Pathologie moléculaire/ADN/Anomalies de méthylation de l'ADN
Anomalies de méthylation de l'ADN
modifier- épigénétique
- anomalies épigénétiques
Maladies génétiques
Les maladies génétiques sont des maladies causées par une anomalie du matériel génétique (ADN), entraînant l’apparition d’un phénotype anormal par une anomalie d’expression d’un gène ou la production d’une protéine anormale. Environ 4000 maladies génétiques ont été décrites à ce jour, dont le gène en cause a été identifié pour environ la moitié. La grande majorité d’entre elles sont très rares et affectent une personne sur plusieurs milliers ou millions.
Un phénotype pathologique peut être dû à l’anomalie d’un seul gène (maladie monogénique ou mendélienne), de quelques gènes (maladies oligogéniques) ou de nombreux gènes (maladies polygéniques ou maladies de transmission complexe ou maladies multifactoriels).
3a. Les maladies monogéniques (maladies mendéliennes)
Toutes les maladies de transmission mendélienne résultent de l’expression de mutations d’un seul gène (monogénique) à effet important. La plupart de ces mutations sont récessives, c'est-à-dire que les deux allèles doivent être mutés pour que l’effet phénotypique soit apparent. Environ 80 à 85% de ces mutations sont familiales. 15 à 20 % sont des mutations acquises de novo chez l’individu malade. Certaines mutations autosomiques ont un effet phénotypique partiel à l’état hétérozygote et une expression entière à l’état homozygote.
Dans certains cas, les deux allèles d’un gène peuvent s’exprimer chez le sujet hétérozygote. Il s’agit alors d’une codominance dont les systèmes d’histocompatibilité et les groupes sanguins fournissent un bon exemple.
Tous les types de protéines peuvent conduire à une maladie monogénique lorsque leur gène est muté. Dans une certaine mesure, le type de transmission est conditionné par le type de protéine impliqué et le caractère monogénique d'une maladie en fonction du type de gène atteint.
Les conséquences des mutations dépendent de plusieurs paramètres, dont le plus important est la fonction de la protéine mutée. Quatre grands groupes de maladies monogéniques peuvent être considérés en fonction de la protéine mutée :
Les déficits enzymatiques
Les anomalies des récepteurs membranaires et des systèmes de transport
Les anomalies de structure, de fonction et de quantité des protéines non-enzymatiques
Les réactions anormales aux médicaments.
1. Les déficits enzymatiques
Les mutations des gènes codants des enzymes entraînent les maladies génétiques enzymatiques, qui sont pour la plupart des maladies métaboliques dites 'constitutionnelles'. Le déficit enzymatique peut entraîner une accumulation du substrat (maladies de surcharge), une diminution de la quantité du produit de la réaction, une incapacité à inactiver un substrat lésant les tissus ou à modifier certaines molécules (comme les anomalies de la glycosylation protéique). (Voir chapitre 1. Maladies métaboliques)
2. Les anomalies des récepteurs
Beaucoup de substances actives doivent être transportées de façon active à travers la membrane cellulaire. Ce transport est assuré par des protéines transporteuses ou par des mécanismes d’endocytose médiée par des récepteurs. Par exemple, dans les hypercholestérolémies familiales, la diminution de la synthèse ou de la fonction des récepteurs de lipoprotéines de basse densité (LDL ou low-density lipoprotein) entraîne une anomalie du transport des LDL dans les cellules et une augmentation secondaire de la synthèse de cholestérol. (Voir chapitre 'Anomalie des récepteurs')
3. Les anomalies des systèmes de transport
- Canaux membranaires et canalopathies
Le groupe des anomalies des canaux transmembranaires constitue les canalopathies. Par exemple, dans la mucoviscidose, la maladie génétique la plus fréquente, le transport des ions chlorure dans les glandes des bronches et du pancréas exocrine, les glandes salivaires et les glandes sudorales est perturbé. Cette anomalie du transport ionique entraîne d’importantes lésions du pancréas et des poumons. (Voir chapitre 'Canalopathies')
- Transport de l’oxygène
Les anomalies de l’hémoglobine sont historiquement à l’origine de la médecine moléculaire. Elles correspondent à des anomalies moléculaires d’une de ces protéines, la globine. La drépanocytose est ainsi à l’origine d’une hémoglobine anomale (HbS). Les thalassémies sont associées à des quantités anormales de chaînes de globine alpha ou bêta structurellement normale.
- Les transports des métaux
Les mutations des gènes codant des protéines de transport des métaux peuvent causer un grand nombre de maladies génétiques, touchant en particulier le transport du fer (hémochromatose) ou du cuivre (Maladie de Wilson).
- Anomalies des protéines structurales
Les anomalies de protéines structurales telles que le collagène, la spectrine et la dystrophine entraînent des maladies comme l’ostéogenèse imparfaite, la maladie d’Elhers-Danlos, la sphérocytose héréditaire, les dystrophies musculaires et la maladie de Marfan. (Voir chapitre 'Anomalies du tissu conjonctif')
Les mutations protectrices
Les mutations peuvent également être protectrices. Par exemple, le virus HIV utilise un récepteur des chémokines CCR5 pour entrer dans les cellules. Certaines mutations de CCR5 peuvent protéger contre l’infection HIV. Une mutation peut également procurer un avantage sélectif. Ainsi, le portage hétérozygote de la drépanocytose est un facteur protecteur contre le paludisme, ce qui explique sa grande fréquence en Afrique.
Maladies épigénétiques, anomalies de la méthylation de l’ADN, anomalies de l’empreinte parentale
La méthylation de l'ADN est un processus épigénétique. Elle est le résultat d’une méthylation de cytosines en 5-méthylcytosines dans les dimères C-G de l'ADN, en particulier dans les îlots CpG. La méthylation de l'ADN est un processus réversible. Les mécanismes de la méthylation de l'ADN ne sont pas connus. Il pourrait s'agir d'un processus en plusieurs étapes passant par l'hydroxylation des méthylcytosines via des enzymes de la famille TET.
La conséquence sur le degré d'expression du gène n'est pas simple : une faible méthylation favorise la transcription mais une forte méthylation, au contraire, l'inhibe. Lorsque le promoteur d'un gène est méthylé, le gène en aval est réprimé et n'est donc plus transcrit en ARNm.
Empreinte génétique
L’empreinte génomique permet de marquer les gènes en fonction de leur origine parentale. L’empreinte génomique est régulée par la méthylation de l’ADN et les modifications des histones. L’empreinte joue un rôle très important dans les maladies développementales et pédiatriques.
Les maladies de Prader-Willi, d’Angelman et de Beckwith-Wiedemann sont des exemples de phénotypes pathologiques causés par des anomalies de régulation de l’empreinte parentale dans des régions données du génome.
Les maladies de Prader-Willi et d’Angelman sont des anomalies de la même région du chromosome 15.
La maladie de Wiedemann-Beckwith est une anomalie de l’empreinte parentale dans la région 11p15.5.
À côté des empreintes génétiques spécifiques d’un gène donné, des modifications globales d’empreintes peuvent survenir chez l’embryon en cas d’absence d’un génome parental. Par exemple, l’activation spontanée d’un ovocyte in situ conduit à un tératome ovarien qui a manqué d’un génome paternel. À l’inverse, une môle hydatiforme complète peut manquer totalement de génome maternel. Cette lésion est le siège d’une prolifération trophoblastique, pouvant se transformer en prolifération choriocarcinomateuse. La môle hydatiforme complète biparentale familiale est une maladie récessive qui conduit au développement à répétition de môles lorsqu’une empreinte maternelle n’a pu être établie au cours de l’ovogenèse. Par ailleurs, les empreintes génétiques des cellules trophoblastiques ont été impliquées dans la genèse de pré-éclampsies.
Cancer et méthylation de l’ADN
Le cancer est un processus en multiples étapes au cours desquelles les anomalies génétiques et épigénétiques s’accumulent et transforment la cellule normale en une cellule tumorale ayant des capacités invasives ou métastatiques.
Les anomalies de méthylation de l’ADN changent l’expression de nombreux gènes associés aux cancers. En effet, les cancers sont fréquemment le siège de méthylation anormale de régions promotrices de gènes qui voient leur expression ainsi inhibée. Cet état de l’ADN est transmissible aux cellules filles. Il n’est pas médié par une modification des séquences mucléotidiques mais est lié à la formation de chromatine réprimant la transcription.
Hyperméthylation de l’ADN et tumorigenèse
L’hyperméthylation de l’ADN est un processus épigénétique qui agit comme une alternative aux mutations pour altérer la fonction de gènes suppresseurs de tumeurs et peut prédisposer à des anomalies génétiques en inhibant des gènes de réparation de l’ADN. L’oncogenèse peut ainsi être promue par l’hyperméthylation locale de gènes suppresseurs de tumeurs.
Toutes les enzymes méthyltransférases (DNMT1, DNMT3A, DNMT3B) sont surexprimées dans les tumeurs humaines, bien qu’à des niveaux modérés.
Les mutations germinales de DNMT3B sont à l’origine du syndrome ICF qui associe un déficit immunitaire, une instabilité centromérique et des anomalies faciales.
Une collaboration entre évènements génétiques et cytogénétiques a été démontrée par l’activation d’un allèle d’un gène suppresseur de tumeur par une mutation génétique et l’inhibition de la transcription de l’autre allèle par l’hyperméthylation de son promoteur.
L’inactivation par hyperméthylation d’un gène suppresseur de tumeur peut être un évènement précoce au cours du développement tumoral. Les évènements génétiques et épigénétiques peuvent ainsi s’associer de façon très précoce au cours du développement tumoral.
La liste des gènes suppresseurs de tumeurs dont la transcription peut être inhibée par hyperméthylation comprend notamment CDKN2A, RB, APC, PTEN, BRCA1, VHL et CDH1.
Une inhibition de la transcription du gène MLH1 par méthylation épigénétique peut ainsi être à l’origine d’anomalies de la réparation d’ADN de type misappariements pouvant entraîner des cancers colorectaux. De même, une inhibition de l’expression du gène codant O6-methylguanine-DNA methyltransferase a été associée à des mutations de KRAS et TP53.
L’incidence de l’hyperméthylation, en particulier dans les cancers sporadiques, varie en fonction du type de tumeur et du gène considéré. Par exemple, le promoteur de la p16ink4A (CDDN2A) est le siège d’hyperméthylation dans 9% à 49% des cas dans plus de 15 types tumoraux. À l’inverse, l’hyperméthylation de BRCA1 ne s’observe que dans 10 à 20% des cas de cancers sporadiques du sein et de l’ovaire. Ces changements épigénétiques peuvent être utilisés dans le diagnostic moléculaire de plusieurs cancers.
Hypométhylation de l’ADN et cancer
À l'inverse, une hypométhylation de l’ADN peut activer des oncogènes et initier une instabilité chromosomique.
Les cellules tumorales montrent une hypométhylation globale de l’ADN et cette hypométhyaltion est le premier mécanisme épigénétique à avoir été lié au développement cancéreux.
La déméthylation génomique globale progresse avec l’âge en fonction du type de tissu considéré. Elle pourrait expliquer en partie l’augmentation d’incidence des cancers avec l’âge. La perte de la méthylation de l’ADN a également été liée à l’alimentation, en particulier à la baisse des apports en S-adenosylmethione, le donneur primaire de radicaux méthyl dans la cellule, qui pourrait prédisposer au cancer.
La baisse de la méthylation globale peut être détectée avant la formation de tumeurs chez le rat soumis à un régime pauvre en radicaux méthyl. Cette hypométhylation augmente l’expression de plusieurs oncogènes comme la cycline D2, BCL2 et HRAS.
Par ailleurs, la déméthylation globale entraîne l’expression d’antigènes tumoraux et testiculaires. En plus de leur valeur diagnostique, ces antigènes tumoraux pourraient constituer des cibles pour une immunothérapie anti-tumorale.
De plus. Les analyses pangénomiques de méthylation par microarrays ont montré que les profils anormaux de méthylation étaient spécifiques des types tumoraux.
L’hypométhyaltion génomique peut participer à l’instabilité génomique observée dans les cellules tumorales. En effet, la déméthylation favorise les cassure des brins d’ADN et la recombinaison entre séquences répétées déreprimées. Ce lien entre l’hypométhylation et l’instabilité génomique a été montré dans plusieurs modèles tumoraux comme les cancers du sein ou de la prostate.
Les modèles murins sont également en faveur du rôle de l’hypométhylation génomique dans la tumorigenèse. En effet, les cellules souches embryonnaires déficientes en méthyltransférase DNMT1 ont une augmentation de fréquence de réarrangements chromosomiques. Les cellules porteuses d’un allèle hypomorphe de DNMT1 développent des lymphomes agressifs porteurs de nombreux réarrangements chromosomiques.
Thérapies épigénétiques
Il existe aujourd’hui peu de thérapeutiques épigénétiques. Plusieurs sont en cours d’études dans des essais cliniques ou ont été approuvées pour des types spécifiques de cancer.
Les analogues nucléosides comme la 5-azacytidine sont incorporés dans l’ADN en réplication et inhibent la méthylation et réactivent les gènes silencieux. La 5-azacitidine a montré une efficacité dans des essais cliniques de phase 1 dans le traitement de syndromes myélodysplasiques et de leucémies sièges d’une hyperméthylation génique.
Méthylation de l'ADN et vieillissement
L'augmentation ou la diminution de la méthylation de l'ADN sont toutes les deux associées avec les processus de sénescence cellulaire. Les modifications de la méthylation associées à l'âge sont impliquées dans le développement de maladies neurologiques, d'auto-immunité et la survenue de cancers chez les personnes âgées.
Ces anomalies de méthylation liées à l'âge peuvent également inactiver des gènes suppresseurs de tumeurs.
Dans certains tissus, le niveau de cytosines méthylées diminue dans les cellules sénescentes. Cette déméthylation peut accroître l'instabilité chromosomique et favoriser la survenue de réarrangements chromosomiques, ce qui augmente le risque de cancer.
Dans d'autres tissus, comme les glandes intestinales, l'hyperméthylation globale de l'ADN pourrait participer l'augmentation du risque de cancers coliques avec l'âge.
Méthylation de l'ADN et immunité
L'activation de la réponse immune implique des modifications épigénétiques, qui autorisent les cellules à générer une réponse immune spécifique, qui peut être maintenue sur plusieurs génération de cellules. Par exemple, des modifications de l'acétylation et de la méthylation de l'ADN sont nécessaires à la coordination de l'accessibilité de l'ADN et à l'expression génique, autorisant ainsi des cellules à élaborer une réponse immune contre des antigènes spécifiques. Une perte du contrôle épigénétique de ce processus complexe pourrait contribuer à la genèse de maladies auto-immunes. En effet, une méthylation anormale de l'ADN a été observée chez des patients porteurs d'un lupus systémique. Chez ces patients, il est observé une baisse de l'activité méthyl-transférase et un ADN hypométhylée. La dérégulation de certaines voies de signalisation conduit à une surexpression de gêne méthylosensible, comme le gène LFA1, ce qui pourrait causer une auto-immunité de type lupique.
La méthylation de l'ADN et les troubles neuropsychiatriques
De plus en plus de données sont disponibles sur le lien entre les anomalies épigénétiques, les maladies psychiatriques complexes, l'autisme et les maladies neurodégénératives. Ainsi la schizophrénie et des troubles de l'humeur ont été associées à des remaniements de l'ADN impliquant les gènes DNMT. Le gène DNMT1 est surexprimé de façon sélective dans les interneurones GABAergiques chez les schizophrènes.
La reeline est une protéine impliquée dans la neurotransmission normale, la mémoire et la plasticité synaptique. Une hyperméthylation réprime l'expression de la reeline dans les tissus cérébraux de patients ayant une schizophrénie, une psychose ou des troubles bipolaires.
Des mutations spécifiques touchant les composantes de la voie épigénétique
En plus des anomalies épigénétiques, des mutations spécifiques peuvent toucher les composantes de la voie épigénétique. Ces mutations sont responsables de plusieurs syndromes cliniques :
DNMT3B dans le syndrome ICF (Immunodéficit, instabilité Centromeric et anomalies faciales)
MECP2 dans le syndrome de Rett
ATRX dans le syndrome ATR-X (Alpha-Thalassemia/Retard mental, lié à l'X)
Répétitions de l'ADN dans la dystrophie musculaire facioscapulohumérale.
Dans le syndrome de Rett, le gène MECP2 code une protéine qui lie l'ADN méthylé. Les mutations de cette protéine entraînent une anomalie globale de l'expression des gènes dans la première année de la vie. Les filles ayant le syndrome de Rette ont une diminution de la croissance cérébrale, un retard de développement et un important déficit intellectuel.
Le syndrome ATR-X comporte également un retard sévère de développement intellectuel dû à l'inactivation du gêne ATRX, codant une protéine impliquée dans le maintien de l'ADN sous une forme condensée, inactive.
Le syndrome Rubinstein-Taybi est dû à une mutation du gène CREBBP, codant un co-activateur transcriptionnel liant le motif CREB (MIM.600140), localisé en 16p13.3.
Le syndrome de Coffin-Lowry est dû à une mutation dans le gène RSK2 (RPS6KA3) (MIM.300075).