La politique monétaire/Les relations entre taux et agrégats monétaires

Les deux chapitres précédents ont porté sur la création monétaire, sans faire le lien avec les taux d'intérêt. Mais dans les faits, la masse monétaire dépend des taux d'intérêt en vigueur et réciproquement. Plus les taux sont élevés, plus le crédit baisse, plus la masse monétaire se réduit. Dans ce chapitre, nous allons poursuivre les développements du chapitre précédent et montrer quelles sont les relations entre taux directeur, taux long-terme, masse monétaire et base monétaire. Nous en avions déjà touché un mot avec les théories de la monnaie endogène et exogène, mais nous n'avions pas tout dit. Il nous faut en effet parler plus en détail des différentes relations entre les taux et la monnaie, ce qui est le but de ce chapitre.

La relation entre base monétaire et taux directeur modifier

Pour commencer, il nous faut étudier le lien entre base monétaire et taux directeur, qui sont très dépendants l'un de l'autre. En temps normal, la relation entre les deux est la même qu'entre la masse monétaire et les taux d'intérêt : plus le taux directeur est haut, plus la base monétaire est réduite. La raison à cela tient dans le fonctionnement du marché monétaire. Rappelons que les banques commerciales empruntent à la banque centrale au taux directeur. Plus celui-ci est bas, plus il est intéressant pour les banques d'emprunter à la banque centrale. Or, les banques empruntent des réserves bancaires, qui font partie de la base monétaire. Le lien est donc : taux directeur -> emprunt à la banque centrale -> base monétaire. On peut résumer cette relation décroissante sur un graphique.

 
Lien entre base monétaire et taux directeurs

Il existe cependant des situations où la base monétaire devient totalement indépendante des taux directeurs, comme nous allons le voir plus bas.

Les origines de la demande de réserves modifier

Il existe toujours une demande de réserve minimale, liée à l'existence du taux de réserve. Les banques étant tenues d'avoir un certain pourcentage de leurs dépôts en réserves à la banque centrale, cela signifie qu'il y a une quantité minimale de réserves, qui dépend des dépôts (et donc de la masse monétaire). Ce qui fait que tant qu'il existe un taux de réserve obligatoire, la demande de réserves ne peut pas être nulle. Mais attention : rien n’empêche les banques commerciales d'avoir plus de réserves que nécessaire, pour diverses raisons. La demande de réserves n’est donc jamais nulle, même avec des taux règlementaires de réserve à 0, et dépasse parfois la demande minimale de réserves obligatoires.

La présence de réserves excédentaires peut s'expliquer, au moins en partie, par le fait que les banques ont besoin des réserves pour assurer les virements interbancaires. Rappelons que les banques s'échangent des réserves pour payer les virements. Lorsqu'on fait un virement d'une banque A vers une banque B, la banque A envoi le montant du virement à la banque B sous la forme de réserves bancaires. La monnaie que s'échangent les banques est donc composée de réserves bancaires, pas de monnaie-crédit (la monnaie de la masse monétaire). Il existe donc une demande de réserves liée aux échanges interbancaires, qui dépend de la banque (certaines auront besoin de beaucoup de réserves, d'autres non). La demande de réserve d'une banque dépend du nombre de virements entrants et sortants. Plus elle a de virement sortants par rapport à ses virements entrants, plus sa demande de réserve sera importante. On peut appeler cette demande de réserve ainsi : "demande de réserve pour motif de transaction". En théorie, cette demande de réserve est indépendante des taux directeurs, les taux n’influençant pas les virements interbancaires, que ce soit en nature ou en nombre. Elle dépend par contre de la masse monétaire totale et de sa vitesse de circulation. Plus précisément, elle dépend de la demande de dépôts en monnaie scripturale, mais pas exactement de la demande de crédits.

Une autre part de la demande de réserves excédentaires sert à faire des prêts, sur le marché interbancaire ou dans l’économie réelle. Les banques empruntent des réserves pour les prêter, soit à d'autres banques en manque de réserves, soit sous la forme de prêts aux entreprises ou à des particuliers. Mais rappelons que ces réserves n'en restent pas longtemps et qu'elles deviennent de la monnaie scripturale une fois prêtées. Cette forme de demande de réserves est donc transitoire : peu de temps après avoir été créées, ces réserves quittent les comptes de la banque centrale pour circuler dans l'économie réelle. Notons que, en théorie, les montants empruntés pour ce motif dépendent uniquement de la prime de risque, pas du montant des taux directeurs proprement dits. Mais les choses sont plus compliquées en pratique.

Une autre origine de la demande de réserve excédentaires tient dans l'anticipation des taux directeurs futurs. Les banques peuvent décider d'emprunter des réserves maintenant pour les prêter dans plusieurs années ou dans plusieurs mois. On peut se demander pourquoi elles empruntent aussi tôt, au lieu d'emprunter juste avant de prêter, mais ce serait omettre que les taux directeurs évoluent. Entre emprunter maintenant à taux bas et emprunter plus tard à taux hauts, le choix est vite fait. Si les banques anticipent une hausse future des taux, elles vont emprunter maintenant au lieu de dans le futur. À l'inverse, si elles anticipent une baisse des taux, elles vont attendre un petit peu avant d'emprunter à la banque centrale. On peut appeler cette demande de réserve ainsi : "demande de réserves pour motif de spéculation". Cette demande de réserves dépend donc naturellement des taux. Plus précisément, cette demande diminue quand les taux augmentent, ce qui donne une relation décroissante.

Pour résumer, la demande de réserves a plusieurs origines : les virements interbancaires, le financement des prêts bancaires, et l'existence des réserves obligatoires.

Excès et pénurie de réserves modifier

Le schéma précédent montre une situation où la demande de réserve existe et fait face au taux directeur de la banque centrale ce qui détermine la quantité de réserves imprimée par la banque centrale. Une autre situation est possible, où la banque centrale décide de la quantité de réserves qu'elle offre, l'intersection offre-demande décidant du taux directeur. Dans les deux cas, on a une demande de monnaie non-nulle, ce qui veut dire que les banques commerciales manquent de réserves et comblent ce manque par un emprunt à la banque centrale. Mais il existe des situations où les banques commerciales ont suffisamment de réserves et où elles n'ont pas besoin d'emprunter : la demande de réserves n'existe pas. Tout dépend de si il y a un manque ou un excès de réserve.

Dans le cas le plus classique, les réserves manquent. Le système bancaire manque globalement de réserves, que ce soit pour répondre à la demande de réserves obligatoires, ou pour financer les prêts. Par globalement, on veut dire que les réserves excédentaires sont insuffisantes. Les banques qui manquent de réserves vont chercher à les acquérir auprès d'autres banques qui ont des réserves excédentaires. Les réserves excédentaires sont alors prêtées aux banques en pénurie, mais cela ne suffit pas à combler le manque. Au final, il restera quelques banques qui manqueront de réserves et devront se fournir auprès de la banque centrale. Pour le dire autrement, pour que la demande de monnaie existe, il faut que le système bancaire soit en pénurie de réserves. On dit que l'on est dans un système à corridor, terme dont nous verrons le sens complet dans le chapitre sur le marché monétaire.

À l'inverse, on peut imaginer une situation où le système bancaire ait un excès global de réserves. Il peut y avoir des banques qui manquent de réserves, mais elles arrivent toutes à se fournir auprès des banques commerciales avec des excès. Ce faisant, aucune banque n'a besoin d'emprunter auprès de la banque centrale. Cela arrive si la banque centrale a autrefois émis trop de réserves et que l'excès s'est maintenu dans le temps. Dans une telle situation, le taux d'emprunt auprès de la banque centrale n'a plus aucun effet sur l'économie et sur le marché interbancaire.

Mais cela ne signifie pas que la banque centrale ne peut plus influencer les taux sur le marché interbancaire. Pour cela, elle doit utiliser un autre instrument : le taux de rémunération des réserves. Il correspond au taux d'intérêt auquel la banque centrale rémunère les réserves, comme si celles-ci étaient placées sur un livret bancaire avec un intérêt positif. Les banques n'ont alors pas intérêt à prêter leurs réserves à un taux inférieur au taux de rémunération des réserves : à quoi bon prêter les réserves à 2%, si la banque centrale les rémunère à 5% ? Ce qui fait que le taux de rémunération influence la quantité de prêts accordés par les banques, ce qui a un impact indirect sur la quantité de réserves (la courbe de demande de réserves est alors horizontale, voire croissante).

Un tel système est appelé un système à plancher (Floor system) et nous l'étudierons plus en détail dans le chapitre sur le marché monétaire. Toujours est-il que dans un tel système, il n'y a pas à proprement parler de courbe de demande de réserves, qui relie le taux de rémunération à la quantité de réserves, ce qui n'a pas d'importance pour ce qui va suivre.

 
Relation entre base monétaire et taux directeurs, suivant que le système bancaire est en manque ou en excès de réserves

Toujours est-il que la banque centrale peut contrôler l'état du système bancaire : elle peut le mettre en manque ou en excès de réserves en utilisant divers instruments. Par exemple, la banque centrale peut injecter ou retirer des réserves de la circulation comme bon lui semble, avec des opérations d'open market. En achetant/vendant des obligations d'état, elle augmente/réduit la quantité de réserves. Elle peut aussi organiser une pénurie en augmentant le taux de réserves obligatoires. Les banques vont devoir alors garder plus de réserves dans leurs coffres, ce qui augmente la demande de réserves. Pour que sa politique monétaire ait un impact optimal sur l'économie, la banque centrale doit faire en sorte que le système bancaire se trouve en pénurie de réserves, c’est-à-dire qu'il existe une demande non-nulle de réserves agrégées (toutes banques comprises). La banque centrale a le contrôle des taux d'intérêt, ce qui limite de ce fait la création monétaire avec les mécanismes expliqués dans la suite du chapitre.

La relation entre taux directeur et taux d'intérêts bancaires modifier

Rappelons quelques faits : les banques commerciales font face à une demande de crédits de la part des agents économiques souhaitant emprunter. Elles répondent à cette demande en fournissant une partie des emprunts demandés. Dit autrement, une demande de crédits fait face à une offre bancaire de crédits. L'intersection entre cette offre et cette demande donne le volume total de crédit circulant dans l'économie, c’est-à-dire la masse monétaire, mais aussi le taux d'intérêt. Il y a donc une relation entre taux d'intérêt et masse monétaire. Sauf que le taux d'intérêt en question n'est pas le taux directeur, mais le taux proposé par les banques. Ce taux est le taux auquel les agents économiques empruntent, et il est différent du taux directeur de la banque centrale. S'il y a une relation entre ces deux taux, nous allons d'abord voir ce qui se passe si on néglige cette relation, afin de simplifier les explications.

La relation entre masse monétaire et taux d'intérêts modifier

Rappelons que les banques, comme toute entreprise, cherchent à maximiser leurs profits, profits qui lui viennent des intérêts des prêts. Elle va donc fixer un taux d'emprunt qui lui permet de rentabiliser au maximum ses activités de prêts. Dans la théorie que nous allons voir, c'est ce taux d'emprunt qui détermine la création monétaire. Cette "théorie", fabriquée pour l'exemple, dit que la masse monétaire dépend de la volonté des agents de s'endetter, ainsi que de la volonté des banques de maximiser leur profit. La masse monétaire nait de la rencontre entre une demande de crédit de la part des agents économiques et un taux décidé par les banques. Tout se passe comme si la masse monétaire était choisie par les agents économiques. L'ensemble du modèle, base et masse monétaire inclue, est résumé dans le schéma ci-dessous.

 
Détermination de la masse monétaire dans un modèle de monnaie endogène

L'offre de crédit de la part des banques n'est pas limitée par les réserves bancaires et on voit mal comment la politique monétaire pourrait intervenir pour la limiter, ni même pour la contrôler finement. La politique monétaire est, dans cette théorie, complètement impotente : elle ne peut pas limiter la création monétaire par les banques privées. Chose qui est passablement incompatible avec la réalité : on observe bien que les banques centrales ont bien réussi à contrôler l'inflation et la masse monétaire depuis plusieurs décennies... Avec l'apparition du régime de ciblage de l'inflation, les banques centrales ont toutes réussi à maintenir l'inflation proche de leur cible de 2%, alors que les théories à monnaie endogène disent clairement que c'est impossible.

D'ailleurs, chose liée au problème précédent, la théorie n'explique pas pourquoi les taux d'intérêts servis par les banques dépendent des taux directeurs, les taux d'emprunt à la banque centrale. En théorie, le taux d'intérêt servi par les banques commerciales ne devrait dépendre que de la maximisation de leur profit. Le taux auquel elles empruntent leurs réserves ne devrait pas jouer du tout sur leur profitabilité. Pourtant, dans le monde réel, les taux directeurs et les taux des banques commerciales covarient très fortement : quand l'un monte, l'autre le fait presque exactement dans les mêmes proportions. Une hausse de 1% du taux directeur se répercute à l'identique sur les taux bancaires. Impossible d'expliquer cela sans recourir d'une manière ou d'une autre à un mécanisme de monnaie exogène, ce que les théories concurrentes font très bien !

Qui plus est, la théorie n'explique pas pourquoi le taux de réserve est utilisé par certaines banques centrales comme instrument de leur politique monétaire. Avec un effet macroéconomique sur l'emprunt qui est très loin d'être négligeable.

D'ailleurs, cette théorie n'explique pas pourquoi les banques détiennent des réserves excédentaires. En théorie, les banques devraient limiter au maximum leurs réserves excédentaires, qui ne leur servent à rien. Elles ne peuvent pas les prêter si le besoin s'en fait sentir, mais leur emprunt leur coute beaucoup à cause des taux d'intérêts de la banque centrale. Elles ont besoin d'emprunter juste ce qu'il faut pour respecter les taux de réserves obligatoires, mais pas plus. Limiter au maximum les réserves excédentaires est donc une chose très importante, qui s'est observé durant un long moment (jusqu'à la crise de 2008), mais qui est aujourd'hui incompatible avec le gigantesque niveau de réserves excédentaires. Tout cela semble indiquer que les banques commerciales ont intérêt à avoir des réserves excédentaires, ce qui est incompatible avec le fait que ces réserves leur coutent.

Au passage, le fait que les réserves sont rémunérées à un taux d'intérêt positif n'y change rien : ce taux est de toute façon inférieur au taux d'emprunt de ces réserves. De plus, en zone euro, les banques acceptent des réserves excédentaires alors que le taux de rémunération de celles-ci était négatif !

Et pour finir, cette théorie n'explique pas pourquoi les banques cherchent à attirer des dépôts, ni pourquoi elles empruntent sur les marchés financiers. Pourquoi s’embêtent-elles à rémunérer les livrets, comptes à terme et autres formes dépôts bancaires, alors qu'elles n'en ont pas besoin ? En théorie, elles n'ont pas besoin de dépôts pour fonctionner et on peut s'étonner que les banques aient conservé une activité de banque de détail. Alors pourquoi attirer des fonds en promettant de les rémunérer avec un intérêt ? De même, pourquoi les banques empruntent-elles autant d'argent, au point d'avoir des ratios capital/passif proches du pourcent ? Pourquoi une telle quantité d'emprunts interbancaires, pourquoi empruntent-elles sur les marchés obligataires ? Autant l'emprunt aux banques centrales peut se comprendre, vu qu'elles font face à des contraintes règlementaires qui imposent un taux de réserve minimal. Mais les autres formes d'emprunt ne collent absolument pas avec les théories à monnaie endogène ! Impossible d'expliquer la structure du bilan d'une banque avec ces théories, alors que les théories à monnaie exogène le font parfaitement bien !

Les taux directeurs influencent les taux d'intérêts bancaires modifier

Le modèle précédent, trop simpliste, est une fiction à laquelle aucun économiste ne croit. Il s'agit d'une création de l'auteur, qui a pour but de simplifier les explications qui vont suivre. Ce modèle pédagogique doit naturellement être amendé, au vu de ses nombreux problèmes. Pour cela, nous allons revenir sur une hypothèse : le taux d'intérêt servi par les banques ne dépend que de leur volonté de faire du profit. Si le gout pour l'argent des banques n'est pas à démontrer, il faut cependant ajouter un paramètre : le taux des banques dépend du taux servi par la banque centrale. Dans le monde réel, les taux directeurs et les taux des banques commerciales varient en même temps : quand l'un monte ou descend, l'autre le fait presque exactement dans les mêmes proportions. Mais taux directeur et taux bancaires ne sont pas identiques. Dans les faits, les taux bancaires sont un peu plus élevés que les taux directeurs, pour diverses raisons.

Le mécanisme qui lie les tau directeurs aux taux d'emprunt est assez simple, et se base sur le fait que les banques sont des intermédiaires financiers. Les banques commerciales acquièrent leurs réserves en les empruntant à la banque centrale, à un certain taux : le taux directeur. Le taux directeur va moduler l'offre de crédit et les taux d'intérêts bancaires, par deux mécanismes. Ces mécanismes impliquent des taux différents : le taux d'emprunt à la banque centrale pour le plancher, le taux de rémunération des réserves pour le second.

Pour étudier le premier mécanisme, il faut se mettre dans une situation de pénurie de réserves. Dit autrement, on suppose que les banques commerciales prêtent l'argent qu'elles empruntent à la banque centrale. Prenons l'exemple d'une entreprise qui souhaite emprunter 100 000 euros à sa banque. Si la banque n'a pas les fonds nécessaires pour ce prêt, elle les emprunte sur le marché monétaire. Et seule la banque centrale peut créer la monnaie demandée si celle-ci vient à manquer dans le système économique. La banque commerciale va donc emprunter de l'argent à la banque centrale et le prêter à des entreprises ou des ménages. Évidemment, la banque centrale ne prête pas ses réserves à taux zéro, mais charge ses prêts au taux directeur. Ce système n'est rentable que si le taux du prêt est plus important que le taux directeur. Emprunter à 1% pour prêter à 2/3% est rentable, mais emprunter à 2% pour le prêter à 1% signifie une perte pour la banque. Le taux directeur sert donc de plancher pour le taux auquel prêtent les banques.

L'autre mécanisme se manifeste quand le système bancaire est en excès de réserves, quand les banques n'ont pas besoin de se financer auprès de la banque centrale. Dans ce cas, les banques vont quand même limiter leur création monétaire en réaction à la politique monétaire. En effet, il faut prendre en compte le taux de rémunération des réserves. Si le taux de rémunération des réserves est à 5%, aucune banque n'irait prêter ces réserves à seulement 2 à 3%. Les banques n'auraient d'intérêt à prêter les réserves qu'à un taux supérieur. Ce faisant, le taux de prêt sert donc là aussi de plancher pour les taux auxquels les banques prêtent. Par contre, le taux directeur est différent dans cette situation.

L'existence d'une prime de risque modifier

Les banques ne se contentent pas de prêter des fonds au taux directeur, pour plusieurs raisons. Déjà, la durée d'un emprunt à la banque centrale n'est pas la même que la durée d'un prêt. Une banque ne peut pas emprunter sur 20 ans à la banque centrale, alors qu'elle offre des crédits immobiliers sur 20 ans. Mais surtout, les crédits qu'elle offre sont risqués et il y a un risque de non-remboursement. Pour l'éviter, les banques sélectionnent activement les crédits qu'elles acceptent en fonction du risque de crédit. Mais cela ne suffit pas et elles doivent faire payer à chaque crédit un taux plus élevé que le taux directeur pour compenser le risque pris. Ainsi, si un prêt n'est pas remboursé, le sur-taux des autres prêts compense totalement la perte du crédit.

Les banques commerciales vont fixer leurs taux juste au-dessus du taux directeur, en fixant une marge qui leur permet de couvrir les risques du prêt, mais aussi de gagner un profit et de rémunérer leurs employés. Or, les banques commerciales sont toutes en concurrence, ce qui les pousse à baisser leurs taux ou tout du moins à les garder proches des taux des autres banques. Une banque ne peut pas augmenter ses taux trop haut, sous peine de perdre ses clients, partis voir la concurrence. Du fait de la concurrence, cette marge est réduite au plus possible et se limite à peu près à une prime de risque, qui varie selon le risque de non-remboursement. L'existence du taux directeur limite donc les taux d'emprunt, ce qui décide donc indirectement de la masse monétaire (par l'intermédiaire de la demande de monnaie). Pour résumer, le taux d'intérêt sur les crédits dépend non seulement des taux de la banque centrale, mais aussi d'une prime de risque qui dépend du ménage et de son projet d'investissement/emprunt. Ce qui se résume avec la formule suivante :

 , avec i le taux d'un crédit,   le taux sans risque et   une prime de risque.

Pour résumer, il y a une relation entre taux monétaires, taux des crédits et création monétaire : plus les taux monétaires sont élevés, plus les banques doivent augmenter les taux longs pour compenser le cout de l'emprunt et moins de crédits sont demandés par les agents économiques. Vu que la banque centrale a le contrôle quasi-total des taux monétaires, elle a un pouvoir de contrôle indirect de la masse monétaire. La banque centrale contrôle les taux courts, ce qui influence les taux longs et donc la masse monétaire. La banque centrale choisit son taux directeur, et les banques doivent suivre. En choisissant son taux directeur, elle peut augmenter ou diminuer les taux bancaires et donc la création de nouveaux crédits. Il lui suffit de remonter ses taux directeurs pour limiter l'expansion du crédit, et de les baisser pour favoriser l'emprunt. Tout ce qui compte est qu'elle adapte les taux pour obtenir la masse monétaire demandée. Par contre, elle n'a pas le choix de sa base monétaire, qui est toujours imposée par le taux de réserves (et plus précisément par le diviseur/multiplicateur du crédit, que nous verrons plus bas). Le modèle complet est illustré ci-dessous.

 
Modèle de monnaie endogène de type horizontal

On voit que plusieurs défauts de la théorie précédente sont corrigés. D'abord, la banque centrale a enfin un impact sur la masse monétaire, sa politique monétaire n'est plus impotente et elle gagne un certain pouvoir de gestion de l'inflation. Tout cela grâce à son influence sur les taux directeurs, qui se répercutent par l'intermédiaire des taux bancaires sur la masse monétaire. Cela rend le modèle particulièrement intéressant, bien qu'imparfait. En tout cas, c'est une approximation pas trop mauvaise de ce qui se passe dans le monde réel. Mais le modèle n'est pas exempt de défauts. Par exemple, il n'explique pas pourquoi les banques conservent des réserves excédentaires, pourquoi le taux de réserves est utilisé par certaines banques centrales avec la même efficacité que le taux directeur, pourquoi le bilan des banques est ce qu'il est, etc. Il ne dit pas non plus comment les taux et la prime de risque varient avec la masse/base monétaire. Mais des défauts sont des défauts mineurs, qui peuvent se corriger avec quelques ajouts au modèle.

La relation entre base et masse monétaire modifier

Vu ce qu'on vient de dire, il n'y a pas vraiment de relation stable entre la base monétaire et la masse monétaire. Tout dépend des taux directeurs, de la prime de risque et des demandes de réserves et de crédit. Difficile d'en établir une formule mathématique qui permette de faire des prédictions pertinentes. Par exemple, on ne peut pas prédire comment évolue la masse monétaire quand on augmente la base monétaire. Tout dépend de comment les banques et les agents vont réagir, de leurs demandes de monnaie et de crédit respectives et des variations de taux. Le modèle complet, qui tient compte de la base monétaire et de la masse monétaire, est illustré ci-dessous.

 
Contrôle de la masse et de la base monétaire par l'intermédiaire des taux directeurs

Pour être plus complet, il faut aussi indiquer l'existence d'une demande de réserves minimales, liée aux réserves obligatoires. Cette quantité de réserves obligatoires est imposée par le taux de réserves, mais la base monétaire la dépasse souvent, du fait de l'existence de réserves excédentaires.

 
Contrôle de la masse et de la base monétaire par l'intermédiaire des taux directeurs, avec réserves obligatoires

On peut raffiner le modèle en ajoutant quelques contraintes sur la manière dont la prime de risque dépend de la masse monétaire. Par exemple, on peut supposer que les banques évitent de trop prêter, pour diverses raisons. Par exemple, on peut supposer que plus leur encours de crédit est fort, plus cela signifie qu'elles ont prêté à des emprunteurs risqués. En effet, les banques prêtent en priorité aux emprunteurs surs, dont elles pensent qu'ils vont rembourser avec certitude. Le proverbe dit bien qu'on ne prête qu'aux riches ! Autant les premiers prêts sont réservés à des emprunteurs extrêmement surs, autant les prêts suivants sont réalisés à des emprunteurs de moins en moins solvables. Plus l'encours de crédits augmente, plus les clients qui restent sont risqués. On peut aussi ajouter une hausse du taux directeur avec la masse monétaire, qui sert à limiter son extension : plus la masse monétaire augmente, plus la banque centrale augmente ses taux pour en limiter les effets, pour contrôler l'inflation, par exemple. Nous en reparlerons dans les chapitres ultérieurs.

 
Modèle de monnaie endogène de type horizontal, amélioré

En théorie, base et masse monétaire peuvent évoluer indépendamment, suite à une variation de leurs demandes respectives. Tout déplacement des courbes de demande de réserves/crédit se traduit par une variation du multiplicateur du crédit.

Par exemple, une soudaine hausse des primes de risque va augmenter la demande de réserves à dépôts égaux. Pour simplifier, les banques ne souhaitant plus prêter leur argent et vont restreindre leur offre de crédit. La courbe de demande sera la même, mais l'intersection entre taux et demande sera placée plus haut, sur un point où le crédit est plus faible. La quantité de prêts va diminuer, ce qui réduira la masse monétaire (ou du moins, sa croissance). La banque centrale va alors réagir en baissant son taux directeur pour compenser la baisse des crédits et limiter au mieux les effets de la hausse de la prime de risque. Idéalement, la hausse des primes de risque est exactement compensée par la baisse du taux directeur, ce qui fait que le taux bancaire ne change pas. Sous ces conditions, la demande de crédit ne varie pas et la masse monétaire reste donc la même, ce qui contient l'inflation et le niveau des prix au niveau souhaité par la banque centrale. L'effet sur la base monétaire est pas contre tout autre. En théorie, la demande de réserves ne change pas alors que le taux directeur baisse : on se retrouve avec une hausse de la base monétaire, alors que la masse monétaire reste inchangée. On en déduit que le multiplicateur du crédit diminue donc, par augmentation des réserves excédentaires.

Un exemple est celui de la crise financière similaire de 2007. Cette crise est partie des crédits immobiliers dits subprimes, supposés risqués, mais malgré tout "solvables". Avec la soudaine baisse du prix de l'immobilier, lié à la politique de réserve fédérale, ces crédits se sont soudainement retrouvés nettement plus risqués que prévu. Par un effet de cascade, la hausse des primes s'est propagée à l'ensemble des banques, sur tous les types de crédits existants. La forte hausse des taux qui en a découlé a réduit le crédit, diminuant fortement la quantité de monnaie en circulation dans l'économie. Pour parenthèse, cette contraction de la masse monétaire a eu pour conséquence une récession, à savoir un ralentissement de l’activité économique. La banque centrale a alors réagi en baissant ses taux directeurs pour compenser la récession, ainsi que par d'autres mesures d'urgence.