Neurosciences/Annexe technique : les modèles mathématiques des axones
Les modèles du chapitre précédents ne permettent pas de modéliser la propagation du potentiel d'action, mais regardent juste ce qui se passe à un endroit précis de la membrane à un instant t. Or, il faut prendre en compte le fait que la membrane neuronale entoure un neurone, que ce soit au niveau du soma, d'une dendrite ou d'un axone. Dans ce qui va suivre, nous allons étudier l'influx nerveux au niveau d'un axone. Étudier la propagation du potentiel d'action demande d'ajouter quelques détails aux modèles précédents. La théorie principale à faire cela est appelée la cable theory, et nous allons l'étudier maintenant.
Hypothèses de base du modèle
modifierOn peut approximer l'axone par un vulgaire cylindre, ce qui est assez proche de la forme de ceux-ci. Ce cylindre a naturellement un rayon, une longueur et un volume. La membrane entoure ce cylindre sur la longueur et a une épaisseur négligeable : seule sa surface est importante dans ce qui va suivre. L'axone conduit naturellement le courant électrique, ce qui l'apparente à un câble conducteur. Le courant peut soit traverser le cylindre sur sa longueur, soit traverser la membrane (sa surface). Il existe donc un courant axonal qui traverse l'axone sur sa longueur, et un courant membranaire qui traverse la membrane. Les courants vu dans les modèles précédents sont des courants qui traversent la membrane et qui sont donc différents de ce courant de propagation axonal. Nous pouvons noter le courant axonal et le courant membranaire .
Sous la membrane, le cytosol peut propager les ions : après tout, c'est un milieu liquide conducteur ! On peut raisonnablement le modéliser par une résistance axonale, différente de la résistance de membrane. Les courants axonaux et membranaires vont traverser le cytosol et la membrane, qui sont deux milieux conducteurs (partiellement conducteur pour la membrane). Membrane et cytosol possèdent tous deux une résistance, que l'on va appeler résistance axonale et résistance membranaire, notés et . Mais la résistance de ces deux milieux dépendent de la surface de la membrane et du volume de l'axone. Plus un axone aura un volume important, plus sa résistance axonale sera importante : le courant devra traverser une plus grande quantité de matière, qui frottera sur le courant et le freinera. Pour la membrane, c'est la même chose avec la surface : plus sa surface sera grande, plus elle contiendra de canaux ionique et plus elle fera passer le courant. Pour éviter ces écueil, il est intéressant de calculer la résistivité, à savoir la résistance par unité de volume de l'axone, et la résistance par unité de surface de la membrane. La résistivité de la membrane sera notée , alors que celle de l'axone sera notée .
Ensuite, on découpe l'axone en plusieurs "cellules" assez petites, placées en série les unes à côté des autres. La distance entre deux cellules est notée et elles ont un rayon . La membrane est de chacune est modélisée par les modèles vus plus haut (un simple modèle LIF suffira pour notre exemple) : elles ont une résistance et une capacité membranaire notées et . Chaque compartiment est donc relié au suivant par une petite résistance, qui modélise le cytosol, notée . Le circuit équivalent qui correspond est illustré dans le schéma ci-dessous. Les résistances et capacités de la cellule se calculent en multipliant la résistivité axonale/membranaire par le volume et la surface de la cellule, ce qui donne :
L'axone, est assez fin dans le sens où il est beaucoup plus long que large. De plus, les variations de tension sont plus importantes sur la longueur de l'axone que sur sa largeur. En clair, le rayon du cylindre est négligeable et de fait son volume et sa surface le sont également. Ce faisant, les équations du modèle n'ont besoin que d'une seule dimension : la position sur l'axone, sur sa longueur. Dans ce qui va suivre, nous allons noter celle-ci . À chaque cellule de dimension dx, on attribue une résistance membranaire par unité de longueur, une résistance axonale par unité de longueur et une capacité membranaire par unité de longueur. Elles sont notées , et . La résistance totale de la cellule est donc le produit de cette résistance linéique par la longueur dx. Autrement dit :
En combinant les équations précédentes, on trouve que :
Nous allons donc pouvoir utiliser ces deux valeurs de résistances dans ce qui suit.
Le modèle général
modifierFort de ces hypothèses, on peut essayer de déterminer ce qui se passe quand il existe une différence de tension entre deux points de l'axone. Prenons deux endroits à la surface de l'axone, notés et , entre lesquels il y a une différence de potentiel. Par exemple, on peut supposer que le premier segment (qui contient x) a émis un potentiel d'action et pas l'autre.
Application de la loi d'Ohm entre deux cellules
modifierVu qu'il y a une différence de potentiel entre ces deux points, un courant va s'établir (les lois de l’électricité sont formelles). Ce courant est un courant axonal qui parcours l'axone, différent des courants membranaires vus auparavant, qui traversent la membrane axonale. Il est parallèle à la longueur de l'axone, là où le courant membranaire y est perpendiculaire. Nous noterons le courant axonal , alors que le courant membranaire sera noté . Le courant axonal passant d'une cellule à l'autre, il va traverser une résistance .
On peut alors appliquer la formule :
Divisions par :
Passons à la limite :
Relation entre courant axonal et courant membranaire
modifierLe courant i est un courant parallèle à la longueur de l'axone. Il faut trouver une relation entre celui-ci et le courant membranaire pour compléter le modèle. Une bonne idée est de se dire que le courant axonal est un courant d'ions, qui ne peuvent provenir que de l’extérieur, donc du courant de membrane. Le courant axonal à un endroit est donc la somme de tous les courants membranaires des compartiments précédents. Cela permet de déterminer la différence de courant axonal entre deux cellules : c'est simplement le courant de membrane. On a donc :
Établissement de l’équation de propagation
modifierReprenons l'équation :
Dérivons une nouvelle fois par dx :
Divisons par et appliquons la formule .
Multiplions par :
Nous allons utiliser la notation pour simplifier l'équation. La valeur lambda a une interprétation précise, qui sera vue juste après.
Le modèle pour un état stationnaire
modifierDans ce qui va suivre, nous étudierons des situations où une tension est appliquée à un endroit de l'axone et se propage sur l'axone. Nous étudierons ce qui se passe une fois que l'axone a atteint un équilibre, ce qui fait que la capacité peut être ignorée (la variation de tension dans le temps sera nulle).
Partons de l'équation suivante :
Le terme de droite est donnée par la formule du modèle LIF qui donne le courant membranaire. Celui-ci est égal à :
En combinant les deux équations précédentes, on a :
L'équation obtenue n'est autre qu'une équation d'onde qui décrit la propagation d'une variation de tension sur l'axone. Elles décrivent ce qui se passe quand on impose une tension à un endroit x de l'axone. Les solutions de cette équation différentielle sont des exponentielles décroissantes de la forme donnée ci-dessous. On voit que la tension décroît exponentiellement avec la distance parcourue.
La distance lambda joue un rôle dans l'atténuation de la tension avec la distance. Elle définit plus précisément la distance que parcourt la tension avant d'être atténuée de 37% de sa valeur initiale. Il s'agit d'un équivalent spatial de la constante de temps !
L'influence du rayon de l'axone
modifierNous avons vu dans le chapitre sur les neurones que les axones les plus gros tendent à véhiculer les potentiels d'action plus vite que les autres. Il existe une relation assez stricte entre rayon d'un neurone et vitesse de propagation de l'influx nerveux. Les axones les plus gros tendent ainsi à propager des informations devant être traitées rapidement, comme des signaux douloureux vifs, des sensations de brûlure, ou autre. Par contre, les axones plus fins véhiculent des informations plus lentement, qui sont donc moins prioritaires. Reste à expliquer l'origine de cette influence de la taille de l'axone sur sa vitesse de propagation de l'influx nerveux. Cela vient du fait que les neurones plus gros propagent l'influx nerveux plus loin : ils ont une constante lambda plus grande. Et qui dit propagation plus lointaine de l'influx nerveux à temps égal, dit moins de temps pour faire la même distance. Reste à comprendre pourquoi les neurones plus gros ont un lambda plus important. Pour cela, nous pouvons repartir de la définition de la constante lambda et les définitions des résistances axonales et membranaires.
En combinant les trois équations précédentes, on obtient :
Ce qui se simplifie comme suit :
Dans l'équation précédente, le terme : est une constante. En tenant compte du terme 1/2, on obtient :
On voit bien que plus le rayon est grand, plus la constante lambda sera importante.