La politique monétaire/La courbe de Phillips
Ce chapitre va s'attarder sur l'origine de l'inflation, et notamment sur l'inflation par la demande et l'inflation anticipée. La première forme d'inflation est celle déterminée par la demande agrégée. Pour simplifier, on peut dire que cette forme d'inflation dépend essentiellement du PIB. Celui-ci dépend de beaucoup de choses, et notamment de la politique fiscale, du revenu, de la répartition des richesses, du taux de chômage, et de bien d'autres paramètres. Il nous reste à préciser quelle est cette relation entre PIB et inflation, relation aussi appelée improprement courbe de Phillips.
La courbe de Phillips originelle
modifierLa courbe de Phillips originelle est une relation entre le taux de chômage et la croissance des salaires nominaux, découverte par Phillips en 1952. Celle-ci montrait que plus le taux de chômage est bas, plus les salaires croissent. La relation exacte était la suivante, avec les salaires, le taux de chômage, a, b et c des coefficients constants.
Aujourd'hui, les économistes reconnaissent une influence du chômage sur les salaires, sans pour autant accepter la formule vue plus haut. La formule exacte doit être plus compliquée, avec beaucoup plus de paramètres, et il est sans doute vain de chercher une formulation mathématique exacte de la relation entre salaires et chômage. Dans les faits, on peut se contenter d'une relation qualitative du genre :
Quel est le rapport avec l'inflation, me direz-vous ? Et bien il faut savoir que la croissance des salaires est fortement liée à l'inflation. La première raison à cela est que les entreprises doivent compenser la hausse des salaires, qui est un coût pour elles. Elles répercutent donc la hausse des salaires sur leurs prix. Au niveau macroéconomique, une hausse de la moyenne globale des salaires entraîne donc une hausse de la moyenne des prix. Mais cela ne se traduit pas par une baisse de la production ou du PIB pour une raison simple : le PIB nominal augmente en proportion, vu qu'il est égal à la moyenne macroéconomique des salaires. La croissance des salaires entraîne une hausse des dépenses de même ampleur, qui compense l'impact sur la demande de la hausse des prix. Quoiqu'il en soit, la corrélation découverte par Phillips entre chômage et croissance des salaires s'extrapole en une relation entre taux de chômage et inflation. Un chômage bas entraîne une forte inflation, tandis qu'un chômage haut signifiera inflation basse. Cette relation entre inflation et chômage est appelée la courbe de Phillips.
L'interprétation keynésienne de la courbe de Phillips
modifierPour comprendre d'où vient cette relation inverse, il nous faut étudier les effets d'une baisse ou d'une hausse sur les négociations salariales. Une baisse du chômage a plusieurs effets. Premièrement, elle donne plus de poids aux employés pour négocier des augmentations de salaires. Cette hausse des salaires permet aux salariés de dépenser plus, ce qui entraîne une hausse des prix et donc de l'inflation. De plus, la baisse du chômage signifie que plus de personnes touchent un revenu, les chômeurs touchant maintenant un salaire. Ces nouveaux salariés dépensent plus, ce qui entraîne une hausse des prix, et donc de l'inflation. En résumé, il existe une relation entre taux de chômage et inflation : plus le chômage baisse, plus l'inflation sera forte.
Pour commencer, faisons le bilan entre l'argent que gagne une entreprise et les salaires qu'elle verse. Une entreprise doit verser un salaire moyen à employés. Elle dépense donc la somme suivante en salaire total. De l'autre côté, elle vend produits à un prix moyen de : elle gagne donc en chiffre d'affaire. Au niveau d'une entreprise seule, le chiffre d'affaire sert à couvrir les salaires, le profit des actionnaires et à payer les inputs (les matières premières et/ou les produits qui sont assemblés pour donner le produit final). Mais au niveau de l'économie au global, les inputs sont produites par d'autres entreprises qui versent des salaires ou des profits. Au final, le chiffre d'affaire représente une valeur ajoutée totale, qui est versée en salaires ou en profits.
Dans une situation de concurrence pure et parfaite, on peut démontrer que toute la valeur ajoutée est versée sous la forme de salaires. On a alors :
Mais quand les entreprises ont un pouvoir de marché, qu'il s'agisse d'une situation de monopole, d'oligopole ou de simple concurrence imparfaite, les entreprises peuvent augmenter les prix/réduire les salaires. Les entreprises peuvent alors dégager un certain profit, exprimé sous la forme d'un pourcentage du salaire. En notant W le salaire, µ le taux de profit et P le prix, on a alors :
Pour simplifier les calculs, on va diviser des deux côtés par :
Le terme n'est autre que la productivité des employés, que l'on note y.
Supposons que le taux de profit µ soit constant et dérivons l'équation précédente.
Divisons par et simplifions :
Le terme de gauche est par définition la somme de l'inflation et de la croissance de la production (productivité), ce qui nous donne une relation entre inflation et croissance des salaires.
- , ce qui se traduit par : inflation = croissance des salaires - croissance de la productivité
Reprenons l'équation de Phillips et injectons-la dans l'équation : :
On trouve donc une relation décroissante entre inflation et chômage.
La reformulation avec le PIB
modifierCertains économistes reformulent l'équation précédente en remplaçant le taux de chômage par le PIB. Ce remplacement est rendu possible par une relation entre ces deux variables, qui porte le nom de loi d'Okun. Celle-ci dit que toute augmentation/diminution du PIB au-delà d'un certain seuil entraîne une baisse/hausse du chômage. Si les prix sont stables à l'équilibre, cela signifie que l'inflation est nulle au PIB potentiel, positive si et négative si . En clair : l'inflation a le même signe que l'écart de production. On peut mettre cela en équation en supposant une relation approximativement linéaire, ce qui donne l'équation suivante :
- , avec est l'écart de production.
À tout cela, on peut aussi ajouter l'influence d'un éventuel choc d'offre, qui induit une inflation .
La courbe de Phillips augmentée des anticipations
modifierLa courbe de Phillips précédente indique qu'il existe un arbitrage entre chômage et inflation, que les gouvernements et banques centrales pourraient utiliser pour influencer l'économie. Mais une telle possibilité ne colle pas avec ce que l'on a vu dans les chapitres précédents, à savoir que l'économie finit fatalement par se stabiliser au PIB potentiel. Si la courbe de Phillips est vraie, rien ne peut empêcher la banque centrale de maintenir en permanence le PIB au-delà du PIB potentiel avec une politique monétaire adéquate, ou de stabiliser définitivement le taux de chômage en-dessous du taux de chômage naturel, chose incompatible avec les données empiriques. Cet argument a poussé divers auteurs monétaristes, comme Friedman (1968) et E. Phelps (1967), à théoriser l'absence d'un arbitrage inflation-chômage à long-terme. La seule conclusion possible est que l'arbitrage entre inflation et chômage est une relation de court-terme, qui disparaît avec le temps. À long-terme, la courbe d'offre de l'économie doit être verticale, l'offre ne dépendant plus des prix.
Pour cela, on doit postuler que diverses forces de rappel poussent le PIB à se stabiliser à son taux potentiel, au point d'annuler l'effet de la courbe de Phillips. La force de rappel qui ramène l'économie au PIB potentiel n'est autre que les anticipations d'inflation de la part des agents économiques. En effet, les anticipations d'inflation influencent l'inflation réelle : les anticipations sont performatives. Et il y a plusieurs raisons à cela, la première étant que les agents vont tenter de se prémunir contre l'inflation qu'ils anticipent.
- Premièrement, ils vont dépenser leur argent plus rapidement, pour éviter que le temps leur fasse perdre du pouvoir d'achat. En cas d'inflation anticipée, les agents économiques ont donc tendance à dépenser à l'instant présent pour se prémunir d'une hausse des prix futures, renforçant encore l'inflation (et inversement).
- En second lieu, les salariés et employés tendent à renégocier leurs salaires à la hausse, pour compenser la perte de pouvoir d'achat liée à l'inflation.
- Enfin, les taux nominaux sont fixes sur le court-terme, les banques (centrales et commerciales) mettant un peu de temps avant d'ajuster les taux nominaux. une hausse de l'inflation anticipée va réduire les taux réels anticipés. Or, le taux nominal est égal à la somme du taux réel et de l’inflation anticipée, de part l'équation de Fisher : . En conséquence, une hausse de l'inflation anticipée à taux nominaux égaux va faire baisser le taux réel. Ce qui va, par le biais de la courbe IS, stimuler l'économie encore plus, et donc aggraver l'inflation.
Ces réactions se traduisent par encore plus d'inflation, mais vont avoir l'effet inverse sur la production et le chômage. Les anticipations vont elles-mêmes induire de l'inflation, elles sont performatives de par leurs effets sur les comportements des agents économiques. Si les gouvernements tentent d'utiliser la courbe de Phillips, ils vont créer de l'inflation supplémentaire et faire baisser le chômage temporairement. Mais les agents économiques ne sont pas stupides et vont anticiper une inflation supérieure à la précédente. Ils vont alors réagir pour se prémunir contre l'inflation et leurs réactions vont certes augmenter l'inflation, mais vont aussi réduire le PIB et augmenter le taux de chômage. Le chômage retourne donc à sa valeur d'équilibre, de même que le PIB, mais l'inflation a augmenté.
La prédiction du courant monétariste s'est réalisée dans les années 1970, la courbe de Phillips s'atténuant progressivement avant de totalement disparaître. En effet, la théorie précédente explique à merveille la disparition de la courbe de Phillips dans les années 1970. Avant les années 1970, l'inflation était proche de zéro et fluctuait aussi bien en-dessous qu'au-dessus de cette moyenne. Mais après les années 1970, l'inflation commença à devenir strictement positive et relativement sensible comparé à avant. Les agents commencèrent à anticiper de plus en plus finement l'inflation, devenue plus prédictible. D'où une disparition de la courbe de Phillips, annulée par les anticipations d'inflation. La réussite de cette prédiction propulsa sur le devant de la scène les théories monétaristes, seules à rendre compte de ce fait, avant que les théories keynésiennes fusionnent avec les théories monétaristes dans le cadre de la synthèse néoclassique. Depuis, tous les économistes font grand cas des anticipations dans leurs modèles économiques.
L'ajout des anticipations d'inflation dans la courbe de Phillips
modifierOn peut obtenir l'équation de la courbe de Phillips en additionnant l'inflation anticipée au modèle précédent. Cela donne l'équation suivante, dans laquelle :
Il faut noter que toute modification d'un des trois termes de l'équation fait se déplacer la courbe de Phillips. Un choc d'offre négatif, qui augmente les coûts de production, va naturellement augmenter l'inflation, à PIB égal. Même chose pour une augmentation des anticipations d'inflation, à PIB égal. Cela se traduit donc par un déplacement vers la gauche de la courbe de Phillips. Une baisse des anticipations d'inflation ou un choc d'offre positif (baisse des coûts de production) a l'effet inverse : la courbe de Phillips se déplace vers la droite.
La courbe de Phillips accélérationniste
modifierOn a vu la y a quelques chapitres utilisent divers modèles pour expliquer comment les agents économiques forment des anticipations sur l'inflation future. On a abordé trois modèles cardinaux , qui portent le nom d'anticipations adaptative, par extrapolation et rationnelles. Chacun d'entre eux donne une courbe de Phillips particulière, dont le comportement est différent de celui des autres. Nous allons commencer par étudier ce qui se passe avec des anticipations par extrapolation, où l'inflation prédite est égale à l’inflation précédente. Il est plus réaliste, d'utiliser des anticipations adaptatives, où l'inflation anticipée est alors une moyenne pondérée des valeurs passées de l'inflation. Mais cela ne change pas grand chose : les résultats obtenus sont similaires à ceux obtenus avec des anticipations par extrapolation. La courbe de Phillips obtenu est identique, si ce n'est que le changement de l'inflation, sa mise à jour, est plus lente. L'inflation anticipée agit alors comme une force d'inertie qui tend à lisser l'évolution de l'inflation dans le temps. Quoiqu'il en soit, les anticipations par extrapolation sont définies comme suit :
En faisant le remplacement, la courbe de Phillips devient celle-ci :
Le terme de gauche n'est autre que la hausse de l'inflation sur la période étudiée. L'équation nous dit donc ce qui peut faire varier l'inflation de sa valeur passée, ce qui fait que cette version de la courbe de Phillips est appelée la courbe de Phillips accélérationniste. Elle nous dit que tout écart de production entraîne un changement d'inflation. Par contre, un écart de production nul stabilise l'inflation à sa valeur actuelle. Cela a une conséquence assez importante : on ne peut pas effectuer de réduction de l'inflation sans faire passer le PIB en-dessous de sa valeur naturelle. Dit autrement, on ne peut pas faire baisser l'inflation sans passer par une période temporaire où le chômage est supérieur au chômage naturel.
Cette version de la courbe de Phillips permet à la politique monétaire d'avoir un effet réel sur le PIB, ce qui lui permet de le faire monter au-dessus de sa valeur potentielle, quitte à générer de l'inflation. Mais cela ne dure qu'un temps, avant que les anticipations fassent revenir le PIB à la normale. Imaginons que la banque centrale baisse ses taux, afin de réduire le PIB, quitte à générer de l'inflation. La baisse des taux réels par la banque centrale va naturellement stimuler la production et augmenter le PIB. Sur le court-terme, les anticipations d'inflation sont rigides, ce qui fait qu'elles restent assez faibles. L'inflation non-anticipée augmente, mais l'inflation anticipée reste relativement stable. Au total, la courbe de Phillips ne se déplace pas suite à l'action de la banque centrale. Mais avec le temps, les anticipations d'inflation vont augmenter progressivement, les agents anticipant l'inflation de plus en plus finement, faisant remonter l'inflation assez vite. Cela va toucher la courbe de Phillips, qui va se déplacer et devenir de plus en plus pentue. Au final, le déplacement de la courbe de Phillips va totalement annihiler l'action de la banque centrale. La courbe de Phillips va devenir verticale : le PIB potentiel sera atteint, et la banque centrale aura juste réussit à créer de l'inflation. Pour résumer, la politique monétaire a donc des effets sur les variables réelles (salaires réels, PIB, taux réels), mais seulement à court-terme, lors de la transition vers l'équilibre macroéconomique. On voit donc que la politique de ciblage de l'inflation, utilisée par les banques centrales, permet automatiquement d'amener l'économie au PIB potentiel.
La courbe de Phillips avec des anticipations rationnelles
modifierIl est aussi possible d'utiliser une courbe de Phillips dans laquelle les anticipations sont rationnelles. On obtient alors la courbe de Phillips NK (new-keynesian) :
Par définition, les anticipations d'inflations sont égales à la somme de l'inflation future et d'une erreur d'anticipation : . En injectant cette formule dans l'équation précédente, on a :
Ce qui donne :
L'hypothèse des anticipations rationnelles nous dit que les erreurs d'anticipations sont supposées suivre une courbe de Gauss de moyenne nulle. On peut prendre la moyenne de cette expression sur une durée assez longue. On a donc :
En clair, l'économie peut dévier de son état d'équilibre, mais seulement si les agents font des erreurs de prédiction. Ces erreurs étant supposées non-systématiques (leur moyenne dans le temps est nulle), l'économie oscille aléatoirement autour de son état d'équilibre. Si les agents peuvent se tromper sur le court-terme, leurs anticipations donnent des résultats "parfaits" sur le long-terme vu que les erreurs se moyennent. Cela implique une inefficacité totale de la banque centrale à garder un PIB sous le PIB potentiel. Elle aura beau créer autant de monnaie qu'elle veut, les agents anticiperont de l'inflation et réagiront en conséquence. Ce qui va totalement annihiler l'effet de la politique monétaire sur le PIB, ne laissant que son effet sur l'inflation. L'efficacité de la politique monétaire sur le PIB n’apparaît que si la politique menée n'a pas été anticipée, ou alors pas totalement. Ce résultat est appelé la proposition d'inefficacité de la politique monétaire (Monetary Policy Ineffectiveness Proposition).
Outre ce résultat, cette version de la Courbe de Phillips possède quelques défauts. Le premier est qu'elle donne aussi quelques résultats contra-factuels assez importants. Le plus connu est celui identifié par Ball, dans son article de 1994. Il montra qu'avec cette courbe de Phillips, toute désinflation soutenue permet d'augmenter la production au-delà de sa valeur potentielle. Ce résultat est assez contre-intuitif, mais il se comprend assez facilement. Pour cela, il faut que la banque centrale décide de changer ses règles de politique monétaire et souhaite passer à une politique plus stricte. Cependant, elle doit prévenir à l'avance du changement, avant que celui-ci ait lieu. Dans ce cas, le résultat est une baisse de l'inflation suivie par une hausse de la production. Le résultat provient de la logique suivante : les entreprises s'attendent à une réduction de la masse monétaire dans le futur et vont adapter leurs prix en conséquence. Si les prix sont rigides, ils ne le sont pas totalement et une petite baisse des prix s'enclenche suite à l'annonce de la banque centrale, avant même que la politique stricte soit en place. Les consommateurs voyant la baisse des prix, ils en profitent pour augmenter leur consommation, ce qui stimule la production et le PIB. Le fait est que toute politique de désinflation continue pourrait alors maintenir le PIB au-delà de sa valeur potentielle de manière permanente. Chose qui ne respecte pas la fameuse critique de Mc Callum : il n'existe pas de politique monétaire permettant de maintenir le PIB au-delà de sa valeur potentielle.
Il va de soi que ce résultat n'a jamais été observé dans le monde réel. Toute annonce d'une restriction monétaire future se traduit immédiatement par une réduction de la production. Toutes les banques centrales qui ont tenté de réduire l'inflation ont dû le faire avec force fracas sur le PIB, souvent avec des conséquences assez dures. Reste à expliquer ce qui cloche dans le raisonnement qui a mené à la courbe de Phillips NK. Certains pensent que la courbe de Phillips n'est pas en cause, mais que c'est la crédibilité de la banque centrale qui est en jeu : si elle n'est pas crédible, les entreprises ne vont pas croire à la modification future de la politique monétaire, ce qui fait qu'elles ne réduisent pas leurs prix. Mais d'autre pensent que ce raisonnement n'est qu'un pansement sur une jambe de bois, et que la courbe de Phillips NK est juste invalide.
Passons maintenant au second défaut : les relations entre inflation passée et future. Avec la courbe de Phillips de type NK, l'inflation ne dépend alors que des anticipations de l'écart de production. Si on suppose que les agents économiques ont des anticipations rationnelles, on remarque que l'équation de Phillips new-keynesian peut se reformuler ainsi (on rappelle que toute valeur précédée d'un E est une valeur anticipée par les agents économiques) :
Or, une large littérature économétrique montre que l’inflation actuelle est très sensible aux valeurs passées de l'inflation. Chose que cette équation ne permet pas de rendre compte. Ce défaut est suffisamment important pour que certains chercheurs aient tenté d'améliorer l'équation de Phillps new keynesian, afin d'en corriger ce défaut. Un moyen relativement simple pour cela est d'ajouter un terme basé sur des anticipations adaptatives, à savoir sur une moyenne des valeurs passées de l'inflation.
Une dérivation keynésienne de la courbe de Phillips augmentée des anticipations
modifierLa manière la plus simple de dériver la courbe de Phillips augmentée des anticipations se base sur un modèle simplifié du marché du travail : le modèle WS-PS. Cette théorie se base sur le fait que les entreprises et les salariés vont essayer de négocier le salaire à payer/recevoir. Les salaires sont établis par un système de négociation salariales, qui peut ou non faire appel aux syndicats ou corporations de salariés. Quoi qu’il en soit, les employés ou leurs instances représentatives peuvent ou non être en position de force par rapport à l'employeur. Si le chômage est très bas, ce rapport de force est en leur faveur. Les employés peuvent alors négocier un salaire plus élevé, que les entreprises doivent accepter sous peine de voir partir leurs salariés vers une entreprise mieux-disante. Mais si le chômage est important, les employés peuvent être remplacés plus facilement, ce qui incite ceux-ci à ne pas négocier leur salaire, ou du moins intensément.
Au niveau des entreprises, ce modèle part de la relation vue précédemment, qui lie salaires et prix : . Cette équation est appelée l'équation PS (Price Setting). Elle dit que le salaire réel négocié par l'entreprise est totalement indépendant du taux de chômage. On retrouve donc le résultat dérivé au chapitre précédent :
Reste à déterminer ce qui fixe le niveau des salaires. On peut raisonnablement supposer que les négociations portent sur les salaires réels, sur le pouvoir d'achat du salaire. Si on note W le salaire nominal et P le niveau général des prix, le salaire réel est égal à : . Nous allons étudier quel est le salaire réel que les entreprises vont tenter de négocier, et celui que les ménages souhaitent obtenir. Fait important, les ménages tentent de négocier le salaire réel anticipé. Ils vont anticiper le niveau général des prix, et utiliser ces anticipations lors des négociations salariales. On peut remarquer qu'il y a asymétrie entre l'entreprise, qui décide de fixer ses prix, et les ménages qui doivent anticiper les futurs niveaux des prix. Dans tous les cas, les ménages négocient le salaire réel anticipé , qui dépendra du taux de chômage. On obtient alors l'équation WS (Wage Setting).
- , souvent formulée comme suit :
Dérivons l'équation précédente :
Divisons par
Simplifions :
Soustrayons dans les deux termes.
On identifie alors l'inflation (le terme de gauche) et l'inflation anticipée dans l'équation précédente.
En supposant que , on retrouve alors une forme simplifiée de l'équation de la courbe de Phillips augmentée des anticipations.
La courbe de Phillips en économie ouverte
modifierLes développements précédents sont valides pour une économie fermée, c'est à dire sans exportations, ni importations. Mais en économie ouverte, la courbe de Phillips doit être légèrement modifiée. En effet, les prix importés sont pris en compte dans la mesure de l'inflation et influencent directement la courbe de Phillips. En tenir compte fait que l'on peut étudier ce qu'il arrive quand les taux de change varient, par exemple. Dans cette section, nous allons étudier le canal des taux de change, et plus précisément le canal direct des taux de change. Pour rappel, celui-ci tient au fait qu'une variation des taux d'intérêts modifie le taux de change, ce qui se répercute sur les prix importés, et donc sur l'inflation. Il est à opposer au canal des taux indirect, que nous avions vu en détail dans le chapitre sur le canal des taux de change.
L'influence des prix importés sur le niveau général des prix
modifierEn économie ouverte, une partie des produits vendus provient de la production domestique, tandis que le reste est importé. Dans ce qui suit, on note Q la quantité totale de biens et services achetés dans un pays. Cette quantité n'est autre que la somme de la production nationale Y (autrement dit, le PIB), et des importations I.
Ensuite, on multiplie ces quantités par leurs prix respectifs. Dans ce qui suit, on note P le niveau général des prix, la moyenne des prix domestiques et la moyenne des prix importés. On a alors :
Le niveau général des prix se calcule à partir de la formule précédente, en divisant par Q :
Par définition, on a , ce qui donne :
On simplifie :
En posant , on obtient :
- , avec un coefficient qui indique quelle est la part des prix domestiques dans le niveau général des prix.
Cette formule nous dit que le niveau général des prix dépend donc des prix des produits domestiques, mais aussi des prix importés. Elle dit aussi que l'impact sur les prix importés est d'autant plus important que les importations ont une part importante dans la consommation du pays. C'est le cas dans beaucoup de pays émergents ou en développement, qui se fournissent en biens dans les pays développés. Les importations y représentent une bonne partie de l'activité économique du pays et de la consommation de la population. La moindre variation des taux de change se répercute rapidement sur une majorité des biens de consommation, ce qui peut suffire à induire une récession. En conséquence, les banques centrales de ces pays fixent le taux de change de manière à garantir la stabilité des prix. Ce qui explique pourquoi beaucoup de pays africains disposent de caisses d'émission (des banques centrales qui maintiennent les taux de change fixes) et indexent leur monnaie sur une monnaie étrangère (le cas du franc CFA est de loin l'exemple le plus connu). Par contre, les pays développés (les grandes économies ouvertes) n'ont pas vraiment ce genre de problèmes. Les importations sont assez mineures dans leur économie, ou alors celles-ci proviennent d'un grand nombre de pays (et donc de devises) différents.
L'influence des prix importés sur l'inflation
modifierDans ce qui suit, on suppose que le coefficient est approximativement constant. Cette hypothèse est valide tant que la part des importations dans le PIB ne change pas trop. Si ce n'est pas le cas, les ménages remplacent des produits étrangers par des produits domestiques (ou inversement), ce qui fait que le coefficient change. Mais si ce phénomène de substitution est faible, l'hypothèse est crédible. Précisons que tout changement dans le coefficient a une influence sur la courbe IS, comme on le verra plus loin.
Dérivons l'équation précédente, en posant constant :
Divisons par P pour obtenir l'inflation dans le terme de gauche :
Les termes et sont respectivement l'inflation des produits domestiques et l'inflation des produits importés. On les note respectivement et . On a alors :
Le terme d'inflation domestique n'est autre que la courbe de Phillips donnée dans les sections précédentes. En faisant le remplacement, on trouve l'équation de la courbe de Phillips en économie ouverte :
En collapsant les produits de constantes et en nommant ceux-ci , et , on trouve l'équation générale :
Pour résumer, nous avons ajouté un terme d'inflation importée à la courbe de Phillips précédente.
Avec cette équation, on peut étudier la dynamique de l'inflation en fonction des prix importés. Si l'inflation importée augmente, alors l'inflation totale augmentera aussi. La banque centrale nationale va alors réagir pour la réduire, en augmentant ses taux d'intérêts. Ce faisant, le PIB national baisse, l'inflation des produits domestiques fait de même, et l'inflation totale est conservée à 2%. On voit que l'impact des prix importés se répercute sur le PIB national. Le truc est que la banque centrale n'a aucun impact sur l'inflation importée, et n'a pas beaucoup d'influence sur le coefficient . Tout ce qu'elle peut faire est de réduire/stimuler le PIB, pour agir sur l'inflation des produits domestiques.
L'influence des taux de change sur les prix importés
modifierLe prix des importations dépend directement des taux de change. Si les taux de change se déprécient, les prix des importations augmentent. Alors que si les taux s'apprécient, le prix des importations diminue. En clair : une variation des taux de change se traduit par une inflation approximativement inverse des produits importés. On pourrait croire que l'inflation importée est égale à l'opposé de la variation des taux de change. On aurait alors :
- , avec e le taux de change nominal.
En injectant cela dans la courbe de Phillips précédente, on trouve :
Sur le principe, la courbe de Phillips précédente est juste. Mais l'effet des taux de change est modéré par un phénomène dit d'exchange rate pass-through, qui veut que la hausse des taux de change ne se répercute partiellement sur les prix importés. Par exemple, si le taux de change varie de 10 %, la variation des prix importés sera de moins de 10%. Les raisons à cela sont multiples, mais elles ne nous intéressent pas ici. Pour modéliser cela mathématiquement, on utilise simplement l'équation suivante, qui relie les variations des prix importés aux variations du taux de change :
- , avec les prix importés, e le taux de change et un coefficient dit de pass-through.
Mais la courbe de Phillips reste sensiblement identique avec ou sans pass-through, seuls les valeurs des coefficients changeant.
L'influence des taux d'intérêt sur la courbe de Phillips
modifierDans le chapitre sur le canal des taux de change, nous avons vu qu'il existe une relation entre les taux d'intérêt domestiques/étrangers et les taux de change. La relation relie le différentiel de taux d'intérêt domestique/étranger, avec l'appréciation du taux de change. La relation en question est la suivante :
- , avec le taux d'intérêt domestique, le taux d'intérêt étranger et e le taux de change.
Si on combine cette relation avec la courbe de Phillips précédente, on trouve :
On développe le terme : :
En clair, l'inflation dépend directement du taux d'intérêt, par le canal des taux de change, et indirectement par le biais de l'écart de production (la courbe IS). Le terme : correspond au canal des taux de change direct.
Cette nouvelle courbe de Phillips ne paye pas de mine, mais elle a des implications assez importantes. Elle permet notamment de voir comment les politiques monétaires de différents pays interagissent. Elle permet de savoir ce qui se passe quand un pays étranger change ses taux directeurs. Pour cela, nous allons prendre l'équation précédente et regrouper tous les termes "domestiques", dépendants de variables nationales, dans une inflation domestique :
L'équation précédente nous dit que si un pays étranger augmente ses taux d'intérêt, alors notre pays voit son inflation augmenter (en raison des variations de taux de change associées). Et inversement : une baisse des taux étrangers entraîne naturellement une relance domestique de l'inflation. Un résultat intéressant surgit quand on pousse le résultat plus loin, en prenant en compte la réaction de la banque centrale domestique. Si des banques centrales étrangères baissent leurs taux, l'inflation nationale va baisser et la banque centrale domestique doit assouplir la politique monétaire pour relancer l'inflation nationale. Toutes les banques centrales, nationale et étrangères, baissent leurs taux de concert, l'une en réaction aux autres. Et inversement en cas de hausse des taux : la hausse des taux étrangers stimule l'inflation nationale, ce qui force la banque centrale nationale à monter ses taux. Les politiques monétaires nationales et étrangères sont donc corrélées et tendent à réagir dans le même sens. Évidemment, cette corrélation n'est pas parfaite, vu que les pays ont des systèmes fiscaux différents, des inflations différentes, etc.
Un résultat similaire est que les difficultés d'un pays tendent à se propager aux pays étrangers. Imaginons qu'un pays subisse une crise et que son inflation diminue fortement. La banque centrale étrangère va devoir baisser ses taux pour relancer son économie et son inflation. Au vu de l'équation précédente, l'inflation domestique va aussi chuter : la crise de demande s'est propagée dans notre pays, alors qu'elle provenait de l'étranger. En clair, la corrélation des politiques monétaires n'est qu'un revers de la médaille. L'autre revers est la corrélation des économies, au niveau de l'inflation. Si un pays entre en crise, dans le sens où son économie ralentit (chômage qui augmente et inflation en baisse), alors sa crise se propage aux pays étrangers.