« Grec ancien/Texte : De l'art » : différence entre les versions
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{{TextQuality|75%}}{{Titre||[[Hippocrate]]|<small>Traduction de Ch. V. Daremberg (1844)</small>}}
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1. Il est des hommes qui se font un art de vilipender les arts. Qu’ils arrivent au résultat qu’ils s’imaginent : ce n’est pas ce que je dis ; mais ils font étalage de leur propre savoir. Pour moi, découvrir quelqu’une des choses qui n’ont pas été découvertes, et qui, découverte, vaut mieux que si elle ne l’était pas, comme aussi porter à son dernier terme une découverte qui n’est qu’ébauchée, me semble un but et une
2. En principe général, il me semble qu’il n’y a aucun art qui ne réponde à une réalité ; car il est déraisonnable de considérer comme n’étant pas, quelqu’une des choses qui sont. Et en effet, pour les choses qui ne sont pas, quelle réalité substantielle pourrait-on y observer pour affirmer qu’elles sont
3. Si l’on n’a pas suffisamment compris ce qui précède, on le trouvera plus clairement exposé dans d’autres traités. Quant à la médecine (car c’est d’elle qu’il s’agit ici), j’en donnerai la démonstration, et je vais d’abord définir ce que j’entends par la médecine : c’est délivrer complètement les malades de leurs souffrances, mitiger les maladies très intenses, et ne rien entreprendre pour ceux que l’excès du mal a vaincus ; sachant bien que la médecine ne peut pas tout. Établir donc qu’elle arrive à ces résultats, et qu’elle peut y arriver dans toutes les circonstances, c’est ce que je vais faire dans le reste de mon discours. En même temps que je démontrerai l’existence de cet art, je ruinerai les arguments de ceux qui s’imaginent l’avilir, et je les prendrai en défaut sur les points où ils se croient le plus forts.
4. Or, mon raisonnement s’appuie sur un principe que tout le monde m’accordera ; on ne disconviendra pas, en effet, que des malades ont été radicalement guéris après avoir été traités par la médecine ; mais par cela même que tous ne l’ont pas été, on accuse l’art, et ceux qui en disent le plus de mal prétendent, en se fondant sur ceux qui out succombé à la maladie, que la guérison des malades est l’ouvrage de la fortune et non celui de l’art ; quant à moi, je ne refuse pas à la fortune toute espèce d’influence, et je suis persuadé que ceux qui sont mal soignés dans leurs maladies sont le plus souvent sous le coup de l’infortune, et que ceux qui sont bien soignés jouissent de la bonne fortune ; mais d’un autre côté, comment se peut-il que ceux qui ont été guéris attribuent leur guérison à toute autre chose qu’à l’art, si c’est en ayant recours à lui qu’ils ont échappé à la mort
5. Mais l’on va m’objecter que beaucoup de malades ont été guéris sans avoir recours au médecin : je ne nie pas cela, je crois même qu’il est très possible de se rencontrer avec la médecine sans se servir de médecin ; non pas qu’on puisse discerner dans cet art ce qui est convenable de ce qui ne l’est pas, mais il peut arriver qu’on emploie les mêmes remèdes qui auraient été prescrits si on avait fait venir un médecin. Ceci est déjà une grande preuve de la réalité de l’art ; si réel et si grand que ceux mêmes qui ne croient pas à son existence lui sont redevables de leur salut. De toute nécessité, les personnes malades et guéries sans avoir eu recours au médecin, savent qu’elles ont été guéries en faisant ou en évitant telle ou telle chose, car c’est l’abstinence ou l’abondance des boissons et de la nourriture, l’usage ou le non usage des bains, la fatigue ou le repos, le sommeil ou la veille, ou le concours de toutes ces choses qui les a guéries. De plus, quand ils étaient soulagés, il leur a fallu de toute nécessité pouvoir discerner ce qui les soulageait, comme aussi ce qui leur nuisait quand ils étaient incommodés. Il n’est pas à la vérité donné à tout le monde de déterminer parfaitement ce qui nuit ou ce qui soulage ; mais le malade qui sera capable de louer ou de blâmer [avec discernement], quelque chose du régime qui l’a guéri, trouvera que tout cela est de la médecine. Les fautes mêmes n’attestent pas moins que, les succès toute la réalité de l’art : telle chose a soulagé, c’est qu’elle a été administrée à propos ; telle autre a nui, c’est qu’elle n’a pas été administrée à propos. Quand le bien et le mal ont chacun leurs limites tracées, comment cela ne constitue-t-il pas un art ? Je dis qu’il n’y a pas d’art là où il n’y a rien de bien ni rien de mal ; mais quand ces deux choses se rencontrent à la fois, il n’est pas possible que ce soit le produit de l’absence de l’art.
6. Toutefois, s’il n’y avait dans la médecine et entre les mains des médecins d’autre mode de traitement que l’usage des remèdes purgatifs et resserrants, mes paroles auraient très peu de poids ; mais on voit les médecins les plus renommés guérir, soit par le régime, soit par d’autres moyens tels, qu’il n’est, je ne dis pas un médecin, mais pas même un individu quelconque, si ignorant qu’il soit de la médecine, qui ose soutenir que là il n’y ait point d’art. Si donc il n’est rien d’inutile entre les mains des médecins habiles et dans
7. Quant à ceux qui prétextent la mort des malades pour anéantir l’art, je me demande avec surprise sur quels arguments plausibles ils se sont appuyés pour rejeter la cause de la mort des malades, non sur leur infortune, mais sur la science de ceux qui exercent la médecine ; comme s’il était plus ordinaire aux médecins de prescrire de mauvais traitements, qu’aux malades de violer les ordonnances. Cependant il est beaucoup plus naturel aux malades de ne pouvoir remplir exactement les ordonnances qu’au médecin de prescrire ce qui ne convient pas. En effet, le médecin est sain de corps et d’esprit lorsqu’il entreprend un traitement ; il se guide sur le présent et sur le passé qui a de l’analogie avec ce qu’il a sous les yeux, de telle sorte que les malades sont quelquefois contraints d’avouer que c’est grâce à lui qu’ils sont sauvés ; tandis que les malades, ne connaissant ni la nature ni les causes de leur mal, ignorant quelles en seront les suites, et ce qui arrive
8. Quelques-uns, sous prétexte que les médecins ne veulent rien entreprendre pour ceux que l’excès du mal surmonte, attaquent la médecine. Ils disent qu’elle n’entreprend que les maladies qui se guériraient d’elles-mêmes, tandis qu’elle ne touche pas à celles qui réclament de grands secours. Or, dit-on, si l’art existait, il guérirait tout également ; mais si ceux qui tiennent ce langage blâmaient les médecins de ne pas les traiter pour la folie quand ils raisonnent ainsi, leur blâme serait bien plus légitime que celui qu’ils élèvent ; car prétendre que l’art a de la puissance dans les choses où il n’y a plus d’art possible, ou que la nature peut agir sur les choses qu’elle n’a pas engendrées, c’est ne pas s’apercevoir qu’on joint la démence à la stupidité bien plus encore qu’à l’impéritie ; ce qu’il nous est donné d’obtenir à l’aide des instruments mis à notre portée par la nature ou par l’art, nous pouvons le mettre en
9. Pour ce qui est des autres arts, j’en parlerai dans un autre temps et dans un autre discours. Quant aux choses qui regardent la médecine, ce qu’elles sont, comment il faut les juger, on l’a déjà appris par ce qui précède, ou on l’apprendra par ce qui suit. Pour les médecins versés dans la connaissance de l’art, il y a des maladies qui ont un siége apparent, et elles sont peu nombreuses ; il y en a qui ont un siége caché, et c’est le plus grand nombre. Les maladies concentrées dans l’intérieur du corps sont cachées ; celles qui se manifestent par des efflorescences ou par des changements de couleur à la peau, ou par des tumeurs, sont évidentes ; en effet, par la vue et par le toucher, on peut reconnaître la dureté ou la souplesse qu’elles présentent ; on peut aussi discerner les maladies qui sont froides de celles qui sont chaudes ; car les maladies sont rendues évidentes par l’absence ou par la présence de chacune de ces choses [du froid et du chaud, de la dureté ou de la souplesse]. Le traitement de toutes ces maladies doit donc toujours être exempt de fautes, non qu’il soit facile, mais parce qu’on en a déterminé les moyens ; or ne les a pas déterminés qui a voulu, mais seulement ceux qui en ont été capables, et cette capacité appartient à ceux qui ne trouvent point obstacle dans leur éducation, et qui n’ont pas à se plaindre de la nature.
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11. Aucune de ces parties dont je viens de parler ne peut être perçue par la vue : aussi j’appelle les maladies [qui les attaquent] des maladies cachées, et l’art les juge ainsi ; il ne peut pas en triompher complètement, parce que ces parties sont cachées, mais il en triomphe autant que possible ; cela est possible autant que la nature du malade se prête à être pénétrée, et que l’investigateur apporte dans ses recherches des dispositions naturelles. Il faut en effet beaucoup plus de peine et de temps pour connaître ces maladies, que si elles étaient perçues par les yeux ; ce qui se dérobe à la pénétration des yeux du corps n’échappe pas à la vue de l’esprit. Toutes les souffrances que le malade éprouve, parce que son mal n’est pas promptement découvert, il ne faut pas les attribuer au médecin, mais à la nature du malade ou de la maladie. En effet, comme le médecin ne peut voir de ses propres yeux le point souffrant, ni le connaître par les détails qu’on lui donne, il le cherche par le raisonnement ; car celui qui est atteint d’une maladie cachée, quand il essaie de la faire connaître aux médecins, en parle plutôt par opinion que de science certaine ; car s’il connaissait sa maladie il ne se mettrait pas entre les mains des médecins ; en effet, la même science qui fait découvrir les causes des maladies enseigne aussi quels sont tous les traitements qui en arrêtent les progrès : ne pouvant donc tirer des paroles du malade rien de clair et de certain, il faut bien que le médecin tourne ses vues ailleurs ; ainsi ces retards, ce n’est pas l’art qui les cause, mais la nature même du corps. Éclairé sur le mal, l’art entreprend de le traiter et s’applique à user plutôt de prudence que de témérité, de douceur que de force : et l’art, s’il est capable de découvrir le mal, sera également capable de rendre la santé au malade. Si le malade succombe dans une maladie connue, c’est qu’il a fait venir trop tard le médecin, ou que la rapidité du mal l’a tué. Car si la maladie et le remède marchent de front, la maladie ne marche pas plus vite [que le remède] ; si le mal devance le remède, il gagne de vitesse sur lui ; et le mal gagne de vitesse à cause du resserrement des organes au milieu desquels les maladies ne se développent pas à découvert ; elles s’aggravent à cause de la négligence des malades ; car ce n’est pas quand le mal commence, mais quand il est tout à fait formé qu’ils veulent être guéris. Aussi je regarde la puissance de l’art comme plus admirable lorsqu’il guérit quelques unes de ces maladies cachées, que lorsqu’il entreprend ce qu’il ne peut exécuter ; or, rien de semblable ne se voit dans aucun des arts mécaniques inventés jusqu’ici. En effet tout art mécanique qui s’exerce avec le feu est suspendu si le feu vient à manquer ; mais on le reprend aussitôt que le feu est rallumé. Il en est de même des arts qui s’exercent sur des matières faciles à retoucher : de ceux par exemple qui mettent en oeuvre le bois ou le cuir, qui s’exercent par le dessin sur le fer ou sur l’airain, et de beaucoup d’autres semblables : les ouvrages faits avec ou à l’aide de ces substances, bien qu’il soit facile de les retoucher, ne doivent pas être confectionnés plus vite qu’il ne convient pour l’être artistement ; et si un des instruments vient à manquer, on est obligé de suspendre le travail ; et bien que cette interruption ne soit pas favorable aux arts, néanmoins on la préfère.
12. Quant à la médecine, dans les empyèmes, dans les maladies du foie ou dans celles des reins et dans toutes celles des cavités, ne pouvant faire d’observations directes (et cela est très évident pour tous), elle appelle en aide d’autres ressources ; elle interroge la clarté et la rudesse de la parole, la lenteur ou la célérité de la respiration, la nature des flux qui sont habituels à chacun et qui s’échappent par telle ou telle voie ; elle les étudie par l’odeur, la couleur, la ténuité, la consistance ; elle pèse la valeur de ces signes qui lui font reconnaître les parties déjà lésées et deviner celles qui pourront le devenir. Quand ces signes ne se montrent pas et due la nature ne les manifeste pas d’elle-même, le médecin a trouvé des moyens de contrainte à l’aide desquels la nature innocemment violentée produit ces signes. Ainsi excitée, elle montre au médecin habile dans son art ce qu’il doit faire. Tantôt, par l’acrimonie des aliments solides et des boissons, il force la chaleur innée à dissiper au dehors une humeur phlegmatique, en sorte qu’il distingue quelqu’une des choses qu’il s’efforçait de reconnaître ; tantôt, par des marches dans des chemins escarpés ou par des courses, il force la respiration de lui fournir des indices certains des maladies ; enfin en provoquant la sueur il
13. Que la médecine trouve facilement en elle les moyens de porter des secours efficaces, qu’elle ait raison de refuser le traitement des maladies incurables, et qu’elle soigne avec un succès infaillible celles qu’elle entreprend, c’est ce que l’on peut voir dans ce traité, c’est ce que les médecins habiles démontrent encore mieux par des faits que par des paroles. Ne s’étudiant pas à bien discourir, ils pensent en effet inspirer une confiance plus solide en parlant plutôt aux yeux qu’aux oreilles.
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