« États généraux du multilinguisme dans les outre-mer/Discours » : différence entre les versions

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Cette page regroupe tous les discours qui ont été prononcés lors des cérémonies d'ouverture et de clôture des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer
=== Monsieur le vice-président du conseil régional, monsieur Jocelyn HO-TI-NOE===
 
Bonsoir Mesdames,
Bonsoir Messieurs,
Monsieur le Préfet,
En tout premier lieu je tiens à vous remercier pour avoir répondu aussi nombreux à l’invitation conjointe du préfet de région et du président Rodolphe Alexandre qui, au moment même où je vous parle est en route pour Brasilia où il doit rejoindre la délégation conduite par le premier ministre, Monsieur François Fillon, en visite officielle au Brésil pour défendre ensemble, auprès de la présidence de la République Fédérale du Brésil, l’intérêt de la Guyane, notamment par rapport aux effets néfastes de l’orpaillage clandestin. Le président de région ne pouvant déroger à la sollicitation du premier ministre a été obligé de changer tout son programme de la semaine et de reporter la signature des conventions à laquelle il doit procéder avec le ministre de la culture et de la Communication, Monsieur Frédéric Mitterrand. En ma qualité de vice-président du conseil régional, je suis appelé à le remplacer et c’est avec grand plaisir que je vous accueille, en son nom et au nom de la région, à l’occasion de cette cérémonie d’ouverture des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer.
Nous nous réjouissons que la Guyane soit aujourd’hui la terre d’accueil des réflexions transverses de tous les outre-mer dans ce domaine. Il s’agit en effet, ici, d’aborder un thème qui concerne tout particulièrement la Guyane, car il est constitutif de son identité. Notre région est un territoire singulier au sein duquel plusieurs entités culturelles et donc linguistiques sont présentes. Langue, identité, ethnicité sont des notions indissociables et elles ne peuvent être évoquées séparément. Peut-on traiter de l’une sans évoquer l’autre ? La question est posée. La réponse sera sans doute apportée au cours de vos débats. N’allez surtout pas croire que j’ai pour ambition de paraphraser des notions que les recherches philosophiques et sociologiques ont largement explicitées. Je ne peux que vous livrer mes réflexions personnelles et partager avec vous une des préoccupations majeures de l’exécutif régional, celle de l’unité de notre société dans le respect des différences des communautés qui la composent.
Ces États généraux du multilinguisme offrent l’opportunité d’en débattre sans préalable théorique ou idéologique, dans une approche linguistique mettant l’accent sur la problématique du multilinguisme. Nous savons les risques de fracture sociétale, la nécessité d’éviter les pièges du communautarisme. Les exemples ne manquent pas, dans un contexte de mondialisation des échanges, de survenue de tensions entre communautés. Il est donc légitime de poser le débat du multilinguisme et, plus particulièrement, des rapports entre langues régionales et langue nationale dont notre territoire est une illustration. L’originalité de la société guyanaise est qu’elle peut être définie comme un groupe social hétérogène dont les membres, indépendamment de leur appartenance ethnique et de leur langue maternelle, partagent le sentiment d’avoir des origines communes construites autour d’un socle où se sont entremêlées les cultures amérindiennes, bushinenge et créoles, renforcés par des vagues d’immigration successives, qui revendiquent une histoire et un destin commun et singulier, possèdent un ou plusieurs caractères spécifiques et ont le sentiment de leur unité et de leur singularité.
Sans prétendre à l’exhaustivité, il convient de rappeler que la Guyane comporte, hormis le français qui est notre langue officielle et véhiculaire, celle de l’état nation, plusieurs langues régionales dont je me contenterai d’en énumérer ici quelques unes et sans ordre hiérarchique. Les langues amérindiennes, les langues créoles, les langues bushinenge, ainsi que des langues d’immigration : le portugais, le brésilien, le créole haïtien, les créoles martiniquais, guadeloupéen et saint-lucien, le mandarin et le raka, l’anglais du Guyana, le sranan tongo du Surinam, l’espagnol caribéen et sud-américain.
À partir de cette simple énumération, on serait tenté de dire qu’il y a autant de langues usitées en Guyane que de communautés culturelles et linguistiques. On voit bien qu’il n’y a pas, en réalité, de classement qui aille de soi, et l’un des premiers résultats que nous sommes en droit d’attendre des États généraux du multilinguisme en Guyane est qu’il contribue à un véritable travail de clarification sur le statut des différentes langues usitées sur notre région.
Sont-elles toutes des langues régionales ? Devons-nous en distinguer celles qui ne seraient que de simples dialectes ? À défaut de pouvoir répondre à ces questions, je me réjouis que la Guyane puisse, sous cette forme, constituer un véritable laboratoire pour le multilinguisme.
Et en dehors de ce travail de classification que je laisse volontiers aux spécialistes présents dans la salle, permettez-moi de dire que le multilinguisme est sans doute une chance pour notre société. Notamment en ce qu’il constitue un vecteur multiple de communication, mais tout autant un enjeu de développement dont nous devons veiller qu’il ne serve de support au communautarisme. Sous ce rapport, il me faut vous dire que si la région de Guyane est favorable à un travail de clarification des langues régionales, elle est somme toute aussi pour une véritable politique du multilinguisme. C’est-à-dire une politique basée sur la promotion des langues régionales au-delà des limites strictes des groupes de référence auxquels elles s’attachent. C’est de cette façon que nous pourrons passer d’une situation de multilinguisme comme emblème communautariste, à une situation de multilinguisme comme ferment de la société globale. C’est notamment ce qui nous a conduit à organiser pour la première fois, en avril 2011, une grande réunion de tous les chefs coutumiers amérindiens et bushinenge à Cayenne à la cité administrative régionale afin de leur permettre à tous de se rencontrer, de se parler, de partager. C’est également ce qui nous a convaincu d’organiser, il y a cela quelques jours à peine, les premières journées des peuples autochtones qui se sont tenues sur la place des Palmistes les 9 et 10 décembre et qui ont permis aux peuples amérindiens de Guyane, je crois, du moins j’en suis convaincu, de se réapproprier leur juste place au sein de la société guyanaise, à savoir au centre et non à la marge. Et c’est ce qui nous incitera, demain, à poursuivre nos efforts afin de contribuer au décloisonnement et au rassemblement de l’ensemble des communautés qui composent la Guyane.
Au fond, je ne pense pas que le multilinguisme soit en lui-même une contrainte. Je crois, au contraire, qu’il doit se nourrir du principe républicain de l’égalité entre tous les hommes et, plutôt que d’être une source d’exclusion, constituer, sur ce fondement, un vrai progrès tourné vers l’expression de la diversité. Plutôt que de risquer d’opposer les communautés culturelles qui composent notre société, il vaut mieux organiser leur interaction par le truchement des idiomes et allonger ainsi les chaines de solidarité à la base de notre société. Il y a ici un enjeu de développement majeur qui porte plus largement sur la capacité de notre société à intégrer que sa propension à exclure.
Dans la configuration particulière de la Guyane, la meilleure illustration de ce phénomène est donnée par l’école, pour laquelle les plus grands spécialistes ont démontré, depuis longtemps, que l’usage d’une langue régionale ou maternelle comme langue d’appoint se révèle être un bon allié pour la compréhension de la langue officielle qui est la langue de l’école. Ce qui est valable pour le milieu restreint de l’école est à fortiori extensible à la société globale pour laquelle il nous faut éviter aussi que certaines langues ne passent pour mortes et constituent pour ceux qui les utilisent une cause de repli sur soi. Ce serait pratiquement détourner la langue en tant que vecteur de communication de sa fonction première.
Dès lors que des langues sont associées à des communautés culturelles, elles ont vocation, en tant qu’idiome de base, à soutenir une plus grande participation de ceux qui les utilisent à notre société globale. Le multilinguisme peut, de cette façon, être appréhendé comme un support de l’inter culturalité et le reflet même de notre métissage. Il doit pouvoir se fonder à la fois sur la superposition, la juxtaposition et le mélange des langues. L’enjeu est en réalité de taille puisqu’il porte sur la capacité de notre société à renforcer sa base sociale en organisant un véritable dialogue entre les différentes communautés culturelles qui la composent. Mais il porte aussi sur l’opportunité donnée à chacun de renégocier à tout moment son identité de base dans le moule de l’identité collective ou nationale à laquelle se trouve attaché l’usage de la langue officielle.
Je conclus simplement mon propos en vous souhaitant le meilleur pour vos travaux. Je vous remercie.