Poésie réunionnaise/Linvitasion o voyaz

Linvisation o voyaz / L'invitation au voyage

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Une version réunionnaise de "L'invitation au voyage" de Charles Baudelaire.

Première pensée. Coralie redécore ce poème de Baudelaire. Elle a l'impression que le français est plus rond et doux avec ses lettres arrondies, ses doubles consonnes, ses sons amortis. Le créole est pimenté par ses k à chaque coin de phrase et ses accents et séduit par son écriture sonore comme san (chant, champs, sans, sang, cent, ...).

Mon zanfan, mon sèr,
Agout la dousèr
Alé laba viv ansanm!
Émé pasioné,
Émé é mouré
Out péi-mèm i arsanm!
Soléi lé mouyé
Dan lo sièl brouyé
Pou mon lèspri néna sarm
Mi oua in mistèr
Kan ou gard a tèr,
Lo zié i briy dan son larm.

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur [goûte à la douceur]
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble ! [ton pays, il me semble]
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux [je vois un mystère]
De tes traîtres yeux, [lorsque tu baisses ton regard]
Brillant à travers leurs larmes. [tes yeux brillent dans leurs larmes]

La, tout lé k’lord é boté,
Luks, kalm é volupté.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Dé troi meb luizan,
Poli par lo zan,
I dékor nout sanb;
Lo pli rar dè flèr
I mèl zot lodèr
Èk lo santèr lanb,
Lo ris plafon,
Lo miroir profon,
Lèsplandèr oriantal,
Tout i sar kozé
Èk lam an sekré
Dan son dou langaz natal.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

La, tout lé k’lord é boté,
Luks, kalm é volupté.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Su kano déor
Lo véso i dor
Èk in lumer vagabon;
Sé pou asouvir
Tout out bann dézir
Ki vyin d’lot koté di mond.
- Lo koulèr lo san
I revèt bann san,
Kano di vilaz dantan,
D’iasint é d’lor;
Lo mond i sandor
Dann luer soléi kousan.

Vois sur ces canaux [sur les canaux dehors]
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants [la couleur du sang]
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière, [les canaux du village d'antan]
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière. [dans la lueur du soleil couchant]

La, tout lé k’lord é boté,
Luks, kalm é volupté.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Français vers Créole. Un poème contient à la fois un rythme qui l'anime, un sens qu'il transporte et des rimes qui le colorent. Le retranscrire est un problème à trois dimensions. Le rythme du poème est figé. Ce sont sur les rimes qu’on gagne alors un petit peu de flexibilité avec quelques substitutions mineures où le mot sœur devient sèr et le mot en-semble devient an-sanm, mais aussi quelques majeures avec les rimes en mysté-rieux qui deviennent simplement mys-tèr ou encore ca-naux se métamorphosant en dé-or. L’alexandrin se conserve malgré tout. Enfin, avec les deux dimensions précédentes contraintes, il ne reste plus que la dernière dimension, la dimension du sens, sur laquelle agir et garder la forme du poème. De la même manière, quelques substitutions de sens mineures apparaissent et confèrent une sonorité créole avec songer qui devient agout, et des devenant dé-troi. Finalement, d'autres substitutions de sens majeures sont quasiment imposées par les dimensions du rythme et des rimes comme "Le koulèr lo san i rovèt bann san" (la couleur du sang revête les champs) à la place du "soleil couchant" qui peut peut-être faire penser aussi aux travaux difficiles d'autrefois dans les champs de cannes.