« La Grande Chasse aux sorcières, du Moyen Âge aux Temps modernes » : différence entre les versions

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=== Le rôle de l’Église ===
Contrairement à l’image qu’en ont donnée les historiens du {{s-|XIX|e}}, le Moyen- Âge n’a pas persécuté massivement les sorcières. Cela est en partie dû à la position de l’Église qui a affiché un scepticisme marqué quant à leurs pouvoirs. L'Église a joué un rôle modérateur.
 
La position de l’Église devient ambiguë avec le Canon Episcopi, qui dit que le vol de nuit, le sabbat et le fait de provoquer des tempêtes ne sont qu’illusions du Diable et que les personnes les subissant ne sont pas totalement innocentes. Il n’exclut donc pas l'existence du Diable et affirme qu’il trouble l’esprit de certaines femmes.
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Cette diffusion se fait par l’intermédiaire de deux livres, le “Formicarus” d’Hans Nider et le “Malleus Maleficarum” de Sprengler et Institor (1487). Si d’autres livres sont théoriques, le « Formicarus » donne aux juges le sentiment de l’urgence, car il consacre le modèle de sorcellerie diabolique. Le « Malleus » aussi appelé « Marteau des Sorcières » finit de rapprocher la sorcellerie au Diable et ajoute un guide de procédure destiné aux enquêteurs. En outre, les auteurs du « Malleus » obtiennent en 1484 du pape Innocent VIII une bulle donnant une impression d’urgence et de danger.
 
== La Renaissance où s’affrontent magiemagies savante et populaire ==
=== Nouveaux courants de pensée ===
Certains humanistes portent une responsabilité indirecte dans le déclenchement de la Chasse. La Renaissance, en chamboulant les structures de pensée médiévale rationnelle, installe une période désordonnée, de magisme et d’intolérance.
 
La pensée a besoin de se libérer de la scolastique. Quelques humanistes réinventent le platonisme, citons Pic de la Mirandole, Trithième et Paracelse. Cette révolution néoplatonicienne est moins une redécouverte de Platon qu’une réinvention basée sur les détails les plus ésotériques. Ils construisent une magie savante. Pour eux le monde est peuplé de démons qui sont les intermédiaires entre le mage et l’invisible. Il créent une philosophie de la vie et de l’amour. Ils sont en conflit ouvert avec les aristotéliciens et l’Église.
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=== L’influence de la Réforme sur la répression ===
La Réforme et la Contre-Réforme laissent de moins en moins de place à la tolérance. Malgré cette volonté de libertés spirituelles et sexuelles, les freins moraux se font de plus en plus nombreux. La Renaissance encourage les sorcières et les réprime ensuite. La Réforme et le durcissement des lois à l’égard des mages-sorciers et des petits maléficieurs font éclore la Grande Chasse. La Réforme appelle notamment à un retour aux textes bibliques et rejette les bulles pontificales comme le Canon Episcopi. La Bible, même si elle n’évoque pas ces questions très longuement, est beaucoup plus dure que le canon. Dorénavant, les protestants condamnent magiciens et sorciers sans pitié. De plus, la Bible exhorte les chrétiens à user de la force pour convertir ou ramener dans le droit chemin les égarés.
 
Martin Luther, instigateur de la Réforme, ne consacre pas une part importante de son œuvre aux sorcières, mais réaffirme la nécessité de les tuer. Il craint Satan qu’il voit presque partout. Il dit même l’avoir combattu. Diffusant largement la peur du Diable dans ses ouvrages, il attise encore la haine et la suspicion. Les premiers réformateurs installent un climat de sévérité qui est préjudiciable à tous les persécutés (sorcières, malades, homosexuels, prostituées...prostituées…). Ils veulent restaurer l’ordre perverti.
 
Les catholiques partagent avec les protestants cette volonté de rétablir l’ordre. Le Concile de Trente témoigne d’une nouvelle disposition mentale des élites. Le Clergé est rappelé à l’ordre et la doctrine catholique est réaffirmée. Le mysticisme catholique n’a jamais été plus marqué qu’entre 1620 et 1630 pendant le pic de la Grande Chasse. Le Concile entend vraiment combattre la magie et la sorcellerie, du moins dans ses formes non catholiques. Cette volonté est toujours réaffirmée dans les conciles suivants. En 1584, le Concile de Bourges affirme que les magiciens doivent être tués et leurs clients exécutes. La Compagnie de Jésus prend le contrôle de l'Inquisition. Le caractère élitiste de la compagnie se traduit par une efficacité accrue des méthodes inquisitoriales.
 
== L’emprise des laïcs sur les procès de sorcellerie. ==
=== De la juridiction religieuse à une juridiction laïque ===
Précisons qu’avant Latran {{IV}}, la justice était rendue par un juge unique qui ne disposait d’aucun moyen d’enquête et devait être saisi par un plaignant. Au cas où la vérité ne se ferait pas jour, l’accusé devait se soumettre à une ordalie (épreuve pour vérifier qu’il a la faveur de Dieu). Latran {{IV}} remplace cette procédure par la procédure inquisitoriale basée sur l’enquête et la preuve inspirée par les codes romains.
 
Cette nouvelle procédure se base sur le témoignage, l’aveu ou la preuve. La preuve est impossible a apporter dans les procès de sorcellerie et les gens redoutent de témoigner effrayés par les pouvoirs des accusés. Ainsi, le manque de témoin encourage à prendre en considération la rumeur et la suspicion. De plus, les aveux deviennent indispensables et ils sont le plus souvent arrachés par la torture.
 
De plus en plus, les procédures s’unifient et sont fixées par des pouvoirs centraux. Les tribunaux ecclésiastiques prennent le pas sur les tribunaux civils en ce qui concerne les maléfices. Puis, progressivement, vers les {{s2-|XV|e|XVI|e}}, les tribunaux civils reprennent le dessus. Les tribunaux religieux ne pouvant pas, le plus souvent, punir sévèrement, délèguent une partie du jugement aux tribunaux civils. À partir de là, le pouvoir civil va se renforcer avec une évolution centralisatrice du droit, citons le Carolina, code pénal du Saint-Empire germanique.
 
=== L’apogée de la Grande Chasse aux sorcières autour de 1600 ===
Cette évolution du droit ainsi que la certitude que la sorcellerie participe à un complot diabolique criminel envers l’Église et la société déclenche une énorme vague de répression. Ces procès sont considérés comme modernes par la date (autour de 1600) et par les procédures utilisées. Le système judiciaire se rationalise et les procès se multiplient. Des juristes et démonologues en tout genre publient des compilations de plus en plus étoffées des pratiques sataniques. Un certain climat social et le zèle des magistrats conduisent à des séries d'exécution pouvant dépasser le millier.
 
Les enquêtes sont menées sur des personnes de mauvaise réputation et isolées. Finalement, les accusés sont torturés, avouent, puis sont poussés à dénoncer d’autres personnes qu’ils auraient croisés au Sabbat. La Chasse s’alimente par elled’elle-même ainsi longtemps.
 
Au paroxysme de ce phénomène dans certaines régions d’Allemagne, le massacre prend de telles proportions que les accusés se voient attribuer un numéro et perdent ainsi leur identité. Les exécutions sont groupées.
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== Sociologie de la sorcellerie et étude géographique ==
=== Sociologie des sorcières ===
Si à cause de l’absence de dénominateurs communs, il est difficile de dégager un profil précis et constant de la sorcière, il est possible de le décrire approximativement. En général, les accusés sont des femmes, de vieilles femmes, surtout des veuves. Cependant, là où l’idée de complot satanique pénètre difficilement, les hommes sont nombreux au banc des accusés, car traditionnellement ce sont eux les chamans et les magiciens.
 
Nous avons vu que les accusations mûrissent longtemps avant un procès et les suspects vieillissent. Cependant, les sorcières doivent aussi pouvoir séduire et pervertir. Il faut donc qu’elles aient certains appas. C’est pourquoi de jeunes femmes célibataires sont accusées. Sans mari, une femme peut s’abandonner au Mal dont on la croit déjà proche. Pire encore, les veuves peuvent être victime de leur libido puisqu’elles connaissent les plaisirs de la chair. Il ne faut pas pour autant oublier que des personnes de tous âges (10 à 100 ans) sont condamnées. Pour ce qui est de leur classe sociale, leur profession, ou leur comportement, on ne note pas de traits particuliers. Les accusés exercent toutes les professions. Ils sont rarement prospères, si on excepte les affaires de dénonciations ou les procès essentiellement politiques, mais ne vivent pas dans la précarité. Les guérisseurs, médecins et sages-femmes, côtoyant très souvent la maladie et la mort et manipulant des produits étranges, sont souvent accusés. Du côté de leur comportement, malgré ce que Freud déclare sur la psychologie des sorcières, il n’apparaît de pathologies d’ordre psychologique que dans certains cas de possession et non à l’occasion de procès de sorcellerie. Soumis à un examen minutieux, leur aspect comme leur comportement est toujours remis en question, mais ils ne semblent en rien différer de ceux des autres membres de la communauté. La population étant essentiellement rurale à cette époque, les accusés viennent le plus souvent des campagnes, mais cela s’explique aussi parce que le maléfice (faire mourir le bétail, faire grêler...grêler…) est une forme de sorcellerie qui y est plus utilisée. Avec la diabolisation de la sorcellerie sont apparus les sorcières citadines accusées de « semer la peste ».
 
Ce portrait sociologique mérite d’être nuancé par l’analyse de particularités régionales.
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== La fin des bûchers ==
=== La montée des doutes et des résistances ===
L’Église, même si elle n’est pas innocente, joue un rôle modérateur. La doctrine défendue par le Haut-Clergé reste dans la ligne du Canon Episcopi affirmant que les sorcières font des rêves coupables. Certains clercs restent toujours fidèles à cette ligne, d’autres dérivent dans les fantasmagories du « Malleus ». Pourtant, des voix raisonnables se font entendre dès la seconde moitié du {{s-|XVI|e}}, prenant en compte le rôle des problèmes de voisinage ou celles des médecins considérant les sorcières comme des malades. Mais ces voix sont rapidement submergées par celles des juristes et des démonologues qui permettent à la chasse de durer. Des procès de plus en plus scandaleux finissent par rallier la majorité de l’élite intellectuelle aux sceptiques. L’imagerie diabolique et la peur irraisonnée imposées déjà avec peine au peuple finissent par se dissiper. Les mentalités changent profondément pour permettre l’intervention des pouvoirs centraux. Finalement, les pouvoirs publics centralisés réussissent à imposer la fin des poursuites lorsque la population se rend compte qu’il y a eu trop de passion et de sang. Ainsi la France, très centralisée, les abolit rapidement alors que l’Allemagne, où les tensions entre catholiques et protestants restent vives, ne le fait que tardivement.
 
=== Les possessions scandaleuses et la réponse des pouvoirs publics ===
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=== Conséquences de la Chasse aux sorcières ===
Si on considère que la société avait besoin à ce moment de boucs émissaires pour exorciser toute la pression occasionnée par les mauvaises récoltes, la réforme, la contre-réforme, la guerre de Trente Ans, le fossé qui se creusait entre le peuple et ses élites, alors on peut penser que la Grande Chasse a rempli son office. Le siècle des Lumières éclôt dans une certaine mesure en réaction à la Chasse et les élites intellectuelles se réconcilient avec la population pour qu’éclate ensuite la Révolution française. Comme nous l’avons vu, le droit a évolué parallèlement à la Chasse. Le pouvoir central s’est renforcé pour unifier les codes et les règlements. L’histoire des idées retiendra sans doute les transformations de l’image du Diable, les changements opérés sur l’image de la sorcière, même si elle n’est plus diabolique aujourd’hui, mais aussi ceux qu’a subis l’image de la femme. Même s’il est délicat de mettre en évidence des relations de causes à effets directs, la Grande Chasse aux sorcières qui a éclaté dans toute sa puissance au seuil des Temps modernes s’insère indiscutablement dans l’évolution de notre société.
 
== Conclusion ==