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[[Image:Red jasper magical intaglio CdM Paris 2220bis.jpg|thumb|right|[[Intaille]] magique en [[jaspe]] rouge avec [[Héraclès]] et l'inscription « Va t-en, [[bile]], la divinité te poursuit », [[Cabinet des médailles (BNF)|Cabinet des médailles]], [[Bibliothèque nationale de France]]]]
 
Beaucoup de Grecs font reposer la guérison sur des pratiques [[Magie (surnaturel)|magiques]] ou [[religion grecque antique|religieuses]]. De manière générale, les cultes guérisseurs ont pour caractéristique d'être situés hors des villes : développés de manière tardive, ils s'implantent à la marge<ref>André et Baslez, p.&nbsp;22-23.</ref>. Ainsi, Asclépios est d'abord vénéré à [[Trikka]], en [[Thessalie]], puis en pleine campagne près d'Épidaure. À [[Corinthe]] comme à [[Athènes antique|Athènes]], [[Délos]] ou [[Cos (Dodécanèse)|Cos]], le dieu s'installe à l'écart de l'agglomération. La visite au sanctuaire nécessite donc une excursion. Autre caractéristique, les sanctuaires sont souvent liés à une source ou une rivière dont les eaux possèdent des vertus bienfaisantes.
Le titre de médecin ne faisant l'objet d'aucun contrôle, n'importe qui peut se faire passer pour tel. Il existe donc nombre de guérisseurs dont les remèdes reposent sur des pratiques [[Magie (surnaturel)|magiques]] ou [[religion grecque antique|religieuses]].
 
De manière générale, les cultes guérisseurs ont pour caractéristique d'être situés hors des villes : développés de manière tardive, ils s'implantent à la marge<ref>André et Baslez, p.&nbsp;22-23.</ref>. Ainsi, Asclépios est d'abord vénéré à [[Trikka]], en [[Thessalie]], puis en pleine campagne près d'Épidaure. À [[Corinthe]] comme à [[Athènes antique|Athènes]], [[Délos]] ou [[Cos (Dodécanèse)|Cos]], le dieu s'installe à l'écart de l'agglomération. La visite au sanctuaire nécessite donc une excursion. Autre caractéristique, les sanctuaires sont souvent liés à une source ou une rivière dont les eaux possèdent des vertus bienfaisantes.
 
La plupart du temps, le dieu guérisseur agit par « incubation » : c'est le cas d'[[Asclépios]] à [[Épidaure]] ou [[Athènes]], ou d'[[Amphiaraos]] à [[Oropos]] et [[Thèbes (Grèce)|Thèbes]]. Le rituel commence pour le malade par un bain de purification, suivi par un sacrifice relativement modeste et donc accessible à tous. À Épidaure, le patient doit également entonner un [[péan]] en l'honneur d'[[Apollon]] et d'Asclépios. Ensuite, le pèlerin s'endort sous le portique sacré ({{grec ancien|ἅϐατον}} / ''ábaton'') — au moins à Oropos, Pergame et Épidaure, chaque sexe possède son propre portique<ref>Brigitte Le Guen-Pollet, ''La Vie religieuse dans le monde grec du {{Ve}} au {{sav|III|e}}'', Presses Universitaires du Mirail, 1991, n{{o}} 40, p. 132.</ref>. Les plus chanceux bénéficient pendant leur sommeil d'une apparition du dieu ; en touchant la partie malade du corps, celui-ci la guérit. Le dieu peut également se contenter de dicter au patient une liste de médicaments que celui-ci s'empressera de se procurer une fois réveillé.
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=== Médecins ===
[[Image:Stamp ointments BM GR1879.9-16.1.jpg|thumb|right|Timbre en pierre pour marquer des ''kollyria'', modèle inscrit en latin mais comparable aux timbres grecs, [[Ier siècle|I{{er}}]]-{{IIIe siècle}} ap. J.-C., [[British Museum]]]]
 
==== Médecins et charlatans ====
Les traités qui composent le Corpus hippocratique ne sont pas toujours rédigés par ce que nous appelerions un médecin. [[Aristote]]<ref>''Politique'', III, 11, 11.</ref> reconnaît ainsi trois catégories de personnes habilitées à parler de médecine : le praticien ({{grec ancien|δημιουργός}} / ''dêmiourgós''), le professeur de médecine ou médecin savant ({{grec ancien|ἀρχιτεκτονικός}} / ''arkhitektonikós'') et l'homme cultivé qui a étudié la médecine au cours de son cursus général. Les [[sophisme|sophistes]] prétendent également pouvoir enseigner, entre autres disciplines, la médecine.
 
Les traités qui composent le Corpus hippocratique ne sont pas toujours rédigés par ce que nous appellerions un médecin. [[Aristote]] reconnaît ainsi trois catégories de personnes habilitées à parler de médecine : le praticien ({{grec ancien|δημιουργός}} / ''dêmiourgós''), le professeur de médecine ou médecin savant ({{grec ancien|ἀρχιτεκτονικός}} / ''arkhitektonikós'') et l'homme cultivé qui a étudié la médecine au cours de son cursus général<ref>''Politique'', III, 11, 11.</ref>. Les [[sophisme|sophistes]] prétendent également pouvoir enseigner, entre autres disciplines, la médecine. Cependant, une distinction se fait jour, dans le Corpus hippocratique lui-même, entre d'une part le médecin et le profane (''Sur l'ancienne médecine''), d'autre part le médecin et le charlatan (''Sur la maladie sacrée''). Nous avons connaissance d'une école spécialisée à [[Cnide]] et la famille des [[Asclépiades]], à [[Cos (Dodécanèse)|Cos]], peut être considérée comme une école.
 
En effet, le titre de médecin ne fait l'objet d'aucun contrôle : n'importe qui peut s'établir comme tel<ref>Jouanna, p.&nbsp;113.</ref>. La démonstration de ses talents peut passer par une joute oratoire avec un confrère<ref>Jouanna, p.&nbsp;109.</ref>, mais le meilleur moyen de se constituer une clientèle passe par la pratique quotidienne. En effet, les Grecs ignorent le [[colloque singulier]] : le médecin n'est jamais seul avec le patient, que ce soit au cabinet ou en visite ; il intervient devant l'entourage et les éventuels curieux<ref>Jouanna, p.&nbsp;110.</ref>. Il arrive même qu'un confrère intervienne pendant une consultation pour fournir un diagnostic différent : « un malade paraît sans ressource et au médecin qui le soigne et aux autres personnes ; survient un second médecin qui déclare que le malade ne succombera pas, mais qu'il perdra la vue<ref>Prorrhétique'' (II c I). Cité par Jouanna, p.&nbsp;595, note&nbsp;8.</ref>. » Un mauvais médecin n'est soumis à aucune autre sanction qu'une perte de réputation<ref>Jouanna, p.&nbsp;113.</ref>.
Si les médecins sont souvent des hommes libres, il arrive que des [[esclavage en Grèce antique|esclaves]] apprennent la médecine, soit au contact de leur maître, lui-même médecin, soit sur demande de leur maître qui souhaite bénéficier d'un médecin privé.
 
==== Formation ====
La formation des médecins se fait la plupart du temps par apprentissage. Les disciples apprennent l'art du [[diagnostic (médecine)|diagnostic]] et du pronostic auprès de leur maître, de même que les actes médicaux : [[saignée (médecine)|saignée]]s, lavements par [[clystère]]s, pose de ventouses mais aussi [[chirurgie|actes chirurgicaux]] comme la [[trépanation]]. D'autres choisissent un cursus plus théorique : ils voyagent dans tout le bassin méditerranéen, fréquentant les différentes écoles de médecine. Ceux qui complètent leur cursus par l'étude des pratiques magiques ne sont pas rares. Ainsi, au {{Ier siècle}} ap. J.-C., le médecin Thessalos, après avoir appris la médecine dialectique, se rend-t-il à Diospolis ([[Thèbes (Égypte)|Thèbes]]) pour apprendre les vertus des plantes. Cet apprentissage passe pour lui par l'astrologie et par une consultation d'Asclépios, par l'intermédiaire d'un prêtre égyptien<ref>''Catalogum Astrologorum Græcorum'', VIII, 3, p.&nbsp;113 et suiv. Cité par André Bernand, ''Sorciers grecs'', Hachette, coll. « Pluriel », 1991, p.&nbsp;267.</ref>.
 
[[Image:Stamp ointments BM GR1879.9-16.1.jpg|thumb|right|Timbre en pierre pour marquer des ''kollyria'', modèle inscrit en latin mais comparable aux timbres grecs, [[Ier siècle|I{{er}}]]-{{IIIe siècle}} ap. J.-C., [[British Museum]]]]
Comme c'est le cas pour beaucoup de métiers en Grèce antique, la médecine est une affaire de famille. Hippocrate est fils, petit-fils, père et grand-père de médecins<ref>Pomeroy, p.&nbsp;144-145.</ref> ; il appartient à cette famille des Asclépiades dans laquelle, selon Galien, « les enfants apprennent de leurs parents, dès l'enfance, à disséquer comme à lire et à écrire<ref>''Opérations anatomiques'' ; cité par Jouanna, p.&nbsp;33.</ref> ». Le [[serment d'Hippocrate]] enjoint au médecin de transmettre ses connaissances à ses fils ; inversement, il est considéré comme normal pour le fils d'un médecin d'opter pour le métier de son père<ref>{{PlaLoi}} (720b).</ref>.
 
La formation des médecins se fait la plupart du temps par apprentissage. Les disciples apprennent l'art du [[diagnostic (médecine)|diagnostic]] et du [[Pronostic (médecine)|pronostic]] auprès de leur maître, de même que les actes médicaux : [[saignée (médecine)|saignée]]s, lavements par [[clystère]]s, pose de ventouses mais aussi [[chirurgie|actes chirurgicaux]] comme la [[trépanation]]. D'autres choisissent un cursus plus théorique : ils voyagent dans tout le bassin méditerranéen, fréquentant les différentes écoles de médecine. Ceux qui complètent leur cursus par l'étude des pratiques magiques ne sont pas rares. Ainsi, au {{Ier siècle}} ap. J.-C., le médecin Thessalos, après avoir appris la médecine dialectique, se rend-t-il à Diospolis ([[Thèbes (Égypte)|Thèbes]]) pour apprendre les vertus des plantes. Cet apprentissage passe pour lui par l'astrologie et par une consultation d'Asclépios, par l'intermédiaire d'un prêtre égyptien<ref>''Catalogum Astrologorum Græcorum'', VIII, 3, p.&nbsp;113 et suiv. Cité par André Bernand, ''Sorciers grecs'', Hachette, coll. « Pluriel », 1991, p.&nbsp;267.</ref>.
Contrairement à l'Égypte, la Grèce ne connaît guère que le médecin généraliste ; ni la chirurgie ni la [[gynécologie]] ne sont des spécialités<ref>Anne-Marie Buttin, ''La Grèce classique'', Belles Lettres, coll. « Guide des civilisations », p. 224-225.</ref>. Les écoles de Cos et de Cnide ont tout de même laissé respectivement des traités dans ces deux disciplines. On a connaissance d'[[ophtalmologie|ophtalmologistes]], soignant à bases de {{grec ancien|κολλὐρια}} / ''kollúria'', c'est-à-dire des emplâtres solides, moulés en forme de bâtonnets. Il existe également des dentistes, capables de plomber les [[carie dentaire|dents cariées]]. Enfin, les armées comportent des médecins militaires<ref>{{XénAna}}, III, 4, 30.</ref> spécialisés dans le pansage des blessés, et des médecins du sport.
 
Comme c'est le cas pour beaucoup de métiers en Grèce antique, la médecine est une affaire de famille. Hippocrate est fils, petit-fils, père et grand-père de médecins<ref>Pomeroy, p.&nbsp;144-145.</ref> ; il appartient à cette famille des Asclépiades dans laquelle, selon Galien, « les enfants apprennent de leurs parents, dès l'enfance, à disséquer comme à lire et à écrire<ref>''Opérations anatomiques'' ; cité par Jouanna, p.&nbsp;33.</ref> ». Le [[serment d'Hippocrate]] enjoint au médecin de transmettre ses connaissances à ses fils ; inversement, il est considéré comme normal pour le fils d'un médecin d'opter pour le métier de son père<ref>{{PlaLoi}} (720b).</ref>. Si les médecins sont souvent des hommes libres, il arrive que des [[esclavage en Grèce antique|esclaves]] apprennent la médecine, soit au contact de leur maître, lui-même médecin, soit sur demande de leur maître qui souhaite bénéficier d'un médecin privé.
 
Contrairement à l'Égypte<ref>{{HérEnq}} (II, 84).</ref>, la Grèce ne connaît guère que le médecin généraliste ; ni la chirurgie ni la [[gynécologie]] ne sont des spécialités<ref>Anne-Marie Buttin, ''La Grèce classique'', Belles Lettres, coll. « Guide des civilisations »Jouanna, p. 224-225&nbsp;87.</ref>. Les écoles de Cos et de Cnide ont tout de même laissé respectivement des traités dans ces deux disciplines. On a connaissance d'[[ophtalmologie|ophtalmologistes]], soignant à bases de {{grec ancien|κολλὐρια}} / ''kollúria'', c'est-à-dire des emplâtres solides, moulés en forme de bâtonnets. Il existe également des dentistes, capables de plomber les [[carie dentaire|dents cariées]]. Enfin, les armées comportent des médecins militaires<ref>{{XénAna}}, III, 4, 30.</ref> spécialisés dans le pansage des blessés, et des médecins du sport.
 
==== Médecins publics ====
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[[Image:Decree Stasicypros CdM.jpg|thumb|left|Décret du roi d'[[Idalion]] en faveur du médecin Onasilos et de ses frères, portant règlement d'honoraires pour les soins prodigués aux blessés après le siège de la ville par les [[Mèdes]] ([[-478|478]]-[[-470|470 av. J.-C.]]), [[Cabinet des médailles (BNF)|Cabinet des médailles]]]]
 
LesCertains médecins peuvent exercer à titre privé. Dans ce cas, ils sont généralement itinérants, ce qui leur pose problème pour faire reconnaître d'emblée leurs compétences dans leur ville d'arrivée. Il existe également être médecins publics, payés par la [[polis|cité]] elle-même. Ainsi d'un médecin réputé du début du {{Ve}} siècle, [[Démokédès de Crotone]]<ref>{{HérEnq}}, III, 129-133.</ref> : il fait carrière d'abord à [[Égine (île)|Égine]], puis à [[Athènes antique|Athènes]] et [[Samos]], avant d'être capturé par les [[Perses]] et d'entrer au service du roi [[Darius Ier|Darius I{{er}}]], qu'il guérit d'une affection au pied. En relatant cet épisode de la vie du Grand Roi, Hérodote affirme, pour la première fois dans la littérature grecque, la supériorité de la médecine grecque sur la médecine égyptienne. À Égine, Démokédès gagne un [[talent (unité)|talent]] par an dès la seconde année, et à Athènes, cent [[mine (unité)|mine]]s. Une plaque de bronze de la même époque (cf. illustration) nous apprend également qu'un dénommé Onasilos et ses frères sont embauchés par [[Idalion]], à [[Chypre (pays)|Chypre]], pour être médecins publics.
 
Le ''[[Gorgias (Platon)|Gorgias]]'' décrit la procédure de sélection pratiquée à [[Athènes antique|Athènes]] : il revient à l'Ecclésia d'examiner les titres des candidats et de sélectionner le plus capable<ref name="Gor455b">{{PlaGor}} (455b).</ref>. Ces derniers doivent évoquer leur formation et citer leur maître<ref>[[Xénophon]], ''Mémorables'' (IV, 2, 5).</ref> et présenter le cas de malades qu'ils ont guéris<ref>''Gorgias'' (514d).</ref>. Le sophiste Gorgias note qu'un bon orateur a plus de chances de l'emporter qu'un confrère plus compétent, mais moins beau parleur<ref name="Gor455b" />.
 
Dans la cité [[attique]], la procédure nous est bien connue : il revient à l'Ecclésia d'examiner les titres de chaque candidat et de sélectionner le plus capable. Le médecin recruté se voit ensuite mettre à disposition un local servant aux consultations. Les médicaments prescrits sont remboursés par l'État grâce à un impôt spécial, le {{grec ancien|ἰατρικόν}} / ''iatrikón''. De manière générale cependant, il s'agit moins de mettre en place un système de soins gratuits, à l'instar des [[Sécurité sociale|Sécurités sociales]] modernes, que de disposer d'un médecin compétent toujours à portée de main, dans des cités où l'état sanitaire est souvent précaire (cf. la « peste » d'Athènes de [[-430|430]]-[[-429|429 av. J.-C.]]), l'[[tremblement de terre|activité sismique]] souvent présente et où les conflits armés sont fréquents.
 
Les inscriptions en l'honneur de médecins publics nous permettent de savoir quelles qualités on attendait d'un tel praticien. Ainsi, une stèle de Samos datée de [[-201|201]]-[[-197|197 av. J.-C.]]<ref>Samos, Inv. J 1 + J 278. [[Jean Pouilloux]], ''Choix d'inscriptions grecques'', Belles Lettres, 2003 (1{{re}} édition 1960), p.&nbsp;64, {{numéro}}14 = Christian Habicht, ''Athenische Mitteilungen'', 72 (1957), p.&nbsp;233, {{numéro}}64.</ref> loue Diodoros, fils de Dioscouridès, pour s'être, lors d'un séisme, « également partagé entre tout le monde pour porter secours à tous » et « avoir placé le secours commun au-dessus de toute fatigue et de toute dépense. »