Le noyau atomique/La cohésion du noyau

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que la masse d'un noyau n'est pas la somme des masses de ses nucléons. Il existe une différence entre la masse calculée ainsi et la masse mesurée. La différence en question est souvent assez importante, pouvant aller jusqu’à 10 à 15 % de la masse calculée. La différence entre masse calculée et mesurée est appelée le déficit de masse et est notée  :

La différence de masse provient bien de quelque part et il est possible d'en expliquer la provenance. Vu que c'est la différence entre la masse des nucléons individuels et celle de ces mêmes nucléons agencés en noyau, on devine qu'il s'agit d'une masse qui se perd lors de la formation du noyau. En utilisant la formule d'équivalence masse-énergie d'Einstein , on déduit que cette différence de masse correspond à une énergie , appelée énergie de liaison. La masse du noyau est donc :

, avec l'énergie de liaison.

L'énergie de liaison n'est autre que l'énergie qui se dégage lors de la formation du noyau. La masse manquante s'est donc convertie en énergie de liaison lors de la formation du noyau. On peut aussi voir l'énergie de liaison comme l'énergie qu'il faut fournir pour séparer le noyau en nucléons individuels. On devine donc que cette énergie est ce qui tient les nucléons ensemble, dans le noyau, et les empêche de quitter le noyau. Ce qui nous amène au sujet de ce chapitre : pourquoi certains noyaux sont stables, alors que d'autres se désintègrent en noyaux plus petits par radioactivité ? On sait que la raison est liée à l'énergie de liaison : plus elle est forte, plus le noyau est censé être stable.

On pourrait croire que plus l’énergie de liaison est élevée, plus le noyau est stable. Mais il faut aussi prendre en compte le nombre de nucléons du noyau, car l'énergie de liaison est répartie sur tous les nucléons du noyau. Selon que l'énergie de liaison est répartie sur beaucoup ou peu de nucléons, la stabilité du noyau ne sera pas la même. C'est donc l'énergie de liaison par nucléon qui est importante pour la stabilité du noyau : plus elle est grande, plus chaque nucléon est lié aux autres. Le graphique ci-dessous donne l'énergie de liaison par nucléon pour la majorité des noyaux connus. On voit qu'elle dépend du nombre de nucléons, avec un maximum localisé au niveau du Fer 56. Cet isotope du Fer est donc le noyau e plus stable qui existe, les autres l'étant un peu moins. Tout noyau qui n'est pas du Fer tend donc à fusionner avec d'autres noyaux ou à se désintégrer jusqu'à se transmuter en Fer 56.

Énergie de liaison par nucléon

La vallée de stabilité

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Le graphique précédent illustre l'énergie de liaison en fonction du nombre de masse. Mais on peut aussi regarder ce qui se passe en fonction du nombre de protons et de neutrons. Le graphique ci-dessous représente l'énergie de liaison (représentée par des couleurs), en fonction du nombre de neutrons (abscisse) et de protons (ordonnée). On voit que les noyaux stables sont rassemblés sur une zone assez petite, appelée : vallée de stabilité. Les noyaux stables sont localisés sur une courbe continue proche de la droite où  , avec cependant une petite inflexion vers le haut de la courbe. Cette courbe de noyaux stables est appelée la limite de stabilité. En clair, les noyaux stables ont un nombre de protons et de neutrons assez équilibré, presque égal. Les noyaux avec un excès de protons par rapport aux neutrons sont instables, de même que les noyaux avec un déficit majeur en protons. Cependant, pour les noyaux avec beaucoup de nucléons, on observe un léger excès de neutrons par rapport aux protons, qui est suffisant pour infléchir légèrement la zone de stabilité.

 
Énergie de liaison en fonction du nombre de protons et de neutrons.

La seule déduction possible est que l'énergie de liaison dépend du rapport entre nombre de protons et de neutrons. Cette dépendance reflète l'implication de deux processus distincts : l'interaction électrostatique entre protons, qui se repoussent, et un processus quantique assez compliqué à décrire.

Si on pouvait supprimer l’influence de l'interaction électrostatique, les noyaux les plus stables seraient ceux avec un nombre de protons identique au nombre de neutrons. La raison est que neutron et proton sont presque identiques, les seules différences étant leur charge électrique et une faible différence de masse qu'on peut négliger. Au niveau du formalisme de mécanique quantique, on peut les voir comme deux versions d'une même particule appelé le nucléon quantique. Celui-ci peut prendre deux états différents : un chargé qui correspond au proton et un autre qui est le neutron. Ces deux états se distinguent par un nombre quantique, appelé l'isospin, qui est de   pour le neutron et de   pour le proton. Si on assemble plusieurs nucléons ensemble, l'isospin est la somme des isospins de chaque nucléon. Or, une énergie est associée à l'isospin et les calculs nous disent que celle-ci est minimale si l'isospin du noyau est nulle, ou du moins la plus faible possible. Ce qui n'est possible que pour un nombre égal de protons et de neutrons. On en déduit que les noyaux les plus stables sont ceux avec autant de protons que de neutrons.

Mais l'équilibre d'isospin est contrarié par la charge électrique des protons : ceux-ci possèdent la même charge positive, ce qui fait qu'ils se repoussent. Cela ajoute de l'énergie au noyau, réduisant sa stabilité. Un noyau avec trop de protons va exploser de l'intérieur sous l'effet de la répulsion proton-proton. La stabilité maximale est obtenue via un compromis entre la répulsion électrostatique et l'équilibre d'isospin.

L'influence de valeurs de Z et N particulières

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À l'intérieur de la vallée de stabilité, les physiciens ont remarqué que l'énergie de liaison ne varie pas continûment et que certains noyaux sont beaucoup plus stables que les autres. Pour en donner un exemple, regardons l'énergie de liaison pour tous les atomes de 125 nucléons, illustrée dans le graphique ci-dessous. On voit qu'elle atteint un maximum aux alentours de 50 protons. Si on réitère l'analyse pour un nombre de masse autre que 125, on observe un résultat identique : les noyaux avec 50 protons semblent plus stables que les autres.

 
Énergie de liaison pour les noyaux avec 125 nucléons.

Les nombres magiques

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Les expériences ont montré que les noyaux les plus stables sont ceux avec un nombre de protons ou de neutrons égal à 2, 8, 20, 28, 50, 82 ou 126. Ces valeurs sont appelées des nombres magiques. On peut citer, par exemple :

  • l'oxygène (8 protons) ;
  • l'hélium (2 protons) ;
  • le calcium (20 protons) ;
  • le nickel (28 protons) ;
  • le deutérium (2 neutrons).

Et les noyaux pour lesquels le nombre de protons et le nombre de neutrons sont des nombres magiques sont encore plus stables que les autres : ils sont dits doublement magiques. On pourrait par exemple citer

  • l'hélium 4 (2 protons et 2 neutrons) ;
  • l'oxygène 16 (8 protons et 8 neutrons) ;
  • le silicium 42 (14 protons et 28 neutrons) ;
  • le calcium 40 (20 protons et 20 neutrons) ;
  • le calcium 48 (20 protons et 28 neutrons) ;
  • le nickel 48 (28 protons et 20 neutrons) ;
  • le rhodium 103 (45 protons et 58 neutrons) ;
  • le plomb 208 (82 protons et 126 neutrons).

Une explication de ce phénomène sera donnée dans quelques chapitres, quand nous parlerons du modèle en couche du noyau atomique.

Les noyaux à Z ou N pairs/impairs

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Une autre observation est que les noyaux avec un nombre pair de protons ou de neutrons sont plus stables que les autres, même si le nombre en question n'est pas un nombre magique. Les noyaux avec Z et N pairs sont plus stables que ceux qui ont uniquement un Z pair ou un N pair. Ils sont dits doublement pairs. La grande majorité des nucléides connus ont un Z ou un N pair : sur 253 nucléides stables, 153 ont un Z et un N pair. Par contre, seulement 5 ont à la fois un Z et un N impairs. Il s'agit du Deutérium, du Lithium-6, du Bore-10, de l'Azote-14, et du Tantale-180.