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'''Crépuscule des idoles ou Comment philosopher à coups de marteau''' (''Götzen-Dämmerung oder wie man mit dem Hammer philosophirt'' ; le sous-titre est parfois traduit : ''Comment philosopher à coups de marteau'', mais cette traduction peut induire en erreur) est une œuvre du philosophe [[Philosophie/Nietzsche|Friedrich Nietzsche]] écrite et publiée en 1888 et conçue comme un résumé de sa philosophie. Le titre est une référence ironique au ''Crépuscule des dieux'' de Richard Wagner. Elle est composée d'un avant-propos, de dix chapitres et d'un extrait d'''[[w:Ainsi parlait Zarathoustra|Ainsi parlait Zarathoustra]]'' (« Le marteau parle »).
{{wikisource}}
== Analyse de l'œuvre ==
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« 11. Un âne peut il être tragique ,_périr sous un fardeau que l'on ne peut ni porter ni rejeter?... le cas du philosophe»
 
« 12. si l'on possède son pourquoi? de la vie, on s'accomodes’accommode de presque tous les comment?_L'homme n'aspire pas au bonheur; il n'y a que l'anglais qui fait cela »
 
« 24. à force de vouloir chercher les origines on devient écrevisse. l'historien voit en arrière; il finit par croire en arrière»
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Nietzsche passe à l'examen du cas de [[Philosophie/Socrate|Socrate]] qui a une valeur de type pour la réflexion sur la dévaluation de la vie par les sages. Il y distingue plusieurs caractèristique physiques, sociales et morales :
*Socrate était peuple ;
*il est laid, ce qui semble exprimer un développement de tendances contradictoires dues au metissagemétissage ;
*Socrate est le type du criminel, ce qui est confirmé par le témoignage de [[w:Cicéron|Cicéron]] : un physionomiste dit à Socrate qu'il était un monstre dissimulant les pires [[vice]]s et les pires appétits ; or, Socrate répondit : « comme vous me connaissez bien ! »
 
Il est donc avéré que Socrate était atteint d'un désordre anarchique des instincts ; c'est un premier indice de décadence. Nietzsche y ajoute :
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:'''raison = vertu = bonheur'''
 
qui est si peu naturelle et ne correspond pas à la civilisation Hellène. En effet, selon Nietzsche, le goût des Grec, avec Socrate, s'altère au profit de la [[w:dialectique|dialectique]] ; mais cette dernière ne vaut pas grand chose, car :
:« partout où l'autorité est encore de bon ton, partout où l'on ne donne pas des « raisons », mais des ordres, le dialecticien est une sorte de pitre. »
 
Comment Socrate est-il donc parvenu à imposer la [[w:dialectique|dialectique]] ? Pour Nietzsche, on use de la dialectique que lorsque l'on n'a pas d'autres moyens, c'est une arme de fortune pour ''conquérir son droit de haute lutte''. Il faut donc que cette usage soit l'expression d'une révolte, d'un ressentiment plébéien. Nietzsche formule l'hypothèse que Socrate se vengeait des aristocrates qu'il parvenait à fasciner : la dialectique en effet réduit l'autre à l'impuissance (exemple de la torpille dans le ''Ménon''), et ''laisse le soin à l'adversaire de prouver qu'il n'est pas un crétin''.
 
Mais il reste à expliquer comment Socrate a pu fasciner.
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En premier lieu, la dialectique a séduit l'instinct agonal des Grecs qui aimaient les joutes physiques et intellectuelles aux connotations érotiques.
 
Mais l'[[w:intuition|intuition]] fondamentale de Socrate fut de comprendre que son cas n'était pas isolé ; le monstre qu'il était se cachait partout : il fallait une cure contre la [[w:tyrannie|tyrannie]] des instincts. Or, on sait que Socrate répondit au physionomiste au sujet des pires appétits que ce dernier voyait en lui :
: « C'est vrai, mais je les ai tous maîtrisés. »
 
Ainsi Socrate fascinait-il en ce qu'il semblait être une solution, une guérison du mal dont on souffrait.
 
Ce que l'on peut conclure de cet examen du cas de Socrate, c'est que lorsque la [[w:raison|raison]] devient un [[w:tyran|tyran]], elle est une ''planche de salut'' : le désespoir est au fond de la [[philosophie]] spéculative grecque. Il fallait ''être raisonnable jusqu'à l'absurde'' pour ne pas sombrer ; toute philosophie morale qui se développe alors a donc des causes pathologiques et se traduit par l'équation citée ci-dessus : pour être heureux, il faut être lucide, rationnel, sinon on sombre dans l'obscurité de l'[[Philosophie/Inconscient|inconscient]], dans le déchainement des instincts.
 
Mais cette médecine socratique est en réalité une illusion ; on n'échappe pas ainsi à la [[w:décadence|décadence]], on ne fait que l'exprimer sous une autre forme. Cette forme consiste à lutter contre ses instincts ; or - avoir besoin de lutter contre ses instincts, c'est la définition de la décadence (l'anarchie vue plus haut). Tant que la vie est ascendante, le bonheur s'identifie à l'instinct.
 
La dernière phrase de Socrate indique peut-être qu'il avait compris ce qu'il en était réellement de sa méthode de ''guérison'' : une duperie de soi. Selon Nietzsche, Socrate, fatigué de vivre, força Athènes à lui donner la cigüe. Que signifie alors ses dernières paroles ? Nietzsche les interpréteinterprète ainsi :
:« Socrate n'est pas médecin, s'est-il murmuré à lui-même : la mort seule est médecin... Socrate, lui, n'a fait qu'être longtemps malade... »
 
=== La « raison » dans la philosophie de Nietzsche ===
 
Le chapitre précédant a montré en quoi l'équation ''raison = vertu = bonheur'' est pour Nietzsche une formule typique de la philosophie [[Philosophie/Morale|morale]], et par quel type d'hommes elle est nécessairement formulée. Mais cette équation a également une place fondamentale dans l'histoire de la [[w:métaphysique|métaphysique]] occidentale. Le présent chapitre en examine le premier terme, la [[w:raison|raison]] ; les autres aspects seront abordés plus loin.
 
Qu'est-ce qui caractérise le mieux les [[philosophe]]s ? Nietzsche distingue deux traits typiques :
*le point de vue adopté sur les idées : l'[[w:éternité|éternité]] ;
*le renversement de la [[w:causalité|causalité]] naturelle.
 
Le premier trait caractéristique est donc, selon Nietzsche, le point de vue que les philosophes voudraient prendre sur les idées : c'est le point de vue de l'[[w:éternité|éternité]]. Dans cette perspective, ils considèrent le devenir, le changement, la [[Philosophie/Mort|mort]], la croissance, etc. comme des réfutations, car ils ne croient qu'en l'[[w:Être|Être]] :
:« Ce qui est ne devient pas, ce qui devient n'est pas. »
 
Pourtant, si l'être est réalité et vérité, comment expliquer que nous ne le saisissions jamais ? À cette question cruciale, les philosophes répondent que ce sont les sens les coupables. Ce sont les [[w:sens|sens]] qui nous trompent sur le monde vrai : la foi aux sens est une illusion et le corps n'est ''qu'une pitoyable idée fixe des sens''.
 
Or il est évident pour Nietzsche que ce ne sont pas les sens qui nous trompent, mais l'usage que nous en faisons : c'est notre conception de la ''raison'' qui fait que nous faussons le témoignage des sens. Les sens ne mentent pas, car ils nous montrent le changement et l'impermanence, et c'est ce monde apparent qui est vrai ; le monde vrai des philosophes est un [[w:mensonge|mensonge]] qu'on y ajoute.
 
Nietzsche passe alors à l'examen de l'autre idiosyncrasie des philosophes : confondre ce qui vient en premier et ce qui vient en dernier, i.e. le renversement de la causalité. Cette erreur consiste à placer les [[concept]]s de la raison au commencement de tout, car ces concepts étant considérés comme supérieur au monde des sens, ils ne sauraient en provenir. Il faut au contraire que ces concepts soient sans naissance, ''causa sui'', car aucun d'eux n'a pu devenir. Mais toutes ces idées sont équivalentes en valeur et il ne doit pas y avoir de contradiction entre elles ; il faut donc encore qu'elles se trouvent réunies dans un être ultime, « [[Dieu]] », placé à l'origine comme en soi, comme réalité la plus réelle.
 
Mais d'où viennent ces abstractions ? Ce sont des préjugés de la raison qui nous conduisent à utiliser l'[[w:unité|unité]], l'[[w:identité|identité]], la [[w:substance|substance]], la [[w:causalité|causalité]], l'[[w:être|être]], etc. Ces préjugés s'expliquent par la [[w:métaphysique|métaphysique]] du [[Philosophie/Langage|langage]] qui constitue la raison. Le [[Philosophie/Langage|langage]] remonte en effet à des temps très anciens et reflète une mentalité fétichiste quant à la causalité des agents naturels. L'erreur originelle que véhicule le langage est donc l'erreur de la [[w:causalité|causalité]] de la [[w:volonté|volonté]] : cette idée est celle d'un agent qui agit, donc d'un moi, d'une substance, enfin : d'un être.
 
Ces [[w:catégorie|catégorie]]s inscrites dans le langage sont devenues par la force des choses les catégories de la [[w:pensée|pensée]], et les philosophes ont cru y trouver l'expression de notre origine supérieure du fait de leur certitude subjective.
 
La conclusion de Nietzsche sur l'ensemble de ces points est que nous serons toujours ramenés à l'idée de l'[[w:Être|Être]] si nous donnons foi à cette ''raison'' du langage :
:« oh, quelle horrible vieille trompeuse ! Je crains que nous ne puissions nous débarasserdébarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire... »
 
=== Comment, pour finir, le « monde vrai » devint fable ===
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Nietzsche expose et résume les grandes étapes de l'idée de « monde vrai » telle qu'elle se présente dans l'histoire de l'[[Occident]].
*Le monde vrai accessible au sage : [[Philosophie/Platon|Platon]].
*Le monde vrai inaccessible, mais promis aux vertueux : [[w:Christianisme|Christianisme]].
*Le monde vrai inaccessible, mais en tant qu'il est pensé, un impératif : [[w:Kant|Kant]].
*Le monde vrai inaccessible et inconnu, il n'engage plus à rien : [[w:positivisme|positivisme]].
*Le monde vrai, une idée inutile et donc réfutée : moment de l'esprit libre.
*Le monde vrai aboli, le monde de l'apparence l'est aussi : fin de l'erreur la plus longue et moment de [[w:Ainsi parlait Zarathoustra|Zarathoustra]].
 
=== La morale, une anti-nature ===
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Dans ce chapitre, Nietzsche examine le problème de la [[Philosophie/Morale|morale]] ; ce problème est l'un des termes de l'équation formulée plus haut. Loin d'être opposé à toutes morales, comme pourrait le laisser croire le titre (l'immoralisme de Nietzsche ne consiste pas en effet à refuser toutes les formes de morale, mais à les évaluer d'un autre point de vue que celui de la [[tradition]] philosophique occidentale), Nietzsche commence par en distinguer deux types fondamentaux et va montrer en quoi ces types sont foncièrement contradictoires.
 
Cette distinction est rendue possible par l'observation suivante : les [[w:passion|passion]]s ont une [[w:histoire|histoire]]. À un certain moment, elles ne sont que funestes, i.e. stupides, et les hommes en sont les victimes. Mais, plus tardivement, les passions sont ''spiritualisées''.
 
De là, deux attitudes contraires face aux passions :
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*les embellir, les diviniser, en spiritualisant la sensualité, l'orgueil, la volonté de dominer, etc.
 
La première attitude est pour Nietzsche une forme extrèmeextrême de [[w:bêtise|bêtise]], car elle consiste à castrer l'[[w:homme|homme]] ; en luttant contre ce qui apparaît comme les racines de la [[w:vie|vie]], ce castratisme lutte également contre une élévation de l'homme, contre son intelligence par exemple. Telle était la pratique de l'[[w:Église|Église]], qui entretenait ainsi une [[w:haine|haine]] mortelle contre la vie.
 
=== Les quatre grandes erreurs ===
 
Dans ce chapitre, Nietzsche revient sur les erreurs de la [[w:philosophie|philosophie]] et de la [[w:religion|religion]] qu'il a trouvées au cours des précédantsprécédents chapitres. La mise en évidence de ces erreurs fait partie de son projet de transvaluationtrans-valuation des valeurs : en effet, s'il apparaît que la [[w:pensée|pensée]] occidentale (dans tous les domaines : [[Philosophie/Morale|morale]], [[w:métaphysique|métaphysique]], [[Philosophie/Politique|politique]], etc.) s'est construite jusqu'à présent sur des illusions conceptuelles et des méthodes imaginaires, alors se fait également jour la nécessité de reprendre toutes ces questions d'après une perspective nouvelle. Il faut d'ailleurs remarquer que le ''Crépuscule des idoles'' a été rédigé avec quelques uns des écrits qui étaient d'abord déstinédestiné à la grande œuvre de Nietzsche : ''La [[Philosophie/Nietzsche/La Volonté de puissance|Volonté de puissance]], Essai d'une transvaluationtrans-valuation de toutes les valeurs'' ; le projet de cette œuvre a été abandonné par Nietzsche, mais bon nombre des textes qui devaient la constituer ont servi à l'écriture de ses dernières œuvres (comme ''[[w:L'Antéchrist|L'Antéchrist]]'' par exemple).
 
==== Première erreur : confondre la cause et l'effet ====
 
Cette erreur est appelée [[Philosophie/Morale|morale]] et [[w:religion|religion]] dans la [[w:pensée|pensée]] occidentale. Tous les commandements moraux et religieux sont de ce type. C'est également l'erreur la plus ancienne ; elle consiste à inverser la [[w:causalité|causalité]] naturelle.
 
Par exemple, un [[w:homme|homme]] n'est pas heureux du fait qu'il obéisse à un commandement moral qui lui dit d'être vertueux (exemple typique de formes de causalité morale et religieuse) ; sa [[w:vertu|vertu]] est au contraire l'effet de son [[Philosophie/Bonheur|bonheur]]. Mais qu'est-ce que le bonheur pour Nietzsche ? C'est incarner un ordre physiologique qui s'exprime par un rapport juste avec les autres et avec les choses.
 
Autre exemple : pour la morale traditionelletraditionnelle, la cause de la ruine d'un peuple est souvent le luxe et la luxure ; Nietzsche rétablit la causalité naturelle : le luxe et la luxure ne sont pas du tout les causes (outre le fait qu'elles peuvent tout aussi bien exprimer un excès de force et non nécessairement une faiblesse), mais les conséquences d'un épuisement tel qu'il n'est plus possible de résister à des sollicitations toujours plus vives (un [[w:peuple|peuple]] épuisé a ainsi besoin de beaucoup d'excitants pour secouer sa torpeur, il ne se sent exister qu'autant que sa sensibilité est violemment excitée).
 
==== L'erreur d'une fausse [[w:causalité|causalité]] ====
 
==== L'erreur des causes imaginaires ====
 
==== L'erreur du [[w:libre arbitre|libre arbitre]] ====
 
=== Ceux qui veulent « amender » l'humanité ===
 
Ce chapitre propose un approfondissement du jugement moral partant de l'idée qu'il n'y a aucun faits moraux. La [[w:religion|religion]] et la [[Philosophie/Morale|morale]] sont en effet des [[w:croyance|croyance]]s en des [[w:réalité|réalité]]s imaginaires. L'[[w:homme|homme]] religieux et moral ne sait pas encore distinguer la réalité de son imagination.
 
Mais ces chimères restent des interprétations bien réelles, susceptibles de nous apprendre quelque chose. La morale, en tant que [[w:sémiotique|sémiotique]], doit être le symptôme de quelque chose qu'il faut découvrir, exactement de la même manière que la recherche des traits de caractère de Socrate (son type) était susceptible de nous faire connaître l'origine des évaluations socratiques (et des sages en général).
 
=== Ce qui manque aux Allemands ===
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=== Le marteau parle ===
 
C'est un extrait d'[[w:Ainsi parlait Zarathoustra|Ainsi parlait Zarathoustra]], III, ''Des vieilles et des nouvelles tables'', §29 :
 
:« Pourquoi si dur ? - dit un jour au diamant le charbon de cuisine ; ne sommes-nous pas proches parents ?
:Pourquoi si mous ? O mes frères, je vous le demande : n'êtes-vous donc pas - mes frères?
:Pourquoi si mous, si fléchissantsfléchissant, si mollissantsmollissant ? Pourquoi y a-t-il tant de reniement, tant d'abnégation dans votre cœur ? si peu de destinée dans votre regard ?
:Et si vous ne voulez pas être des destinées, des inexorables : comment pourriez-vous un jour vaincre avec moi ?
:Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser : comment pourriez-vous un jour créer avec moi ?