La politique monétaire/Les taux d'intérêts

Pour rappel, les taux d'intérêts servent soit à exprimer le rendement d'un placement, soit à donner le coût d'un emprunt. Un emprunteur doit payer des intérêts mensuels ou annuels à la banque préteuse, alors que les placements sont rémunérés avec un intérêt régulier. La monnaie n'offre qu'un faible taux d'intérêt, quand celui-ci n'est pas tout simplement nul. Si la monnaie sur un livret d'épargne a un taux d'intérêt non-nul, ce n'est pas le cas pour des pièces et des billets. Mais dans tous les cas, le taux est très faible comparé aux autres instruments financiers (obligations, actions...). Ces taux d'intérêts ont une place particulièrement importante dans l'étude de la politique monétaire. D'ailleurs, nous verrons dans quelques chapitres que les banques centrales utilisent beaucoup le contrôle des taux d'intérêts pour implémenter leur politique monétaire. C'en est à tel point que les théories macroéconomiques actuelles sont presque exclusivement basées sur l'étude des taux et non sur l'analyse des agrégats monétaires ! Autant dire que nous aurons besoin de bien comprendre ce que sont les taux d'intérêts avant de poursuivre ce cours. D'où la présence de ce chapitre.

Les taux réels modifier

En premier lieu, nous devons parler de l'influence de l'inflation, la hausse généralisée des prix, sur les taux d'intérêts. Rappelons que l'inflation   est la variation en pourcentage du prix moyen   :  . Le taux réel est un taux d'intérêt corrigé de l'inflation, à savoir le rendement réel d'un intérêt quand on élimine l'effet de l'inflation sur le pouvoir d'achat. Nous allons d'abord commencer par voir quelle est sa valeur exacte, avant d'en fournir une approximation plus simple à utiliser.

La définition mathématique du taux réel modifier

Partons d'un exemple. Supposons que vous investissiez/épargnez une somme d'argent  , rémunérée au taux d'intérêt  . Ce taux n'est pas corrigé de l'inflation, ce qui fait qu'il est appelé le taux nominal. Vous toucherez, intérêt compris, la somme de :  . Cependant, ce taux nominal est un mauvais indicateur du rendement réel, corrigé de l'inflation. En effet, rien ne sert d'investir à 2% si l'inflation est de 15%. Durant la durée de votre investissement, les prix ont augmenté au même rythme que l'inflation  , à savoir qu'ils ont été multipliés par  . Si on compare l'avant et l'après en termes de biens ou de services que l'on peut acheter, on a :

Avant l'investissement :   ; Après le versement des intérêts :  .

Si on compare le nombre de biens   que l'on peut acheter avant ( ) et après ( ), on trouve que le rendement corrigé de l'inflation   vaut :

 

Soustrayons 1 des deux côtés.

 

Notons que   et faisons le remplacement :

 

Regroupons les deux termes à droite.

 

Puis simplifions :

 

L'équation de Fisher des taux d’intérêt modifier

L'équation précédente n'est cependant pas facile à utiliser. Heureusement, il existe une approximation particulièrement pratique, que nous allons démontrer dans ce qui suit. Pour cela, partons de l'équation précédente :

 

Reformulons-la comme suit et développons :

 

Soustrayons 1 des deux côtés de l'équation :

 

Si on part du principe que l'inflation et le taux nominal sont tout deux faibles, le terme   peut être négligé, ce qui donne :

 

Dit autrement, le taux nominal est à peu près égal à la somme de l'inflation et du taux d'intérêt réel (corrigé de l'inflation). Cette formule vaut aussi bien pour les taux réels anticipés que les taux obtenus.

L'origine des taux d'intérêts modifier

Les taux d'intérêts ne sortent pas de nulle part et il est important de comprendre leur origine pour la suite. Plusieurs "théories" tentent d'expliquer cela et nous n'allons pas toutes les citer, certaines étant très techniques et dépassant le cadre de ce chapitre. Dans ce chapitre, nous allons voir les trois suivantes : la théorie des fonds prêtables, la théorie classique et la théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes.

La théorie des fonds prêtables modifier

 
Rencontre entre offre et demande de fonds prêtables.

La théorie des fonds prêtables explique les taux d'intérêts par la rencontre de l'épargne avec les besoins des emprunteurs. Les emprunteurs et les préteurs se mettent en relation par l'intermédiaire des établissements de crédit, des banques, des caisses d'épargne, et tout autre intermédiaire financier. Les emprunteurs et préteurs échangent de l'argent, des liquidités, en échange d'une reconnaissance de dette (un contrat de prêt, une obligation d'état ou d'entreprise, peu importe). Dit autrement, il existe une offre de liquidités de la part des préteurs et une demande de la part des emprunteurs. Et la rencontre cette offre et cette demande entraîne l'apparition d'un prix d'équilibre, qui n'est autre que le taux d'intérêt, le "loyer" de l'argent.

L'offre de liquidités provient des préteurs, alors que la demande vient des emprunteurs. Cela parait intuitif, mais cela aurait parfaitement pu être l'inverse. Rappelons que déterminer qui est l'offre et qui est la demande implique d'étudier la variation des quantités en fonction des prix. Ici, il s'agit d'étudier comment emprunt et épargne évoluent en fonction des taux.

  • Il existe une relation entre taux et montant des emprunts : des taux élevés rendent l'emprunt coûteux et défavorable, alors que des taux faibles le rendent plus sûr et plus rentable. La relation entre emprunt et taux est donc décroissante, ce qui traduit le fait qu'il s'agisse d'une courbe de demande.
  • À l'inverse, la courbe qui relie épargne et taux est croissante, ce qui trahit le fait que c'est une courbe d'offre. En effet, les taux sont le rendement de l'épargne : plus ils sont élevés, plus l'épargne est intéressante. Des taux élevés vont alors inciter les agents économiques à épargner, quitte à réduire un peu leur consommation.

Maintenant, étudions ce qui se passe quand la demande ou l'offre varie, en commençant par la demande. Imaginons que la demande d'emprunt augmente, peu importe la raison. La courbe de demande est alors déplacée vers la droite, ce qui donne une augmentation des taux. De nombreux emprunteurs vont venir sur le marché des capitaux et une partie sera prête à payer des taux élevés pour leur emprunt. Les préteurs vont de préférence prêter aux agents qui acceptent de payer plus cher que les autres, le taux d'intérêt va donc augmenter. La situation est inverse si la demande d'emprunt baisse : la courbe de demande se déplace vers la gauche, de qui donne une baisse des taux. Ce qui se passe est que les préteurs n'ont pas d'autre choix que de prêter leur argent à des taux plus bas, le vivier d'emprunteurs à fort taux se tarissant.

Le cas où l'offre de fonds prêtables diminue ou augmente est assez similaire, avec cependant quelques différences notables. Une augmentation de ceux-ci se traduit par un déplacement vers la droite de la courbe d'offre, alors qu'une réduction donnera un décalage vers la gauche. Cela donne respectivement une baisse ou une hausse des taux. Prenons le cas où l'offre augmente. Le surplus sera alors prêté à de nouveaux emprunteurs. Vu que les emprunteurs à fort taux ont déjà étés servis par les fonds précédents, il ne reste que des emprunteurs à taux plus faibles sur le marché. Les préteurs n'ont pas le choix que de prêter à des taux plus bas et le taux ne peut que baisser. Une pénurie de fonds prêtables a l'effet inverse : l'épargne devenant rare, seuls les emprunteurs qui payent le plus cher seront servis. Ce qui se traduit par des taux élevés.

La théorie classique des taux d'intérêts modifier

 
Rencontre entre offre et demande de fonds prêtables.

La théorie classique des taux d'intérêts peut être vu comme un cas particulier du précédent. Dans le cadre de la théorie classique, on suppose que la demande d'emprunt est une demande d'investissement, alors que l'offre n'est autre que l'épargne. Notez qu'on fait deux hypothèses : en premier, on confond investissement et emprunt, en second, on confond épargne et offre de fonds prêtables. Avec ces hypothèses, le modèle offre-demande devient un modèle où une demande d'investissement rencontre une offre d'épargne. Le prix qui découle de la rencontre offre-demande est le taux d'intérêt réel, non le taux nominal.

À l'équilibre, l'investissement réalisé est égal à l'épargne effective, du fait de la rencontre offre-demande. On a donc :

 , avec I l'investissement et S l'épargne (Savings en anglais).
Petite remarque : cette identité a donné son nom à la courbe IS (courbe Investment-Savings), que nous aborderons plus tard dans ce cours.

Il existe divers moyens de démontrer cette égalité, en utilisant des définitions comptables du PIB, mais elles posent quelques problèmes d'interprétation assez forts. Mais nous reparlerons de tout cela dans le chapitre sur le canal des taux d'intérêt.

Notons que ces deux hypothèses, à savoir les égalités emprunt-investissement et épargne-prêt, sont critiquables et ne sont valables que sous certaines conditions.

  • Premièrement que tout emprunt soit utilisé pour financer un investissement. Ce n'est pas le cas en pratique : beaucoup de crédits accordés par les banques sont des découverts bancaires, des facilités de trésorerie ou des prêts à la consommation. Néanmoins, une portion non-négligeable de la demande d'emprunts provient de l'investissement des ménages, mais aussi des entreprises et de l'état : les entreprises achètent des machines ou des outils de production, les états empruntent pour des dépenses d'infrastructure, les ménages achètent des maisons (ce qui est une forme d'investissement), etc. Il n'est donc pas si stupide de confondre investissement et emprunt.
  • Ensuite, il faut que les emprunts soient financés par une épargne préexistante , ce qui là encore est faux. On verra dans la suite de ce cours que toute l'épargne n'est pas prêtée par les banques, pour plusieurs raisons. Déjà, une partie est thésaurisée, ce qui veut dire qu'elle n'est pas placée dans les banques et est conservée sous forme d'espèce ou d'autres instruments. De plus, les banques doivent conserver une partie de l'épargne sous la forme de réserves bancaires, qui ne sont pas prêtées. Enfin, il faut aussi prendre en compte la création monétaire, la capacité qu'ont les banques à créer de la monnaie (ce qui fera l'objet de plusieurs chapitres futurs). Mais là encore, faisons abstraction de cela et oublions la thésaurisation et les réserves bancaires.

La théorie de la préférence pour la liquidité modifier

 
Illustration de la théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes.

La théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes est une théorie assez complexe, que nous survolerons ici. Nous la détaillerons dans les chapitres de fin du cours, pour des raisons pédagogiques. Pour simplifier, cette théorie dit que les agents économiques font un arbitrage entre monnaie et autres actifs. Les agents économiques peuvent répartir leur richesse entre monnaie, obligations, actions, immobiliers et autres biens durables.

Par souci de simplicité, nous n'allons prendre en compte que deux types d'actifs : la monnaie proprement dite et les obligations. La monnaie ne rapporte pas d'intérêt (ou alors très peu), alors que les autres actifs peuvent verser un intérêt parfois important. En contrepartie, la monnaie est parfaitement liquide alors que les autres actifs ne le sont pas. Faire un virement est beaucoup plus facile que vendre un actif sur un marché boursier. Les agents font donc un arbitrage entre le fait de recevoir un intérêt et abandonner la liquidité de leur argent. Le taux d'intérêt est donc le prix à payer pour que les agents abandonnent la liquidité de la monnaie. En terme technique, il s'agit du coût d'opportunité de la possession de monnaie, à savoir le coût que l'on pourrait avoir si cette monnaie était convertie sous la forme d'actifs. Plus ce coût d'opportunité est élevé, plus les actifs sont favorisés par rapport à la monnaie.

Les ménages souhaitent détenir une partie de leur épargne sous la forme de monnaie, le reste étant sous la forme d'actifs rémunérés illiquides. La quantité de monnaie que les agents économiques souhaitent détenir est influencée par les taux d'intérêts. Si les taux sont élevés, les agents préfèrent conserver leur fortune sous la forme d'actifs, qui versent un intérêt. Mais si les taux sont trop bas, le rendement des actifs ne compense pas leur illiquidité et les agents vont préférer la monnaie. En clair, plus les taux sont élevés, plus les agents mettent leur argent dans des obligations et moins ils ont de monnaie. Si on trace la masse monétaire en fonction des taux d'intérêt, on voit que celle-ci forme une courbe, appelée courbe de demande de monnaie et notée  . Pour résumer, la masse monétaire est une fonction décroissante des taux.

Sur le marché des capitaux, la demande de monnaie rencontre une offre de monnaie, qui n'est autre que la quantité totale de monnaie en circulation dans l'économie, la masse monétaire. Cette offre est fournie par la banque centrale, qui crée la monnaie quand elle le doit : c'est cette banque qui imprime les billets, fabrique les pièces, crée l'argent fiduciaire, etc. L'offre de monnaie de la banque centrale va donc rencontrer une demande de monnaie de la part des ménages et entreprises. À l'équilibre, offre et demande de monnaie sont égales :  . Or, qui dit équilibre entre offre et demande dit prix, ici le prix qu'il faut payer pour obtenir de la monnaie. Ce prix n'est autre que le taux d'intérêt, ce qui lui vaut parfois le surnom de loyer de l'argent. Le croisement des deux courbes d'offre et de demande donne le taux d'intérêt en fonction de la quantité de monnaie créée par la banque centrale.

Nous reparlerons plus en détail de cette théorie à la fin du cours, dans le chapitre sur la demande de monnaie.

Les liens entre ces théories modifier

Il faut noter que ces théories ont potentiellement des liens entre elles, mais ils sont encore débattus. Tandis que certains économistes voient ces théories comme des approches complémentaires, voire équivalentes, d'autres les pensent totalement incompatibles et irréconciliables. Une explication serait que le taux d'intérêt décrit serait différent pour chaque théorie. Pour rappel, il existe de nombreux taux d'intérêt dans l'économie : le taux directeur des banques centrales les taux de prêts bancaires, les taux de la dette d'état, et j'en passe. Ajoutons à cela qu'il faut aussi distinguer les taux réels et les taux nominaux, ce qui double encore le nombre de taux d'intérêt à prendre en compte.

L'interprétation qu'on retrouve dans beaucoup de livres d'introduction à la macroéconomie, est que les taux nominaux seraient déterminés par la théorie de la préférence pour la liquidité, alors que les taux réels seraient déterminés par la théorie classique et/ou celle des fonds prêtables.

Une autre interprétation serait que chaque théorie explique un marché différent. La théorie de la préférence pour la liquidité expliquerait les taux d'intérêt sur le marché monétaire, un marché où s'échangent des instruments financiers proches de la monnaie papier. Ce marché fait intervenir des prêts entre banques de courte maturité, des prêts de monnaie, des dépôts monétaires à la banque centrale, et quelques autres instruments financiers du genre. Nous reviendrons sur ce marché dans quelques chapitres, vous n'avez pas besoin d'en savoir plus pour le moment, si ce n'est que les taux sur ce marché sont adossés à des prêts à très court-terme : quelques jours, quelques semaines, quelques mois grand maximum. À l'inverse, le marché des fonds prêtables impliquerait des prêts de plus long-terme, comme les prêts bancaires, les prêts immobiliers, les achats de dette d'état, de dettes d'entreprises, etc. On aurait donc la préférence pour la liquidité pour les taux de court-terme sur les instruments liquides, et la théorie des fonds prêtables pour les taux de long-terme.