Mécanique spatiale/Le problème à deux corps

Mécanique spatiale
Chapitre 4 : Le problème à deux corps
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Le problème à deux corps constitue l'une des pierres angulaires de la mécanique spatiale. Il consiste à décrire le mouvement de deux corps soumis à leur seule attraction gravitationnelle mutuelle. Ce problème possède une solution analytique qu'Isaac Newton découvrit en 1687.

Énoncé modifier

 
Données du problème.

Considérons deux points matériels A et B respectivement dotés des masses M et m supposées constantes. Le fait de considérer des corps ponctuels se justifie. En effet, on peut démontrer que d'un point de vue gravitationnel il est équivalent de considérer une sphère de masse volumique homogène ou de concentrer toute la masse en son centre. L'équivalence est encore valable si la masse volumique locale de la sphère ne dépend que de la distance au centre. Au premier ordre cette description est suffisante pour les étoiles, les planètes, les satellites... On nommera O le centre de masse du système {A,B}. On notera :

 

A et B s'attirent l'un l'autre par des forces égales et opposées en vertu de la troisième loi de Newton. L'intensité de cette attraction est fournie par la première loi de Newton:

 

  désigne l'attraction exercée par le corps A sur le corps B et G la constante universelle de gravitation soit  .

Problème monocorps équivalent modifier

Comme souvent en physique, on va tenter de se ramener à un problème équivalent dont la résolution est plus simple. Pour nous y aider, on peut faire deux observations.

Premièrement, si on considère le système constitué par les corps A et B, il n'est soumis à aucune force extérieure (par hypothèse!). D'après la seconde loi de Newton, cela signifie que le centre de masse de ce système (ici O) est soit immobile soit animé d'un mouvement de translation uniforme par rapport à un référentiel galiléen. Concrètement, cela signifie que l'on peut considérer le point O comme un point fixe autour duquel tournent les corps A et B sans changer la nature du problème.

Deuxièmement, le point O étant le centre de masse du système {A,B}, par définition on a les relations :

  et  

Dans la mesure où l'on considère O comme fixe, la connaissance du vecteur   est donc suffisante pour en déduire la position des corps A et B à chaque instant.

Isolons maintenant le corps B (on obtiendrait un résultat équivalent en raisonnant sur A). La seule force à laquelle il est soumis est l'attraction gravitationnelle de A. La seconde loi de Newton permet d'écrire dans un référentiel lié à O:

 

En utilisant [Eq.2] on obtient :

 

Introduisons maintenant le coefficient   appelé masse réduite et le point matériel M définis par :

 
 
 
Problème monocorps équivalent (point M).

Alors :

 

On peut alors interpréter cette équation comme l'équation du mouvement d'un troisième corps ponctuel M de masse   soumis à une force variable pointant toujours vers le point fixe O. On est donc en présence d'un mouvement dit à force centrale.

Ainsi, en partant d'un problème à deux corps on s'est donc progressivement ramené à un problème monocorps équivalent régi par une équation différentielle du second ordre. Il ne reste donc plus qu'à résoudre cette dernière pour résoudre le problème. On notera au passage que durant tout le mouvement les quatre points A, B, O et M demeurent alignés.

Résolution modifier

Moment cinétique modifier

L'objectif ici est de déterminer les positions successives du point M, autrement dit sa trajectoire dans l'espace.

Il est intéressant de calculer le moment cinétique   du point M où plutôt sa variation au cours du temps :

 

La nullité de [Eq.4] s'obtient par l'utilisation de [Eq.3] qui implique la colinéarité des vecteurs   et  . On est donc en présence d'un mouvement à moment cinétique constant en direction comme en norme, autrement dit d'un mouvement plan. On peut donc écrire :

 

C est une constante (exprimée en  ) appelée constante des aires dont on verra la signification physique dans les paragraphes suivant. Cette constante est déterminée par les conditions initiales du problème.

Passage en coordonnées polaires modifier

 
Coordonnées polaires.

Dans ce type de problème plan, les coordonnées polaires   sont mieux adaptées que les coordonnées cartésiennes. Ainsi dans le cas général d'un point M animé d'un mouvement plan quelconque, sa vitesse et son accélération s'expriment:

 
 

On obtient donc une nouvelle expression pour le moment cinétique   :

 

La seconde loi de Kepler modifier

 
Loi des aires: les trois secteurs bleus, de même aire, sont balayés dans un même laps de temps.

En confrontant [Eq.8] et [Eq.5] on met à jour l'important résultat :

 

[Eq.9] traduit la conservation de la quantité   au cours du mouvement. On peut interpréter cette quantité de manière géométrique. En effet, la surface balayée par le segment [OM] pendant l'intervalle de temps dt est donnée par  . On peut donc définir une nouvelle quantité appelée vitesse aréolaire représentant la surface balayée pendant un intervalle de temps. [Eq.9] indique que la vitesse aréolaire reste constante au cours du mouvement: c'est le résultat auquel était parvenu Kepler dès 1609 sans toutefois être capable de l'expliquer.

 

Cette loi décrit une propriété intéressante du mouvement du point M autour de O. En effet, plus M est éloigné de O plus sa vitesse de rotation diminue et vice-versa.

Les formules de Binet modifier

Dans ce paragraphe on va déterminer la trajectoire du point M en coordonnées polaires en utilisant les formules de Binet. Pour les obtenir on va effectuer un changement de variable dans les équations, en effet on va s'apercevoir qu'il est plus facile de raisonner sur l'inverse de r que sur r lui-même. On posera donc:

 

[Eq.9] va encore se révéler très utile ici car on va pouvoir en déduire directement les quatre formules :

 
 
 
 

En effectuant les remplacements ci-dessus dans [Eq.6] puis en prenant le carré de la norme de la vitesse on obtient la première formule de Binet :

 

[Eq.3] montre que seule la composante suivant   de l'accélération est non nulle (force centrale). En effectuant les remplacement dans [Eq.7] on obtient la seconde formule de Binet.

 

En substituant [Eq.12] dans [Eq.3] on obtient tous calculs faits :

 

C'est une équation différentielle du deuxième ordre qui s'intègre sans difficulté particulière :

 

En revenant à la définition de u on obtient (enfin...) l'équation polaire de la trajectoire du point M :

 

Les mathématiciens auront reconnu l'équation générale d'une conique de paramètre p et d'excentricité e dont l'axe focal fait un angle   avec l'axe  . Les constantes   et   sont déterminées par les conditions initiales du problème. On en déduit que les trajectoires des corps A et B sont des coniques de même nature obtenues par des homothéties de centre O définies par [Eq.2].

Analyse et commentaires modifier

Dans la partie qui précède on a pu démontrer que les trajectoires des corps A, B et M dans un référentiel lié à O étaient toutes des coniques. On va désormais s'intéresser à l'aspect énergétique du problème ainsi qu'à ses applications pratiques.

Énergie modifier

Le corps M possède une énergie mécanique  . Cette énergie mécanique se décompose en une énergie cinétique  , due à son mouvement autour de O, et en une énergie potentielle   due à la présence d'une masse en O qui l'attire vers elle continuement. L'expression mathématique de ces énergies est classique:

 
 
 

On remarquera qu'à l'infini   tend vers 0, ce qui est physiquement cohérent car plus on s'éloigne du centre attracteur moins ses effets (la force d'attraction dérive d' ) sont sensibles. En utilisant [Eq.11] on peut exprimer   en fonction de u:

 

On peut donc remplacer u par son expression polaire ([Eq.13]). On pourra poser sans perte de généralité  , ce qui revient à faire pivoter le repère lié à O pour l'aligner sur l'axe focal de la conique. Tous calculs faits on obtient une expression très simple de l'énergie mécanique totale:

 

Ainsi, l'énergie mécanique du corps M est déterminée, en valeur comme en signe, par l'excentricité e, dont la valeur dépend elle-même des conditions initiales du problème. On a donc trois cas de figure.

Énergie mécanique négative, revoilà Kepler... modifier

Cette situation correspond au cas e<1. Le fait que l'énergie mécanique soit négative signifie que le corps M est lié à son centre attracteur. autrement dit son énergie n'est pas suffisante pour se libérer du champ gravitationnel généré par O. Le corps M va donc orbiter dans une région délimitée de l'espace autour de O. Dans ce cas la trajectoire de M est une ellipse dont le centre attracteur O occupe l'un des foyers. On retrouve ainsi la première loi que Kepler avait découverte par des observations.

Énergie mécanique nulle modifier

 
Orbite parabolique.

Ce cas de figure est un cas limite (e=1), autrement dit qui ne se produit jamais en pratique. On se contentera donc de remarquer que le corps M se libère tout juste de l'attraction de O et s'en éloigne irrémédiablement le long d'un arc de parabole.

Énergie mécanique positive modifier

 
Orbite hyperbolique.

Ici le corps M possède une énergie suffisante pour passer à proximité du centre attracteur sans s'y faire piéger. Il subit néanmoins une déviation notable de sa trajectoire. Cette dernière est une branche d'hyperbole. On reparlera de cet important cas de figure lors de l'étude des frondes gravitationnelles.

La troisième loi modifier

On se place ici dans le cas où les deux corps sont liés. On est en présence d'un mouvement périodique durant lequel le corps M décrit une ellipse. Si on note T la période de révolution de M autour de O, il apparaît que pendant la périiode T le segment [OM] balaye l'aire totale de l'ellipse. Un rapide coup d’œil à un formulaire de géométrie nous apprendra que l'aire d'une ellipse vaut   si a et b désignent respectivement le demi-grand axe et le demi-petit axe. En utilisant la seconde loi de Kepler [Eq.10] il vient :

 

Une propriété intrinsèque des ellipses nous apporte une formule bien pratique nous permettant d'exploiter [Eq.15] :

 

En revenant à la définition de p ([Eq.13]) on obtient la troisième loi de Kepler :

 

Quelque soient les conditions initiales le rapport entre le carré de la période de révolution et le cube du demi-grand axe est une constante ! Cette loi est très utilisée en pratique pour calculer la masse des étoiles doubles.

Cas d'une masse prépondérante modifier

Jusqu'à présent on s'est placé dans un cadre général où les deux masses impliquées M et m pouvaient être du même ordre de grandeur. Dans la pratique, il arrive très souvent que la masse d'un des deux corps soit négligeable devant celle de l'autre. Dans cette partie on s’intéressera aux conséquences de l'hypothèse supplémentaire suivante :

 

La première conséquence est que le centre de masse du système O est quasiment confondu avec le point A. Cela implique la quasi-immobilité du point A et que les corps M et B occupent quasiment la même position. La trajectoire de B se confond ainsi avec celle de M. B est alors appelé le satellite et A le corps central.

Pour se convaincre de la pertinence de ce cas particulier considérons le cas d'un satellite géostationnaire de 10 tonnes en orbite terrestre. [Eq.2] donne la distance qui sépare le centre de la Terre du centre de masse du système. Effectuons, pour voir, l'application numérique :

 
 
 

Autrement dit le centre de la Terre et le centre de masse du système Terre-satellite sont séparés par bien moins qu'un atome d'hydrogène ! Pour tous les satellites terrestres, cette approximation est donc tout à fait justifiée.

Considérons maintenant le mouvement de Jupiter autour du Soleil. Le même type de calcul que précédemment nous conduit à une distance de   à comparer au rayon solaire qui vaut  . Autrement dit le centre de masse est situé juste à l'extérieur de la couronne solaire. Toutefois, cette distance ne représente qu'un millième de celle qui sépare Jupiter du Soleil.

Pour être complet, notons que la troisième loi de Kepler se simplifie en devenant indépendante de la masse du satellite :

 

Vitesses cosmiques modifier

Les formules obtenues dans les parties précédentes permettent de définir des vitesses particulières appelées vitesses de libération ou vitesses cosmiques.

Première vitesse cosmique modifier

Également appelée vitesse de satellisation minimale, elle correspond à la vitesse (en fait à l'énergie cinétique) minimale qu'on doit fournir à un corps pour se maintenir en orbite à une altitude donnée autour d'un autre. Le satellite est soumis à une accélération normale résultant de la force d'attraction du corps central :

 

Or dans le repère de Frenet lié au satellite, l'accélération normale s'exprime :

 

On tire de ces deux formule la première vitesse cosmique :

 

Effectuons le calcul pour la Terre, au niveau du sol.

 

C'est la vitesse minimale que toutes les fusées doivent atteindre pour espérer pouvoir placer en orbite les satellites qu'elles embarquent. Évidemment, cette vitesse est d'autant plus importante que le corps central est massif et proche.

Seconde vitesse cosmique modifier

Également appelée vitesse de libération, elle désigne la vitesse que doit atteindre un corps pour se libérer de l'attraction gravitationnelle d'un autre corps. Une fois cette vitesse atteinte, le corps libéré va indéfiniment s'éloigner de son corps d'origine (sous réserve qu'il n'en croise pas un troisième ou qu'il percute le premier...). Pour qu'un corps se libère de l'attraction qu'exerce sur lui un autre corps il doit annuler son énergie mécanique, ou plus exactement son énergie cinétique doit compenser son énergie potentielle.

 

D'où :

 

Cette vitesse dépend, elle aussi, de l'altitude à laquelle on se trouve. On remarquera que quel que soit le corps attracteur considéré, la vitesse de libération vaut   fois la vitesse de satellisation minimale.

Pour la Terre, on a donc au niveau du sol:

 

C'est l'ordre de grandeur de la vitesse qu'ont dû atteindre les capsules Apollo pour échapper à l'attraction terrestre puis se placer en orbite lunaire.

Troisième vitesse cosmique modifier

Cette troisième vitesse n'est qu'un cas particulier de la seconde vitesse cosmique. Elle concerne un objet situé dans la banlieue terrestre et tentant de se libérer de l'attraction du Soleil. C'est la vitesse minimale nécessaire pour quitter le système solaire.

Retour sur les hypothèses modifier

On a pu, dans ce qui précède, trouver une solution analytique au problème des deux corps dans un cas assez général. La question qui se pose ensuite consiste à déterminer si la solution mise à jour est en accord avec les observations des astronomes et des opérateurs de satellites. Les observations disponibles depuis bientôt plusieurs siècles permettent d'affirmer que les lois de Kepler sont valides mais au premier ordre seulement. En effet, on a très tôt constaté des écarts entre ce que prévoit la théorie et ce que l'observation fournit. Pour comprendre l'origine de ces écarts, il est intéressant de se pencher sur la validité des hypothèses sur lesquelles on a bâti le formalisme du problème.

Problème à deux corps ? modifier

La première raison qu'on peut invoquer pour expliquer ces anomalies est tout simplement que le problème à deux corps... n'existe pas! En effet, on a supposé que les seules forces intervenant dans le problème étaient les forces d'attraction mutuelles. Cette hypothèse tombe à l'eau s'il existe un troisième corps dans le voisinage, même assez éloigné des deux autres, qui crée des forces d'attractions parasites sur les deux corps.

Dans le cas d'un satellite en orbite terrestre, il arrive qu'on ne puisse pas négliger les effets gravitationnels de la Lune et du Soleil (qui sont à peu près du même ordre de grandeur).

Si on considère le mouvement de la Terre autour du Soleil, les huit autres planètes que compte le système solaire (en particulier Jupiter et Saturne) exercent leurs forces d'attraction sur la Terre et le Soleil et réciproquement.

Ces perturbations ont pour principales conséquences la perte de régularité de la trajectoire. Les satellites ne se meuvent plus suivant des ellipses mais suivant des courbes gauches (c'est-à-dire non planes) assez complexes. Cependant ces courbes restent assez proches des ellipses théoriques pour que l'approximation képlerienne soit satisfaisante sur une courte période de temps.

Concept de point matériel modifier

D'un point de vue gravitationnel, on peut remplacer un solide par un point matériel sous certaines conditions. Si le corps initial est de géométrie sphérique et que sa densité locale est uniforme sur tout le volume alors l'équivalence mathématique est exacte. On peut également démontrer que cela fonctionne encore si la densité locale de la sphère est uniquement fonction du rayon.

Malheureusement, aucun corps naturel ne correspond à cette description. Si on prend l'exemple de la Terre, la présence de montagnes et de vallées mine la représentativité de la sphère. Mais c'est surtout la non-uniformité de la densité terrestre qui complique le problème. Par conséquent, la première loi de Newton en   est insuffisante pour rendre compte de la complexité du champ gravitationnel terrestre réel.

Mécanique newtonienne modifier

Dans une moindre mesure, on peut remettre en cause l'utilisation même des loi de Newton puisqu'on sait depuis Einstein... qu'elles sont fausses! Plus exactement, elles sont suffisantes dans un certain nombre de cas mais pas dans tous. Ainsi, ce n'est que grâce à la relativité générale qu'on pu comprendre les anomalies de l'orbite de Mercure.

Masses constantes modifier

On a également supposé que les masses M et m ne variaient pas au cours du temps. Dans certains cas de figure, cette hypothèse peut être remise en cause. C'est le cas d'étoiles doubles, où l'une d'entre elles aspire la matière de l'autre. L'étude du mouvement sur de longues périodes peut alors nécessiter la prise en compte d'un débit massique dans l'équation de mouvement, ce qui complique sensiblement les choses...


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