inconvénient. Nous ne cherchons qu'une vertu, et nous en avons trouvé plusieurs d'une autre manière que tout à l'heure. Quant à cette vertu unique, qui embrasse toutes les autres, nous ne pouvons la découvrir.
 
MENON.
 
Je ne saurais, Socrate, trouver une vertu telle que tu la cherches, [74b] qui convienne à toutes les vertus, comme, je le ferais par rapport à d'autres choses.
 
SOCRATE.
=L'exemple des abeilles ou la méthode=
|{class=wikitable
|<small>SOCRATE.
 
Il paraît, Menon, que j'ai un bonheur singulier : je ne te demande qu'une seule vertu, et tu m'en donnes un essaim tout entier. Mais, pour continuer l'image empruntée [72b] aux essaims, si, t'ayant demandé quelle est la nature de l'abeille, tu m'eusses répondu qu'il y a beaucoup d'abeilles et de plusieurs espèces, que m'aurais-tu dit, si je t'avais demandé encore : Est-ce précisément comme abeilles que tu dis qu'elles sont en grand nombre, dé plusieurs espèces et différentes entre elles? où ne diffèrent-elles en rien comme abeilles, mais à d'autres égaras, par exemple, par la beauté, la grandeur, ou d'autres qualités semblables? Dis-moi, quelle eût été la réponse à cette question ?
 
MENON.
 
J'aurais dit que les abeilles, en tant qu'abeilles, ne sont pas différentes l'une de l'autre.
 
[72c] SOCRATE.
 
Si j'avais ajouté : Menon, dis-moi, je te prie, en quoi consiste ce par où les abeilles ne diffèrent point entre elles, et sont toutes la même chose; aurais-tu été en état de me satisfaire?
 
MENON.
 
Sans doute.
 
SOCRATE.
 
Eh bien, il en est ainsi des vertus. Quoiqu'il y en ait beaucoup et de plusieurs espèces, elles ont toutes un caractère commun par lequel elles sont vertus ; et c'est sur ce caractère que celui qui doit répondre à la personne qui l'interroge, fait bien dé jeter les yeux, pour lui expliquer [72d] ce que c'est que la vertu. Ne comprends-tu pas ce que je veux dire ?
 
MENON.
 
Il me paraît que je le comprends ; cependant je ne saisis pas encore comme je voudrais le sens de ta question.</small>
|}
 
={{bleu|Agacement de Ménon}}=