Jeu de rôle sur table — Jouer, créer/Créer une nouvelle règle
Pourquoi créer une nouvelle règle ?
modifierEn général, la création d'une nouvelle règle, d'une règle maison, se fait de la manière suivante :
- Au cours d'une partie de jeu de rôle, vous vous trouvez face à une situation que vous ne savez pas résoudre : elle n'est pas couverte par les règles, ou bien la règle ne vous vient pas immédiatement, vous n'avez pas envie de chercher dans les ouvrages pour ne pas briser le rythme de la partie. Vous inventez donc une règle sur le pouce. Après la fin de la partie, vous vérifiez ce que disent les règles officielles sur le sujet, et vous décidez que votre règle inventée est « meilleure ». Vous consultez donc les autres joueurs et joueuses pour consolider cette règle et, après avoir pris en compte leurs avis et l'avoir éventuellement modifiée, vous décidez de l'inclure pour toutes vos parties. Vous la faites ensuite évoluer selon le même processus, en fonction de ce qui se passe lorsque vous l'utilisez.
C'est une situation normale : le jeu de rôle est par essence incomplet puisque, contrairement aux autres jeux de société, il n'est pas possible de prévoir toutes les situations de jeu.
Ce processus est un processus idéal, il ne correspond pas forcément à ce qui se passe réellement, mais il met en relief deux choses :
- Le jeu tel qu'il existe, d'une manière ou d'une autre, n'a pas répondu aux attentes sur une situation donnée.
- Vous avez estimé qu'une nouvelle règle répondait à ces attentes.
Voyons plus précisément ces deux points.
- Le jeu n'a pas répondu à vos attentes
- Peut-être existe-t-il une règle, mais cette règle ne vous est pas venue sur le moment. Cela peut signifier plusieurs choses :
- vous n'avez pas mémorisé la règle,
- car il y a déjà beaucoup de règles à mémoriser, ou bien
- car la règle suit une démarche différente des autres règles du jeu et donc ne s'intègre pas bien dans le schéma général, ou bien
- car la règle n'est pas présentée de manière efficace : mal expliquée, pas placée au bon endroit, n'est pas bien mise en avant, vous ne l'avez pas mémorisée lors de vos lectures et vous n'avez peut-être même pas retenu qu'elle existait, ou bien
- vous savez que la règle existe, mais dans le fil du jeu, sa recherche est malaisée : les ouvrages ne contiennent pas d'index, ou bien sa recherche dans la table des matières est malaisée (elle n'est pas dans le chapitre attendu, ou bien est noyée dans d'autres informations) ;
- la règle existe, mais sa mise en œuvre en cours de partie s'est révélée décevante : elle est trop complexe, ou bien avec un résultat inintéressant ou illogique (par rapport au déroulement de l'histoire, par rapport au fonctionnement de l'univers), ou bien ralentit le déroulement de la partie, ou bien elle provoque une rupture de l'immersion (par exemple vous vous retrouvez à faire un « jeu dans le jeu » alors que vous auriez préféré plus de fluidité dans la narration pour rester dans l'ambiance) ;
- aucune règle ne couvre la situation de jeu en question.
- vous n'avez pas mémorisé la règle,
- Vous avez estimé que la solution au problème est la création d'une règle
- Selon le principe de Baker-Care, tout ce qui fait évoluer la partie fait partie du « système ». Il y a eu un blocage du système — vous ne saviez pas comment poursuivre face à une situation de jeu —, mais pour autant, une règle n'est pas la seule solution. Il est également possible :
- que l'on décide de la suite des événements, soit qu'un des joueurs ou joueuse soit responsable d'un élément de jeu en question (typiquement le meneur ou la meneuse de jeu lorsqu'il y en a une), soit par négociation entre joueurs et joueuses :
- en fonction de ce qui est le plus logique dans le « fonctionnement du monde » (réaction d'un personnage en fonction de sa position sociale ou de son caractère, survenue d'un événement selon une loi naturelle ou divine),
- en fonction de ce qui est le plus intéressant pour la suite du jeu : défis à relever, tournant de l'histoire ;
- de faire en sorte que la situation n'arrive plus, en prenant les devants lors de la préparation de la partie (création du scénario lorsqu'il y en a un).
- que l'on décide de la suite des événements, soit qu'un des joueurs ou joueuse soit responsable d'un élément de jeu en question (typiquement le meneur ou la meneuse de jeu lorsqu'il y en a une), soit par négociation entre joueurs et joueuses :
- Ainsi, la solution au problème peut-être… de supprimer une règle existante pour se reposer sur l'arbitraire de la meneuse de jeu, à qui l'on accorde sa confiance pour prendre une décision dans l'intérêt du jeu et des joueurs et joueuses… Ce qui est en soi une règle.
- La solution peut également consister à modifier un paramètre de la règle : changer une valeur (seuil, bonus/malus) de ±1, changer le cadre d'emploi de la règle (par exemple, on ne l'emploie plus dans telle situation).
- Exemple
- Dans la première édition de L'Œil noir, la règle de combat est : l'attaquant fait un jet d'attaque ; si est réussi, le défenseur fait un jet de défense (parade, esquive) ; s'il échoue, le défenseur est blessé, on jette alors les dés de dégâts de l'arme (points d'impact) dont on soustrait la protection de l'armure, eet le résultat est déduit des points de vie du défenseur. Ainsi, si un combattant a un faible score d'attaque et un fort score de défense, le combat s'éternise : ce combattant est rarement blessé, et son adversaire également, les antagonistes se tournent autour sans se toucher. Il existe plusieurs solutions :
- paramétrer la règle différemment : typiquement, diminuer la valeur de défense, imposer une valeur maximale à la défense ;
- supprimer une règle : par exemple, supprimer purement et simplement le jet de défense ;
- modifier la règle : par exemple, transformer la valeur de défense en un malus à l'attaque ;
- changer complètement la règle de combat.
- Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients, qu'il convient d'évaluer en cours de jeu.
Qu'est-ce qu'une règle ?
modifierUne règle est une procédure acceptée par tout le monde. Quand on commence à jouer, on accepte implicitement le corpus de règles du jeu choisi ; mais ces règles peuvent être remises en question en cours de jeu.
Notons par ailleurs que dans le cas d'un jeu de rôle, il existe trois grands types de règles :
- les règles sociales, qui déterminent comment les joueurs et joueuses interagissent ; typiquement, comment s'organise la parole, qui décide de quoi, en particulier est-ce qu'il y a un meneur ou une meneuse de jeu et quelles sont ses responsabilités ;
- les règles qui servent à déterminer si l'action d'un personnage réussit ou échoue : ce sont les règles des jeux de rôle « classiques » ;
- les règles qui servent structurer l'histoire : quel type d'élément narratif survient à quel moment — tournant de l'histoire, changement d'attitude d'un personnage ou d'une organisation, avancement d'un plan ourdi par un personnage ou une organisation, rebondissement —, quand considère-t-on qu'une scène est finie…
Dans tous les cas, la règle détermine comment se poursuit l'histoire.
Méthode DICE
modifierNous pouvons nous inspirer de la méthode DICE, qui est une méthode générale développée en 2011 par Damien Djaouti pour la création de jeux vidéos sérieux[1],[2]. C'est l'acronyme de « définir, imaginer, créer, évaluer » :
- définir le contenu de la règle : dans quelle situation elle intervient, ce qui est attendu d'elle (typiquement « faire évoluer la partie vers une situation intéressante, surprenante, logique ») ;
- imaginer le concept : met-elle en œuvre le hasard, la consommation d'une ressource, une décision d'un joueur ou d'une joueuse, les capacités d'un personnage, les capacités (physiques, de logique) d'un joueur ou d'une joueuse ;
- créer la règle : définir la procédure, l'écrire ;
- évaluer son efficacité : lors de la mise en œuvre de la règle, la règle obéit-elle au concept imaginé, fait-elle ce qui est attendu d'elle ?
C'est un processus itératif 🔁 : on fait évoluer le contenu, le concept, en fonction de l'évaluation. C'est une boucle d'amélioration continue, à l'image de la « roue de Deming-Shewart » (PDCA : plan – do – check – act, autrement dit « planifier – exécuter le plan – évaluer – prendre des actions correctives »).
- Exemple
- Reprenons l'exemple du combat dans L'Œil noir et supposons que l'on récrée la règle.
- Donc par rapport à la méthode DICE :
- D : la règle intervient pour toute confrontation physique violente.
- I : chaque assaut se résout en un seul jet de dés. On utilise le score d'attaque de l'attaquant, le score de défense du défenseur, les dégâts de l'arme et la protection de l'armure.
- C : on utilise un tableau, en nous inspirant des wargames ou de la « table des coups portés » de Loup Solitaire[3] : on fait la différence entre le score d'attaque de l'attaquant et le score de défense du défenseur pour déterminer la « force de frappe », on regarde la colonne correspondant sur le tableau ; on jette le dé (1d20) et on regarde la ligne correspondante ; la case du tableau désignée indique les dégâts subis par le défenseur, dégâts qui sont modulés par l'arme (bonus) et la protection (malus).
- E : en cours de partie, on relève les éléments suivants :
- Avantage : on ne fait qu'un seul jet.
- inconvénients : il faut créer le tableau, convertir le jet de dégâts de l'arme en un bonus ; en cours de jeu, il faut avoir le tableau sous la main, faire des soustractions en début de combat (force de frappe), faire une addition et une soustraction à chaque assaut (calcul des dégâts).
- Et pour que le combat dure peu d'assauts, il faut que la zone du tableau où le défenseur ne prend pas de dégâts soit restreinte, c'est-à-dire que peu de résultats de dés mènent à des dégâts nuls.
- Autre solution : on garde la règle telle qu'elle, mais :
- C : on impose que chaque combattant perde au moins un point de vie par tour, quel que soit le résultat des dés, en justifiant cela par la fatigue, les petites entailles, entorses etc.
- E : cela crée une ambiance sombre, les combats sont violents (la blessure est inévitable même contre des ennemis faibles), et un sentiment d'urgence (le nombre d'assauts devient un élément critique), on ne peut pas laisser un combat s'éterniser. Cela va changer radicalement la manière de jouer ; est-ce au goût de tous les joueurs et joueuses de la table ?
Surprise et agentivité
modifierLes joueurs et joueuses de jeu de rôle (MJ inclus) sont à la recherche de deux choses à première vue antinomiques : la surprise et l'agentivité.
La surprise est le fait de voir l'histoire bifurquer dans des directions inattendues. Les joueurs et joueuses, si elles sont co-autrices, ne sont pas pour autant romancières ; elles ne sont pas là pour écrire une histoire qu'elles auraient inventée, mais en partie pour réagir à des événements inattendus, pour improviser. Elles apprécient donc une part d'inconnue. Cette inconnue peut provenir :
- du hasard : jet de dés ou toute méthode aléatoire : tirage de cartes, épreuve d'adresse type Jenga (attention toutefois à ne pas exclure les joueurs et joueuses en situation de handicap) ;
- de l'inconnu : il y a des éléments définis, par exemple écrits dans le scénario, mais que les joueurs et joueuses ignorent ;
- des décisions des autres joueurs et joueuses.
Mais ils et elles veulent aussi de l'agentivité, c'est-à-dire que leurs décisions influent sur l'histoire. Et sur ce point, l'aléatoire leur retire la maîtrise des événements.
Il faut donc doser entre ces deux attentes.
Une des manières d'associer les deux consiste à pouvoir influer sur le résultat des dés, par exemple en sacrifiant des points (points d'héroïsme, de destin, de volonté, ou pourquoi pas points de vie) pour pouvoir relancer les dés, avoir un bonus ou pourquoi pas choisir le résultat. On a alors, en plus du « jeu de hasard », un « jeu de gestion de ressource » : faut-il dépenser les points maintenant ou les garder pour plus tard ?
On peut supprimer le hasard et n'avoir que de la gestion de ressources, la surprise reposant alors niquement sur l'inconnu, un pari sur l'avenir. On peut aussi avoir un système entièrement déterministe, sans aucun hasard, comme dans Ambre d'Erick Wujcik (Phage Press, 1991 ; Jeux Descartes, 1994) ; le jeu s'oriente alors exclusivement sur les conséquences des décisions des joueurs et joueuses : si on peut tout faire, on endosse alors de grandes responsabilités.
- Pour plus de détails voir : Jeu de rôle sur table — Jouer, créer/Le hasard dans les jeux de rôle.
Stop à l'inflation !
modifierLe risque avec la création de règles, c'est de se retrouver avec une pléthore de règles. On se ramène alors au problème initial : la règle risque de ne plus être appliquée car on n'y pense pas, qu'on ne sait plus où la trouver, parce qu'à appliquer des règles trop souvent on rompt le rythme de jeu, de la narration… D'ailleurs, un des principes de la conception de jeu (game design) est : développer le système, cela consiste à retirer des règles ; le jeu commence à être mûr quand on n'a plus besoin de retirer de règle.
Donc si l'on ajoute une nouvelle règle, il faut dans la mesure du possible :
- voir si l'on ne peut pas recycler une règle déjà existante ; par exemple, si l'on veut prendre en compte l'ébriété, ne peut-on pas utiliser la règle sur l'empoisonnement, si elle existe ?
- ne pas créer un sous-système nouveau, mais s'inspirer des autres règles ; par exemple, Donjons & Dragons, depuis la 3e édition (d20 System), utilise un seul système de résolution : d20 + bonus comparé à un seuil, donc il faut s'attacher à ce que toute nouvelle règle suive cette démarche et ne pas retomber dans le travers des éditions précédentes qui multipliaient les sous-systèmes (d20 ≥ classe d'armure pour le combat, d20 ≥ seuil pour la sauvegarde ; d100 ≤ compétence pour le voleur etc.).
Exemples de règles
modifierLe jeu de rôle existant depuis plus de 50 ans, il serait dommage de ne pas regarder ce qui s'est fait pour s'en inspirer. Vous trouverez des exemples de règles ayant des logiques diverses dans la section suivante :
- Pour plus de détails voir : Jeu de rôle sur table — Jouer, créer/Le hasard dans les jeux de rôle#Pourquoi le hasard ? Quelles alternatives ?.
La manière de générer du hasard et l'équilibrage des règles est abordé dans la section suivante :
- Pour plus de détails voir : Jeu de rôle sur table — Jouer, créer/Probabilités des dés en jeu de rôle.
Notes
modifier- ↑ Damien Djaouti, « Serious Game Design — Considérations théoriques et techniques sur la création de jeux vidéo à vocation utilitaire », sur Ludoscience, (consulté le 6 mars 2025).
- ↑ Julian Alvarez, Damien Djaouti et Olivier Rampnoux, « Apprendre avec les serious games ? », sur HAL, (consulté le 6 mars 2025).
- ↑ Joe Dever, « Combat Results Table », sur Project Aon (consulté le 7 mars 2025) ; notez que cette table est dissymétrique, à l'avantage de Loup Solitaire (Lone Wolf).
Au cœur du jeu de rôle, la partie < ↑ > Le hasard dans les jeux de rôle