Philosophie/Philosophie analytique/Gottlob Frege

Philosophie contemporaine
Survol historique Gottlob Frege Bertrand Russell


Présentation modifier

Friedrich Ludwig Gottlob Frege est né à Wismar (ville de Poméranie) le 8 novembre 1848 et est mort à Bad Kleinen le 26 juillet 1925, à l'âge de 77 ans[1]. Son père, Karl Alexander, (1809-1866) était un théologien d'une certaine réputation qui dirigeait une école pour jeune fille avec sa femme, Auguste Wilhelmine Sophie Bialloblotzky (morte en 1878). Frege se marria avec Margarete Lieseberg (1856–1904) en 1887, et il eurent plusieurs enfants, cependant tous morts en bas-âge. Frege adopta un enfant, Alfred, qu'il éduqua lui-même ; Alfred devint ingénieur et mourut pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1945.

Frege étudia les mathématiques à l'Université de Jena, puis à Göttingen où il obtint son doctorat en mathématiques en décembre 1873, avec une dissertation sur la géométrie, sous la direction de Ernst Schering. Mais il n'étudia pas seulement les mathématiques, puisqu'il suivit également des cours de physique, de chimie et de philosophie. À Jena, il suivit le cours de Kuno Fischer sur la philosophie critique de Kant, et, à Göttingen, il suivit le cours de Hermann Lotze sur la philosophie des religions.

Après avoir obtenu son habilitation avec une dissertation sur la théorie des nombres complexes, il retourna à Jena en mai 1874, en tant que Privatdozent. Il y enseigna les mathématiques et publia ses premiers textes, essentiellement des comptes-rendus de livres sur les fondements des mathématiques.

Il passa la plus grande partie de sa vie (1874-1918) au Département de mathématiques de l'Université de Jena. Tous ses travaux furent consacré à des questions touchant à la fois les mathématiques et la philosophie. De son vivant, son œuvre attira peu l'attention et quand ce fut le cas, les comptes-rendus ne témoignaient pas d'une très grande compréhension. Il est toutefois remarquable que les plus grands philosophes du XXème siècle entrèrent en contact avec lui (Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein et Rudolf Carnap). Pourtant, ce n'est que quelques décennies après sa mort que l'importance de son œuvre fut pleinement reconnue. De nos jours, Frege est en effet considéré comme le plus grand logicien depuis Aristote, comme le fondateur de la logique mathématique moderne et le grand-père de la philosophie analytique.

Sa carrière intellectuelle fut inhabituelle : la plupart des philosophes et des mathématiciens font des contributions dans plusieurs domaines de leur discipline. Mais Frege se proposa de ne réaliser qu'une seule tâche : de 1879 à 1906, son but unique fut de donner à l'arithmétique des fondements solides. Presque tous ses écrits de cette époque sont consacrés à ce projet ou à des idées liées à ce projet.

Le logicisme modifier

Frege est l'inventeur d'une notation des raisonnements qu'il appelle Begriffschrift, c'est-à-dire écriture conceptuelle, ce que l'on traduit habituellement par idéographie en Français. Il fut conduit à l'invention de cette notation en s'interrogeant sur les fondements logiques de l'arithmétique :

« Alors que je me demandais à laquelle de ces deux sortes de vérités [celles qui découlent de la logique pure et celles qui découlent des faits d'expérience] les jugements arithmétiques appartenaient, je devais d’abord chercher jusqu’où l’on pourrait aller dans l’arithmétique grâce aux déductions seules, appuyé uniquement sur les lois de la pensée, qui sont au-dessus de toutes les particularités. »[2]

Frege se propose alors de montrer que les mathématiques (et au premier chef, le nombre) peuvent être dérivées de la logique. Cette thèse est désignée par le nom de logicisme et elle fut également soutenue par Bertrand Russell. Le logicisme, dans la version qui était celle de Frege, est aujourd'hui complètement abandonné et l'on considère donc qu'il a échoué dans son projet. Cet échec est cependant bien loin de s'avérer stérile et ce que nous proposons de faire maintenant, c'est de présenter quelques-uns des apports majeurs de Frege en logique et en philosophie.

L'idéographie modifier

 
Page de titre de l'édition originale.

Commençons par l'idée d'idéographie. Cette idée n'a pas été inventée par Frege, puisque Leibniz avait bien avant lui formulé le projet d'un langage artificiel permettant de réduire les raisonnements à un calcul, c'est-à-dire à une procédure formalisée nous garantissant la correction de nos déductions. C'est un langage de ce genre que Frege exposa en 1879 dans son livre intitulé Begriffsschrift. Grosso modo, ce langage est composé de plusieurs sortes de signes qui, combinés selon certaines règles de déduction, permettent de formuler des raisonnements corrects.

Mais nous n'exposerons pas ici cette notation logique, car, du fait de sa lourdeur, elle a rapidement été remplacée par une autre, issue des Principia Mathematica de Russell et Whitehead. Nous allons en revanche nous intéresser aux raisons qui, selon Frege, rendent nécessaire l'utilisation d'une telle notation. Ces raisons sont exposées avec toute la clarté souhaitable dans Que la science justifie un recours à l'idéographie, article qu'il rédigea pour défendre son idéographie.

Les raisons de Frege peuvent être ainsi résumées : nous pensons à l'aide de signes sensibles ; ces signes nous permettent de nous élever à la pensée conceptuelle. Or, le langage ordinaire, que nous utilisons pour penser, est une source d'erreurs, car il n'est pas régi par des règles logiques mais par les règles de la grammaire, et qu'il n'est pas fait pour rendre de manière explicite toutes les subtilités du raisonnement, c'est-à-dire qu'il peut être ambigu ou obscur. Ainsi, si nous ne pouvons nous passer d'un ensemble de signes pour penser, celui dont nous disposons non seulement nous conduit à des erreurs, mais il ne nous donne pas clairement à voir les erreurs que nous faisons. Ce qu'il nous faut donc nous demander, c'est comment obtenir toute la précision souhaitable dans notre usage des signes pour éviter les inconvénients de notre langage de tous les jours.

Pour répondre à ce problème, Frege propose l'utilisation de signes rigides et univoques, par opposition à la souplesse et à la richesse d'utilisation des signes du langage ordinaire. La création de signes rigides et univoques pour un usage strictement logique est analogue à la fabrication d'outils spécialisés : l'outil, rigide et destinés à une seule tâche, est plus précis que la main humaine, qui, cependant, par sa souplesse, possède une plus grande variété d'usages. Le langage a, comme la main, des usages variés, telle que l'expression poétique des sentiments ; mais, pour donner à la pensée toute la précision souhaitable, c'est un langage rigide et univoque qui est nécessaire.

Sujet et prédicat modifier

Cependant, bien que le lecteur concédera peut-être à Frege la pertinence de cette justification de l'usage d'une idéographie, une objection se présentera éventuellement à son esprit. La logique d'Aristote, inventée il y a plus de 2000 ans, n'a-t-elle pas atteint déjà toute la précision souhaitable ? De plus, Aristote n'utilise pas d'idéographie pour exprimer sa logique, et pourtant la validité de ses déductions n'a guère été remise en cause depuis tout ce temps. Est-il bien nécessaire d'inventer un langage formel dans lequel transposer la logique aristotélicienne ?

Pour comprendre ici l'une des nouveautés qu'introduit l'idéographie de Frege, il faut rappeler que la logique d'Aristote repose essentiellement sur la distinction entre un sujet et un prédicat. Le sujet est ce à quoi on attribut le prédicat et le prédicat est ce que l'on dit d'un sujet. Par exemple :

Socrate est un homme

où « Socrate » est le sujet et « homme » le prédicat.

Or, Frege rejette cette distinction parce qu'elle ne concerne pas le contenu conceptuel d'une proposition, mais trouve sa source dans le langage. Pour bien comprendre cette différence de traitement, prenons l'exemple donné par Frege dans la première partie de l'Idéographie (§3):

Les Grecs ont vaincu les Perses à Platée ;
Les Perses ont été vaincus par les Grecs à Platée.

Bien qu'elles soient différentes, ces deux phrases ont la même signification. Les différences que l'on remarque sont permises par la grammaire du Français et peuvent avoir une finalité rhétorique, c'est-à-dire qu'elles dépendent de l'intention d'un locuteur selon l'auditeur auquel il s'adresse. De ce point de vue, on peut dire qu'elles ont un sens différent, bien qu'elles aient la même signification. Ces différences de places ont donc leur source dans le langage et leurs conséquences sont psychologiques. Mais dès lors que ces deux phrases ont le même contenu, les mêmes conclusions peuvent en être déduites, et de ce fait les places du sujet et du prédicat sont logiquement indifférentes. Aussi, d'un point de vue strictement logique, il n'est pas nécessaire de distinguer deux phrases qui expriment ce que Frege nomme le même contenu conceptuel, et ce contenu conceptuel est ce qui seul importe pour l'idéographie.

L'idéographie n'est donc pas une simple formalisation d'une logique préexistante. Voyons à présent comment Frege remplace l'analyse des propositions en sujet et prédicat.

Œuvres modifier

  • Begriffsschrift, 1879 (trad. Idéographie ; édition allemande disponible : Gallica)
  • Die Grundlagen der Arithmetik, 1884 (trad. Les Fondements de l'arithmétique ; texte allemand disponible : Académie de Nancy-Metz)
  • Grundgesetze der Arithmetik, Band I, Hermann Pohle, Jena, 1893 (trad : Lois fondamentales de l'arithmétique ; édition allemande disponible : Gallica ; texte allemand des deux volumes : Korpora.org)

Éditions en Français

  • Idéographie, Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, 2000, (ISBN 2711613887)
  • Les Fondements de l'arithmétique : Recherche logico-mathématique sur le concept de nombre, Seuil, L'ordre philosophique, 1971, (ISBN 2020027364)
  • Écrits logiques et philosophiques, Seuil, Points Essais, 1971, (ISBN 2020229668)
  • Les Ecrits posthumes, Jacqueline Chambon, Rayon Philo, 1999, (ISBN 2877112004)

Bibliographie modifier

Études

  • Demopoulos (ed.), Frege's Philosophy of Mathematics, Cambridge, MA, 1995
  • Dummett, M., Frege, Philosophy of Language, 2d Edition, Harvard University Press, Cambridge 1981
  • Dummett, M., Frege : philosophy of mathematics, London, 1995
  • Engel, P., Identité et référence, la théorie des noms propres chez Frege et Kripke, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1985
  • Kenny, A., Frege : An introduction to the founder of modern analytic philosophy, Oxford, 2000
  • Marion, M. et Voizard, A. (dir.), Frege Logique et philosophie, L’Harmattan, 1998

Biographie

  • Kreiser, L., Gottlob Frege, Leben, Werk, Zeit, F. Meiner, Hamburg, 2001.

Notes modifier

  1. Nous empruntons les informations biographiques qui suivent à MENDELSOHN (2005).
  2. Idéographie, préface.

Ressources modifier

Œuvres

Articles