Neurosciences/L'épissage synaptique, l'élimination des synapses inutiles

Lors du développement, de nombreuses synapses sont formées et restent en place jusqu’à l'âge de 2 ans. Après cet âge, le nombre de synapses diminue graduellement, jusqu’à atteindre un minimum vers l'âge de 20 ans. Tout se passe comme si le cerveau fabriquait un grand nombre de synapses, avant de sélectionner progressivement les synapses utiles. L'élimination des synapses inutiles joue certainement un grand rôle avant la puberté, mais cela ne signifie pas que ce processus cesse au-delà de cet âge. En réalité, il se poursuit tout au long de la vie, bien qu'à une intensité inférieure que lors de l'enfance/adolescence. Les scientifiques ont aussi observé divers indices qui indiquent que ce processus jouerait un rôle dans l'apprentissage et la mémoire. La disparition des synapses "inutiles" est appelé l'élagage synaptique, le terme élagage décrivant assez bien le processus.

Les différentes formes d'élagage synaptique

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Au sens strict, l'élagage synaptique est la disparition de certaines synapses inutiles ou redondantes. Ce processus est souvent confondu avec deux autres processus très liés. Le premier est l'élagage axonal, à savoir la simplification des axones, le second est l'élagage dendritique, à savoir la modification de la forme des dendrites, voire leur disparition. Pour résumer, les axones et dendrites en trop sont éliminées, de manière à affiner les réseaux de neurones. Gardons à l’esprit que ces trois processus d'élagage synaptique, axonal et dendritique sont liés et que l'un ne va pas sans l'autre. En effet, les axones ou dendrites deviennent inutiles quand la synapse qu'ils formaient disparaît. D'abord, une synapse disparaît par élagage synaptique, puis l'axone et la dendrite concernée deviennent inutiles et subissent un élagage. Dans ce qui suit, nous parlerons d'élagage synaptique pour parler de ces trois phénomènes.

De nombreuses recherches ont mis en évidence le rôle des cellules gliales dans l'élagage axonal. Par exemple, la microglie et le système immunitaire nerveux sont impliqués dans la disparition des axones, une fois que ceux-ci se sont détachés de leur synapse et qu'ils commencent à régresser. La régression axonale peut se faire soit par rétractation de l'axone, soit par dégradation de l'axone inutile. Si l'axone se fragmente, il laisse derrière lui des débris axonaux et des fragments de cellule que les cellules gliales nettoient. Aussi bien les astrocytes que la microglie se chargent de nettoyer les débris axonaux, bien que dans des proportions différentes. D'autres recherches plus récentes semblent indiquer que les cellules gliales auraient un rôle plus large qu'un simple nettoyage des restes synaptiques, mais la recherche est encore en cours sur le sujet.

Il existe deux types d'élagage axonal : l'élagage axonal de grande échelle et l'élagage de petite échelle.

  • Le premier type d'élagage axonal est la disparition de branches axonales redondantes. Pour rappel, un axone peut se subdiviser en plusieurs branches, souvent appelées branches collatérales. Cela arrive souvent lors du développement, où les axones se subdivisent et atteignent des neurones cibles différents. Mais dans le système nerveux mature, seule une branche axonale survit et les autres disparaissent (dans le cas le plus fréquent, avec de nombreuses exceptions). Il débarrasse le cerveau de connexions à longue distance, qui connectent des aires cérébrales séparées. Un tel type d’élagage synaptique est appelé l'élagage synaptique stéréotypé de grande échelle et est le seul qui entraine une élimination de connexions surnuméraires inutiles.
  • À l'opposé, l'élagage synaptique du cerveau mature élimine des boutons synaptiques en trop, mais laisse les axones en place. À la rigueur, il peut éliminer des synapses qui connectent des neurones proches, des axones de courte distance, mais ce cas est plus rare que l'élimination de boutons internes à une synapse. On parle alors d'élagage synaptique de petite échelle.

Le premier a surtout lieu lors du développement, alors que le second s'observe tout le temps et est plus visible à l'âge adulte. Cette différence correspondrait à une différence fonctionnelle. L'élagage de longue distance sert à mettre en place les connexions et aires cérébrales importantes, à organiser l'anatomie du système nerveux. À l'inverse, l'élagage à petite distance est impliqué dans l'apprentissage et la mémoire. Son utilité principale est de tuner les réseaux de neurones locaux pour les rendre plus efficaces. Il aurait surtout lieu lors du sommeil, et plus précisément lors du sommeil dit paradoxal (une phase du sommeil riche en rêves où l'on observe une forte activité électrique), et jouerait un rôle dans l'oubli de certains souvenirs parasites. Les observations semblent indiquer que le sommeil paradoxal est une phase où l'élagage synaptique bat à plein, relativement à l'état l'éveil. Mais la recherche sur le sujet est encore balbutiante, aussi je n'en parlerais pas plus ici.

L'élagage synaptique développemental

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L'élagage synaptique est surtout présent lors du développement. J'ai cité plus haut l'élagage qui commence à l'âge de 2 ans et cesse vers le début de la vingtaine, mais ce processus est en réalité présent à toutes les étapes du développement. Il sert notamment à mettre en place divers réseaux de neurones cruciaux pour la motricité, la sensibilité corporelle, etc. Un exemple, très connu, est celui de la mise en place des jonctions neuromusculaires, où l'élagage synaptique garantit que chaque fibre musculaire est innervée par un seul motoneurone. Mais on peut aussi citer d'autres exemples, comme la maturation du cervelet. Les cellules de Purkinje du cervelet sont initialement innervées par plusieurs fibres grimpantes, mais toutes sauf une sont éliminées. Un dernier exemple est la maturation du colliculus supérieur et des connexions des cortex visuel et moteur. À la naissance, le cortex visuel et le cortex moteurs sont tous connectés à la moelle épinière et au colliculus supérieur. Les connexions entre cortex visuel et moelle épinière sont en trop, de même que les connexions entre cortex moteur et colliculus supérieur. Après la naissance, ces connexions en trop sont élaguées et disparaissent. Au final, le colliculus supérieur reste innervé par le cortex visuel, mais pas par le cortex moteur.

L'utilité de l'élagage synaptique développemental

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Lors du développement, le cerveau crée un grand nombre de synapses redondantes qui n'ont pas toutes leur place les réseaux de neurones finaux. Au cours de la maturation du système nerveux, ces synapses surnuméraires sont éliminées par élagage synaptique. Le processus peut être appelé par le terme d'input elimination, dans le sens où les neurones concernés éliminent des innervations d'entrée en trop.

Faisons une précision importante : les synapses éliminées par l'élagage de grande échelle ne sont pas des erreurs de mise en place des circuits neuronaux. En réalité, rien ne différencie les axones éliminés de ceux conservés, si ce n'est peut-être une petite différence de force synaptique qui s'amplifie avec l'élagage synaptique, et encore ! En réalité, le fait est que le cerveau fabrique de nombreuses synapses redondantes, car il n'a pas le choix. Prenons l'exemple des jonctions neuromusculaires. Le cerveau des vertébrés n'a pas les moyens de prédestiner chaque motoneurone à une fibre musculaire bien précise. Il génère de nombreux motoneurones identiques et chacun d'entre eux a la possibilité de se fixer à n'importe quelle fibre musculaire du muscle de destination. Ce faisant, de nombreuses connexions se créent et au final, l'élagage synaptique élimine les connexions redondantes pour n'en laisser qu'une. En clair, si le cerveau génère autant de connexions lors du développement, quitte à en supprimer la majorité après, c'est parce qu'il n'a pas les moyens techniques pour faire autrement. Une autre raison plausible est que cela permet aux circuits neuronaux d'être modelés par l'expérience, la sélection des connexions restantes étant guidée par l'activité synaptique. Ce faisant, le mécanisme garantit que ce sont les synapses les plus utilisées, les plus "utiles", qui sont conservées.

Un argument en faveur de ces deux hypothèses est l'observation d’espèces aux réseaux de neurones simples. Sur certaines espèces d'invertébrés (d'insectes ou d'invertébrés marins), les circuits neuronaux ne sont pas construits par foisonnement de synapses, dont la plupart sont éliminées. À la place, les circuits neuronaux sont simples, composés d'un faible nombre de neurones et les connexions entre ceux-ci sont presque identiques d'un individu à l'autre. La mise en place de ces réseaux neuronaux est déterminée directement par le code génétique, avec une faible influence de l'expérience sur le développement neural. Les circuits sont assez simples pour le génome détermine individuellement la destinée et les connexions de chaque neurone à l'avance. Pas besoin de créer des connexions au hasard pour en sélectionner un petit nombre ensuite, l'élagage synaptique est inutile. Et ces espèces ont souvent un répertoire comportemental rigide, inné, bien moins modifiable par l'expérience que celui des vertébrés.

Le mécanisme de l'élagage synaptique développemental

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L'élagage synaptique est réalisé par un mécanisme de winner takes it all, à savoir que les synapses entrent en compétition et que seule la plus adaptée survit. La compétition en question varie suivant le neurone considéré, dans le sens où le mécanisme de mise en compétition n'est pas le même dans une jonction neuromusculaire que dans le système nerveux périphérique.

Les cas les plus classiques sont ceux de la jonction neuromusculaire et des fibres grimpantes du cervelet, où la compétition se fait par l'activité électrique, l'activation des synapses. Une fois les synapses formées, certaines vont être beaucoup activées, alors que d'autres le seront moins. Les synapses les plus souvent utilisées va survivre, alors que les autres vont progressivement péricliter et mourir. La compétition étant rude, seule une synapse vont survivre et la fibre musculaire sera innervée correctement.

Une autre forme de compétition est lié aux neurotrophines, des facteurs de croissance et de survie produits par les neurones qui auront leur propre chapitre dédié. Les neurones post-synaptiques émettent des neurotrophines à destination des neurones pré-synaptiques (ou de leur axone), ces neurotrophines servant de signal pour dire que la synapse est utile et qu'il faut la garder. Mais la quantité de neurotrophines produites est limitée, ce qui fait que certains neurones pré-synaptiques vont mieux s'en sortir que les autres et vont conserver leurs synapses, alors que les autres ne recevront pas assez de neurotrophines et feront disparaître leurs synapses.

Un exemple classique d’élagage synaptique lié aux neurotrophines est celui de l'innervation de la glande mammaire de la souris. Chez la souris adulte, la glande mammaire est fortement innervée par des neurones sensoriels chez la femelle, mais pas chez le mâle. Au début du développement, la glande mammaire est innervée chez les deux sexes, mais régresse ensuite chez le mâle. Les recherches ont montré que cela était lié à une expression différente des récepteurs des neurotrophines. Au début du développement, la glande mammaire émet des neurotrophines et notamment du BDNF (Brain Derived Nerve Factor), qui favorise la survie des synapses, en agissant sur un récepteur nommé TrkB, localisé à la surface des neurones et des axones. Puis, chez le mâle, les hormones sexuelles mâles favorisent l'expression d'un récepteur particulier dans la glande mammaire, qui devient insensible à la neurotrophine BDNF. Les neurones ne perçoivent plus le signal de survie des neurotrophines et l'élagage synaptique démarre. Au final, les mâles perdent leur innervation car les neurones concernés deviennent insensibles aux neurotrophines, alors que ceux de la femelle ne sont pas touchés.

La formation des jonctions neuromusculaires

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L'élagage synaptique a pas mal été étudié dans le cadre de la formation des jonctions neuromusculaires. Grâce à elle, une branche unique forme une jonction neuromusculaire, même si elle se subdivise en plusieurs boutons synaptiques à son extrémité. Du moins, c'est ce qu'on observe dans un système nerveux mature. Mais lors du développement, ce n'est pas le cas. Les motoneurones émettent des axones et branches en direction des muscles et les synapses motoneurone-muscle se forment au hasard. Aucun mécanisme n'empêche un neurone de se connecter à plusieurs fibres musculaires, de même que rien n’empêche plusieurs neurones de faire synapse à une même fibre musculaire, ou encore à plusieurs branches d'un même axone de se connecter au même neurone. Mais un tel réseau de connexions ne marcherait pas très bien et il faut idéalement une seule branche, une seule jonction neuromusculaire par fibre musculaire. Pour cela, les synapses surnuméraires sont progressivement éliminées de manière à ne laisser qu'une seule jonction neuromusculaire par fibre musculaire. Les branches des axones sont élaguées, de même que les axones en trop sont éliminés.

L'élagage synaptique dans la jonction neuromusculaire est réalisé par un mécanisme de winner takes it all, à savoir que les synapses entrent en compétition et que seule la plus adaptée survit. Des expériences ont montré que le processus de sélection de l'axone/branche survivant n'est pas figé. Déjà, le processus est asynchrone, à savoir qu'il a lieu à des vitesses différentes ou des timings distincts dans chaque branche. L'axone/branche survivant n'est pas déterminé et il peut même être inversé. Lors de certaines observations, les chercheurs ont remarqué que certaines branches bien parties pour gagner la course se faisaient dépasser par une remontée surprise d'un axone parti perdant.

Il faut noter que si des synapses sont éliminées, les synapses survivantes deviennent plus efficaces et émettent plus de neurotransmetteurs après élagage synaptique. Les observations montrent une claire amélioration de la force synaptique au fur et à mesure que les synapses surnuméraires sont élaguées. Le mécanisme derrière cette augmentation serait soit l'augmentation du nombre de boutons synaptiques par axone, soit l'amélioration du largage de neurotransmetteurs dans la synapse. Diverses observations semblent indiquer que les synapses survivantes augmentent leur nombre de boutons synaptiques, les plus parlantes étant les observations du ganglion périphérique submandibulaire. Dans ce ganglion, les axones et synapses peuvent facilement être comptés, pour diverses raisons. Et les observations montrent que si le nombre d'axones diminue avec l'élagage synaptique, le nombre de synapses proprement dit augmente. La seule explication est que les axones survivants forment plus de synapses qu'avant, en formant de nouveaux boutons synaptiques.

Fait important, l'axone restant innerve une portion de plus en plus grande de la fibre musculaire. L'aire occupée par les plaques motrices augmente progressivement. D'un côté les axones et branches axonales régressent, de l'autre l'axone restant s'étend. Cela a amené les scientifiques à supposer que l'élagage se faisait par interaction entre branches proches. Toute branche déstabilise les branches proches, situées dans son environnement immédiat, mais n'agit pas sur les branches éloignées, celles connectées plus loin sur la fibre musculaire. Au fur et à mesure, une seule branche survit localement et elle prend la place des branches vaincues. Mais en prenant de la place, elle entre au contact de branches éloignées, et le processus se répète. Mais cette théorie a cependant montré que ce n'est pas exactement ce qui se passe, car il arrive qu'une branche ne prenne pas la place de ses voisines éliminées. En effet, il arrive qu'il ne survive que des branches très éloignées incapables d'interagir entre elles, mais le processus d'élagage se poursuit malgré tout et seule une de ces branches survit. Le processus est donc plus compliqué qu'une simple compétition locale et des facteurs internes aux neurones pré- et post-synaptique doivent entrer en jeu.

L'avis actuel est plutôt que les neurones entrent en compétition non pas au niveau de l'aire innervée sur la fibre, mais en termes de ressources synaptiques. Les ressources synaptiques en question sont les vésicules synaptiques, les neurotransmetteurs, les enzymes qui fabriquent l'acétylcholinéstérase et tout ce qui aide à libérer des neurotransmetteurs. Et ces ressources sont limitées et réparties dans les différentes branches. Un grand nombre de branches implique que chaque branche aura un faible nombre de ressources, et inversement pour un faible nombre de branches. Les axones avec beaucoup de branches sont désavantagés alors que ceux avec peu de branches sont avantagés. Plus un axone a de branches, plus chaque branche manquera de ressources pour stimuler la plaque motrice, par rapport à la concurrence. En conséquence, les neurones éliminent les branches inutiles pour économiser en énergie et utiliser leurs ressources au mieux.