Nous aborderons la notion de désir en commençant par une définition classique (cf. Spinoza). Nous exposerons ensuite les aspects du désir qui ont le plus retenu l'attention des philosophes, aspects qui concernent la morale et la finalité de la pensée et des actions humaines.

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Le désir est une tension vers un but considéré comme une source de satisfaction. C'est une tendance devenue consciente d'elle-même, accompagnée de la représentation du but à atteindre. En tant que tendance ou appétit, le désir est distingué du besoin qui désigne surtout l'élément affectif de cet état.

Analyse de la notion

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Par cette définition, nous voyons que le désir n'est pas quelque chose que l'on considère en tant que tel, mais comme une relation particulière que nous entretenons avec un objet. Cet objet (dans un sens général, tout être) est estimé par nous comme une source de satisfaction. Cela suppose, en analysant chaque composant de cette relation :

  • un être dont les impulsions peuvent se fixer sur un objet ;
  • un être doté d'une sensibilité et d'une faculté de représentation ;
  • un être capable d'évaluer la satisfaction que peut lui procurer un objet et qui peut également déterminer quel est l'objet qui le satisfera (mais nous verrons quelles difficultés cela présente souvent) ;
  • une évaluation de l'objet, évaluation qui implique nos facultés affectives (plaisir procuré par l'objet), cognitives (par exemple, la satisfaction que procure la certitude) et morales.
  • la représentation que l'obtention d'une certaine relation à l'objet est précisément ce qui nous comblera.

Questions morales

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D'une manière générale, le désir suppose la conscience d'un manque qui traduit notre imperfection. Aussi les philosophes et les moralistes mettent-ils souvent l'accent sur deux aspects négatifs du désir :

  • son caractère douloureux ; l'insatisfaction peut détruire physiquement et psychologiquement celui qui désire ;
  • son aspect illimité quand il se reporte sans cesse sur de nouveaux objets.

Ces aspects mettent en cause la possibilité pour l'homme d'être heureux. Le bonheur résiderait de ce fait soit dans l'absence de désir, soit dans la maîtrise de soi (tempérance).

Cette conception négative du désir implique certaines questions :

  • doit-on réduire nos désirs ?
  • est-il possible de distinguer entre de vrais et de faux désirs ?
  • cette réduction est-elle un devoir moral ?
  • la réduction des désirs conduit-elle au bonheur ?

Ces questions sont des poncifs de la réflexion morale depuis l'Antiquité. On peut schématiquement opposer deux types de réponse :

  • le désir doit être réduit ; le bonheur est alors conçu comme un état d'inertie atteint par la suppression de toutes les tensions. Le désir est ainsi une part maudite dont il faut s'émanciper ;
  • le désir ne peut et ne doit pas être réduit : il est essentiel à la vie. La morale doit donc reconnaître sa valeur.

Désirs naturels et désirs vains

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Les philosophes, depuis les origines de la philosophie, se sont demandés quelle place faire aux désirs. Les réponses sont très variées. Dans le Phédon, Platon expose l'idée d'une vie ascétique où l'homme doit lutter contre les turbulences de son corps ; les Cyrénaïques, au contraire, font de la satisfaction de tous les désirs le bien suprême. Toutes ces réflexions ont conduit à de nombreuses distinctions, comme on le voit par exemple chez Épicure.

La classification des désirs

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La morale épicurienne est une morale qui fait du plaisir le bien, et de la douleur le mal. Pour atteindre le bonheur (l'ataraxie), l'épicurien suit les règles du quadruple remède :

  • les dieux ne sont pas à craindre ;
  • la mort n'est pas à craindre ;
  • la douleur est facile à supprimer ;
  • le bonheur est facile à atteindre.

C'est en vue de ce dernier qu'il faut plus particulièrement penser le désir. Épicure classe ainsi les désirs :

Classification des désirs selon Épicure
Désirs naturels Désirs vains
Nécessaires Simplement naturels Artificiels Irréalisables
Pour le bonheur (ataraxie) Pour la tranquillité du corps (protection) Pour la vie (nourriture, sommeil) Variation des plaisirs, recherche de l'agréable Ex : richesse, gloire Ex : désir d'immortalité


Cette classification n'est pas séparable d'un art de vivre, où les désirs sont l'objet d'un calcul en vue d'atteindre le bonheur.

Le calcul des plaisirs

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Pour Épicure, le calcul (ou "arithmétique") des désirs s'oppose à la fois à l'ascétisme, où l'on se contente d'une vie frugale pour respecter une loi morale, et à la débauche, qui entraîne des souffrances du corps et des troubles de l'âme.

En général, le plaisir est nécessaire au bonheur, et on le recherche tout en fuyant la douleur. Dans certains cas toutefois, nous traitons le bien comme un mal, car il faut fuir un plaisir léger qui aurait pour conséquence une douleur. Par exemple, pour le corps, boire de l'alcool est agréable, mais peut entraîner la déchéance physique ; et pour l'âme, l'amour est la suppression d'un manque, mais peut entraîner la douleur du fait qu'une union parfaite (comme dans le mythe d'Aristophane) est impossible.

Dans d'autres cas, nous acceptons la douleur si elle est passagère, et si elle est la condition d'un plaisir plus haut. Par exemple, l'exercice physique du corps est douloureux, mais la santé qui en résulte est un plaisir.

Si on se livre à un calcul véridique des plaisirs, le bonheur sera facile à atteindre. Le résultat sera l'autarcie, état où l'on se suffit à soi-même en limitant ses désirs : on ne dépend pas des autres, et on ne passe pas sa vie à la poursuite d'objets extérieurs.

En se contentant de satisfaire des désirs naturels, on a réduit le désir aux besoins naturels. Mais cette limitation des désirs pose la question de savoir si l'on peut réduire le désir au besoin ; et si l'on peut distinguer des besoins naturels et des besoins artificiels.

Le désir de vérité

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Cet exposé de la doctrine épicurienne fait voir qu'il n'est pas facile de distinguer la réalité des désirs. L'épicurisme suppose une insatisfaction fondamentale. Quel est alors le véritable désir de l'homme et comment l'assouvir ?

Pour Platon, ce désir est le désir de vérité et il faut pour l'assouvir se libérer de "cette chose mauvaise" qu'est le corps. Il identifie vrai et bien, et donc le vrai désir est la recherche du bien. Les faux désirs sont ceux du corps qui troublent l'âme, l'empêche d'atteindre la vérité et sont sources d'illusions.

Cet idéalisme platonicien fait donc du corps une source d'erreur et de mal :

  • les désirs du corps sont moralement condamnables, sauf quand ils permettent d'accéder aux Idées ;
  • le désir de vérité est en même temps désir du Bien.

Tous les philosophes n'ont pas condamné le désir ; il faut de plus remarquer que si Platon condamne moralement le désir, ce dernier reste la condition d'une spiritualisation des instincts qui passe par la philosophie et la politique et qui est l'expression du désir d'immortalité.

Mais peut-on condamner aussi catégoriquement le désir ? S'il est la cause de nos actions, on ne le devrait pas, car il serait alors l'essence même de notre nature.

L'essence de l'homme

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Classiquement, la raison est considérée comme le propre de l'homme. Pourtant cette raison, qui représente en l'homme la sagesse, ne semble pas devoir exister d'une manière parfaite en l'homme : c'est pourquoi le philosophe désire la sagesse, mais n'affirme pas la posséder. On peut donc douter que la raison soit le propre de l'homme en tant qu'elle serait son essence actualisée. C'est bien le désir qui caractérise l'homme, et la raison n'en serait que l'objet. L'homme ne possède pas la raison mais désire la suivre.

Texte d'étude

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PLATON

ARISTOPHANE. — [...] Jadis, la nature humaine était bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. D'abord il y avait trois sortes d'hommes : les deux sexes qui subsistent encore, et un troisième composé de ces deux-là; il a été détruit, la seule chose qui en reste, c'est le nom. Cet animal formait une espèce particulière et s'appelait androgyne, parce qu'il réunissait le sexe masculin et le sexe féminin; mais il n'existe plus, et son nom est en opprobe. En second lieu, tous les hommes présentaient la forme ronde. Ils avaient le dos et les côtes rangés en cercle, quatre bras, quatre jambes, deux visages attachés à un cou orbiculaire et parfaitement semblables, une seule tête qui réunissait ces deux visages opposés l'un à l'autre, quatre oreilles, deux organes de la génération, et le reste dans la même proportion. [...] Leur corps était robuste et vigoureux, et leur courage élevé, ce qui leur inspira l'audace de monter jusqu'au ciel et de combattre contre les dieux, ainsi qu'Homère l'écrit d'Éphialte et d'Otos.

Zeus examina avec les dieux le parti qu'il fallait prendre. L'affaire n'était pas sans difficulté : les dieux ne voulaient pas anéantir les hommes, comme autrefois les géants, en les foudroyant, car alors le culte et les sacrifices que les hommes leur offraient auraient disparu; mais, d'un autre côté, ils ne pouvaient souffrir une telle insolence. Enfin, après de longues réflexions, Zeus s'exprima en ces termes : "Je crois avoir trouvé, dit-il, un moyen de conserver les hommes et de les rendre plus retenus, c'est de diminuer leurs forces. Je les séparerai en deux; par là, ils deviendront faibles; et nous aurons encore un autre avantage, ce sera d'augmenter le nombre de ceux qui nous servent [...]."

Après cette déclaration, le dieu fit la séparation qu'il venait de résoudre; et il la fit de la manière que l'on coupe les œufs lorsqu'on veut les saler, et qu'avec un cheveu on les divise en deux parties égales. Il commanda ensuite à Apollon de guérir les plaies, et de placer le visage et la moitié du cou du côté où la séparation avait été faite, afin que la vue de ce châtiment les rendît plus modestes. [...]

Cette division étant faite, chaque moitié cherchait à rencontrer celle dont elle avait été séparée; et, lorsqu'elles se trouvaient toutes les deux, elles s'embrassaient et se joignaient avec une telle ardeur, dans le désir de rentrer dans leur ancienne unité, qu'elles périssaient dans cet embrassement de faim et d'inaction, ne voulant rien faire l'une sans l'autre [...]. Et ainsi la race allait s'éteignant. Zeus, ému de pitié, imagine un autre expédient : il met par-devant les organes de la génération, car auparavant ils étaient par derrière; on concevait et l'on répandait la semence, non l'un dans l'autre, mais à terre, comme les cigales. Zeus mit donc les organes par-devant et, de cette manière, la conception se fit par la conjonction du mâle et de la femelle. Alors, si l'union se trouvait avoir lieu entre l'homme et la femme, des enfants en étaient le fruit, et si le mâle venait à s'unir au mâle, la satiété les séparait bientôt, et les renvoyait à leurs travaux et aux autres soins de la vie. De là vient l'amour que nous avons naturellement les uns pour les autres : il nous ramène à notre nature primitive, il fait tout pour réunir les deux moitiés et pour nous rétablir dans notre ancienne perfection.

Le Banquet, 189d-191d


PLATON

DIOTIME. — [...] Celui qui, dans les mystères de l'Amour, se sera élevé jusqu'au point où nous en sommes, après avoir parcouru dans l'ordre convenable tous les degrés du beau, parvenu enfin au terme de l'initiation, apercevra tout à coup une beauté merveilleuse, celle, ô Socrate, qui était le but de tous ses travaux antérieurs : beauté éternelle, incréée et impérissable, exempte d'accroissement et de diminution, beauté qui n'est point belle en telle partie et laide en telle autre, belle seulement en tel temps et non en tel autre, belle sous un rapport et laide sous un autre, belle en tel lieu et laide en tel autre, belle pour ceux-ci et laide pour ceux-là; beauté qui n'a rien de sensible comme un visage, des mains, ni rien de corporel, qui n'est pas non plus tel discours ou telle science, qui ne réside pas dans un être différent d'elle-même, dans un animal, par exemple, ou dans la terre, ou dans le ciel, ou dans toute autre chose; mais qui existe éternellement et absolument par elle-même et en elle-même; de laquelle participent toutes les autres beautés, sans que leur naissance ou leur destruction lui apporte la moindre diminution ou le moindre accroissement, ni la modifie en quoi que ce soit.

Quand, des beautés inférieures on s'est élevé, par un amour bien entendu des jeunes gens, jusqu'à cette beauté parfaite, et qu'on commence à l'entrevoir, on touche presque au but. Car le droit chemin de l'amour, qu'on le suive de soi-même ou qu'on y soit guidé par un autre, c'est de commencer par les beautés d'ici-bas et de s'élever jusqu'à la beauté suprême, en passant, pour ainsi dire, par tous les degrés de l'échelle, d'un seul beau corps à deux, de deux à tous les autres, des beaux corps aux belles occupations, des belles occupations aux belles sciences, jusqu'à ce que de science en science on parvienne à la science par excellence, qui n'est autre que la science du beau lui-même, et qu'on finisse par le connaître tel qu'il est en soi.

Ô mon cher Socrate, poursuivit l'étrangère de Mantinée, si quelque chose donne du prix à cette vie, c'est la contemplation de la beauté absolue. Et, si tu y parviens jamais, que te sembleront auprès d'elle l'or et la parure, les beaux enfants et les beaux jeunes gens, dont la vue maintenant te trouble et te charme à un tel point, toi et beaucoup d'autres, que, pour voir sans cesse ceux que vous aimez, pour être sans cesse avec eux, si cela était possible, vous seriez prêts à vous priver de boire et de manger, et à passer votre vie dans leur commerce et leur contemplation ! Que penser d'un mortel à qui il serait donné de contempler la beauté pure, simple, sans mélange, non revêtue de chairs et de couleurs humaines et de toutes les autres vanités périssables, mais la beauté divine elle-même ? Penses-tu que ce serait une destinée misérable que d'avoir les regards fixés sur elle, que de jouir de la contemplation et du commerce d'un pareil objet ? Ne crois-tu pas, au contraire, que cet homme, étant le seul ici-bas qui perçoive le beau par l'organe auquel le beau est perceptible, pourra seul engendrer, non pas des images de vertu, puisqu'il ne s'attache pas à des images, mais des vertus véritables, puisque c'est à la vérité qu'il s'attache ? Or, c'est à celui qui enfante et nourrit la véritable vertu qu'il appartient d'être chéri de Dieu; et si quelque homme doit être immortel, c'est celui-là surtout.

Le Banquet, 210e-212a


EPICURE

Il faut, en outre, considérer que, parmi les désirs, les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires, les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, les autres pour l'absence de souffrances du corps, les autres pour la vie même. En effet, une étude de ces désirs qui ne fasse pas fausse route, sait rapporter tout choix et tout refus à la santé du corps et à l'absence de troubles de l'âme, puisque c'est là la fin de la vie bienheureuse. Car c'est pour cela que nous faisons tout: afin de ne pas souffrir et de n'être pas troublés. Une fois cet état réalisé en nous, route la tempête de l'âme s'apaise, le vivant n'ayant plus à aller comme vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose par quoi rendre complet le bien de l'âme et du corps. Alors, en effet, nous avons du plaisir quand, par suite de sa non-présence, nous souffrons, <mais quand nous ne souffrons pas>, nous n'avons plus besoin du plaisir. Et c'est pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse.

Lettre à Ménécée


Bibliographie

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Les notions

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