La politique monétaire/Les canaux de transmission monétaires

Dans les chapitres précédents, nous avons étudié un cas particulier de modèle dit wickselien, qui explique la politique monétaire par une variation des taux d'intérêt directeurs. Mais la banque centrale peut aussi manipuler la masse monétaire sans passer par l'intermédiaire des taux directeurs. Elle a la capacité de créer de la monnaie à volonté et peut l'utiliser pour racheter des dettes d'état, pour la verser aux citoyens et bien d'autres. Elle dispose des politiques d'assouplissement quantitatif (rachat de dettes d'états), et de monnaie hélicoptère (création monétaire sans contrepartie). Si l'assouplissement quantitatif se marie pas trop mal avec le modèle wickselien, ce n'est pas du tout le cas de la monnaie-hélicoptère. Les conséquences de ces politiques ne peuvent pas s'expliquer parfaitement dans le modèle wickselien et demandent de passer à un modèle plus complet, dit monétaire/monétariste.

Le modèle monétaire, appelé ainsi faute de mieux, ressemble beaucoup au modèle wickselien. À vrai dire, il y a peu de différence, si ce n'est que des canaux de transmission sont rajoutés. Les canaux de transmission du modèle wickselien sont toujours présents, mais on leur ajoute des canaux supplémentaires, qui décrivent l'effet de la création monétaire sur l'économie. Et à ce petit jeu, l'effet du Q.E et de la monnaie-hélicoptère n'est pas la même, les canaux de transmission n'étant pas exactement les mêmes. Le Q.E agit sur l'économie par des effets indirects, alors que la monnaie-hélicoptère a un effet direct sur la consommation et l'investissement. Pour faire simple, on peut identifier quatre canaux de transmission.

  • Plusieurs canaux sont communs au Q.E et à la création monétaire directe :
    • Le canal des taux d'intérêts, qui correspondent aux canaux wickseliens, adaptés à un contexte manéétariste.
    • Le canal des anticipations, basé sur les anticipations d'inflation
    • Le canal du crédit, où la création monétaire facilite l'octroi de crédit par les banques
  • Et un canal spécifique à la monnaie-hélicoptère : le canal de transmission monétaire direct.
Modèle "monétaire".

Le canal des taux d'intérêt modifier

Les premiers canaux ne sont autres que les canaux wickseliens vus dans les chapitres précédents, mais quelque peu modifiés. Une hausse de la masse/base monétaire entraîne une variation des taux d'intérêt, ce qui a des conséquences assez diverses sur l'économie réelle. Prendre en compte ce canal est assez simple : il suffit de rajouter une relation mathématique entre masse/base monétaire et taux d'intérêt. Cette relation n'est autre que la demande de monnaie, vue il y a quelques chapitres de cela. En théorie, cette relation est décroissante, c'est à dire que toute hausse des taux d'intérêt réduit la masse monétaire. La demande de monnaie est une relation qui résume beaucoup de mécanismes différents, mais nous laissons cela pour une série de chapitres ultérieurs. Tout ce qu'il faut savoir est que masse monétaire et taux d'intérêt sont interdépendants.

L'ajout de cette relation demande d'amender le modèle wickselien sur un point : la règle de Taylor n'est pas utilisable. La politique monétaire décide non pas de la course des taux d'intérêt, mais de la course de la masse monétaire. La fonction de réaction de la banque centrale doit donc d'exprimer comme une relation entre inflation et masse monétaire.

Notons que l'impact d'une hausse de la base monétaire n'a pas le même effet qu'une hausse de la masse monétaire. Et qu'une hausse de la base monétaire n'a pas le même effet selon qu'il s'agisse d'une politique monétaire conventionnelle ou d'un assouplissement quantitatif. Il faut donc distinguer une hausse de la base monétaire normale conventionnelle, l'assouplissement quantitatif, et l'hélicoptère monétaire. Au sens strict les trois politiques modifient la base monétaire et ont un effet sur la masse monétaire. Mais les deux premières ont un effet indirect sur la masse monétaire, qui peut parfois ne pas se manifester, alors que l'hélicoptère monétaire a un impact direct sur la masse monétaire. Il est donc plus simple de dire que politique conventionnelle et Q.E modifient la base monétaire, alors que l'hélicoptère monétaire modifie la masse monétaire.

  • Avec une politique d'open market conventionnelle, la base monétaire est augmentée par la banque centrale et les réserves créées servent à acheter des titres de court-terme, sur le marché monétaire. Dans ce cas, les taux d'intérêts touchés sont les taux monétaire, de court-terme. Le résultat est le même qu'une modification du taux directeur et ne diffère pas vraiment d'une politique de contrôle des taux conventionnelle.
 
  • Avec l'assouplissement quantitatif, les réserves imprimées par la banque centrale sont échangées contre des dettes d'état de long-terme. Le Q.E a donc pour effet principal de réduire le taux d'intérêt nominal sur la dette de l'état de long-terme. Avec une courbe IS stable, cela entraine une hausse de l'investissement et du PIB, ce qui se répercute sur l'inflation.
 
  • Avec l'hélicoptère monétaire, la monnaie créé est injectée dans l'économie réelle directement, en donnant de l'argent aux ménages et/ou à l'état. L'effet exact sur les taux est indirect et dépend de l'effet de la politique sur l'économie réelle. Mais on peut dire que les taux de long-terme sont touchés, tout comme les taux de court-terme. Les taux tendent à baisser sur le court-terme, mais finissent par augmenter sur le long-terme du fait de l'inflation. L'effet de l'hélicoptère monétaire sur les taux est en fait indirect et passe par le canal direct, comme nous le verrons plus tard. Aussi, il n'y a pas de liens entre taux et masse monétaire, dans le cadre strict du canal des taux d'intérêt.
 
Modèle monétaire et canal des taux d'intérêt.

Le canal des anticipations modifier

Qu'il s'agisse du Q.E ou de monnaie-hélicoptère, la création monétaire agit sur le canal des anticipations. Une création monétaire massive est censée avoir un effet inflationniste, et c'est une constatation assez bien vérifiée au niveau empirique. Les agents vont s'attendre à une hausse du niveau général des prix, et donc anticiper de l'inflation.

 

La hausse des anticipations d'inflation a alors divers effets, qui se matérialisent à la fois sur la courbe IS et la courbe de Phillips.

  • En premier lieu, la hausse de l'inflation anticipée se répercute sur le taux réel, ce qui agit via la courbe IS.
 
  • En second lieu, l'inflation anticipée se répercute dans la courbe de Phillips, ce qui augmente l'inflation directement.
 

Les canaux du crédit (asymétries d’information) modifier

Le taux d'intérêt sur les crédits dépend non seulement des taux de la banque centrale, mais aussi d'une prime de risque qui dépend du ménage et de son projet d'investissement/emprunt. Ce qui se résume avec la formule suivante :

 , avec i le taux d'un crédit,   le taux sans risque et   une prime de risque.

Cependant, il ne faut pas croire que la politique monétaire n'a d'effet que sur les taux sans risques : elle influence aussi les primes de risques des agents économiques. Une politique monétaire expansionniste réduit les primes de risques de certains agents, alors qu'une politique restrictive les augmente. L'offre de crédit est alors impactée : les banques vont prêter plus facilement quand les taux baissent et réduire l'offre de crédit quand les taux montent. Cet effet est ce qu'on appelle le canal du crédit. Là où le canal des taux d'intérêt se concentre sur la demande de crédit de la part des ménages et entreprises, mais oublie de prendre en compte l'offre de crédit de la part des banques.

Précisons qu'il existe en réalité plusieurs canaux du crédit, chacun correspondant à un mécanisme distinct des autres. En voici la liste :

  • Le canal restreint du crédit, aussi appelé canal de l'emprunt bancaire.
  • Le canal des bilans actif-passif.
  • Le canal du rationnement du crédit.

Le canal de l'emprunt bancaire modifier

Le canal de l'emprunt bancaire est lié au fait que les prêts sont financés par divers mécanismes de financement. Par exemple, les banques peuvent emprunter de l'argent à d'autres banques (dont la banque centrale) pour le prêter à leurs clients. Comme autre exemple, les banques prêtent l'argent des dépôts et limitent l'utilisation des autres moyens de financement. Les différents moyens de financement ne sont pas équivalents, on ne peut pas les substituer l'un à l'autre sans contraintes. Parfois, le financement par les dépôts sera plus rentable ou facile, d'autres fois il vaudra mieux emprunter à la banque centrale, et ainsi de suite. En temps normal, les dépôts sont le moyen de financement privilégié est le financement des crédits par les dépôts.

Une politique monétaire expansionniste augmente la quantité totale de dépôts présente dans l'économie, ainsi que la quantité de réserves. Et qui dit augmentation des dépôts signifie augmentation des fonds prêtables : la quantité de crédit fournie par les banques augmente. L'emprunt, et donc l'investissement, augmente, ce qui stimule l'économie et le PIB.

 

En théorie, les petites entreprises utilisent bien plus l'emprunt bancaire que les grosses entreprises. Les grosses entreprises se financent généralement sur les marchés financiers, souvent par l'émission d'obligations, plus rarement d'actions. Ce que les petites entreprises ne peuvent pas faire, les couts de l'émission d'obligations/actions étant assez élevés. Elles font donc appel aux banques commerciales, et donc au crédit bancaire, plutôt qu'aux banques d'investissement (qui aident les entreprises à émettre des titres sur les marchés financiers).

Le canal des bilans actif-passifs modifier

Les banques sont frileuses quand il s'agit de prêter leur argent. Les raisons à cela sont diverses, mais on peut résumer cela au fait qu'elles sont désavantagées par rapport aux emprunteurs, qu'elles ne savent moins qu'eux. Les emprunteurs savent ce qu'ils vont faire de leur argent, connaissent la probabilité de réussite de leur investissement, et ont une excellente idée de leur situation financière et de leur patrimoine. Les banques sont moins armées de ce point de vue : si elles peuvent avoir une idée de la situation financière des emprunteurs, ou qu'elles peuvent analyser les projets d’emprunt/investissement, elles n'en savent pas autant que les emprunteurs. Elles peuvent alors se faire entraîner dans des projets d'investissements plus risqués que prévu, où l’emprunteur ne rembourse pas ou peu, sans qu'elles le sachent. Elles font donc preuve de mesure dans leurs décisions de prêts et réduisent l'offre de crédit par rapport à une situation où les banques disposent de toutes les informations pertinentes.

Pour analyser la situation financière des emprunteurs, les banques analysent leurs dettes, leurs revenus et leurs patrimoines.

  • Plus un emprunteur a un patrimoine important, plus les banques accepteront de leur prêter. Il se trouve que la politique monétaire entraîne une variation du patrimoine des agents, par le biais du canal des prix des actifs, ce qui modifie les dispositions au prêt des banques. Formellement, ce canal de transmission fait partie intégrante du canal des prix d'actifs et nous en avions déjà parlé il y a quelques chapitres.
 
  • Un autre effet est qu'une politique monétaire expansionniste doit se traduire par une hausse des prix et des salaires. Si les dettes restent les mêmes en termes nominaux, l'inflation réduit alors le poids des dettes, comme on l'a vu dans le chapitre sur l'inflation. Dans ce cas, une politique monétaire expansionniste réduit les dettes réelles des agents, qui ont alors plus de marge pour emprunter et investir.
 
  • Enfin, la politique monétaire doit augmenter les revenus futurs de certains agents. C'est notamment le cas pour certaines entreprises, qui voient leur revenu d'exploitation augmenter suite à une politique monétaire expansionniste. Les banques sont alors plus disposées à préter à de tells entreprises, compte tenu de l'amélioration de leurs revenus et de leur situation financière.
 

Le rationnement du crédit modifier

Enfin, un autre mécanisme est que les agents emprunteurs ne présentent pas les mêmes niveaux de risque selon les taux en vigueur. Quand les taux sont élevés, seuls les emprunteurs à haut risque se présentent aux guichets des banques. Les autres préfèrent ne pas emprunter à des taux trop élevés et préfèrent se priver d'emprunt. Seuls les investissements à haut risque sont pris en charge par les banques, qui préfèrent rationner le crédit pour se concentrer sur un sous-ensemble pas trop risqués de crédits. Mais quand les taux sont bas, l'emprunt devient rentable pour les emprunteurs à faible risque, qui font alors appel aux banques. Les banques acceptent plus facilement de prêter à ces emprunteurs, ce qui augmente le volume de prêts accordés. Dit autrement, la quantité de ménages solvable qui emprunte auprès des banques dépend des taux. À de fort taux, les banques font face à une faible quantité de projets risqués et rationnement le crédit pour éviter des emprunts à trop haut risque. À faible taux, elles font face à de nombreux emprunteurs solvables et ont alors plus d'opportunités de prêts peu risqués. Elles prêtent donc plus à faibles taux et moins à de forts taux.

Le canal monétaire direct modifier

La monnaie hélicoptère agit par un canal particulier sur le niveau des prix. Sur le court-terme, elle induit de la consommation, les agents disposant de plus d'argent pour consommer. Cette consommation se traduit par une hausse de l'inflation. Sur le long-terme, la création monétaire entraîne juste une hausse des prix, sans impact sur le PIB, le taux de chômage ou toute autre variable réelle. Elle n'impacte que les variables nominales, comme les prix, l'inflation, les taux d'intérêts nominaux, les taux de change nominaux, etc.

 

L'effet se fait ressentir à la fois sur les prix des biens et services, mais aussi sur les prix des actifs. Après tout, quand les agents reçoivent de l'argent sous forme d'hélicoptère monétaire, ils ne dépensent pas tout. Si une portion plus ou moins grande de l’hélicoptère monétaire sert pour consommer, une autre est épargnée. Et si une partie de cette épargne finit en dépôts et sert de carburant au canal du crédit, une autre se retrouve sur les marchés financiers. Le flux d'argent sur les marchés augmente, ce qui augmente la demande d'actif alors que leur offre reste la même. Dans ces conditions, le prix des actifs augmente directement, à taux d'intérêts constants. De là, le canal du prix des actifs fonctionne à plein. Tout se passe comme si le canal des prix d'actif usuel était court-circuité et que la masse monétaire remplaçait le taux d'intérêt.

 

Notons que la hausse du prix des actifs réduit leur rendement. Dans le cas des placement rémunérés par un intérêt, cela signifie une diminution de leur taux d'intérêt. Et ce peu importe que les taux soient à court ou long-terme : la logique vaut aussi bien pour les obligations que pour les placements monétaires. En clair, l'hélicoptère monétaire entraine une baisse des taux d'intérêt de court et de long-terme, qui se répercute sur l'économie.

 

Enfin, les taux de change sont aussi modifiés par l'hélicoptère monétaire. L'argent de l’hélicoptère monétaire peut servir à acheter des importations ou être placé dans des investissement à l'étranger. Et ces flux d'argent se répercute sur la demande des devises étrangères, et donc sur leur taux de change. Le canal des taux de change est donc court-circuité par l’hélicoptère monétaire ne ne fonctionne pas que par l'intermédiaire des taux d'intérêts.