Les débats de Gérard de Suresnes/Avant-propos
Avant-propos
La radio, ce média né au milieu des années 70 dans la sphère privée, a pris une telle ampleur que la population banalise ce qu'il s'y passe. On oublie souvent, quoiqu'on écoute, l'ampleur de la préparation que cela exige, tant du point de vue du temps que des ressources humaines. La spontanéité existe, mais telle n'est pas la règle.
Si ce média est aujourd'hui très lucratif, via les plages d'horaires consacrées aux publicités commerciales et le nombre de personnes impactées, il a commencé par une étonnante diversité, laissant la place à tout et n'importe quoi.
Les années 90 représentent à cet égard un moment de transition, entre un moment de liberté tout à fait surprenante et une phase où les discours se crispent, se cadrent, et où moins de liberté existe.
La radio a donc une histoire. Et vu ce qui s'y fait, des auteurs comme Roger Clausse l'ont qualifié de huitième ou neuvième art. Comme dans tous les arts, elle est traversée par des courants de création, des visions d'un produit fini, qui est une émission, et un travail important de conception.
Si la radio appartient déjà à l'Histoire et au domaine de l'art, il devient possible d'étudier ses objets en tant que tel. C'est la démarche que nous essayons d'aborder dans ce volume. L'objet de notre étude a été choisi en ce qu'il permet, contre toute attente de par son contenu, une véritable ébullition intellectuelle. Historique d'abord, car il incarne une époque, sociétale et radiophonique, qu'il nous semble important de décrire en tant que témoignage historique, étant donné les mouvements rapides et violents que traversent la société occidentale actuelle et le monde des médias. Raconter ces événements permet aussi de comprendre, d'un point de vue historiographique, comment un phénomène peut naître, se développer, et dépérir, au fil de l'évolution des parcours de vie de chacun.
Artistique enfin, car ce dont on parle a été fait avec une virtuosité telle par les acteurs, qu'on ne saurait être juste en lui refusant cette place. Si l'émission dont nous allons parler relève de l'art, peut-on la classer selon les critères traditionnels de la littérature, de la sculpture, de l'architecture ou de la peinture ? Il nous semble que oui. « Les débats de Gérard » sont tout à la fois de l'ordre du surréalisme, au sens où l'a conçu André Breton, et baroque.
Surréaliste car s'associent es éléments absolument improbables. Le non sens est l'ADN de cette émission, poussé à son extrême. Le moindre élément insignifiant peut occuper une heure de ce qui est appelé une discussion, prenant toute sorte de direction et offrant un résultat aussi burlesque qu'incompréhensible. La règle du lâcher-prise est la plus importante pour apprécier ce contenu. Baroque car on y retrouve une telle charge d'éléments qu'on peut y consacrer au minimum un livre. S'entremêlent des émotions positives, négatives, des personnages touchants, insupportables, conscients et inconscients, des double discours, une théâtralité absolue, mais une authenticité non moins réelle. Cette émission est l'incarnation des plis d'une œuvre baroque, avec des effets de clair-obscur, absolument on maîtrisés par les acteurs et pourtant bien réels, mais aussi la surcharge en personnages, faits, émotions, totalement antithétiques et incroyablement intenses.
Enfin, certains lecteurs réussiront même, par mise en abyme, à identifier des éléments dadaïstes dans le déroulé de cette histoire. Avant de produire les débats proprement dits, Max comme Gérard commenceront par produire des contenus facilement assimilables à ce courant de la fin des années 1910. Sans détailler cette analyse, nous montrerons au lecteur d'où est venu cette idée.
Ce livre se propose d'aborder « Les débats de Gérard » sous cet angle. Il s'excuse auprès des témoins de l'époque, en ce qu'il ne réussira pas à reconstituer l'émotion qu'ils ont éprouvée à l'écoute de ce programme, l'écrit ne pouvant être qu'une pâle copie de ce que génère une telle effervescence orale. D'ailleurs, prévenons-le rapidement, la première partie de l'histoire relève d'une telle cacophonie informe qu'il est presque impossible d'espérer toute retranscription même approchante de ce qu'il se passait. Par contre, le lecteur aimera peut-être davantage les deux autres parties, où de larges extraits seront retranscrits le plus fidèlement possible, tant ils se suffisent à eux-mêmes, tout en étant structurés et surréalistes, pour évoquer ce que l'auditeur a pu vivre. Car c'est bien ce point de vue qui a été choisi : celui de l'auditeur qui allume sa radio et découvre, jour après jour, les fils de ce programme. Que le public neutre soit prêt : au fil du livre, il verra des extraits de plus en plus large d'émissions retranscrits, occupant pour les plus récents des dizaines de pages. Ce choix de fidélité a été fait car il ne nous paraît pas nécessaire, une fois le cadre posé et pourvu que la transcription soit assortie d'éléments explicatifs, de s'en écarter, elle dit tout de ce que nous souhaitons montrer : l'art surréaliste d'une époque. Plus les transcriptions seront denses, plus nous rajouterons des notes de bas de page pour éclairer le lecteur sur tel ou tel point, le plus souvent présenté en introduction du débat. Notre véritable effort consiste en la mise en ordre et l'éclairage contextuel de notre retranscription, pour montrer ce dont on parle et ce qu'on annonce dans les parties introductives. Par ailleurs, nous passerons un produit oral à une retranscription écrite, où le choix est fait d'extraire les phrases clés, quitte à dénaturer parfois l'ambiance sonore, qu'on tentera toutefois de décrire dans les parties explicitant les phrases. Mais les habitués pourraient être quelque peu confondus de ne pas retrouver les interruptions de parole, les discours qui continuent alors que l'autre locuteur essaie de les arrêter, etc. Tout ce qui n'est pas facile à transcrire à l'écrit sera éarté.
Ce programme est tellement débordant qu'on ne pourra pas, pour le décrire, se contenter de son début et de sa fin au plan horaire. Nous devrons raconter les moments avant l'émission voire entre les émissions, pour faire comprendre le contexte et donner son épaisseur artistique à ce contenu original. Nous basons ce que nous racontons sur des témoignages, authentifiés par des interviews des acteurs de cette époque, voire des relectures actuelles par certains d'entre eux. Mais l'émission qui encadre les débats, le Star System, est un objet difficile à manier : sin animateur n'a jamais voulu y fixer de début formel ni de fin. Ainsi, nous sommes obligés de donner une vue d'ensemble de la trajectoire, de l'esprit, avant d'aller dans le détail de la chronologie, tout en dépeignant celle-ci finement, par thème, pour rester digeste. Le Star System ne permet pas d'arrêter une vraie chronologie où on pourrait parler de saisons. D'abord, car la longueur des saisons a varié dans le temps au fil de l'évolution du droit du travail et de la culture de la radio. Ensuite parce que dans cette émission, les évolutions ne se sont pas faites entre les saisons mais pendant les saisons, avec des changements d'équipes glissants, des modifications d'approches progressives, sans délimitations claires. L'effet glissant est, d'ailleurs, plus intéressant à présenter que si l'émission était compartimentée par saisons avec des périodes claires. Nous l'avons fait, mais sans en modifier la réalité de l'évolution.
Le lecteur pardonnera aussi le langage, relevant de la pure vulgarité à de nombreuses reprises, ou de l'oralité à tout le moins. Mais il appartient aux personnages, et notamment le héros, Gérard, que nous aurons l'occasion de décrire au fil de ces pages. Cette idée doit être nuancée par le fait que nous avons éliminé les propos vulgaires sans significations. Lorsqu'ils se répètent, nous les citons une fois mais, par la suite, tentons d'être plus allusifs. Au risque de dénaturer le tableau, nous ne souhaitons pas abreuver le lecteurs de vulgarités quand elles n'apportent rien car elles sont connues, répétitives et sans réaction nouvelle. Parfois, il suffit de dire l'idée de l'auteur, plus intéressante que les mots utilisés qui, une fois posés, ne sont pas à réitérer. Il en est de même pour les obscénités, qu'on emploiera dans le même esprit : on les présente sans les mettre en valeur en ne les répétant pas plus qu'il n'est nécessaire à la saveur de l'écrit.
Si nous faisons le choix de la chronologie historique, trois éléments doivent être ici précisés. D'abord, tout en construisant le portrait au fur et à mesure des éléments sautant aux yeux des auditeurs, il peut nous arriver d'anticiper sur une trajectoire et une caractéristique, dans un souci de clarté. D'une part car cela aide à comprendre les faits relatés, d'autre part parce que les archives dont nous disposons ne permettent pas de savoir les moments exacts de certaines découvertes. Ensuite, nous n'avons pas de prétention à l'exhaustivité : ce programme a eu des périodes répétitives, nous préférons y rester allusifs pour ne pas ennuyer le lecteur et rallonger cet ouvrage, déjà considérable de par le nombre d'émissions retranscrites. Enfin, nous tentons de mêler deux approches pourtant assez antithétiques. D'un côté, le lecteur découvrira les faits tels qu'ils apparaissent, tels qu'une oreille distraite les recevra. Mais parallèlement, il saura, par les descriptions voire les notes explicatives, notre sentiment sur la réalité des faits, des coulisses. Coulisses qui, au demeurant, ne sont pas toujours claires. Dans une histoire où la vie privée se mélange largement avec le programme radiophonique, le lecteur comprendra que certains éléments conservent leur part d'obscurité, et il est peu probable que la lumière soit faite sur les faits, sauf à se lancer dans des vérifications qui relèvent de l'investigation et non de l'enquête historique ou de la critique d'art. D'autant plus que les faits remontent à plus de 25 ans et que le personnage pivot du système présenté ici est décédé il y a quinze ans. Nous ne cacherons pas au lecteur les ambiguïtés, mais tenterons de démontrer ce qui nous paraît le plus vraisemblable et étayé, en interprétant les faits, leur présentation, les témoignages post-programme, pour discerner le second degré, le premier degré et le reste. Que le lecteur soit par contre rassuré, tout ce qui sera dit sera factuel ou clairement identifié comme étant notre interprétation, sachant que nous tenterons de montrer toutes celles existantes. Car oui, ce programme radio a généré une communauté, assez controversée. Nous n'avons pas pour objectif de participer au débat sur la moralité du programme, des humains qui l'ont porté, et notamment car le rapport gagnant-gagnant entre la radio et l'animateur est tout sauf clair. Notre but n'est pas de démontrer quoique ce soit à cet égard, mais de dessiner, au fil des pages, le portrait d'un personnage, d'un homme, d'une époque, façonnés dans un produit sonore unique dans l'histoire de l'art. Ce livre n'a donc qu'une vocation descriptive, tout en étant conscient que cet acte même engage la subjectivité de son auteur, fut-il relu par d'autres points de vue.
En première partie, le lecteur découvrira que les produits surréalistes, et contrairement à ce que laisse croire leur définition, sont de véritables constructions. Il sera surpris d'y trouver beaucoup de contextes, beaucoup de clés de lectures, et peu d'extraits réels et d'aspects surréalistes. Ils arriveront dans la seconde partie. La retranscription, presque in extenso, des débats, placera le lecteur face à des tableaux surréalistes qu'il lui appartiendra d'admirer.même le passage de l'oral à l'écrit, qui fait perdre en spontanéité et humour, ne parviendra pas à gommer la dimension surréaliste des épisodes. Ils n'en resteront pas moins, en introduction, contextualisés, pour que les éléments fassent sens historiquement. Cette d »marche sera répétée jusqu'à la troisième partie, qui sera l'occasion de découvrir comment, avec le temps, un tableau peut dépérir s'il n'est pas renouvelé ni sous-tendu par un contexte.
Nous espérons que ce voyage, dans le surréalisme réel, burlesque, théâtral, rendant un produit parfaitement baroque, amusera certains, intéressera d'autres, et éclairera sur une période de six ans d'histoire radiophonique qui restera comme la plus folle, unique et étonnante de la jeune histoire de l'art radiophonique.