« États généraux du multilinguisme dans les outre-mer/Thématiques/L’emploi des langues : plurilinguisme, pratiques individuelles et pratiques sociales » : différence entre les versions

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Bonjour à tous.
 
J’ai eu en charge la direction des langues régionales du conseil général de Mayotte pendant 2deux ans, de 2009 à 2011, avant de rejoindre le cabinetCabinet du présidentPrésident du conseilConseil général, il y a quelques mois. C’est effectivement à ce titre, en temps qu’ancienne responsable de cette structure, que j’ai été conviée aujourd’hui. Cela dit, mon propos sera forcément en lien avec ma mission actuelle qui consiste à faire le suivi des orientations politiques du président auprès de l’administration.
 
En ce qui concerne mon travail à la direction des langues régionales, mon équipe et moi-même avons été sollicités par l’exécutif de l’époque pour mettre en place une politique de sauvegarde en direction des langues mahoraises, mais également pour sensibiliser la population tant mahoraise que non mahoraise, sur la nécessité de cette sauvegarde. Mais quand on parle de "nécessité", on comprend par là que le combat est loin d'être gagné, qu'il faut encore convaincre, gagner les autres à sa cause et leur faire prendre conscience d'une réalité, ici de nature linguistique.
En ce qui concerne mon travail à la direction des langues régionales, nous avons été sollicités par l’exécutif de l’époque pour mettre en place une politique de sauvegarde en direction des langues mahoraises, mais également pour sensibiliser la population aussi bien mahoraise que le reste de la population, sur la nécessité de cette sauvegarde. On me pose toujours la question de savoir si les langues mahoraises sont véritablement en danger pour que l’on ait besoin de sauvegarde, et ma réponse est oui. Oui quand on voit que l’utilisation qui est faite auprès des jeunes aujourd’hui, auprès du public scolaire, est une utilisation quelque peu approximative. Il y a donc des raisons de s’inquiéter de l’évolution de ces langues mahoraises. Alors, quelles sont-elles ? Nous avons trois langues qui sont majoritairement parlées à Mayotte : la langue française, langue officielle, le [[w:Mahorais|shimaoré]] qui est d’origine [[w:Langues bantoues|bantoue]], le [[w:Shibushi|shibushi]] qui appartient à la famille des [[w:Langues malayo-polynésiennes|langues malayo-polynésiennes]]. S’interroger sur leur emploi dans la société mahoraise, cela signifie analyser les usages linguistiques, les codes de langage, les pratiques des locuteurs en tout temps mais également en tout lieu, dans la mesure où tout espace qui est physiquement occupé et potentiellement un espace de production verbale ou écrite ou un lieu d’interaction pour les individus. Ces usages ou ces pratiques sont nécessairement à mettre en lien avec les comportements généraux ou spécifiques des locuteurs et avec les choix opérés par ces derniers, étant entendu que les uns comme les autres sont tributaires des représentations sociales et culturelles qui sont à l’œuvre sur le territoire. L’emploi des langues présuppose la définition d’un territoire symbolique qui permette au locuteur de dire son identité, mais encore faut-il savoir quelle langue utiliser dans son environnement, dans les espaces que l’on investit, sur des territoires anciennement colonisés tels que les nôtres, tels que Mayotte et dans lesquels les langues régionales n’ont pas encore véritablement leur place. La pratique des langues mahoraises jusque là inscrite dans un climat social apaisé est un peu mis à mal, notamment par des discours idéologiques qui incitent le locuteur à subir l’impératif de la pratique de la langue française ou qui le place dans une incapacité à se défaire de ces discours. L’un de ces derniers consiste ainsi à faire croire que la pratique libre du shimaoré ou du shibushi ne permet pas aux mahorais de maîtriser la langue française, langue de la réussite scolaire. Un tel propos ne peut évidemment pas être compris par les mahorais parce que cela signifierait que l’inverse est également vérifiable, en ce sens que la pratique accrue du français est susceptible de freiner ou d’étouffer le développement des langues mahoraises. Mais affirmer l’un comme l’autre de ces discours, le discours réel et le discours hypothétique, reviendrait finalement à vivre le plurilinguisme plutôt comme une voie sans issue au lieu de le considérer comme une ouverture ou comme le début du rapprochement entre les cultures. Affirmer cela reviendrait aussi à laisser sous-entendre que la coexistence des langues en présence sur le territoire mahorais constituerait un problème et que les institutionnels seraient dans l’impossibilité de prendre en charge une société où le multilinguisme a toujours existé et où les locuteurs sont plurilingues. Le discours idéologique qui lui est réel, est assez dévastateur. Il culpabilise le mahorais dans son effort d’apprentissage ou dans sa réappropriation de la langue française, mais également dans sa pratique de sa langue première. Sa force ou sa persistance est que ce discours joue sur la peur que le mahorais peut avoir par rapport à l’avenir de sa progéniture. On lui fait comprendre que si cette progéniture ne maîtrise pas correctement la langue française, alors son avenir sera quelque peu compromis. Mais en vérité nous avons le sentiment que les affirmations idéologiques dont nous parlons ici, ne font que détourner notre attention du véritable problème, en faisant des langues régionales de Mayotte des espèces de boucs émissaires. Ces affirmations idéologiques ne permettent pas de rechercher la ou les causes véritables de la défaillance de la politique de la maîtrise de la langue française au sein du territoire mahorais. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le devenir de notions telles que plurilinguisme ou pratique linguistique, parce que l’une comme l’autre tendent à perdre de leur sens et de leur fonctionnalité, tout comme le locuteur mahorais perd actuellement ses repères linguistiques et culturels alors qu’auparavant il savait quand et comment employer les trois principales langues du territoire : le français à l’école et face à un interlocuteur qui ne pratiquait pas les langues mahoraises, et les langues mahoraises en dehors des deux cadres indiqués, quel que soit le lieu d’expression. Pour ce locuteur-là, l’essentiel était l’intercompréhension avec son interlocuteur, c’est pourquoi il ne s’inquiétait pas de savoir si l’espace de la pratique du shimaoré ou du shibushi dévorait celui de sa pratique de la langue française. Aujourd’hui, le locuteur mahorais est dans l’obligation de réinventer d’autres espaces d’expression pour sa langue première, ce qui pose ici la question de la survivance des langues mahoraises à long terme, mais en même temps celle de la capacité à mettre en place des politiques linguistiques publiques adaptées sans que cela ne se fasse au détriment d’une langue et ce, quels que soient le statut et la valeur conférés à celle-ci. Agir au lieu de subir. Cela est plus que nécessaire quand l’on voit que la perception du mahorais à l’égard de ses langues premières a changé et que celui-ci finit par s’autocensurer dans sa pratique individuelle ou sociale des langues mahoraises car il considère que cette pratique est dévalorisante, qu’elle altère l’image qu’il souhaite projeter au reste de la société, à savoir celle d’un individu qui a réussi le défi de maîtriser la langue française et qui ne se trouve pas ou qui ne se trouve plus dans le groupe peu envieux, selon lui, de ceux qui peinent encore dans leur acquisition linguistique. Pour le locuteur mahorais décrit à l’instant, parler français est valorisant et ne plus parler shimaoré ou shibushi, quel que soit son interlocuteur, est encore plus valorisant. C’est paradoxal à dire mais cela fait partie des choses qui sont ressenties. Ce rejet de la langue première est, avant tout, la négation consciente ou dont la portée n’est pas encore complètement mesurée de sa propre identité. Il ne permet pas de se construire à partir de sa culture. Alors le discours de la culpabilisation permanente finit-il par déteindre sur ce locuteur ? C’est une question qui resterait à approfondir. Agir au lieu de subir, voilà précisément où nous en sommes à Mayotte et voilà la gageure que le politique mahorais doit relever avec des moyens financiers qui resteraient à redéfinir si l’on estime que la question des langues fait partie des priorités du pays. Je vous remercie.
 
Lorsque j'aborde cette question de "nécessité" donc, mes interlocuteurs me posent toujours la question de savoir si les langues mahoraises sont véritablement en danger pour que l’on ait besoin de les sauvegarder. Et de mon côté, je leur réponds toujours "oui". "Oui" quand l'on voit que l’utilisation de ces langues auprès des jeunes aujourd’hui, auprès du public scolaire, est une utilisation quelque peu approximative. Il y a, par conséquent, des raisons de s’inquiéter de l’évolution des langues mahoraises, que nous allons à présent identifier.
 
Nous avons trois langues qui sont majoritairement parlées à Mayotte : la langue française, langue officielle, le [[w:Mahorais|shimaoré]] qui est d’origine bantoue et le [[w:Shibushi|kibushi]] qui appartient à la famille des Langues malayo-polynésiennes.
 
S’interroger sur leur emploi dans la société mahoraise, cela signifie analyser les usages linguistiques, les codes de langage, les pratiques des locuteurs en tout temps mais également en tout lieu, dans la mesure où tout espace qui est physiquement occupé est potentiellement un espace de production verbale ou écrite ou un lieu d’interaction pour les individus. Ces usages ou ces pratiques sont nécessairement à mettre en lien avec les comportements généraux ou spécifiques des locuteurs et avec les choix opérés par ces derniers, étant entendu que les uns comme les autres sont tributaires des représentations sociales et culturelles qui sont à l’œuvre sur le territoire. L’emploi des langues présuppose la définition d’un territoire symbolique qui permette au locuteur de dire son identité, mais encore faut-il savoir quelle langue utiliser dans son environnement, dans les espaces que l’on investit, sur des territoires anciennement colonisés tels que les nôtres, tels que Mayotte, et dans lesquels les langues régionales n’ont pas encore véritablement leur place.
 
La pratique des langues mahoraises, jusque là inscrite dans un climat social apaisé, est un peu mise à mal, notamment par des discours idéologiques qui incitent le locuteur à subir l’impératif de la pratique de la langue française ou qui le placent dans une incapacité à se défaire de ces discours. L’un de ces derniers consiste ainsi à faire croire que la pratique libre du shimaoré ou du kibushi ne permet pas aux Mahorais de maîtriser la langue française, langue de la réussite scolaire.
 
Un tel propos ne peut évidemment pas être compris par les Mahorais parce que cela signifierait que l’inverse est également vérifiable, en ce sens que la pratique accrue du français est susceptible de freiner ou d’étouffer le développement des langues mahoraises. Mais affirmer l’un comme l’autre de ces discours, le discours réel et le discours hypothétique, reviendrait finalement à vivre le plurilinguisme plutôt comme une voie sans issue au lieu de le considérer comme une ouverture ou comme le début du rapprochement entre les cultures.
 
Affirmer cela reviendrait aussi à laisser sous-entendre que la coexistence des langues en présence sur le territoire mahorais constituerait un problème et que les institutionnels seraient dans l’impossibilité de prendre en charge une société où le multilinguisme a toujours existé et où les locuteurs sont plurilingues.
 
Le discours idéologique, qui, lui, est réel, est assez dévastateur. Il culpabilise le mahorais dans son effort d’apprentissage ou dans sa réappropriation de la langue française, mais également dans sa pratique de sa langue première. Sa force ou sa persistance est que ce discours joue sur la peur que le Mahorais peut avoir par rapport à l’avenir de sa progéniture. On lui fait comprendre que si cette progéniture ne maîtrise pas correctement la langue française, alors son avenir sera quelque peu compromis. Mais en vérité nous avons le sentiment que les affirmations idéologiques dont nous parlons ici ne font que détourner notre attention du véritable problème, en faisant des langues régionales de Mayotte des espèces de boucs émissaires. Ces affirmations idéologiques ne permettent pas de rechercher la ou les cause(s) véritable(s) de la défaillance de la politique de la maîtrise de la langue française au sein du territoire mahorais.
 
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le devenir de notions telles que "plurilinguisme" ou "pratique linguistique", parce que l’une comme l’autre tendent à perdre de leur sens et de leur fonctionnalité, tout comme le locuteur mahorais perd actuellement ses repères linguistiques et culturels alors qu’auparavant il savait quand et comment employer les trois principales langues du territoire, à savoir : le français à l’école et face à un interlocuteur qui ne pratiquait pas les langues mahoraises, quel que soit le lieu d’expression, et les langues mahoraises dans d'autres circonstances.
 
Pour ce locuteur-là, l’essentiel était l’intercompréhension avec son interlocuteur, c’est pourquoi il ne s’inquiétait pas de savoir si l’espace de la pratique du shimaoré ou celui de la pratique du kibushi dévorait celui de sa pratique de la langue française. Aujourd’hui, le locuteur mahorais est dans l’obligation de réinventer d’autres espaces d’expression pour sa langue première, ce qui pose ici la question de la survivance des langues mahoraises à long terme, mais en même temps celle de la capacité à mettre en place des politiques linguistiques publiques adaptées sans que cela ne se fasse au détriment d’une langue et ce, quels que soient le statut et la valeur conférés à celle-ci.
 
Agir au lieu de subir. Cela est plus que nécessaire quand l’on voit que la perception du Mahorais à l’égard de ses langues premières a changé et que celui-ci finit par s’autocensurer dans sa pratique individuelle ou sociale des langues mahoraises car il considère que cette pratique est dévalorisante, qu’elle altère l’image qu’il souhaite projeter au reste de la société, à savoir celle d’un individu qui a réussi le défi de maîtriser la langue française et qui ne se trouve pas ou qui ne se trouve plus dans le groupe peu envieux, selon lui, de ceux qui peinent encore dans leur acquisition linguistique.
 
Pour le locuteur mahorais décrit à l’instant, parler français est valorisant et ne plus parler shimaoré ou kibushi, quel que soit son interlocuteur, est encore plus valorisant. C’est paradoxal à dire mais cela fait partie des choses qui sont ressenties. Ce rejet de la langue première est, avant tout, la négation consciente ou dont la portée n’est pas encore complètement mesurée, de sa propre identité. Il ne permet pas de se construire dans et à partir de sa culture. Alors le discours de la culpabilisation permanente finit-il par déteindre sur ce locuteur ? C’est une question qui resterait à approfondir. Agir au lieu de subir, voilà précisément où nous en sommes à Mayotte et voilà la gageure que le politique mahorais doit relever avec des moyens financiers qui resteraient à redéfinir, si l’on estime que la question des langues fait partie des priorités du pays.
 
 
Je vous remercie.