La politique monétaire/Le modèle new-keynésien

Il existe deux manières de décrire la politique monétaire, qui portent les doux noms de « paradigme monétariste » et de « paradigme Wickselien ». La première, le paradigme monétariste, met l'accent sur la quantité de monnaie en circulation et son impact primordial sur le niveau général des prix. Il est représenté par d'anciennes théories comme la théorie quantitative de la monnaie, les théories IS/LM et AD/AS, et quelques autres théories plus complexes. Mais elle n'est pas la plus apte à décrire l'économie actuelle, où les banques centrales actuelles contrôlent les taux directeurs sur le marché monétaire. Ce qui fait que le paradigme Wicksellien est le plus adapté pour expliquer le fonctionnement actuel de l'économie. En conséquence, nous allons d'abord voir le paradigme Wicksellien sur plusieurs chapitres, avant de voir le paradigme monétariste dans les chapitres de fin de cours.

Le modèle IS-MP-PC

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Si on analyse les différents canaux de transmission de la politique monétaire, on remarque que la quasi-totalité passe par un même intermédiaire : le PIB. En clair, la politique monétaire impacte le PIB, par diverses voies plus ou moins directes. Les variations du PIB influencent ensuite l'inflation par un mécanisme assez précis. Seuls quelques canaux ne passent pas par l'intermédiaire du PIB et peuvent influencer directement les prix ou l'inflation. On peut donc simplifier les différents canaux de transmission en deux équations : une qui donne l'influence de la politique monétaire sur le PIB, et une relation entre le PIB et l'inflation.

La première équation est la courbe IS, une relation entre les taux réels à long-terme et le PIB. Cette relation est décroissante, ce qui signifie qu'une baisse des taux fait augmenter le PIB et inversement. On peut mettre cette relation en équation, ce qui donne l'équation suivante :

 , avec   le taux d'intérêt réel,   le PIB et   le PIB quand  .

La seconde équation, qui relie le PIB et l'inflation, est appelée courbe de Phillips. Celle-ci postule que les anticipations d'inflation sont performatives, à savoir qu'elles se concrétisent. L'inflation est donc égale à la somme de l'inflation anticipée et d'une inflation non-anticipée. La détermination de cette dernière dépend du PIB. Pour simplifier, plus le PIB croît, plus l'inflation augmente. La relation entre PIB et inflation est donc croissante. Sa mise en équation donne l'équation suivante :

 , avec   l'inflation,   l'inflation anticipée et f(Y) une valeur/fonction qui dépend de la valeur du PIB.

À ces deux équations, il faut ajouter une équation qui résume l'action de la banque centrale. On suppose que la banque centrale tente de garder l'inflation proche d'une cible d'inflation prédéfinie. Pour cela, elle joue sur son contrôle des taux réels à courts-terme, pour agir sur le PIB et donc sur l'inflation. Dans les faits, elle augmente les taux réels quand l'inflation dépasse sa cible et les baisse quand l'inflation est trop basse. Ce comportement est résumé dans une règle, la règle de Taylor. Celle-ci est résumé dans l'équation suivante, qui décrit comment la banque centrale fixe son taux directeur (réel) :

 , avec   le taux réel,   le taux réel pour lequel l'inflation est égale à la cible d'inflation,   l'inflation et   la cible d'inflation de la banque centrale.

Au final, on obtient le modèle néo-kéynésien, une théorie qui se résume en trois équations : une courbe de Phillips, une courbe IS et une fonction de réaction de la banque centrale. Ces trois courbes sont à l'origine du second nom donné à ce modèle : le modèle IS-MP-PC (IS pour la courbe IS, MP pour Monetary Policy et PC pour Phillips curve).

 
Politique monétaire et modèle à trois équations.

Les équations du modèle avec les taux nominaux

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Les trois équations précédentes ont deux problèmes, qui peuvent se corriger assez facilement. En premier lieu, la courbe IS dépend des taux à long-terme, alors que le taux réel de la banque centrale est un taux de court-terme. Les taux pertinents pour l'économie sont les les taux des crédits, des emprunts immobiliers, des obligations, etc. Et ce sont tous des taux longs, pour diverses raisons dont nous reparlerons plus en détail dans la suite du cours. Mais la banque centrale ne peut pas modifier directement les taux longs. À la place, elle contrôle le taux directeur, qui a une influence indirecte sur les autres taux d'intérêts. Rappelons que la relation entre taux courts et taux longs est, en toute généralité, la relation obtenue dans le chapitre sur le marché monétaire. Celle-ci est, pour rappel, la suivante :

 , avec   une prime de risque et   la moyenne anticipée des taux courts.

Mais on peut la simplifier fortement, en remplaçant les anticipations des taux futurs par le taux courant. On obtient alors cette équation approximative :

 
 
Modele IS-MP-PC avec une relation entre taux courts et taux longs

Voyons maintenant le second problème. La banque centrale contrôle un taux directeur nominal, non pas un taux réel. Par contre, l'équation IS et la règle de Taylor contiennent un taux réel. Pour corriger ce défaut, il faut ajouter au modèle la relation de Fisher vue dans les premiers chapitres, à savoir l'équation  . La banque centrale fixe un taux nominal, auquel il faut retirer les anticipations d'inflation pour obtenir le taux réel en découle. Un point important est que les anticipations d'inflation sont stables sur le court-terme. En effet, les prix sont généralement visqueux, ce qui veut dire qu'ils mettent du temps avant de se mettre à jour, qu'il y a un temps de latence avant que se réalise l'égalité de l'offre et la demande sur le marché des biens et services. En conséquence, les agents économiques ne s'attendent pas à une variation soudaine de l'inflation : les anticipations d'inflation sont stable sur le court-terme. Ce qui fait que toute variation des taux nominaux se répercute sur les taux réels et non sur les anticipations d'inflations. La banque centrale, en modifiant le taux nominal, altère donc temporairement le taux réel.

 
Modèle IS-MP-PC avec relation de Fisher et relation taux courts-longs

L'état d'équilibre du modèle

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Sur le long-terme, l'économie est censée être à l'équilibre, ce qui signifie que les grandeurs macroéconomiques n'évoluent plus. C’est là un principe que l'on retrouve dans tous les domaines de l'économie, qui est pris en tant qu'hypothèse. À l'équilibre, les taux d'intérêts sont stables, de même que le PIB, le niveau des prix ou l'inflation. Ces valeurs prennent alors leur valeur d'équilibre, dite valeur naturelle.

  • L'inflation mesurée et l'inflation anticipée sont toutes deux égales à la cible d'inflation de la banque centrale.
  • La valeur d'équilibre des taux d'intérêts porte le nom de taux naturel. Ces deux valeurs correspondent aux valeurs de PIB et de taux qui gardent l'inflation constante.
  • La valeur d’équilibre du PIB s'appelle le PIB potentiel.
  • Le taux de chômage est à un niveau bien précis appelé le taux de chômage naturel. C'est, par définition, le taux de chômage obtenu lorsque l'économie est au PIB potentiel.

On peut alors reformuler les trois équations précédentes en faisant appel au PIB potentiel et au taux réel naturel. On obtient alors les trois équations suivantes, avec :

  • le PIB   et le PIB potentiel   ;
  • le taux d'intérêt réel   et le taux d'intérêt naturel   ;
  •   l'inflation et   la cible d'inflation de la banque centrale ;
  • a, b et c des coefficients multiplicateurs.
  : Courbe IS
  : Courbe de Phillips
  : Relation de Taylor

L'effet d'un déséquilibre sur l'économie

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Il arrive que l'économie subisse un choc, c'est à dire qu'un variable quitte sa valeur d'équilibre. Dans ce cas, cette variation va entraîner une variation du PIB, des taux et de l'inflation telle que l'économie finit par retourner à l'équilibre. Par exemple, supposons que le PIB augmente soudainement. Cela entraîne une hausse de l'inflation, puis une hausse des taux d'intérêt qui réduit alors le PIB. L'effet de la hausse de l'inflation et des taux compense la hausse du PIB, qui revient à la normale. Généralement, ces chocs entraînent des variations du PIB, puis de l'inflation. Mais la banque centrale réagit et modifie ses taux de manière à stabiliser l'économie. On verra dans quelques chapitres que la politique monétaire a une influence sur l'économie à court-terme, influence provenant de son contrôle sur les taux réels sur le court-terme.

Il est intéressant d'étudier ce qui se passe quand la banque centrale baisse ses taux. Une baisse des taux réels incite les ménages et entreprises à s'endetter, ce qui facilite l'investissement : acheter des machines, des usines, une voiture ou de l'immobilier se fait souvent à crédit. Or, l'investissement fait lui-même partie du PIB. Le surplus d'investissement causé par la baisse des taux entraîne donc une hausse égale du PIB. Dit autrement, la baisse des taux réels injecte de la monnaie dans l'économie sous la forme de prêts, qui seront dépensés. La consommation et l'investissement vont augmenter et les entreprises vont augmenter leurs ventes, induisant une hausse de la production et du PIB. C'est la première étape : la relation IS.

L'augmentation de la production va rapidement être remarquée par les commerçants et producteurs. Du fait du jeu de l'offre et de la demande, ceux-ci vont augmenter leurs prix jusqu'à ce que l'offre et la demande soient égales. On peut en dire plus sur cette transition vers le long-terme, en la résumant en une relation entre PIB et inflation : plus le PIB est élevé, plus l'inflation le sera aussi. C'est l'effet de la relation de Phillips, qui sera abordée en détail d'ici quelques chapitres.

Mais la hausse de l'inflation ne va pas durer très longtemps. La durée de cette phase dépend énormément de la réaction de la banque centrale, de la manière dont elle prend en compte l'inflation. La banque centrale surveille régulièrement l'évolution de l'inflation et réagit si celle-ci devient trop importante. Elle vérifie aussi le PIB, dont les variations permettent de prédire l'inflation, via la courbe de Phillips. Cette réaction se base sur une modification des taux réels, à l'initiative de la banque centrale, par le biais d'une modification des taux nominaux. La banque centrale augmente les taux réels quand l'inflation dépasse sa cible et les baisse quand l'inflation est trop basse, en suivant la règle vue plus haut. On dit qu'elle suit une règle de Taylor.

Du fait de la rigidité des anticipations d'inflation, toute baisse des taux nominaux par la banque centrale se répercute sur les taux réels. Mais sur le long-terme, les anticipations d'inflation et s'adaptent pour devenir de plus en plus précises, et ce d'autant plus que les anticipations d'inflation sont performatives. Finalement, l'inflation finit toujours par être égale à ses anticipations sur le long-terme. Ces anticipations d'inflation des agents économiques vont contrecarrer l'effet de la politique monétaire. Pour simplifier, l'inflation va se répercuter dans les taux nominaux, réduisant le taux réel à sa valeur naturelle. Le PIB évoluera en même temps que les taux, et finira par atteindre le PIB d'équilibre. L'effet sur le PIB de la politique monétaire est alors annulé, au prix d'une variation des prix. Sur le long-terme, le taux reste égal au taux naturel, les anticipations d’inflation s'adaptant naturellement à la politique de la banque centrale, en neutralisant celle-ci.

L’influence des taux sur l'économie

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Plus haut, nous avons résumé l'effet d'une variation de taux d'intérêts par la relation IS, à savoir le fait qu'une baisse des taux augmente le PIB (et inversement). Mais dans les faits, les taux d'intérêts ont une influence un peu plus large. Dans le détail, une variation des taux entraine les effets suivants :

  • elle fait varier le recours au crédit (ce qui modifie le PIB) ;
  • elle modifie les taux de change ;
  • elle influe sur les prix de certains actifs ;
  • elle modifie les anticipations d'inflation.

Ces effets sont ce qu'on appelle les canaux de transmission de la politique monétaire. C'est grâce à eux que les taux directeurs ont une influence sur l'inflation par divers moyens indirects.

 
Canaux de transmission de la politique monétaire.

Le canal de l'investissement

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La baisse des taux réels a des effets (à court-terme) sur les taux des crédits distribués par les banques. Baisser ces taux favorise l'emprunt, ce qui va naturellement créer de la monnaie-crédit. L'augmentation de la quantité de monnaie qui en découle va naturellement faire augmenter le PIB à court-terme, puis les prix sur le long-terme. En comparaison, une hausse des taux à l'effet inverse, ce qui diminue les tensions inflationnistes d'une économie qui surchauffe. Ce mécanisme porte le nom de canal des taux d'intérêt. Ce canal sera vu en détail dans le chapitre suivant, dans le section sur la courbe IS kéynésienne.

 

Les canaux liés à l'emprunt et l'épargne

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Outre le canal des taux d'intérêt, d'autres canaux impliquent l'emprunt et le crédit, associés à l'épargne. Ces deux canaux, liés entre eux, disent comment une variation des taux se répercute sur l'arbitrage entre épargne, emprunt et consommation. La microéconomie nous dit que quand le prix d'un produit varie, il se produit deux effets : un effet revenu (on peut acheter moins de ce produit qu'avant) et un effet de substitution (on substitue le produit par un autre). Ici, la logique est analogue, bien que légèrement différente. Quand les taux varient, on a un effet revenu et un effet de substitution. L'effet revenu se traduit par le fait que les mensualités des crédits et la rémunération de l'épargne sont directement touchés par la variation des taux. L'effet de substitution fait que les agents peuvent substituer de l'épargne en consommation. En cas de baisse des taux, les agents tendent à désépargner pour consommer, et inversement.

Le premier effet implique les crédits à taux variables, des crédits dont le taux varie pendant la durée de vie du contrat. Ces crédits ne sont pas très communs en France, mais ils le sont dans de nombreux autres pays européens ou aux état-unis. Pour simplifier, les taux de ces crédits suivent les taux directeurs. Quand la banque centrale hausse son taux directeur, les taux des crédits variables augmentent et les mensualités des crédits suivent. Les ménages perdent alors un peu de revenu disponible, qui part dans l'augmentation des mensualités. Et inversement pour une baisse des taux, qui fait baisser les mensualités et rend du pouvoir d'achat aux emprunteurs. Pour les épargnants, la baisse/hausse des taux se traduit directement par une hausse/baisse de leurs revenus d'épargne, qui peut se répercuter sur leur consommation. Ces deux phénomènes sont regroupés dans ce qu'on appelle le canal du « cashflow ».

Le second effet fait qu'une baisse des taux défavorise l'épargne et favorise la consommation. En effet, les agents économiques font un arbitrage entre consommation et épargne (épargne qui n'est d'ailleurs que de la consommation différée). Et le taux d'intérêt est la rémunération de l'épargne : mieux vaut consommer qu'épargner si elle est trop faible, mieux vaut épargner si elle est forte. Ce canal est appelé en termes techniques : canal de substitution intertemporel. Ce canal sera vu en détail dans un chapitre dédié.

 

Le canal des prix d'actifs financiers

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Les variations du taux d'intérêt ont des effets sur le prix de divers actifs financiers. Elle joue surtout sur la rémunération des obligations, des actifs qui représentent une reconnaissance de dette remboursée après un certain temps avec un intérêt. Mais elle a aussi des effets assez indirects sur le prix des actions ou de l’immobilier. La hausse du prix des actifs a alors plusieurs effets. Premièrement, les détenteurs d'actifs, devenus plus riches, vont augmenter leur consommation. Cet effet est appelé l'effet de richesse : les gens consomment plus quand leur patrimoine augmente, quand ils sont plus riches.

 

Le second effet est que les détenteurs d'actifs sont mieux vus par les banques. L'augmentation de leur patrimoine fait qu'ils sont plus sûrs, que leur risque de faillite ou de non-remboursement diminue auprès des banques. En conséquence, ils peuvent emprunter plus d'argent qu'avant, voire avoir accès à des crédits qui leur étaient interdits avant. Cela stimule d'emprunt, et donc l'investissement et la consommation.

 

Le canal des taux de change

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On verra dans le chapitre sur la courbe IS que toute modification des taux réels entraine une variation des taux de change. Ainsi, une baisse des taux dévaluera la monnaie, renchérissant les importations et favorisant les exportations.

 

À plus court-terme, la modification des taux de change a aussi une influence sur le prix des matières importées : une hausse des taux de change fait grimper le prix des biens importés, tandis qu'une hausse les fait baisser. Ainsi, dévaluer la monnaie d'un pays est un bon moyen de faire repartir l'inflation, tandis que l'apprécier coupe l'herbe sous le pied à d'éventuelles tensions inflationnistes. Soit   le taux de change,   les prix des importations et   les exportations nettes, le canal du taux de change a ainsi deux effets :

 

Le canal des anticipations

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La modification des taux va entraîner une variation à la hausse ou à la baisse des anticipations d'inflation réalisées par les agents économiques. Or, on verra dans quelques chapitres que ces anticipations sont quelque peu performatives, dans le sens où les agents tentent de se prémunir contre l'inflation anticipée. Cela passe par des négociations salariales, des demandes de rendements supérieures de la part des investisseurs en cas d'inflation anticipée, des taux de crédit supérieurs, ou des variations de la quantité d'épargne. Et les agents économiques se basent sur les taux pour anticiper l'inflation future.

 

Un bon moyen pour la banque centrale d'influencer les anticipations d'inflation est de fixer une cible d'inflation. Ainsi, les agents économiques s'attendront à une inflation proche de celle voulue par la banque centrale. Les anticipations seront, en négligeant toute autre influence, égale à la cible d'inflation. Néanmoins, cela ne fonctionne que si la banque centrale est crédible. Si les agents économiques pensent que la banque centrale ne respectera pas son objectif d'inflation, leurs anticipations pourront s'écarter de la cible d'inflation. Ainsi, la crédibilité de la banque centrale est très importante pour ancrer les anticipations d’inflation au niveau de la cible.