« La ville opportunités ou menaces pour la faune nocturne ? » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Ixobrychus (discussion | contributions)
Ixobrychus (discussion | contributions)
Ligne 18 :
 
=== Pollution lumineuse ===
Lorsque l’on parle de faune nocturne, les impacts de l’éclairage public sont bien souvent les premiers cités. Le noir est qualifié d’habitat par certains chercheurs dans le cas des espèces lucifuges (fuyant la lumière contrairement aux espèces photophiles). On parle de pollution lumineuse lorsque les effets engendrés sont néfastes sur l’environnement. Celle-ci peut se traduire de différentes manières : lumière du ciel nocturne, éblouissement, sur-éclairage (Hölker et al., 2010). De nombreuses sources interviennent comme les éclairages publics, les habitations, vitrines, etc. Ces diverses technologies émettent dans des longueurs d’ondes différentes allant même jusqu’à l’ultra-violet ou l’infra-rouge (Jehin & Demoulin, 2009). Or, la faune possède des capacités de perception de la lumière variables selon les espèces. Toutes ne vont pas être impactées de la même manière. A cette explication de variabilité s’ajoute également le cycle de vie, qui intervient comme un facteur prépondérant.
Afin d’illustrer les différents effets de la pollution lumineuse sur la faune en villes, trois classes seront prises comme exemple (insecte, oiseaux et amphibiens) et deux ordres (les tortues faisant partie des reptiles et les chauves-souris faisant parties des mammifères).
Parmi les insectes, les papillons de nuit sont de bons exemples. Ces derniers, actifs la nuit, sont notamment attirés par les petites longueurs d’onde. Lors d’un éclairage en pleine nuit, ils vont s’orienter vers la source lumineuse et voler autour jusqu’à épuisement voire même finir brûlés par la chaleur émise (Van Langevelde et al., 2011). Une étude a montré l’impact de l’installation d’un lampadaire sur un carrefour giratoire en milieu rural. Il a été mesuré que dans un rayon de 200 m autour de la source lumineuse, la plupart des insectes nocturnes avait disparu en l’espace de deux ans (ANPCEN, 2008).
 
Plusieurs explications répondent à ce phénomène. La première est celle évoquée dans le paragraphe précédent tandis que la migration forcée des populations vers des milieux moins éclairés ou encore une prédation plus favorisée sont venues compléter les causes observées (Gaston et al., 2012). En outre, de nombreux insectes nocturnes se reproduisent la nuit. Il a été observé que les sources lumineuses artificielles interagissaient dans la survie des papillons de nuit car les femelles, désorientées, déposaient leurs œufs en des endroits inadaptés pour les larves. Il est estimé en France près de 5 200 espèces de papillons de nuit contre seulement 257 espèces de papillons diurnes. Toutes jouent un rôle écologique important, laissant supposer que si les papillons nocturnes disparaissent en grand nombre, les conséquences en termes de fonctionnement des écosystèmes peuvent être désastreuses (Van Langevelde et al., 2011).
Un autre exemple concerne les jeunes tortues marines. Celles-ci s’orientent en direction de la mer grâce à la lumière des étoiles et de la lune reflétée sur l’eau. Or, seule la moitié des tortues venant d’éclore s’y dirigent, les autres étant désorientées par les lumières artificielles près des plages. Elles s’orientent alors dans la direction opposée, finissant par mourir (Mark, 2001). De plus, la présence ou non de lumière influence le choix des tortues adultes sur le lieu de ponte. En effet, celles-ci évitent les plages illuminées, ce qui a pour conséquence de concentrer les pontes dans des lieux parfois non propices et l’augmentation de la mortalité. Une étude réalisée en Floride indique que cela induit aussi des conséquences sur le sex-ratio des jeunes (Witherington et al., 2003). Ce déséquilibre peut engendrer des problèmes au niveau de la reproduction.
La lumière a également une incidence sur la vie des amphibiens car ces derniers ont un rythme biologique réglé par la lumière. Les résultats de l’étude réalisée par Wise démontrent que la lumière artificielle durant la nuit affecte la physiologie et le comportement de base d'une grande variété d'amphibiens (Wise, 2006). Une autre étude soulève le problème de la lumière sur leur reproduction. Les mâles de grenouilles vertes seraient moins vocaux en présence de lumière. Ces derniers se servent du chant pour attirer les femelles et se reproduire ensuite. Ainsi, la baisse des signaux vocaux a pour conséquence une diminution de la reproduction de ces grenouilles (Baker & Richardson, 2006).
 
Les effets néfastes de la pollution lumineuse sur l’avifaune sont nombreux et pourtant beaucoup moins surveillés que ceux entraînés par la pollution sonore. Les espèces migratrices et sédentaires sont toutes deux concernées par ce phénomène grandissant.
Chez le rouge-gorge familier (Erithacus rubecula), la mésange bleue (Parus caerulus), la mésange charbonnière (Parus Majors) et le merle noir (Turdus merula), les mâles nichant près des sources de lumière dans la ville se mettent à chanter environ 1h20 plus tôt par rapport aux autres oiseaux situés dans des milieux où la pollution lumineuse est absente. Les mâles chantant le matin plus tôt ont plus de chance de séduire les femelles. Cependant, la lumière artificielle engendrant ce phénomène « coupe » le lien entre qualité du mâle et chant du matin. Ce qui signifie que cela rend un mâle plus attractif qu’il ne l’est en réalité au détriment des « bons » mâles (Kempenaers et al., 2010). La réussite de la reproduction de l’espèce pourrait être mise en péril.
 
Sous l’influence des faisceaux lumineux, les femelles commencent à pondre les œufs en moyenne 1,5 jours en avance par rapport à la normale. Ceci entraîne un décalage dans le temps lorsque les oisillons demandent de la nourriture et la disponibilité de cette dernière. La lumière artificielle conduit donc à une mauvaise adaptation du timing de reproduction. Les femelles proches des sources de lumière sont généralement en meilleure condition physique que celles commençant à pondre plus tard dans la saison, mais le nombre d’œufs n’est pas plus important. Une fois les oisillons assez grands pour accompagner les parents, les lumières artificielles sont susceptibles de les désorienter et les empêchent de regagner le nid ou de trouver leur direction. Cela a surtout lieu chez les procellariiformes (albatros, fulmars, pétrels, puffins, etc.) (Kempenaers et al., 2010).
 
Un autre phénomène notable concerne les mâles formant des couples extra-conjugaux lorsque leur territoire se trouve près d’une rue éclairée. Ces mâles sont deux fois plus efficaces pour obtenir plusieurs femelles par rapport aux mâles dont le territoire se situe au centre d’une forêt et non perturbés constamment par la lumière. A noter que ceci n’est pas dû au fait que le territoire des mâles se trouve en lisière de forêt. Au contraire, il a été démontré que les mâles situés dans les lisières non éclairées étaient moins efficaces que ceux situés au centre de la forêt non éclairée (Kempenaers et al., 2010).
Il ne faut pas non plus négliger l’éclairage des automobiles qui entraînent des collisions fréquentes, surtout avec les rapaces nocturnes et les engoulevents.
 
L’éclairage provenant d’édifices tels que les phares, les tours ou les plateformes pétrolières pose également un sérieux problème lors des déplacements migratoires des oiseaux. La majorité des migrateurs et particulièrement ceux allant vers l’Afrique en survolant le Sahara voyagent de nuit en utilisant la position des étoiles pour se repérer. “Cette boussole stellaire n’est pas innée, mais acquise avant le vol migratoire” (Siblet, 2008). Les éclairages sur les constructions entraînent un taux de mortalité très important, que ce soit par collision avec des édifices ou désorientation de l’oiseau qui tournera en rond au-dessus de l’éclairage jusqu’à épuisement. En effet, par mauvais temps et donc mauvaise visibilité, les oiseaux utilisent les étoiles comme repère. Une désorientation peut avoir lieu lorsqu’ils pénètrent dans le dôme lumineux formé au-dessus de la ville. L’éblouissement provoqué les empêche de discerner les étoiles, conduisant à leur égarement. Les oiseaux migrateurs peuvent aussi être très sensibles à une stimulation soudaine de l’œil comme un faisceau lumineux issu d’une lampe de 200 W dirigée vers le haut. Ils peuvent dévier de manière très brutale de leur route initiale, parfois jusqu’à 45°, et l’influence d’un tel faisceau peut être ressentie jusqu’à 1 km de distance par rapport à la source (Siblet, 2008).
Les oiseaux ne sont pas les seuls animaux volants perturbés par la lumière. En effet, les chauves-souris qui s'orientent dans l'obscurité en utilisant les échos de leurs cris ultra-sonores détestent la lumière. “Les chauves-souris sont des espèces lumifuges, explique Josselin Boireau, chargé de mission dans le Groupe mammalogique breton (GMB) à Sizun (Finistère). Elles trouvent généralement refuge sous les charpentes, dans des clochers ou des cavités. Si vous installez un projecteur pour éclairer toute la nuit une église par exemple, vous perturbez le rythme biologique de ces animaux qui ne chassent que dans l'obscurité”. Avec un taux de reproduction déjà très bas (pas plus d'un petit par an), les populations de chiroptères subissent ces pressions anthropiques qui désorganisent totalement leur habitat.
Autre conséquence de cette luminosité: la concurrence entre les espèces. Il en existe une vingtaine en Bretagne. Certaines chauves-souris communes, comme la pipistrelle représentée ci-contre (Pipistrellus pipistrellus),se sont progressivement adaptées aux garde-manger à ciel ouvert que sont les réverbères, contrairement à d'autres, comme le grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum), dont les effectifs n'ont cessé de diminuer depuis trente ans.
 
« Les pipistrelles sont insectivores, comme toutes les chauves-souris européennes, rappelle Josselin Boireau. La nuit, les lampadaires attirent les insectes et ces dernières n'ont plus qu'à se servir. Par contre, le grand rhinolophe, une autre espèce présente en Bretagne, ne chasse que dans l'obscurité la plus totale. Il est donc privé d'une partie de son alimentation. Les scientifiques estiment aujourd'hui que cette compétition interspécifique pour la nourriture pourrait porter préjudice, à terme, à certaines espèces qui n'en avaient vraiment pas besoin ».
Sur les 33 espèces en France, seul le murin à oreilles échancrées (Myotis emarginatus) tolère de la lumière dans son gîte (Museum national d’histoire naturelle, 2014). Les autres chiroptères désertent les clochers, les bâtiments, les cavités, dès lors que les entrées ou sorties sont éclairées. De fait, certaines espèces ont totalement disparu des régions urbanisées.
A court terme, la lumière artificielle peut sembler être une opportunité pour les chauves-souris, notamment au niveau de l’alimentation (à défaut de pouvoir se repérer aux sons, elles se dirigent vers la lumière). En effet, la lumière attire les insectes, qui servent d’alimentation aux chauves-souris. Cependant, à long terme on constate que cette lumière artificielle se révèle en fait être une réelle menace. La corrélation négative de la lumière sur les chauves-souris n'est plus à démontrer : retard dans le temps d'émergence nocturne accompagné d'une perte significative des opportunités de chasse, diminution de la croissance des juvéniles, accroissement de la demande énergétique, ce qui affecte la reproduction. Ces observations se retrouvent pour d’autres taxons.
La pollution lumineuse a des effets démontrables sur l’écologie comportementale des organismes en conditions naturelles (Longcore & Rich, 2004).
Dans l’ensemble, ces effets dérivent des changements d’orientation, désorientation et attraction ou répulsion à cause d’un environnement altéré par la lumière artificielle, ce qui alternativement peut affecter la prédation, la reproduction, la migration et la communication.
Une étude récente (Boldogh et al., SAMU. 2007) a analysé l’éclairage direct des chauves-souris (ici des colonies de Grand rhinolophe, Murin à oreilles échancrées et Petit murins (Myotis blythii)) vivant dans des bâtiments plus ou moins illuminés et non-éclairés, mais dans des bâtiments proches les uns des autres. Les chercheurs ont étudié et comparé les dates des naissances, la masse corporelle et la longueur de l’avant-bras de ces chauves-souris et ont constaté que l’éclairage artificiel retardait le développement des jeunes et qu’il pouvait parfois même anéantir toute une colonie. Les jeunes étaient significativement plus petits dans les bâtiments illuminés que non-éclairés. Les différences de longueur de l’avant-bras et de masse corporelle suggèrent qu’après la mise-bas, le taux de croissance des jeunes est plus faible pour les chauves-souris vivant dans les bâtiments illuminés.
La pollution lumineuse très présente dans les milieux urbanisés affecte grandement la faune diurne et nocturne. Les effets sont souvent indirects mais la lumière artificielle nuit principalement de deux manières.
 
La première concerne la perturbation du cycle biologique de l’animal, ce dernier étant basé sur la succession du jour et de la nuit. Ces perturbations mettent en péril les performances de reproduction de l’espèce (mauvais choix d’emplacement de ponte pour la tortue, sous développement des jeunes chez la chauve-souris, etc.)
La seconde est un phénomène plus direct que la précédente : l’attirance des animaux par la lumière artificielle entraînant leur collision avec des bâtiments (oiseaux migrateurs) et/ou leur désorientation menant à l’épuisement (oiseaux et insectes).
 
=== Structure et organisation du milieu urbain ===