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Le socialisme utopique se développe essentiellement dans deux pays : l'Angleterre et la France. Héritiers des lumières, les penseurs socialistes en essayant de concevoir des sociétés idéales ou des réformes sociales vont se montrer particulièrement inventifs. Leur contestation de la société industrielle se traduit par des plans de transformation rationnelle et scientifique de la société qui sont parfois accompagnés d'expérimentations concrètes. Quatre auteurs marqueront leur époque : Saint-Simon (qui collaborera avec Comte), Charles Fourier, Robert Owen, et Georges Babeuf. Si ces penseurs se rejoignent dans un même idéal socialiste, ils conservent des vues relativement divergentes sur les remèdes qui permettraient de sortir de la crise sociale qui sévit au 19ème siècle.
La réflexion de Saint-Simon se fonde sur une distinction entre d'une part les producteurs qui créent la richesse, et les dirigeants ou gouvernants qui usent du pouvoir ou de la parade et ne créent pas de plus-values réelles. Il oppose ainsi les producteurs à ceux qui occupent des fonctions honorifiques et ne créent rien et qui pourtant captent une grande partie du revenu de la nation. Pour remédier à cette injustice, il propose qu'une élite composée de scientifiques et d'artistes prenne en charge l'évolution de la société en suggérant et en coordonnant des projets de travaux publics. La politique devient alors la science de la production, c'est à dire la science qui a pour objet l'ordre des choses le plus favorable à tous les genres de production, et au bonheur du plus grand nombre. Saint-Simon anticipe ainsi l'organisation technocratique, il prône la rationalisation optimale [[de]] la production en opérant une scission entre la sphère de la technique, celle du travail et celle des dirigeants. À bien des égards, cette analyse reste encore d'actualité. En effet les conflits de régulation qui peuvent advenir entre le pouvoir institutionnalisé au sein d'une entreprise et la sphère des travailleurs ou des producteurs qui connaissent mieux l'environnement technique que les premiers, et qui sont les seuls à produire de la « richesse réelle », restent encore des problèmes centraux en sociologie des organisations.
Mais l'organisation sociale que préconise Saint-Simon laisse peu de place à la liberté individuelle. À l'inverse, un penseur comme Fourier se montre beaucoup plus attentif à celle-ci. Pour Fourier, ce qui compte avant toute chose, c'est le bonheur humain. Pour lui, « Le bonheur (...) consiste à avoir le plus de passions possibles, et les plus ardentes et les plus excessives, et à pouvoir les satisfaire toutes ». Cet hédonisme conduit à l'association industrielle. Le travail devient attrayant car chaque personne s'oriente vers le métier de son choix, de façon spontanée, suivant en cela ses instincts les plus profonds, ceux que même la raison et la réflexion ne peuvent commander. C'est le principe de « l'attraction spontanée », l'association se réalise naturellement, chacun est libre de s'orienter selon ses goûts. En fait, Fourier va plus loin car il considère cette attraction comme l'un des principes fondamentaux de l'univers. Selon lui, elle œuvre à travers toutes formes d'existence : de la matière à la société, il y a une unité du système de mouvement pour le monde matériel et spirituel ou encore, une analogie entre les mouvements organiques, matériel, animal et social. En somme, il y a une homologie structurale entre différents domaines de la réalité. Fourier imagine alors une société idéale, la phalanstère, régie par une mathématique sociale qui tienne compte des lois de l'attraction. Ainsi résout-il simultanément, dans une vue toute théorique, les problèmes de l'adéquation des intérêts individuels et de l'incitation à l'effort. Il prônera également le garantisme social. Remarquons que certains essais de phalanstère se montreront relativement concluants.
Ce qui distingue Fourier d'un penseur comme Saint-Simon, c'est donc qu'il abandonne l'idée du progrès industriel ou de la Raison, au profit de celle du Bonheur. Il marque par là son refus. Il conteste la légitimité du monde industriel qu'il voit naître et rejette l'idée même de calcul ou d'intérêt qui en constitue le sous-bassement pour lui substituer celle beaucoup plus riche de la passion. Par son ambition de transformer le social, Fourier anticipe l'associationnisme et certaines des caractéristiques les plus frappantes de la société moderne. Car, si on observe le développement croissant du bénévolat, la progression numérique des communautés de passionnés, comme celle de Linux par exemple, nous ne sommes pas si éloignés de l'utopie qu'avait rêvée Fourier.