« Philosophie/Nietzsche/Volonté de puissance » : différence entre les versions

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Pourtant, aucun texte de Nietzsche ne donne de manière complète et précise la signification de cette notion. Malgré cette absence de définition claire, l'étude approfondie des textes a montré la grande cohérence de son utilisation par Nietzsche, jusque dans l'emploi des guillemets (voir, plus bas, Wolfgang Müller-Lauter). Nous avons choisi, pour notre présentation, de suivre un ordre qui nous paraît traduire chronologiquement et logiquement l'extension de la notion de Volonté de puissance : sous le rapport de l'existence, de la vie et enfin de l'être.
 
== Premier aspectSagesse de la vie ==
== Essence de la vie ==
 
== Essence de l'être ==
La ''volonté de puissance'' est la qualité d'action de la vie et du devenir, leur devenir plus, mais elle n'en est pas le principe au sens classique du terme :
== La Volonté de puissance comme interprétation ==
:« '' La '' vie '' (...) tend à la '' sensation d'un maximum de puissance'' ; elle est essentiellement l'effort vers plus de puissance ; sa réalité la plus profonde, la plus intime, c'est ce vouloir.'' »
== Synthèse ==
 
== Problèmes soulevés ==
C'est en ce sens un concept métaphysique, puisqu'il qualifie l'étant en sa totalité :
 
:« ''l'essence la plus intime de l'être est la volonté de puissance''. »
(FP, XIV, 14 (80)).
 
Ce fragment résume toute la philosophie de Nietzsche et son projet de réévaluer les valeurs traditionnelles de la métaphysique à partir d'une nouvelle perspective, ce qui doit entraîner selon lui l'abolition des valeurs idéalistes, en particulier celles du christianisme.
 
Si cette phrase a une apparence métaphysique, dans la mesure où elle paraît énoncer par une définition ce que c'est que l'être des choses, Nietzsche ne parle pourtant pas de ce qu'est l'être en lui-même, mais de ce qu'il en est de son intériorité. Ainsi la volonté de puissance n'est-elle pas un « fondement » ou une « substance » (''ousia'' en grec). La volonté de puissance est une interprétation de la réalité, interprétation qui prend de multiples dimensions, telles que l'éternel retour et le surhomme. Une telle compréhension exclut principalement toute recherche d'un inconditionné derrière le monde, et de cause derrière les êtres.
 
Le but de Nietzsche est de saper par ce concept les fondements de toutes les philosophies passées et de renouveler la question des valeurs que nous attribuons à l'existence. En ce sens, il n'est ni un prophète, ni un visionnaire, mais se comprend lui-même comme un précurseur.
 
Ainsi, à l'encontre de certaines doctrines antiques (par exemple, Épicure|l'épicurisme) du principe de plaisir qui ne parvenaient pas à expliquer la persistance du mal, Nietzsche pense qu' « ''il n'est pas vrai que l'homme recherche le plaisir et fuie la douleur : on comprend à quel préjugé illustre je romps ici (...). Le plaisir et la douleur sont des conséquences, des phénomènes concomitants ; ce que veut l'homme, ce que veut la moindre parcelle d'un organisme vivant, c'est un ''accroissement de puissance''. Dans l'effort qu'il fait pour le réaliser, le plaisir et la douleur se succèdent ; à cause de cette volonté, il cherche la résistance, il a besoin de quelque chose qui s'oppose à lui...'' »
 
=== Pathos et structure ===
 
Une volonté de puissance s'analyse alors comme une relation interne d'un conflit, comme structure intime d'un devenir, et non seulement comme le déploiement d'une puissance : ''Le nom précis pour cette réalité serait la volonté de puissance ainsi désigné d'après sa structure interne et non à partir de sa nature protéiforme, insaisissable, fluide.'' (FP XI, 40 (53)). La volonté de puissance est ainsi la relation interne qui structure une force. Elle n'est ni un être, ni un devenir, mais ce que Nietzsche nomme un ''pathos'' fondamental, qui définit la direction de la puissance, dans le sens de la croissance ou de la décroissance. Ce ''pathos'', dans le monde organique, s'exprime par une hiérarchie d'instincts, de pulsions et d'affects, qui forment une perspective interprétative d'où se déploie la puissance et qui se traduit par exemple par des pensées et des jugements de valeur correspondants.
 
== Caractérisation générale ==
 
La notion de ''volonté de puissance'' désigne un devenir plus ; elle est conçue par Nietzsche comme un outil de description de la réalité.
 
La volonté de puissance n'est pas à proprement parler un devoir être : rien n'est contraint par une loi à devenir plus. Il n'y a en effet, selon Nietzsche, aucune loi dans le devenir : tout devient ce qu'il peut devenir, et cela même exprime sa volonté de puissance. On notera qu'ainsi, s'opposant au dualisme métaphysique de l'essence et de l'existence, Nietzsche interprète l'essence d'une chose (sa structure interne) comme se réalisant toute entière dans le devenir, l'existence et l'essence se confondant alors dans le même concept de volonté de puissance.
 
Ces précisions permettent tout d'abord d'écarter certaines interprétations inexactes et de comprendre un aspect important de l'analyse de Nietzsche : un guerrier ou un artiste, pour prendre des exemples qui peuvent paraître aussi éloignés que possible, expriment également par leurs activités une volonté de puissance. Mais il suit de cet exemple qu'aucun mouvement artistique, aucun parti politique et aucune idéologie ne peuvent véritablement se réclamer de la volonté de puissance comme s'il s'agissait d'un programme à réaliser, d'un impératif à suivre, puisque tout artiste, tout parti, toute idéologie, quels qu'ils soient, sont déjà l'expression d'une volonté de puissance. C'est donc cette volonté de puissance particulière qu'il faut analyser en tant que volonté de puissance : dans l'exemple ci-dessus, le barbare est une forme brutale et stupide de volonté de puissance (Nietzsche est loin de valoriser la violence en elle-même - l'esprit est pour lui, sous certaines conditions, l'expression la plus haute de la volonté de puissance humaine) ; l'artiste en est une forme plus raffinée, plus haute, car créatrice, ce qui permet de constituer une échelle de valeur qui tient compte du fait que la réalité la plus fruste de l'homme est la barbarie, mais que la culture, sous certaines conditions, est le degré le plus haut de la puissance, le degré qui a le plus de valeur, du moins dans le monde humain.
 
Ainsi, en résumé, et c'est là l'aspect proprement immoral de cette pensée, dans la pire barbarie comme dans la culture la plus raffinée, c'est la même tendance à la puissance qui se manifeste partout, mais en prenant des formes différentes liées à l'éducation des instincts que l'on donne à l'homme. Une culture qui exprimerait l'accroisssement de la puissance n'est ni culture militariste (Nietzsche n'a pas une très bonne opinion de l'abrutissement du patriotisme et il estime que la puissance de l'État ne peut que nuire à la culture) ni une culture d'uniformisation (ce qui s'exprime par exemple par un grégarisme moral), mais une culture qui cultive l'homme en tant qu'animal, sans en nier les instincts, mais en les spiritualisant (ce que Nietzsche nomme une divinisation des instincts, concept relativement proche de la sublimation chez Freud). Les plus hautes expressions d'une telle culture sont l'unité du style artistique (en architecture par exemple), le raffinement spirituel (développement chez les individus de capacités telles que la suspension du jugement, de la clarté du style, et de goûts correspondants, etc.).
 
La volonté de puissance a nécessairement plusieurs dimensions, elle décrit fondamentalement :
* le devenir en général (métaphysique)
* le vivant (physiologie)
* l'économie des instincts humains (psychologie, morale, politique)
* l'éducation des instincts (la culture)
 
=== Dans les textes publiés ===
 
*''Aurore''
*''Le Gai Savoir'', §13 : ''das Verlangen nach Macht'', l'aspiration à la puissance :
:« Que nous fassions des sacrifices à faire du bien et du mal, ne modifie en rien la valeur ultime de nos actes ; dussions-nous mettre en jeu notre vie comme le martyr en faveur de son Église,- c'est toujours un sacrifice que nous faisons à ''notre'' soif de puissance ou pour conserver au moins le sentiment que nous en avons. »
*''Ainsi parlait Zarathoustra'', livre II, « Du dépassement de soi-même » :
: « Wille zur Wahrheit heisst ihr's, ihr Weisesten, was euch treibt und brünstig macht ?
:Wille zur Denkbarkeit alles Seienden: also heisse ich euren Willen !
:Alles Seiende wollt ihr erst denkbar machen : denn ihr zweifelt mit gutem Misstrauen, ob es schon denkbar ist.
:Aber es soll sich euch fügen und biegen ! So will's euer Wille. Glatt soll es werden und dem Geiste unterthan, als sein Spiegel und Widerbild.
:Das ist euer ganzer Wille, ihr Weisesten, als ein '''Wille zur Macht''' ; und auch wenn ihr vom Guten und Bösen redet und von den Werthschätzungen. Schaffen wollt ihr noch die Welt, vor der ihr knien könnt: so ist es eure letzte Hoffnung und Trunkenheit. »
*''Par-delà bien et mal'', §36
:« Si rien ne nous est « donné » comme réel sauf notre monde d'appétits et de passions, si nous ne pouvons descendre ni monter vers aucune autre réalité que celle de nos instincts - car la pensée n'est que le rapport mutuel de ces instincts, - n'est-il pas permis de nous demander si ce donné ne ''suffit'' pas aussi à comprendre, à partir de ce qui lui ressemble, le monde dit mécanique (ou « matériel ») ? Le comprendre, veux-je dire, non pas comme une illusion, une « apparence », une « représentation » au sens de Berkeley et de Schopenhauer, mais comme une réalité du même ordre que nos passions mêmes, une forme plus primitive du monde des passions, où tout ce qui se diversifie et se structure ensuite dans le monde organique (et aussi, bien entendu, s'affine et s'affaiblit) gît encore d'une vaste unité ; comme une sorte de vie instinctive où toutes les fonctions organiques d'autorégulation, d'assimilation, de nutritution, d'élimination, d'échanges sont encore synthétiquement liées ; comme une ''préforme'' de la vie ? - En définitive, il n'est pas seulement permis de hasarder cette question ; l'esprit même de la ''méthode'' l'impose. Ne pas admettre différentes espèces de causalités aussi longtemps qu'on n'a pas cherché à se contenter d'une seule en la poussant jusqu'à ses dernières conséquences (jusqu'à l'absurde dirais-je même), voilà une morale de la méthode à laquelle on n'a pas le droit de se soustraire aujourd'hui ; elle est donné « par définition » dirait un mathématicien. En fin de compte la question est de savoir si nous considérons la volonté comme réellement ''agissante'', si nous croyons à la causalité de la volonté. Dans l'affirmative - et au fond notre croyance en celle-ci n'est rien d'autre que notre croyance en la causalité elle-même - nous ''devons'' essayer de poser par hypothèse la causalité de la volonté comme la seule qui soit.
*''Généalogie de la morale'', Deuxième dissertation, §12
*''L'Antéchrist'', §6 :
:« Das Leben selbst gilt mir als Instinkt für Wachstum, für Dauer, für Häufung von Kräften, für Macht : wo der Wille zur Macht fehlt, gibt es Niedergang. »
:(« La vie est, à mes yeux, instinct de croissance, de durée, d'accumulation de force, de puissance : là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin. »)
 
=== Dans les textes posthumes ===
 
*L’expression « Wille zur Macht » apparaît pour la première fois dans le fragment 23 [63] de 1876-1877 :
: « Das Hauptelement des Ehrgeizes ist, zum Gefühl seiner Macht zu kommen. Die Freude an der Macht ist nicht darauf zurückzuführen, dass wir uns freuen, in der Meinung anderer bewundert dazustehen. Lob und Tadel, Liebe und Hass sind gleich für den Ehrsüchtigen, welcher Macht will.
 
:Furcht (negativ) und Wille zur Macht (positiv) erklären unsere starke Rücksicht auf die Meinungen der Menschen.
 
:Lust an der Macht.— Die Lust an der Macht erklärt sich aus der hundertfältig erfahrenen Unlust der Abhängigkeit, der Ohnmacht. Ist diese Erfahrung nicht da, so fehlt auch die Lust. »
 
*Voir aussi : fragments 4 [239], 7 [206], 9 [14] de 1880-1881.
*FP, XIV, 14, [80] :
:« Si l'essence la plus intim de l'être est volonté de puissance, si le plaisir est toute croissance de la puissance, déplaisir tout sentiment de ne pouvoir résister et maîtriser : ne pouvons-nous pas alors poser plaisir et déplaisir comme des faits cardinaux ? »
*FP XIV, 14, [97] :
:« «Volonté de puissance »<br />
:La «volonté de puissance» est haïe à ce point dans les époques démocratiques, que toute leur psychologie semble viser à la rapetisser et à la dénigrer...<br />
:Le type du grand ambitieux avide d'honneur : on voudrait que ce soit Napoléon ! et César ! et Alexandre !... Comme si ce n'étaient pas justement les plus grands ''contempteurs'' de l'honneur !<br />
:Et Helvétius nous expose en détail que l'on aspire à la puissance afin d'avoir les jouissances dont dispose l'homme puissant... : il comprend cette aspiration à la puissance comme une volonté de jouissance, comme un hédonisme...»
*FP, XIV, 14 [121] :
:« La vie n'est qu'un ''cas particulier'' de la volonté de puissance, - il est tout à fait arbitraire d'affirmer que tout aspire à se fondre dans cette forme de la volonté de puissance. »
 
 
== Détermination du concept ==
 
=== Analyse de l'expression «volonté de puissance » telle qu'elle apparaît dans les écrits de Nietzsche ===
 
Selon Müller-Lauter, il est possible de distinguer trois sens différents de l'expression « volonté de puissance » lorsqu'elle est employée au singulier :
*« la volonté de puissance » comme tout de la réalité, comme le nom de cette réalité. En ce sens, la Volonté de puissance est bien un concept métaphysique puisqu'il caractérise l'être de l'étant ;
*« volonté de puissance », sans l'article « le », comme qualité. En ce sens, comme pour le sens suivant, ce concept désigne une certaine direction d'un devenir singulier ; il désigne l'accroîssement de la puissance ;
*« une volonté de puissance », présupposant une pluralité de volontés de puissance ; même sens que ci-dessus, mais la multiplicité radicale du monde est souligné. Cela signifie que le tout, l'univers, s'il peut être considéré comme une quantité de forces fixes, n'est pas lui-même Volonté de puissance, car il ne possède pas d'unité, et, puisque ce caractère lui fait défaut, il n'a pas non plus de finalité, il ne se dirige pas vers un état final (l'univers est donc aussi nécessairement circulaire : voir : Éternel Retour).
 
=== À partir de la vie ===
 
La volonté de puissance s'interpréte à partir de la vie organique sans s'y réduire :
*Ainsi parlait Zarathoustra'', II, « De la domination de soi »
:« Partout où j’ai trouvé du vivant, j’ai trouvé de la volonté de puissance ; et même dans la volonté de celui qui obéit, j’ai trouvé la volonté d’être maître. [...] Et la vie elle-même m’a confié ce secret : « Vois, m’a-t-elle dit, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même. [...] Et toi aussi, toi qui cherches la connaissance, tu n’es que le sentier et la piste de ma volonté : en vérité, ma volonté de puissance marche aussi sur les traces de ta volonté du vrai ! Il n’a assurément pas rencontré la vérité, celui qui parlait de la « volonté de vie », cette volonté – n’existe pas. Car : ce qui n’est pas, ne peut pas vouloir ; mais comment ce qui est dans la vie pourrait-il encore désirer la vie ! Ce n’est que là où il y a de la vie qu’il y a de la volonté : pourtant ce n’est pas la volonté de vie, mais [...] la volonté de puissance. Il y a bien des choses que le vivant apprécie plus haut que la vie elle-même ; mais c’est dans les appréciations elles-mêmes que parle – la volonté de puissance ! » »
 
Si l'organisme, et plus précisemment notre corps, est le point de départ de Nietzsche, son fil directeur, c'est parce nous n'avons pas de conception de l'être indépendante du fait de vivre. Être, c'est respirer, se nourir, etc. L'être, en lui-même, est un concept dénué de sens, « la dernière fumée d'une réalité qui s'évapore. » C'est pourquoi, selon Nietzsche, il est légitime de chercher d'abord ce qui peut caractériser le vivant :
 
*le pouvoir interne de créer des formes
*la non identité du vivant, dont l'unité ne peut jamais être un principe
*la lutte interne qui hiérarchise un organisme
*l'auto-régulation du vivant.
 
Nietzsche suppose ensuite l'existence d'une seule causalité, à titre d'hypothèse (voir §36 plus haut). Cette hypothèse est d'autant plus légitime que les dualismes causaux âme - corps et vie - matière aboutissent aux contradictions de l'idéalisme métaphysique dénoncées par Nietzsche. Néanmoins, la thèse de la volonté de puissance conduit au rejet, non seulement du vitalisme, mais aussi du matérialisme de type mécaniste. En effet, puisque ce qui caractèrise le vivant doit selon lui être généralisé, alors ce que l'on nomme « matière » (Nietzsche nie l'existence de cette dernière) est également sentant et percevant, mais dans un état plus synthétique que dans le cas d'un organisme.
 
=== La volonté de puissance comme relation ===
*Agir et relation
*Sentir
*Penser
*Vouloir
 
== La volonté de puissance comme méthode ==
 
Il ressort de cette analyse que l'on peut formuler les points de méthode suivants :
*tout phénomène s'interpréte d'après les mêmes activités que celles du vivant : sentir, vouloir, penser, mais aussi assimiler et se reproduire ; le vivant est une spécialisation de l'inorganique.
*tout phénomène étant l'expression d'une volonté de puissance, est composé d'actions et de réactions, c'est-à-dire qu'il est un ensemble de relations ; on peut donc en déterminer la structure, le devenir spécifique - ou « type ».
*tout phénomène est le symptôme d'une volonté de puissance et permet d'interpréter le degré de force de cette activité relativement à la résistance qu'elle rencontre ; cette activité sera ou croissante ou décroissante.
*croissance ou décroissance de la volonté de puissance sont les indices de la force et de la faiblesse, de l'accumulation de la puissance et de son épuisement, ou encore de la création et de la stérilité.