Mémoire/Les troubles de la mémoire

De nombreuses maladies peuvent causer des troubles de la mémoire. Dans ce chapitre, nous allons voir quelles sont les maladies qui altèrent la mémoire, comment elles se manifestent, quel est le mécanisme de leur apparition. Toutes, ou presque, sont des maladies neurologiques qui attaquent le cerveau. Certaines sont liées à l'âge, comme la fameuse maladie d'Alzheimer, d'autres sont liées à des carences nutritionnelles, d'autres à des infections, etc.

Les amnésies antérograde et rétrograde

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L'amnésie est un syndrome neurologique caractérisé par une perte de la mémoire déclarative (souvent épisodique), causés par des maladies ou des lésions cérébrales. L'amnésie est beaucoup plus sévère que les troubles de la mémoire normaux, liés au vieillissement, à la fatigue ou à une dépression. Un syndrome amnésique est, en théorie, circonscrit à des troubles de la mémoire, le reste de l'intellect est préservé. Mais de tels cas purs d'amnésie sont assez rares et limités à quelques patients avec des lésions cérébrales bien circonscrites. En pratique, l'amnésie est souvent associée à des troubles de l'attention, de l'intellect, du raisonnement, et des autres capacités cognitives. C'est par exemple le cas chez la majorité des patients Alzheimer, qui présentent un syndrome amnésique qui se complète assez rapidement avec des troubles de l'intellect.

Formellement, l'amnésie est un trouble de la mémoire épisodique, un trouble qui touche les souvenirs uniquement. Il existe des patients avec une amnésie assez importante mais des connaissances factuelles totalement conservées. Mais ils sont très rares et la très grosse majorité des patients amnésiques ont des troubles de la mémoire sémantique associés. Chez ces patients, les connaissances résistent mieux aux dommages cérébraux que les souvenirs. Dit autrement, la mémoire épisodique est plus fragile que la mémoire sémantique. Même si on omet leur ancienneté, les connaissances factuelles ne semblent pas égales en termes de résistances à l'amnésie. Par exemple, a mémoire sémantique autobiographique est un peu mieux conservée que le reste. De même, les évènements publics sont souvent mieux mémorisés que les autres connaissances factuelles. Tout semble indiquer qu'il y a un gradient de robustesse, qui va des connaissances factuelles aux souvenirs épisodiques, avec toute une série de connaissances intermédiaires (savoirs liés aux évènements publics, connaissances sur soi - identité, nom, prénom, ...).

En théorie, on peut distinguer deux types purs d'amnésie : l'amnésie antérograde et l'amnésie rétrograde. Dans les deux cas, l'amnésie s'installe après un traumatisme cérébral quelconque : un AVC, une lésion suite à un choc, un traumatisme crânien, etc. Tout dépend si l'amnésie perturbe les souvenirs acquis avant le traumatisme, ou si elle perturbe l'acquisition des souvenirs après le traumatisme. Dans l’amnésie antérograde, le patient ne peut pas mémoriser de nouveaux souvenirs alors que les anciens souvenirs sont, en théorie, intacts. À l'opposé, l'amnésie rétrograde est la perte des souvenirs qui datent d'avant l'incident, mais le patient garde la capacité de former de nouveaux souvenirs.

 
Différence entre amnésie antérograde et rétrograde.

L'amnésie rétrograde est la plus intuitive, parce qu'elle ressemble à ce qu'on appelle amnésie dans le langage courant. Avec elle, le patient perd des souvenirs ou des connaissances qu'il connaissait avant le traumatisme responsable de l'amnésie. D'ordinaire, le patient oublie ce qu'il s'est passé durant plusieurs années de sa vie avant l'accident, mais se souvient des souvenirs anciens. Il est rare que les patients oublient les membres de leur famille, leurs vielles connaissances, les endroits où ils ont vécu, ou encore leur identité, contrairement à ce qu'on voit dans les films (cela arrive, mais c'est rare). Il faut noter que l'amnésie rétrograde est presque toujours couplée à une amnésie antérograde, l'amnésie rétrograde pure étant très très rare et généralement limitée.

L'amnésie antérograde est une forme d'amnésie qui ne ressemble pas du tout à ce qu'on appelle amnésie dans le sens courant. Chez ces patients, la capacité à apprendre est fortement dégradée : ils ne peuvent plus mémoriser de nouvelles connaissances ou acquérir de souvenirs. Généralement, les déficits de mémorisation sont nettement plus marqués pour la mémoire épisodique que pour la mémoire sémantique. Pour une amnésie antérograde pure, les patients amnésiques conservent leurs souvenirs et connaissances anciens, qui datent d'avant le traumatisme. Mais dans la réalité, il est rare que les patients aient une amnésie antérograde pure, celle-ci étant toujours accompagnée d'une amnésie rétrograde plus ou moins légère selon les cas. Cette amnésie rétrograde est limitée à quelques années avant le traumatisme, mais ne touche pas les souvenirs plus anciens.

Les amnésies d'origine neurodégénérative

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De nombreuses maladies neurodégénératives, dans lesquelles le cerveau se dégrade progressivement sous l'effet d'une maladie chronique, entraînent des troubles de la mémoire. La plupart de ces maladies se traduisent par une diminution des capacités intellectuelles et des pertes de mémoires, parfois accompagnées par des manifestations psychiatriques (dépression, apathie, ou autre). L'ensemble de ces symptômes est ce qu'on appelait autrefois la sénilité, mais le terme actuel est plutôt la démence. Mais attention, autant "démence" est synonyme de folie ou de maladie mentale dans le langage courant, autant les médecins utilisent ce terme pour décrire les pertes de capacités intellectuelles et mnésiques liées à une maladie neurologique.

La plupart des démences ne sont cependant pas forcément liées à l'âge, pas plus que les maladies neurodégénératives : pensez à la sclérose en plaque, qui est une maladie neurodégénérative pouvant entraîner un tableau clinique démentiel, mais n'est cependant pas lié à l'âge. Les démences peuvent aussi être la conséquence d'un AVC ou une hémorragie cérébrale. Cependant, les démences liées à l'âge sont assez particulières. Elles sont caractérisées par l'accumulation de protéines ou de molécules particulières dans le cerveau.

En premier lieu, on observe l'accumulation de dégénérescences neurofibrillaires à l'intérieur des neurones. Celles-ci sont des amas de protéine Tau, une protéine est présente dans tous les neurones, quel que soit l'âge. Il s'agit d'une protéine qui fait partie du cytosquelette, à savoir le squelette cellulaire, un ensemble de protéines agencées en charpente, qui permet à la cellule de garder sa forme (entre autres). La dégradation de ce cytosquelette, qui entraîne des problèmes divers : les substances produites par le noyau ne sont plus transportées à destination via le cytosquelette, le neurone est plus fragile, etc. Cette molécule s’accumule normalement avec l'âge, mais son accumulation semble exacerbée dans certaines maladies neurodégénératives.

On peut aussi citer l'accumulation de plaques microscopiques, composée de protéine bêta-amyloide. Ces plaques séniles sont une caractéristique du vieillissement, qu'il soit normal ou pathologique : tous les cerveaux, même ceux d'une personne âgée saine, contiennent de telles plaques. La bêta-amyloide qui constitue ces plaques se forme quand une molécule de la membrane des neurones est décomposée par diverses enzymes. Cette molécule, l'APP, tapisse la membrane des neurones, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Sa fonction est encore débattue à l'heure actuelle. Quoi qu’il en soit, divers enzymes vont découper cette molécule en trois morceaux : la bêta-amyloide est l'un d'eux.

 
Amyloid-plaque formation-big

La Tauopathie primaire liée à l'âge

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La première maladie que nous allons voir est particulièrement méconnue, sans doute parce qu'elle a été identifiée récemment. Pour résumer rapidement, il s'agit d'une maladie qui ressemble à la maladie d'Alzheimer, mais qui est moins sévère et bien moins handicapante, au point d'être parfois difficile à distinguer du vieillissement normal. Cette maladie s'appelle la tauopathie primaire liée à l'âge, mais nous allons utiliser l'acronyme PART, qui veut dire Primary Age-Related Tauopathy.

Cette maladie est causée par l'accumulation de protéine tau dans le cerveau sous la forme de plaques séniles, comme pour Alzheimer. L'accumulation des plaques séniles est circonscrite au lobe temporal médian et à l'hippocampe, mais ne se propage pas au reste du cerveau. À l'opposé, dans la maladie d'Alzheimer, les plaques séniles s'accumulent en compagnie de dégénérescences neurofibrillaires, sans compter que la maladie commencent dans le lobe temporal médian mais se propage dans tout le cerveau. La propagation est donc plus restreinte dans la PART, comparé à Alzheimer. On peut donc voir la PART comme un demi-Alzheimer, bien que ce soit encore en débat.

Au niveau clinique, les patients ont des troubles de la mémoire qui vont de légers à modérés, souvent associés à des troubles de l'intellect et de la cognition générale. L'intensité des symptômes varie énormément suivant les patients et va de légers symptômes subtils à une véritable démence qui n'a rien à envier à Alzheimer. Certains patients sont quasiment normaux avec des déficits très légers et assez subtils. D'autres ont des symptômes mnésiques modérés moins intenses que ceux observés dans un Alzheimer constitué, quelques troubles cognitifs, mais leur personnalité est préservée et leur comportement est normal. Enfin, d'autres sont des patients sévèrement atteints et ont une véritable démence amnésique. Comparé aux patients Alzheimer, les patients PART sont plus vieux quand les symptômes apparaissent, et vivent plus longtemps, avec moins de problèmes dans leur vie quotidienne. La PART touche une minorité de patients. On estime que pour les patients de 80 ans ou plus, 20% des patients sont atteints de PART alors que les 80% restants sont atteints d'Alzheimer à des degrés divers.

La maladie d'Alzheimer

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La maladie d'Alzheimer est une maladie dont le symptôme principal, le plus connu du grand public, est la perte de mémoire. Mais attention, la maladie l'Alzheimer entraîne aussi des troubles cognitifs et des troubles du comportement. La perte" de mémoire n'est pas le seul symptôme, donc. C'est le symptôme le plus connu, car c'est celui qui apparaît en premier dans la majorité des cas. Par la suite, divers troubles cognitifs apparaissent, suivi par des troubles du comportement.

 
Progression de la maladie d'Alzheimer.

La maladie entraîne une mort des neurones et une disparition progressive de la substance blanche (axones, dendrites). Les débuts de la maladie se traduisent par une faible perte neuronale, tandis que les stades finaux de la malade sont caractérisés par une mort neuronale massive. La maladie commence bien avant que les symptômes se fassent sentir, ceux-ci devenant évidents quand la mort neuronale est bien avancée. Les premières zones touchées sont les zones dédiées à la mémoire, situées sous les tempes : hippocampe, cortex temporal et entorhinal. Par la suite, la maladie progresse au-delà du cortex temporal et finit par toucher tout le cerveau.

Les zones lésées par les premiers stades de la maladie sont des zones riches en neurones acétylcholinergiques, la maladie entraînant donc une perte de la transmission de l'acétylcholine dans le cerveau. C'est de cette observation qu'est venue l'idée de donner aux malades des médicaments qui augmentent la quantité d'Acth dans le cerveau des malades. Divers inhibiteurs de l'acétylcholinostérase (l'enzyme qui dégrade l'acétylcholine, pour rappel) sont et ont été utilisés dans cette optique. Mais ces médicaments ne servent qu'à masquer temporairement les symptômes, sans compter que leur efficacité est très faible et peu convaincante.

 
Cerveau sans (gauche) et avec Alzheimer (droite).

La maladie d'Alzheimer est techniquement une tauopathie, à savoir une maladie caractérisée par l'accumulation de masse de protéine Tau, formée par dégradation du cytosquelette neuronal. Mais la maladie d'Alzheimer se caractérise aussi par l'accumulation de plaques séniles dans le cerveau, ce qui en fait techniquement une amylose. L’apparition des plaques séniles est le marqueur d'Alzheimer qui apparaît en premier, suivi par les dégénérescences neurofibrillaires, puis les symptômes de la maladie elle-même. Quand les symptômes apparaissent, il se peut que les plaques séniles se soient accumulées depuis plusieurs années dans le cerveau du malade. On peut détecter la présence de ces molécules avec une ponction lombaire, avant même l'apparition des symptômes. Quand des plaques séniles sont observées dans le résultat de la ponction lombaire, le patient a plus de 60% de chances de déclarer une démence dans les années qui suivent. Leur absence est par contre un très bon pronostic. Ces observations peuvent faire penser que la maladie d'Alzheimer serait causée par l'apparition de ces plaques, mais ce n'est pas encore certain.

 
Age d'apparition de la maladie d'Alzheimer.

L'âge de déclaration de la maladie est généralement tardif, les cas les plus précoce apparaissant vers 50/60 ans, les plus tardifs apparaissant vers 70/80 ans. Dans les grandes lignes, les chercheurs font la différence entre Alzheimer précoce et Alzheimer tardif. Les deux formes seraient causées par des mécanismes légèrement différents, potentiellement liés à des particularités génétiques. Il faut noter que les patients atteint de trisomie 21 (syndrome de Down) sont atteint de formes précoce d'Alzheimer, qui se déclarent dès 40 ans, parfois moins. Mais cette forme d'Alzheimer semble être quelque peu différente des autres formes précoces. La probabilité d'être atteint d'Alzheimer augmente avec l'âge : si 10% des personnes de 60 ans sont affectées, plus du quart des personnes de 85ans sont atteintes par la maladie. L'évolution est inéluctable, une fois la maladie déclarée : il n'y a pas de possibilité de rémission et aucun traitement efficace ne permet de guérir la maladie.

Les formes familiales de la maladie apparaissent à moins de 50 ans, vers 40 ans, parfois moins (15 ans, par exemple). Plus de moitié des cas précoce l'Alzheimer sont causés par ces formes familiales. Il s'agit de maladies génétiques, transmises de parents à enfant. Ces formes ne se distinguent pas des autres, si l'on met de côté l'âge ou la cause : les symptômes sont les mêmes, les conséquences sur le cerveau aussi. Il existe trois types différents identifiés de formes familiales, qui se distinguent par le gène touché : le gène presenilin 1 pour la première forme, le gène presenilin 2 pour la seconde forme et une dernière forme touchant le gène de production de l'APP. Le premier gène, le presenilin1, est localisé sur le 14e chromosome, le presenilin2 est sur le premier chromosome, alors que le gène APP est localisé sur le 21e chromosome.

La démence sémantique

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Plus spécifique, la démence sémantique entraîne une dégradation de la mémoire sémantique sans autres troubles associés. Les patients atteints conservent leur mémoire épisodique, tout en ayant une mémoire sémantique dégradée. Leur mémoire épisodique est sans troubles apparents : les patients n'oublient pas les dates de leurs rendez-vous, se souviennent des évènements de leur vie quotidienne, savent se repérer sans se perdre, etc. Par contre, le patient est atteint par des troubles du langage et des troubles de la reconnaissance des objets et des visages. Dans les grandes lignes, les patients perdent le sens des mots, ont du mal à reconnaître des objets, ne reconnaissent pas leurs proches, etc.

Le symptôme le plus marquant est que les patients ont du mal avec la signification des mots, ce qui se ressent dans l'usage de leur langage. Ils ne savent plus ce que tel ou tel mot veut dire, leur vocabulaire s'affaiblit fortement, oublient certains mots, etc. Leur langage est parfaitement fluide, les patients n'ont pas de mal à parler rapidement ou normalement, ils ne font pas plus d'erreurs de prononciations qu'avant. Leurs phrases sont grammaticalement correctes, leur syntaxe et grammaire est préservée. Par contre, ils doivent faire avec un vocabulaire beaucoup plus limité qu'avant, ce qui donne l'impression que leur langage s'est appauvri. De plus, ils ont du mal à comprendre ce qu'on leur dit, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans des contextes différents.

Le second symptôme est l'agnosie associative, une difficulté à nommer certaines catégories d'objets, d'êtres vivants, voire de visages, qui ne sont pas causés par un déficit perceptif. Fait étonnant, ces patients ont un déficit qui n'est pas limité à certaines catégories, comme ce qu'on observe après des lésions cérébrales localisées. À la place, ils perdent leur mémoire sémantique en globalité et ont du mal à reconnaître des objets peu importe leur catégorie.

Le syndrome de Korsakof, ou démence alcoolique

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Le syndrome de Korsakof, qui provient d'une déficience de vitamine B1 (courante chez les alcooliques). Une carence en vitamine B1 entraîne une pénurie d'énergie et d'ATP dans les cellules, qui se mettent à dysfonctionner et parfois à mourir. Si le système nerveux est touché par cette déficience, il peut s'installer une démence appelée syndrome de Korsakoff, du nom de son découvreur. Son symptôme principal est une amnésie antérograde, à savoir une incapacité à mémoriser de nouveaux souvenirs ou de nouvelles connaissances alors que les savoirs et souvenirs déjà acquis sont relativement bien préservés. Outre l'amnésie, divers troubles cognitifs peuvent se manifester, que ce soit des troubles du langage (aphasie), des troubles de la reconnaissance des objets et de la catégorisation (agnosie) ou des troubles intellectuels. L'amnésie est causée par une atteinte des corps mamillaires de l'hypothalamus, et non pas une atteinte du lobe temporal médian, comme on pourrait le croire. Mais il faut dire que ces corps mamillaires sont fortement interconnectés avec le lobe temporal médian et peuvent être vus comme un point de relai avec le néocortex.