Mémoire/Mémoire à court terme
Interférences
modifierLa théorie des interférences propose une autre explication. Celle-ci est née des expériences sur des listes de mots semblables. Des mots semblables sont associés ensemble, à cause de leurs ressemblances phonétiques. Mais contrairement à ce que l'on pense, cela n'améliore pas le rappel. Les mots, associés ensemble, vont interférer les uns avec les autres. Quand on voudra se rappeler un mot, des mots semblables entreront en compétition pour la récupération et le tout se terminera par un oubli.
Pour vérifier cela, il suffit de faire une petite expérience : on compare deux groupes, un auquel on donne une liste de mots dissemblables, et un autre groupe auquel on donne une liste de mots semblables. La taille de la liste est suffisamment faible pour rester totalement en MCT (mémoire à court terme) : 7 éléments. Les résultats sont meilleurs dans le premier groupe. Dans le second groupe, les mots rappelés sont souvent ceux qui ont peu de ressemblances phonétiques avec les autres mots de la liste.
D'autres expériences jouent sur l'effet de contiguïté, vu plus haut. Pour rappel, celui-ci nous dit que les mots situés les uns à côté des autres dans la liste sont souvent rappelés ensemble, dans le même ordre. Du moins, c'est le cas si les mots ne sont pas semblables. Si les mots ont une ressemblance phonétique (« chat » versus « ça »), alors le taux de rappel est plus bas. Tout se passe comme si les informations en MCT interféraient les unes avec les autres. Qui plus est, plus les informations sont ressemblantes, plus elles interférent facilement. La création d’associations entre informations en MCT peut donc être une cause d'oubli. D'après les expériences, ce serait même une cause majeure d'oubli.
Trace Decay
modifierLes expériences montrent que l'oubli est progressif : la quantité de chunks oubliés augmente avec le temps. Passé un certain temps, on peut être certain que les chunks rappelés proviennent de la MLT. La Trace Decay Theory dit que les chunks mémorisés en MCT s’affaiblissent avec le temps : s'ils ne sont pas répétés, ils s'effacent graduellement. La répétition serait donc un bon moment pour conserver les chunks en MCT.
Cette théorie semble évidente, mais il faut la tester scientifiquement. C'est ce que les psychologues Waugh & Norman ont fait : dans leurs expériences de 1965, ils ont tenter de réfuter scientifiquement cette théorie. Manque de chance, les choses sont plus compliquées que prévu.
Pour faire leurs expériences, ils ont suivi le protocole suivant. Ils ont pris un groupe de cobaye et leur ont fait lire des séries de 16 chiffres (sur ordinateur). Après un léger temps, les cobayes entendaient une sonnerie, qui leur indiquait la position d'un chiffre dans la liste. Après cela, l'expérimentateur leur présentait d'autres chiffres durant un certain temps. Les chiffres en question étaient corrélés avec le chiffre à rappeler, donner l'occasion à l'interférence de s'exprimer.
Mais le temps entre la présentation de deux chiffres joue aussi. En augmentant le temps de présentation des digits, l'effacement des chunks est censé jouer. Pour tester la trace theory, il suffit de regarder l'influence du temps de présentation entre deux chiffres sur le rappel, et tenter de démêler cela de l'interférence par des calculs statistiques.
Manque de chance, l'effet principal semble être l'interférence. L'effacement progressif des chunks joue pour une faible part dans l'oubli. Aujourd'hui, les preuves de la trace theory sont encore considérées comme trop faible pour être probantes. Il doit sans nul doute exister un effet de diminution des chunks, mais il est très difficile à mesurer efficacement. Le problème vient du fait que le cobaye peut répéter mentalement un chunk pour compenser l'effacement. Or, supprimer cette répétition va induire une interférence, source d'oubli. Il est donc difficile de savoir d'où provient l'oubli dans une tâche de Brown-peterson : interférence ou oubli graduel ?
Interface avec la mémoire à long terme
modifierDiverses expériences ont montré un lien entre mémoire à court terme en mémoire à long terme. Par exemple, les mots les mieux rappelés dans la mémoire à court terme sont souvent ceux qui sont les plus fréquents dans le langage courant. Plus on utilise un mot, plus celui-ci a de chances de rester dans la mémoire à court terme et de résister à l'oubli. C'est ce qu'on appelle l'effet de fréquence.
De plus, le rappel est supérieur pour les vrais mots que pour les faux mots : c'est l'effet de lexicalité. Par exemple, mémorisez les suites de mots suivantes :
shampoing, voiture, champ, bal, lance-roquette
rata, scronno, munu, carrac, shullp
On voit bien avec cet exemple que les mots présents dans notre lexique mental est plus facile.
Dans le même genre, le fait de grouper des mots en catégories sémantiques permet de mieux retenir ceux-ci. Faites apprendre des listes de huit mots à des cobayes : le rappel sera supérieur si les mots sont classés en catégories sémantiques, avec les quatre premiers mots appartenant à une catégorie, et les quatre restants à une autre. Mettez-les dans le désordre, et les performances s'effondrent.
Chunking
modifierMais plus intéressant, on trouve aussi des effets de chunking. La charge de la mémoire de travail varie beaucoup suivant la tâche utilisée ou l'état des connaissances antérieures : la mémoire à court terme peut regrouper des ensembles d'informations très complexes, et les considérer comme une entité unique. Ces entités uniques en mémoire de travail sont appelées des chunks. Le processus de regroupement en chunks est fortement influencé par les connaissances antérieures.
Dans la majorité des cas, les chunks sont directement des connaissances antérieures. Peu importe le nombre d’éléments ou de relations qu'ils entretiennent entre eux : une information déjà mémorisée en mémoire à long terme est considérée comme un tout en mémoire de travail.
Par exemple, essayez de mémoriser ces suites de nombres :
54 63 24 33 98
3852 7453 7467 8964 1827
La seconde est plus compliquée que la première parce que les nombres à quatre chiffres sont peu fréquents et ne se sont pas installés en mémoire à long terme, contrairement aux nombres à deux chiffres.
Même chose pour les joueurs d'échecs : les joueurs professionnels ont mémorisés un grand nombre de configurations de jeu, ainsi que le coup à jouer quand ils sont dans la configuration. Dans ces conditions, la charge cognitive est très faible, comparé à un débutant qui va remplir sa MCT rien qu'en essayant de deviner quoi faire avec seulement deux-trois pièces.
Modèle de Cowan et Engel
modifierUn psychologue du nom de Cowan a proposé une théorie de l'intégration entre mémoire à long terme et mémoire à court terme. Ce modèle reprend les théories sur le fonctionnement de la mémoire à long terme explicite. La mémoire à long terme explicite contiendrait ainsi des concepts, reliés entre eux dans un réseau sémantique. Ces concepts pourraient alors s'activer grâce à l'activation diffusante.
Le gestionnaire de la mémoire de travail, le fameux superviseur attentionnel, décide de porter plus ou moins d'attention sur chacun des concepts activés en mémoire sémantique. Les concepts peu activés n'ont pas droit à la moindre attention de la part du superviseur attentionnel. Par contre, les concepts très fortement activés, peuvent être sélectionnés : ils reçoivent alors une certaine quantité d'attention, et deviennent accessibles à la conscience. Ainsi, la mémoire de travail n'est autre que la portion activée de la mémoire à long terme, sur laquelle le superviseur attentionnel porte son attention.