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=== L'apport hippocratique ===
 
[[Image:HSAsclepiusKos retouched.jpg|thumb|right|[[Hippocrate]] accueillant avec un habitant de Cos le dieu Asclépios, mosaïque du {{sp|II|e|ou du|III|e|}}, musée de Cos]]
 
Le développement scientifique de la médecine grecque est traditionnellement attribué à [[Hippocrate|Hippocrate de Cos]], médecin du {{Ve siècle av. J.-C.}} On lui rattache
un ensemble de traités, le « Corpus hippocratique », bien que vraisemblablement il n'ait écrit aucun d'entre eux. Portant sur des sujets variés comme la [[gynécologie]] ou la [[chirurgie]], ils s'étalent en effet de la fin du {{s-|V|e}} jusqu'à l'[[époque hellénistique]] : on estime généralement qu'il s'agit d'une bibliothèque d'école de médecine. L'enseignement qui en ressort apporte trois innovations qui marqueront durablement la médecine occidentale.
 
==== Observation et raisonnement ====
L'enseignement qui en ressort apporte trois innovations qui marqueront durablement la médecine occidentale. Premièrement, il écarte les considérations religieuses. Ainsi, l'auteur de ''Sur la maladie sacrée'' entreprend de montrer que l'[[épilepsie]], appelée alors « maladie sacrée », n'est pas « plus divine ou plus sacrée que n'importe quelle autre maladie<ref>Cité par LLoyd (1999a), p. 69.</ref>. » Sa preuve est simple : la maladie ne s'en prend qu'aux « flegmatiques » (cf. ci-dessous la théorie des humeurs) ; or si la maladie était véritablement une visitation divine, tous devraient pouvoir en être atteints. Si le traité ''Du régime'' reconnaît l'importance des rêves, c'est pour les considérer — en partie — comme des symptômes liés à l'état physiologique du patient : si ce dernier fait des cauchemars à répétition, cela peut témoigner d'un désordre mental. Toutefois, le corpus hippocratique n'est pas totalement exempt de considérations irrationnelles : dans le même traité, l'auteur considère que le rêve est la manifestation symbolique d'un diagnostic que l'âme, pendant le sommeil, pose sur le corps qu'elle habite. Ainsi fait-il se rejoindre [[oniromancie]] et médecine<ref>Dodds, ''op. cit.'', p. 124-125 et 136.</ref>.
 
[[Image:HSAsclepiusKos retouched.jpg|thumb|rightleft|[[Hippocrate]] accueillant avec un habitant de Cos le dieu Asclépios, mosaïque du {{sp|II|e|ou du|III|e|}}, musée de Cos]]
La médecine hippocratique est donc fondée, de manière générale, sur l'observation et le raisonnement. Les ''Épidémiques'' comprennent ainsi des séries d'observations quotidiennes effectuées par le médecin sur son patient : il commence par décrire précisément les symptômes puis observe jour après jour l'état général (calme, agitation) en veille et pendant le sommeil. Son examen porte aussi sur l'état de la langue, l'urine et les selles. Un effort de rationnalisation est fait : on distingue fièvre tierce ou quarte suivant le rythme observé dans les poussées de fièvre.
 
L'enseignement qui en ressort apporte trois innovations qui marqueront durablement la médecine occidentale. Premièrement, ilHippocrate écarte les considérations religieuses. Ainsi, l'auteur de ''Sur la maladie sacrée'' entreprend de montrer que l'[[épilepsie]], appelée alors « maladie sacrée », n'est pas « plus divine ou plus sacrée que n'importe quelle autre maladie<ref>Cité par LLoyd (1999a), p. 69.</ref>. » Sa preuve est simple : la maladie ne s'en prend qu'aux « flegmatiques » (cf. ci-dessous la théorie des humeurs) ; or si la maladie était véritablement une visitation divine, tous devraient pouvoir en être atteints. « Toutes les maladies sont divines et toutes sont humaines », conclut l'auteur<ref>''Sur la maladie sacrée'', c.18.</ref>. Si le traité ''Du régime'' reconnaît l'importance des rêves, c'est pour les considérer — en partie — comme des symptômes liés à l'état physiologique du patient : si ce dernier fait des cauchemars à répétition, cela peut témoigner d'un désordre mental. Toutefois, le corpus hippocratique n'est pas totalement exempt de considérations irrationnelles : dans le même traité, l'auteur considère que le rêve est la manifestation symbolique d'un diagnostic que l'âme, pendant le sommeil, pose sur le corps qu'elle habite. Ainsi fait-il se rejoindre [[oniromancie]] et médecine<ref>Dodds, ''op. cit.'', p. 124-125 et 136.</ref>.
[[Image:HippocraticOath.jpg|thumb|left|Le Serment d'Hippocrate sur un manuscrit byzantin du {{XIIe siècle}}, [[Bibliothèque vaticane]]]]
 
La médecine hippocratique est donc fondée, de manière générale, sur l'observation et le raisonnement. Les ''Épidémiques'' comprennent ainsi des séries d'observations quotidiennes effectuées par le médecin sur son patient : il commence par décrire précisément les symptômes puis observe jour après jour l'état général (calme, agitation) en veille et pendant le sommeil. Son examen porte aussi sur l'état de la langue, l'urine et les selles. Un effort de rationnalisationrationalisation est fait : on distingue fièvre continue, fièvre quotidienne, fièvre tierce ou quarte suivant le rythme observé dans les poussées de fièvre<ref>''Sur la nature de l'homme'', c.15. Les ''Épidémies I'' fournissent un classement plus complexe.</ref>.
Deuxièmement, l'enseignement hippocratique tente de se donner un cadre théorique. Le plus connu est la théorie des [[humeur]]s ([[bile|bile jaune]], bile noire ou [[atrabile]], phlegme ou [[lymphe]] et [[sang]]), dont le déséquilibre cause maladie physique mais aussi trouble psychique. On sait que d'autres attribuent la cause des maladies aux déséquilibres entre le chaud et le froid, le sec et l'humide dans le corps. Cependant, d'autres auteurs comme ceux de ''Sur l'ancienne médecine'' ou ''Sur la nature de l'homme'' mettent en garde contre toute tentation de simplification excessive : pour eux, le médecin doit avant tout agir et réfléchir de manière empirique.
 
==== Un cadre théorique ====
Outre la recherche des grandes causes des maladies, les médecins hippocratiques s'intéressent à des problèmes de nature plutôt théorique, comme la [[croissance biologique]] (comment l'alimentation aboutit-elle à une croissance du corps) et la [[reproduction (biologie)|reproduction]] (comment la semence peut-elle donner naissance à un être complet ?). Sur un plan plus pratique, ils étudient le fonctionnement du corps humain, faisant ainsi considérablement progresser l'[[anatomie]]. Pour ce faire, ils se fondent surtout sur des connaissances cliniques : ainsi, la connaissance des os et des tendons se fonde probablement sur l'étude des [[entorse]]s et autres [[luxation]]s. Les médecins recourent également, dès cette époque, à la [[dissection]], mais la pratique reste très marginale.
 
Deuxièmement, l'enseignement hippocratique tente de se donner un cadre théorique. Le plus connu est la théorie des [[humeur]]s ([[bile|bile jaune]], bile noire ou [[atrabile]], phlegme ou [[lymphe]] et [[sang]]), dont le déséquilibre cause maladie physique mais aussi trouble psychique. ; œuvre de Polybe, genre et disciple d'Hippocrate, cette théorie est répandue ensuite par Galien. On sait que d'autres attribuent la cause des maladies aux déséquilibres entre le chaud et le froid, le sec et l'humide dans le corps ; on cite également d'autres humeurs : sang, bile, eau et phlegme, par exemple<ref>''Sur la génération'', c.3 et ''Sur les maladies IV'', c. 32.</ref>. Cependant, d'autres auteurs comme ceux de ''Sur l'ancienne médecine'' ou ''Sur la nature de l'homme'' mettent en garde contre toute tentation de simplification excessive : pour eux, le médecin doit avant tout agir et réfléchir de manière empirique<ref>''Sur l'ancienne médecine'', c.I.</ref>.
Enfin, l'enseignement hippocratique repose sur une véritable [[Déontologie professionnelle|déontologie]] médicale, exprimée dans le traité ''Sur l'ancienne médecine'', les ''Aphorismes'' du Corpus et surtout le célèbre ''[[Serment d'Hippocrate]]'', qui commence ainsi :
 
Outre la recherche des grandes causes des maladies, les médecins hippocratiques s'intéressent à des problèmes de nature plutôt théorique, comme la [[croissance biologique]] (comment l'alimentation aboutit-elle à une croissance du corps ?) et la [[reproduction (biologie)|reproduction]] (comment la semence peut-elle donner naissance à un être complet ?). Sur un plan plus pratique, ils étudient le fonctionnement du corps humain, faisant ainsi considérablement progresser l'[[anatomie]]. Pour ce faire, ils se fondent surtout sur des connaissances cliniques : ainsi, la connaissance des os et des tendons se fonde probablement sur l'étude des [[entorse]]s et autres [[luxation]]s. Les médecins recourent également, dès cette époque, à la [[dissection]], mais la pratique reste très marginale.
 
==== Une déontologie ====
 
[[Image:HippocraticOath.jpg|thumb|leftright|Le Serment d'Hippocrate sur un manuscrit byzantin du {{XIIe siècle}}, [[Bibliothèque vaticane]]]]
 
Enfin, l'enseignement hippocratique repose sur une véritable [[Déontologie professionnelle|déontologie]] médicale, exprimée dans leles traitétraités ''Sur l'ancienne médecine'', les''Sur la bienséance''Aphorismes, ''Sur dule Corpusmédecin'', les ''Préceptes'' et surtout le célèbre ''[[Serment d'Hippocrate]]'', qui commence ainsi :
 
<blockquote>
Ligne 59 ⟶ 65 :
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté<ref>Traduction d'[[Émile Littré]].</ref>… »
</blockquote>
 
Les médecins hippocratiques soignent tous les malades, les personnes libres comme les esclaves<ref>Jouanna, p.&nbsp;160-166.</ref>, les riches comme les pauvres<ref>Jouanna, p.&nbsp;167-170.</ref>, les hommes comme les femmes<ref>Jouanna, p.&nbsp;172-177.</ref>, les citoyens comme les étrangers<ref>Jouanna, p.&nbsp;177-179.</ref>. « Là où est l'amour des hommes, là est aussi l'amour de l'art », déclare l'un des aphorismes d'Hippocrate<ref>''Préceptes'', 6.</ref>.
 
=== La médecine hellénistique ===
Ligne 64 ⟶ 72 :
À l'[[époque hellénistique]], [[Alexandrie]] devient la capitale des études biologiques et médicales. Leur principale innovation est l'introduction de la pratique de la [[dissection]], allant ainsi à l'encontre des pratiques religieuses prohibant l'ouverture du corps. Dans son traité ''Sur les dissections'', [[Hérophile]] décrit le cerveau et l'identifie, contre l'opinion d'[[Aristote]], comme le centre du [[système nerveux]]. Il distingue les principaux [[Système ventriculaire|ventricule]]s et décrit le ''calamus scriptorius'' (fossette du plancher du quatrième ventricule), les « concaténations chorioïdes » (les [[méninge]]s) et le « pressoir » (le [[sinus (anatomie)|sinus]] veineux, que l'on appelera ensuite en son honneur le ''torcular Herophili''). Hérophile s'intéresse également à l'anatomie de l'[[œil]] et du [[cœur]].
 
Afin de mieux connaître l'anatomie interne, Hérophile et son contemporain [[Érasistrate]] pratiquent même la [[vivisection]]. D'après le témoignage du médecin romain [[Celse]]<ref>''Sur la médecine'', introduction, § 23 et suivants.</ref>, tous deux examinent la conformation des organes de criminels encore vivants, mis à leur disposition par le roi. Malgré ces progrès (sauf en ce qui concerne la vivisection), laLa science anatomique reste malgré tout limitée puisque Hérophile, semble-t-il, soutient que les [[nerf optique|nerfs optiques]] sont creux.
 
=== Galien ===