Introduire la biodiversité dans la construction et l'urbanisme/Préalables ; principes généraux et transversaux

Introduction

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Certaines notions et principes propres à l'architecture, à l'écologie ou encore à la psychée humaine sont par nature associés aux sujets traités dans ce livre.
Certains d’entre eux sont aussi des conditions nécessaires (et hélas non suffisantes) à la réussite de toute démarche visant à restaurer les conditions d'un réconciliation profonde de l'architecture et de la nature.
Ils seront rappelés ou seront transversalement présents dans l'ensemble des chapitres.

Principes généraux :

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L'écologie du paysage, la biologie de la conservation, appliquées à l'espace urbain, périurbain ou construit offrent maintenant un cadre théorique et pratique à l'analyse de la nature et naturalité des milieux construits, et de leurs impacts sur les milieux naturels.

Développement durable et soutenable

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Figure 1 : Les thèmes et enjeux généraux, mais majeurs, de soutenabilité du développement, et leurs interelations
 
Figure 2 : Comment agir, et avec quelles ressources pour quels objectifs ? Ce graphique présente les interrelations qui lient les grands domaines (ou enjeux) du développement durable.
 
Un principe de base est - dans une certaine mesure (dans les limites qu'autorisent la préservation de l'infrastructure bâtie, et la sécurité notamment) - l'imitation des processus naturels. Si dans la nature, même des parois verticales et minérales ultrapauvres en nutriments peuvent abriter la vie (ici sur des falaises en Ukraine), l'architecte et l'urbaniste doivent pouvoir aménager le bâti pour y intégrer plus de biodiversité que dans le bâti tratitionnel
 
Tout en restant, dans une certaine mesure, sous contrôle la nature peut entrer dans une partie de l'espace habité (écoquartier d'Eva-Lanxmeer, aux Pays-Bas

Un premiers cadre, très général, est transversal à la plupart des démarches de prise en compte du Vivant dans l'urbanisme et le bâti. C'est celui du « développement soutenable » (ou « durable »), désormais classiquement représenté comme à l'interface des trois sphères représentées par la figure 1 (trois sphères ; environnementales, sociales et écologiques.. certains y ajoutant un 4ème pilier qui serait la culture, ici intégré dans la sphère du social).


La figure 1 (ci-contre à gauche) présente l'intérêt de rappeler que tout projet se voulant soutenable devrait au minimum répondre, et de manière équilibrée à ces préoccupations.
Concernant le sujet de cet ouvrage, les interfaces « Vivable » et « Viable » prendront une importance particulière, à la fois comme « condition » et « résultat » des projets réussis.


La figure 2 , un peu plus complexe, mais plus précise, ajoute d'autres enjeux et thèmes aux précédents. Tous les thèmes qu'elle présente sont au moins pour partie fonctionnellement interdépendants.
Les zones d'intersections entre les sphères ou groupes de sphères du graphique représentent les interfaces (deux à deux, ou trois à trois) entre les items de base. par exemple la zone d'interface entre la spère « Gérer » et la sphère « Restaurer» est à comprendre comme représentant le domaine de la « gestion restauratoire ».
Ce diagramme décrit dans la « sphère des actions » la nécessité de restaurer, protéger et gérer des ressources. Ces ressources (eau, air, sol, faune, flore, fonge...) sont toutes vitales pour l'homme et les autres espèces. Elles sont produites ou entretenues par la biodiversité, via les écosystèmes. Dans chaque projet, ces ressources peuvent, selon le contexte et les impacts du projet être classées et hiérarchisées comme étant : pas, peu, difficilement, coûteusement ou lentement renouvelables. Ces ressources sont nécessaires à l'atteinte des objectifs qui sont à la fois sociaux, économiques et donc environnementaux.
Tout projet se voulant cohérent du point de vue environnemental et durable, devrait prendre en compte chacun des aspects figuré par une sphère ainsi que par chaque intersection entre deux ou trois sphère.
Ce graphique, assez facile à mémoriser. Dans le domaine complexe de l'évaluation environnementale, il permet de garder une vue globale et systémique d'un problème (une étude d'impact, un projet, un agenda 21, une situation individuelle ou collective, etc.). Il peut à ce titre -pour partie - servir de première check-list dans l'exploration des enjeux environnementaux de n'importe quel projet (architectural ou urbain dans les cas qui nous préoccupe dans cet ouvrage). Ce diagrame ne prend tout son sens et toute son utilité que si son utilisateur analyse les impacts positifs et négatifs, immédiats et différés dans le temps (court, moyen et long terme) et dans l'espace (impacts locaux à globaux). Il est en quelque sorte conçu pour aider à faire ce travail sans rien oublier d'important.

On peut d'aussi y associer le « triangle éthique » (voir chapitre Approche éthique) qui pourra aider le porteur de projet à hiérarchiser certains enjeux ; par exemple dans ou sur une crèche, d'une maternité, d'un hôpital, d'une maison de retraite, d'une école, la contribution de la biodiversité à épurer l'air et l'eau pourra être surpondérée dans l'évaluation des enjeux et priorités.

Les principes du développement dit « soutenable », incluent la restauration, protection et gestion de la biodiversité. Ils semblent relever souvent du simple bon sens mais les architectes habitants, et usagers du patrimoine bâti ne savent pas toujours comment les transcrire ou les appliquer au mieux. Plus précisément les principes et critères de la Haute qualité environnementale des éléments construits seront fréquemment évoqués.

Chaque projet est un cas particulier, mais toujours à lier à l'environnement global

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Parce que portant sur le vivant, et s'inscrivant dans des contextes toujours différents, chaque projet d'intégration de la biodiversité dans la construction sera différent des autres, sans pour autant pouvoir être autonome car devant s'inscrire dans le réseau écologique local ou ce qui en reste, ce qui nécessite la prise en compte de l’environnement proche (atout, contraintes) et de l'écopotentialité du site ;

En France, on pourra par exemple s'appuyer sur les inventaires communaux de la biodiversité (quand ils existent), sur les documents nationaux et régionaux (SRCE) la trame verte et bleue en s'intéressant notamment au travail de prise en compte de la biodiversité (ordinaire ou non) dans les SCOTs (par exemple, dans le nord de la France, l'observatoire de la biodiversité du Nord-Pas-de-Calais a publié fin 2014 un « État des lieux de la biodiversité dans les territoires des Schémas de cohérence territoriale »[1] librement consultable et utilisable par les habitants et collectivités pour mieux repérer les enjeux locaux de biodiversité.

L'approche écosystémique

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Elle relève des sciences de la complexité et fonde l'approche écologique. Elle ne semble jamais avoir clairement et profondément guidé l'ensemble d'un projet urbain ou architectural, même si l'on parle parfois d'écosystème urbain et souvent d'écologie urbaine.
L'architecte et l'urbaniste n'en étant pas coutumiers, ils pourront utilement s'adjoindre les services d'écologues compétents.

La ville ou d'autres milieux construits peuvent être considérés comme un écosystème unique ou comme une mosaïque d'écosystèmes plus ou moins artificialisés (vision pratique pour étudier, décrire et gérer la nature en ville[2], à condition d'aussi bien comprendre les liens qui unissent ces milieux particuliers aux écosystèmes périphériques qui leur sont fonctionnellement reliés (via des corridors biologiques ou couloirs migratoires notamment). Bolund et Hunhammar ont proposé en 1999 sept catégories d' « écosystèmes urbains naturels » (qu'on pourra encore subdiviser en sous-unités)[3].

La renaturation

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Cette notion évoque un certain retour ou une certaine acceptation des processus naturels, auto-entretenus, et donc du "sauvage", nécessaire pour une « naturalité » plus élevée (et donc des équilibres écologiques moins perturbés).

La notion de « qualité environnementale »

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Elle couvre un domaine bien plus large que celui de la biodiversité, mais l'oubliant trop souvent. En France, on la résume souvent aux 14 cibles de la HQE, certains proposant depuis quelques années une quinzième cible (pour l'instant volontaire) et plus spécifiquement consacrée à la biodiversité.

Le "Zéro impact"

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Diagramme présentant quelques mots-clé et les relations et interrelations entre 3 modes de compensation d'impacts écologiques, tels que devant ou pouvant être compensés suite aux études d'impacts
 
Le bâti ancien, militaire et fortifié notamment (ici la citadelle de Palmanova en Italie), peut abriter une biodiversité significative (y compris en terme génétique), qu'il conviendrait de protéger au même titre que le patrimoine bâti, ce qui demande aux architectes du patrimoine de travailler avec des écologues, et inversement afin de trouver les compromis les plus intéressant. C'est ce qui est fait à Lille pour la Citadelle de Vauban

C'est une "cible", un but qu'on cherche à atteindre, notamment par des mesures d'atténuation et de réparation des impacts, visant :

  • la diminution de l’empreinte écologique (et donc énergétique) du bâti ; c'est une approche globale prenant mieux en compte une partie des impacts initiés ou différés dans l'espace et le temps
  • la diminution de l’impact écologique du bâti lui-même et de son fonctionnement (chauffage, ventilation, circulation, réseaux..)
  • la diminution de l’impact écologique des occupants (y compris via une gestion, et un fonctionnement moins nuisants pour l'environnement)

Ceci peut se faire en combinant trois grands types de mesures ou approches

  • des mesures conservatoires,
  • des mesures compensatoires (en cherchant à appliquer le principe de "juste compensation")
  • des mesures restauratoires

Ou, quand une restauration totale n'est pas possible (ce qui est souvent le cas) par le double principe de « restauration d'habitats » (génie écologique) et d'offre d' « habitats de substitution » (une mare alimentée par les eaux de gouttières, un nichoir intégré dans mur, une terrasse ou mur végétalisé par exemple) …pour répondre aux critères de "Haute qualité", ces mesures doivent être "justes, réelles, fonctionnelles et efficaces " ("Juste" signifie ici qu'on cherche à restaurer l'écopotentiel du site et donc les fonctionnalités écologiques qui devraient normalement s'exprimer dans la zone biogéographique considérée, en l'absence d'impacts des activités humaines, ce qui implique une approche préalable de type "étude d'impact", rigoureuse et intégrant les aspects quantitatifs et qualitatifs de la biodiversité) ;


Ces approches sont théoriquement aussi celles des méthodes développées pour les études d'impacts qui peuvent – en amont – inspirer l'architecte et l'urbaniste, de même que les techniques et outils d'écobilan et d'ACV (Analyse du cycle de vie).

Le zéro impact ne peut généralement pas être atteint directement, il appelle donc une autre notion : celle de "Remboursement de la dette écologique" ; c’est une cible et une exigence, dont nous ignorons si elle peut vraiment être tout à fait atteinte, notamment parce que c'est une notion relative au degré d'exigence du porteur de projet (quelle niveau de qualité environnementale cherchera-t-on à retrouver ?). Cette cible serait théoriquement atteinte (100 points sur 100) quand la biodiversité peut s’exprimer sur le bâti et son environnement proche, comme elle le ferait dans une "nature sauvage" (où l’influence humaine ne se ferait pas sentir). Les indicateurs utilisables sont la "biomasse équivalente", la "diversité spécifique", une diversité "génétique supposée comparable", etc).

Le concept de bâti (ou construction) « à biodiversité positive ».

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Il prolonge la cible précédente. C'est un des moyens de rembourser une dette écologique en matière de biodiversité.
Des indicateurs de réalisation objectifs et validés manquent encore pour cette cible (en partie théorique) mais elle est très motivante et offre d'intéressants défis à relever pour les architectes, urbanistes et usagers du patrimoine bâti.

La gouvernance

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Dans le domaine de la biodiversité urbaine ou intégrée dans le bâti, l'expérience a montré qu'une grande partie des projets réussis sur le long terme se sont tous appuyés sur une gouvernance s'appuyant sur les principes d' « écocitoyenneté », et de « participation ("proactive" dans la mesure du possible) des parties prenantes » ; c'est un des facteurs de réussite sur le moyen et long terme.

L'évaluation

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Des indicateurs d'état, de pression, d'impacts, de réponse ; quantitatifs et qualitatif, sont utiles et nécessaires pour le suivi et l'évaluation des projets, et pour affiner et améliorer les stratégies décrites dans cet ouvrage.

De tels indicateurs peuvent être notamment fournis par

  • des dispositifs automatiques d'acquisition de données environnementales (réseau d'alerte et de mesure de la qualité de l'eau, de l'air, des sols, etc), mesures satellitales des surfaces "naturelles" et de leur connectivité écologique ou degré de fragmentation écopaysagère ;
  • des études spécifiques,
  • un observatoire collaboratif de la biodiversité,
  • des sentinelles de l’environnement
  • des écogardes, ou autres corps spécialisés dans le suivi ou la protecion de l'environnement
  • La bio-indication (outil encore peu utilisé mais disponible). Elle peut être sophistiquée ou grossière mais efficace (ex : présence/absence de papillons, abeilles, hirondelles, moineaux, anguilles, brochet, saumons, vers de terre, etc… ou présence/absence d'espèces invasives ou indicatrices de déséquilibres écologiques)
  • etc..

Les évaluateurs devraient chercher à mieux prendre en compte le cycle du vivant, dont la « nécromasse » et son recyclage.

Notes et références

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  1. L’Observatoire de la biodiversité du Nord - Pas-de-Calais ; État des lieux de la biodiversité dans les territoires des Schémas de cohérence territoriale (SCoT), PDF, 300p) , 2014
  2. Mission Économie de la biodiversité Infrastructures vertes urbaines et développement : vers une évaluation des impacts socio-économiques de la nature en ville ; Cahier n°5 de la collection "Cahiers Biodiv'2050".
  3. Bolund, P., Hunhammar, S. (1999), Ecosystem services in urban areas, Ecological Economics, 29 (2), p. 293-301.