Pathologie moléculaire/chromosomes

La division cellulaire impose un partage égal d’un matériel génétique intégré. Ce partage est assuré par le cycle cellulaire qui double le matériel génétique lors de sa phase S (synthèse) et le répartit également dans les deux cellules filles lors de sa phase M (mitose). Ce partage est rendu possible par une forme particulière et temporaire du matériel génétique, les chromosomes, spécifique de la mitose. Ils sont une forme de transport de l’ADN, sous une forme extrêmement condensée et organisée de la chromatine.

Ces chromosomes peuvent être observés au microscope optique après une coloration spéciale.

Anomalies chromosomiques

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Les anomalies chromosomiques sont des anomalies du génome qui donnent lieu à des anomalies structurales visibles des chromosomes humains. Ces anomalies de nombre ou de structure sont rarement transmises car elles sont la plupart du temps incompatibles avec le développement et la survie de l’embryon.

Les structures génétiques autoréplicatives des cellules contenant l’ADN cellulaire qui contient la séquence nucléotidique qui permet l’alignement linéaire des gènes. Chez les procaryotes, l’ADN chromosomique est circulaire et le génome bactérien entier est porté par un seul chromosome. Le génome eucaryote est réparti selon plusieurs chromosomes.

Pendant 97% de la vie cellulaire, l’ADN est décondensé en une structure linéaire. Le long de l’ADN sont attachés des protéines comme des perles sur un fil. Lorsque la cellule se prépare à se diviser lors de la mitose ou la méiose l’ADN est condensé par un repliement et un enroulement en paquets appelés chromosomes.

En dehors des cellules germinales, chaque cellule humaine contient 46 chromosomes répartis en 23 paires (génome diploïde : 22 paires d’autosomes et 1 paire de gonosomes ou chromosomes sexuels).

On distingue les anomalies numériques des anomalies structurales. Les anomalies numériques sont des anomalies de nombre des chromosomes: monosomies, trisomies, tétrasomies, pentasomies. Les anomalies structurales, ou remaniements chromosomiques, peuvent intéresser des chromosomes isolés ou plusieurs chromosomes entre eux. Elles sont d’ordre divers : délétions, duplications, inversions, translocations.

Les causes des anomalies chromosomiques restent encore peu connues. Il peut s’agir de la survenue de nombreux bris double-brin de l’ADN (Voir Chapitre 2. les Anomalies de l’ADN) après exposition à des agents mutagènes, comme les agents alkylants, ou des radiations ionisantes.

Les anomalies chromosomiques peuvent survenir au cours de la méiose et intéresser les cellules germinales et le zygote. Elles seront alors présentes dans toutes les cellules de l’organisme et sont dites constitutionnelles. Dans certains cas, elles peuvent être transmises à la descendance. Elles peuvent aussi survenir au cours d’une mitose du développement embryonnaire ou fœtal. Elle est alors réduite à un groupe de cellules issues des cellules-filles de cette mitose. L’anomalie est dite alors somatique et forme alors une mosaïque (mosaïcisme). Un autre type d’anomalie somatique est les anomalies chromosomiques survenant au cours du processus tumoral et de la cancérogenèse. Ce sont les anomalies chromosomiques tumorales.

Anomalies chromosomiques constitutionnelles

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En 1957, les progrès réalisés en culture cellulaire in vitro permirent à l’équipe du Pr Jérôme Lejeune de décrire la première anomalie chromosomique associée à une maladie humaine : la présence de trois chromosome 21 (trisomie 21) dans le mongolisme (ou syndrome de Down). Depuis des centaines de phénotypes ont été associés à des anomalies chromosomiques.

Les anomalies chromosomiques constitutionnelles constituent la première cause d’avortements spontanés et les embryons qui ont atteint la deuxième semaine de développement ont 78% de taux d'anomalies chomosomiques. Ce taux est de 62% pour les avortements avant 20 semaines, 6% pour les enfants morts-nés et 0.5% pour les enfants nés vivants. Ces anomalies sont également la principale cause d’insuffisance de développement observé chez 31% des embryons avant l’implantation.

Le phénotype obtenu est dû aux anomalies quantitatives d’expression des gènes situés sur le chromosome ou la région chromosomique anormale. Les phénotypes générés sont dus aux anomalies de régulation de l’expression génique causées par la présence d’un groupe de gènes présents à plus de deux copies (trisomies, duplications), ou à moins de deux copies (monosomies, délétions).

Les trisomies et les duplications entraînent une augmentation d’expression des gènes situés sur ce chromosome ou dans la région dupliquée.

Les duplications régionales entraînent une surexpression des gènes situés dans la région chromosomique dupliquée. Certains gènes jouent un rôle-clé dans la détermination du phénotype (gènes pilotes), d’autres ne jouent qu’un rôle mineur ou aucun rôle (gènes passagers).

Pertes de matériels génomiques

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À l’inverse des gains de matériel génomique, les pertes de matériel (monosomies, délétions, partie perdue de l’isochromosome) entraînent une perte d’un des deux allèles des gènes situés dans la région perdue. Cette perte entraîne une baisse de moitié de l’expression de ces gènes et appelée « haploinsuffisance ». Elle suffit, pour la plupart des gènes, à entraîner l’apparition d’un phénotype anormal.

À l’inverse, les monosomies et les délétions entraînent une haploinsuffisance des gènes situés sur ce chromosome ou dans la région délétée.

Syndromes à gènes contigus

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Parfois, plusieurs gènes d’intérêt sont situés dans la région délétée. Le phénotype créé est donc dû à plusieurs gènes et est appelé « syndrome à gènes contigus ». Comme dans le cas des gains de matériel, parmi les gènes situés dans la région délétée, on distingue des gènes pilotes et des gènes passagers.

Le syndrome WAGR (tumeur de Wilms (néphroblastome), aniridie, anomalies génitourinaires, retard mental), par exemple, est dû à une délétion de la région 11p13 – del(11)(p13). La prédisposition aux néphroblastomes et les anomalies génitourinaires est due à l’haploinsuffisance du gène WT1 et l’aniridie à l’haploinsuffisance du gène PAX6.

La délétion del(22)(q11.2) est à l’origine du syndrome de DiGeorge. Il associe des malformations cardiaques avec des anomalies de plusieurs poches endobranchiales, avec en particulier une aplasie des glandes parathyroïdes et du thymus avec déficit immunitaire T. Ses conséquences moléculaires sont encore peu connues, mais l’haploinsuffisance du gène TBX1 de la famille TBXs y joue un rôle important. Les gènes TBXs sont une famille de plus de 24 facteurs de transcription à motif T (T-box) de fixation à l’ADN, jouant un rôle clé au cours du développement. (Voir « Facteurs de transcription à boite T » dans le chapitre « Pathologie des facteurs de transcription »).

Remaniements chromosomiques et régions soumises à empreinte parentale

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Certaines régions chromosomiques sont soumises à empreinte parentale, c’est-à-dire qu'un allèle parental seulement s’exprime. Par exemple, dans la région 11p15.5, les allèles maternels des gènes du chromosome 11 d’origine maternelle sont le siège d’une inhibition de leur expression par une méthylation régionale de l’ADN. Si cette région chromosomique d’origine maternelle est perdue lors d’un événement chromosomique, l’expression du gène sera perdue car l’allèle maternel exprimé est perdu et l’expression de l’allèle paternel est inhibée par sa méthylation.

Ainsi, une disomie uniparentale de la région 11p15.5 entraîne une perte totale de l’expression de gènes suppresseurs de tumeurs d’expression maternelle, comme H19 ou CDKN1C, codant la protéine p57(KIP2), et une surexpression par duplication des gènes promoteurs de croissance d’expression paternelle, comme IGF2. Cet événement est à l’origine du syndrome de Wiedemann-Beckwith lorsqu’il est constitutionnel. Lorsqu’il est somatique, il est participe à la tumorigenèse de plusieurs types tumoraux comme le néphroblastome, le rhabdomyosarcome embryonnaire, l’hépatoblastome ou le corticosurrénalome. En fonction de l’allèle touché, les phénotypes obtenus seront très différents. Pour 11p15.5, la délétion de l’allèle maternel provoque un syndrome de Wiedemann-Beckwith avec gigantisme (MIM.130650), la perte d’expression de l’allèle paternel un syndrome de Silver-Russel avec petite taille (MIM.180860).

Dans la région 15q11-q13, également soumise à empreinte, la délétion de la région 15q11-q13 maternelle région 15q11-q13 paternelle portant le gène d’expression maternelle UBE3A est à l’origine du syndrome d’Angelman (MIM.105830); la délétion de la région 15q11-q13 paternelle portant le gène d’expression paternelle SNRPN est à l’origine du syndrome de Prader-Willi (MIM.176270).

Anomalies chromosomiques constitutionnelles gonosomiques

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  1. Le syndrome de Klinefelter
  2. Le syndrome de Turner

Anomalies chromosomiques somatiques

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Mosaïcisme

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La survenue d’anomalie chromosomique au cours du développement est à l’origine d’un mosaïcisme. Dans ce cas, seule une partie des cellules de l’organisme porteront cette anomalie. Ce mécanisme permet d’observer des anomalies (monosomies, trisomies) qui seraient rapidement létales chez l’embryon si elles étaient zygotiques, protées par l’ensemble des cellules.

Anomalies chromosomiques tumorales

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Dès le début du siècle, Theodor Boveri faisait l’hypothèse que les tumeurs humaines étaient dues à des anomalies des chromosomes. Aujourd’hui, il est acquis que les anomalies chromosomiques sont une des caractéristiques des cellules tumorales. Plus de 54000 caryotypes tumoraux ont été décrits et sont stockés dans la base de données du National Cancer Institute (NCI) développée par Félix Mitelman.

Les causes des anomalies chromosomiques tumorales

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Comme pour les anomalies constitutionnelles, les causes des anomalies chromosomiques tumorales sont peu connues. Les bris double-brin de l’ADN (Voir Chapitre 2. les Anomalies de l’ADN) survenant après exposition à des agents mutagènes, comme les agents alkylants, ou des radiations ionisantes.

Les traitements anti-cancéreux par des agents alkylants peuvent eux-mêmes donner lieu à des anomalies chromosomiques somatiques à l’origine de cancers secondaires, en particulier des délétions ou des pertes de chromosomes 5 et 7.

Les inhibiteurs de la topoisomérase II entraînent la survenue de translocations équilibrées, impliquant fréquemment le gène MLL en 11q23.

Les radiations ionisantes entraînent la survenue d’anomalies chromosomiques multiples, à l’origine des augmentations de fréquence de cancers observées après les irradiations de population (bombes nucléaires, accidents nucléaires) ou dans les professions exposées aux radiations.

Les types d’anomalies chromosomiques tumorales

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Les anomalies observées sont de plusieurs types. Comme pour les anomalies constitutionnelles, on distingue les anomalies de la ploïdie, les anomalies numériques (monosomies, trisomies, tétrasomies) et les anomalies structurales. Ces dernières sont des anomalies régionales (délétions, duplications), des réarrangements (translocations) ou des anomalies complexes (isochromosomes).

Les principaux remaniements chromosomiques sont les translocations réciproques, les inversions et les insertions. Ils constituent des anomalies précoces dans le processus oncogénétique.

La plupart des anomalies chromosomiques structurales sont spécifiques d’un type tumoral donné. Ils peuvent alors aider au diagnostic d’une tumeur. Environ 700 types tumoraux ont été décrits chez l’homme. Des anomalies spécifiques ont été décrites pour une centaine d’entre eux. Pour les autres, les anomalies sont non spécifiques ou non encore décrites.

Inversement, les anomalies numériques sont assez peu spécifiques et peuvent s’observer au cours de la progression tumorale de multiples types tumoraux. Cependant, elles gardent une certaine spécificité lorsqu’elles sont observées isolément.

Cette spécificité d’une anomalie chromosomique pour un type tumoral donné a pour corollaire la spécificité d’un phénotype tumoral précis avec la dérégulation de l’expression d’un gène donné ou la création d’un nouveau gène (gène de fusion) créé par la translocation équilibrée sans décalage du cadre de lecture de l’ADN.

Ces remaniements ont deux conséquences principales : la formation d’un gène de fusion entre deux gènes séparés physiquement et la dérégulation de l’expression d’un gène structurellement normal.

Pendant longtemps, les remaniements structuraux semblaient spécifiques de proliférations d’origine mésodermique : leucémies, lymphomes et sarcomes. Depuis de nombreux remaniements structuraux, en particulier des translocations, ont été décrits dans des tumeurs épithéliales d’origine ecto- ou endodermiques en particulier les carcinomes de la thyroïde, les carcinomes salivaires, les adénocarcinomes prostatiques et certaines tumeurs mammaires ou pancréatiques.

On peut distinguer les anomalies entraînant des anomalies structurales (ou remaniements) et les anomalies entraînant des anomalies quantitatives, gain ou perte de matériel génétique.

Les anomalies chromosomiques structurales

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Les anomalies chromosomiques structurales (ou remaniements) équilibrées n’entraînent pas de perte ou de gain de matériel génétique. Sur le plan moléculaire, elles peuvent aboutir à créer un nouveau gène issu de la fusion de deux fragments de gènes dans lesquels se trouvent les points de cassure (gène de fusion) ou à déplacer un gène dans un environnement dans lequel son expression sera dérégulée (sur- ou sous-exprimée).

Création d’un gène de fusion
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Les remaniements structuraux (translocations, inversions, certaines délétions) peuvent mettre en continuité deux gènes séparés pour créer un gène de fusion. Si le cadre de lecture est conservé, le transcrit de fusion de ce gène peut être traduit en une néoprotéine oncogénique, dite protéine de fusion.

Certains gènes (comme MLL, ETV6 et NUP98) peuvent s’associer avec de multiples gènes partenaires pour créer des multiples gènes de fusions différents, pouvant avoir des effets moléculaires différents et créer des types tumoraux différents.

Ainsi le gène ALK est à l’origine d’un lymphome anaplasique à grande cellules lorsqu’il s’associe avec le gène NPM1 par une translocation t(2;5)(p23;q35), d’une tumeur myofibroblastique inflammatoire avec le gène RANBP2 et un carcinome pulmonaire à petites cellules avec le gène EML4.

De plus, selon le type cellulaire dans lequel il survient, un même remaniement créant un même gène de fusion peut être à l’origine de types tumoraux différents. Ainsi, la translocation t(12;15)(p13;q25) crée un gène de fusion ETV6/NTRK3. Elle peut être à l’origine d’un fibrosarcome congénital dans les tissus mous, un néphrome mésoblastique cellulaire dans le rein, une leucémie myéloïde chronique dans la moelle osseuse, un carcinome mammaire sécrétoire dans le sein.

Ces remaniements peuvent impliquer les gènes codants deux types principaux de protéines : des récepteurs à tyrosine kinase ou des facteurs de transcription.

Le gène de fusion BCR-ABL1 causé par la translocation t(9;22)(q34;q11) constitue le prototype d’un remaniement impliquant un gène codant une tyrosine kinase. La protéine chimérique résultante associe le domaine catalytique tyrosine kinase de ABL1 avec un domaine d’oligomérisation de BCR qui entraîne une activation constitutive de la protéine de fusion à la surface de la cellule. (voir Pathologie des protéines à tyrosine kinase).

La réalisation d’un caryotype tumoral ou d’une étude par FISH a donc également des enjeux thérapeutiques car il peut permettre de désigner une cible thérapeutique comme ABL1. Ainsi, 5% des leucémies lymphoblastiques aigües pré-T de l'adulte expriment une protéine de fusion ABL1-NUP214 sensible à l’imatinib. Il est à noter que cette anomalie est portée par un épisome extra-chromosomique invisible en cytogénétique conventionnelle.

Lorsque le remaniement implique les gènes de deux facteurs de transcription, il associe en général le domaine de fixation à l’ADN d’un des facteurs avec le domaine d’activation de l’autre facteur (voir « pathologie des facteurs de transcription »). Les transcrits de fusion EWSR1-FLI1 ou EWSR1-WT1 en sont un exemple.

Ces transcrits de fusion peuvent être détectés par RT-PCR dans l’ARN total de la tumeur. L’extraction d’ARN explique la nécessité de réaliser un prélèvement congelé et conservé à -80 degrés Celsius pour toute tumeur des ganglions lymphatiques ou des tissus mous ou pour toute tumeur de l’enfant.

Des protéines de fusion tyrosine kinases peuvent également s’observer dans des tumeurs épithéliales. Ainsi, une protéine de fusion ALK-EML4 par inversion cryptique inv(2)(p22-p21p23) est observée dans 6.7% des carcinomes pulmonaire non à petites cellules dans la population japonaise.

Translocations

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En 1983, la publication de la translocation t(8;14) du lymphome de Burkitt ouvrit la voie l’identification de plus de 350 translocations différentes dans les cancers humains. Ces translocations s’observent principalement dans les leucémies et les lymphomes humains, mais également dans de nombreux sarcomes et quelques carcinomes.

Ces translocations équilibrées réciproques constituent des évènements oncogénétiques initiaux et peuvent être très précoces. Ainsi des translocations de leucémie lymphoblastique aigüe de l’enfant ont été détectées dans le sang de cordon in utero; d’autres ont été à l’origine de leucémies aigües chez des jumeaux dizygotes.

En plus de la création de transcrits de fusion, les translocations équilibrées peuvent être à l’origine de dérégulation d’expression dans de nombreux modèles tumoraux.

En particulier, dans de nombreux lymphomes, l’expression d’un gène cible est dérégulée par sa mise à proximité d’un promoteur d’un gène d’immunoglobuline (IGH, IGL ou IGK) ou de TCR (TCRA, TCRB, TCRG, TCRD). C’est le cas archétypal du lymphome de Burkitt dans lequel on observe une translocation t(8;14) qui place l’oncogène c-myc (MYC) sous le contrôle du gène de la chaîne lourde d’immunoglobulines (IGH).

D’autres translocations peuvent être à l’origine d’un échange de promoteur (promotor swapping) entre deux gènes et entraîner la surexpression d’un gène promoteur de croissance. C’est le cas du gène UPS6 dans les kystes osseux anévrysmaux dans lesquels divers remaniements de la région 17p13 qui le contient sont à l’origine d’un échange de promoteurs avec différents gènes comme ZNF9, COL1A1, TRAP150 ou OMD. La surexpression de PLAG1 dans plusieurs modèles tumoraux est également due à un échange de promoteurs : dans les lipoblastomes (remaniements de la région 8q11-q13), par translocation t(3;8)(p21;q12) dans les adénomes pléomorphes des glandes salivaires (avec le gène CTNNB1 de la beta-caténine).

Délétions

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En plus de l’inactivation possible d’un ou plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs (voir plus loin), les délétions peuvent également créer un gène de fusion par la mise en continuité de deux gènes situés sur le même chromosome mais séparés physiquement.

C’est le cas des gènes TMPRSS2 et ERG, tous les deux situés dans la région 21q22.3. Une délétion del(21)(q22.3q22.3) crée une fusion entre la région 5’UTR de TMPRSS2 avec le gène ERG de la famille ETSs. Cette anomalie est retrouvée dans 50% environ des adénocarcinomes de prostate, dont il semble conditionner l’agressivité.

Un autre exemple est donné par la délétion del(4)(q12q12) observée dans les proliférations myéloïdes avec éosinophilie. Cette délétion fusionne les gènes FIP1L1 et PDGFRA situés tous les deux dans la région 4q12.

Rôle des remaniements structuraux tumoraux en pratique oncologique

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Sur un plan diagnostique et nosologique, ces remaniements structuraux sont spécifiques d’un petit nombre d’entités tumorales, dont ils jouent aujourd’hui un rôle-clé dans le diagnostic, en particulier pour les leucémies et les tumeurs à petites cellules rondes de l’enfant.

Sur un plan pronostique, la détection d’un transcrit de fusion dans le sang permet de suivre la charge tumorale d’une prolifération et détecter des rechutes précoces.

Sur un plan thérapeutique, la conception d’inhibiteurs de facteurs de transcription activés est difficile et aucune molécule n’a aujourd’hui fait la preuve de son efficacité.


Les gains de matériel génomique

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Certaines anomalies chromosomiques sont à l’origine de gains de matériel génomique. Il peut s’agir d’anomalies numériques comme les trisomies, les tétrasomies ou d’anomalies structurales comme des duplications régionales ou des isochromosomes (qui entraînent à la fois une délétion d’un bras chromosomique et une duplication de l’autre bras).

Un autre mécanisme chromosomique peut entraîner une très forte surexpression génique, il s’agit des amplifications géniques par lesquelles plusieurs centaines de copies d’un gène promoteur de croissance (oncogène) peuvent s’exprimer dans les cellules tumorales.

Trisomies, tétrasomies et duplications régionales

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Ces anomalies chromosomiques entraînent une surexpression des gènes situés dans la zone dupliquée. Parmi ceux-ci, seuls certaines vont avoir un rôle-clé dans le processus oncogénétique (gènes pilotes); les autres auront un rôle passif (gènes passagers).

Ces anomalies peuvent être isolées ou s’associer à d’autres anomalies. Dans le premier cas, la trisomies semble être le processus oncogénétique primordial; dans l’autre cas, il s’agit fréquemment d’anomalies secondaires, donnant cependant au clone tumoral un certain avantage comparatif.


Amplification régionale

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Un gène ou un groupe de gènes peut avoir son expression dérégulée par une amplification de la région chromosomique qui les porte. Cette amplification régionale peut avoir lieu sur le chromosome lui-même donnant alors naissance à une région ayant une coloration homogène appelée HSR (Homogeneously Stained Region). Elle peut avoir lieu dans une structure extra-chromosomique, appelée chromosome-minute. Elle entraîne une très forte surexpression des gènes amplifiés, parmi lesquels il faut également distinguer des gènes pilotes et des gènes passagers.

Les gènes amplifiés sont en général des oncogènes ou des gènes promoteurs de croissance (NMYC, MYC) ou des protéines d’épuration de toxiques conférant une chimiorésistance (MDR, multidrug resistance).

Dans certains cas, l’amplification régionale est isolée et pourrait représenter l’anomalie oncogénétique initiale comme les amplifications de la région 12q13-q15 [amp(12)(q13-q15)] dans les tumeurs adipocytaires.

Dans la plupart des cas, les amplifications régionales surviennent au cours de la progression tumorale permettant au sous-clone tumoral qui le porte d’acquérir un important avantage sélectif par rapport aux autres sous-clones tumoraux.

Pertes de matériel génétique

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La troisième grande catégorie d’anomalies chromosomiques tumorales est les pertes de matériel génomique. Elles entraînent l’inactivation de plusieurs dizaines de gènes appelées « gènes suppresseurs de tumeurs » et de plusieurs centaines de gènes dont la perte ou l’inactivation permet au clone de proliférer ou aux sous-clones porteurs de l’anomalie d’acquérir un avantage sélectif. Ces pertes peuvent être des monosomies ou des délétions chromosomiques régionales en cytogénétique conventionnelle ou moléculaire. Voir tableau « Les principales pertes génomiques et leurs gènes-cibles »

En biologie moléculaire, ces délétions peuvent être détectées et cartographiées par une recherche de pertes d’hétérozygotie d’un marqueur polymorphe dans l’ADN tumoral (ou perte d’allèles ou LOH – Loss Of Heterozygosity).

Les gènes suppresseurs de tumeurs forment un groupe de gènes dont l’inactivation bi-allélique est à l’origine de prolifération tumorale.

L’inactivation constitutionnelle du premier allèle de ces gènes (en général, par mutation génique) entraîne une prédisposition tumorale héréditaire. L’inactivation somatique du second allèle se déroule au cours du développement ou au début de la tumorigenèse.

Pour les tumeurs sporadiques, survenant en dehors de tout contexte de prédisposition, l’inactivation des deux allèles est somatique et se déroule au cours de la tumorigenèse.

Anomalies chromosomiques constitutionnelles

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Anomalies chromosomiques somatiques

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Anomalies chromosomiques tumorales

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Gène de fusion

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Gains de matériel génomique

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Pertes de matériel génétique

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Anomalies des télomères

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Les télomères sont les extrémités des chromosomes. Ils sont constitués des séquences ADN répétées TTAGGG. Ils jouent un rôle crucial dans la réplication complète des extrémités chromosomiques et protègent les terminaisons chromosomiques de la fusion et la dégradation.

Lorsque les cellules somatiques se répliquent, une petite partie du télomère ne se duplique pas et les télomères se réduisent progressivement à chaque cycle cellulaire. Ce raccourcissement entraîne à terme un arrêt du cycle cellulaire.

La taille des télomères est normalement régulée par un complexe enzymatique appelée télomérase qui ajoute des nucléotides sur l’extrémité télomérique. La télomérase est un complexe ARN-protéines spécialisé qui utilise son propre ARN comme matrice pour ajouter des nucléotides sur l’extrémité télomérique. L’activité de la télomérase est réprimée par des protéines régulatrices qui limite l’élongation télomérique. L’activité télomérase est exprimée dans les cellules germinales. Elle est faible dans les cellules souches et habituellement absente dans la plupart des tissus somatiques.

Au cours de la sénescence tissulaire, les télomères deviennent plus petits ce qui entraîne une sortie de la cellule du cycle cellulaire et une incapacité à générer de nouvelles cellules pour remplacer les anciennes lésées.

Inversement, dans les cellules tumorales, la télomérase est réactivée et les télomères ne sont pas raccourcis, suggérant que l’élongation des télomères est un élément essentiel de la tumorigenèse.

Cependant, les relations entre activité télomérique, taille télomérique, sénescence et cancer ont encore besoin d’être établis.

Sénescence

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Tumorigenèse

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