Histoire de la France médiévale/La France rurale

Au Moyen Âge, l'économie demeure essentiellement rurale et la vie quotidienne s'organise autour de la terre. Le fait urbain existe, mais il est minoritaire : la grande majorité des Français vit à la campagne.

Histoire de la France médiévale

La France rurale

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Chapitres : introduction | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 |7 | 8 | 9
Annexes : Glossaire | Bibliographie | Liens | Auteurs | Chronologie | Cartes | Biographies
Catégorie : Histoire > Histoire de la France médiévale

État de la documentation et débats historiographiques

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Sources

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La vie dans les campagnes apparaît en premier lieu dans les documents écrits :

  • Les chroniques font état des famines et des disettes
  • Les fabliaux nous renseignent sur les rapports sociaux et la vie quotidienne
  • Les actes doivent être exploités avec précaution à cause d'un vocabulaire changeant et divers
  • Les baux et les inventaires nous laissent entrevoir le patrimoine agricole des paysans (élevage)
  • Les chartriers, cartulaires et autres documents de gestion domaniale permettent d'identifier les productions en fonction des redevances
  • Les tarifs des péages, les tonlieux et les taxes donnent des indications sur le commerce des produits agricoles.
  • Les miniatures offrent un regard stéréotypé sur les paysages, les activités et les outils des campagnes.
  • Les peintures et les sculptures des églises nous livrent des détails sur les activités agricoles et les outils.

Les développements relativement récents des sciences auxiliaires de l'Histoire complètent les sources écrites :

  • L'archéologie fouille les villages, les dépotoirs et les cimetières.
    • La carpologie étudie les paléosemences : grains de céréales fossilisés, empreintes d'épis dans l'argile cuite ...
    • L'ostéologie s'attache à décrire les squelettes et les os humains.
    • L'archéozoologie examine les ossements et les cornes des bestiaux.

Les produits de l'agriculture et de l'élevage

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Quelles étaient les principales productions agricoles au Moyen Âge ? Comment caractériser l'alimentation de cette époque ? L'agriculture de la France médiévale est avant tout une agriculture vivrière et diversifiée. La polyculture est la règle générale, les productions d'un terroir sont plurielles afin de contrer les mauvaises récoltes ou les épizooties ; elle permet de varier le régime alimentaire. Si le paysan cherche à être autosuffisant et à nourrir sa famille, il lui arrive aussi de vendre ses excédents sur le marché le plus proche. Le vin était lui aussi souvent destiné à la commercialisation, voire à l'exportation plus ou moins lointaine.

Le niveau et la qualité des productions

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Il est difficile pour les historiens d'avancer des statistiques sûres, générales et précises sur l'état des récoltes ou sur les rendements. Plusieurs se sont risqués à cet exercice, dans le cadre de thèses et de monographies régionales. De manière globale, on peut dire que la qualité et la quantité de nourriture sont tributaires de trois facteurs principaux : le niveau des récoltes, la région, la catégorie sociale et la période.

  • Le niveau des récoltes varie d'une année à l'autre. Il dépend des conditions météorologiques : un été pluvieux et frais ruine les efforts des paysans et compromet la moisson. Les paysans utilisent des « céréales de rattrapage » pour le cas d'hivers trop rigoureux. Ils sèment des céréales de printemps ou encore des plantes plus tardives afin de pallier le manque de céréales d'hiver.
  • Les productions agricoles varient également d'une région à l'autre. Les paysans doivent prendre en compte les données naturelles telles que la qualité du sol, la nature du terrain, le climat. Par exemple, le seigle s'adapte bien aux sols pauvres et aux climats rigoureux. La Beauce est le terrain du froment. Mais le paysan est aussi contraint de cultiver certaines céréales plutôt que d'autres par son seigneur.
  • La catégorie sociale détermine le niveau et la qualité de la consommation alimentaire : les milieux aristocratiques bénéficient des meilleurs pains (pains blancs au froment) et se nourrissent de plus de viande que les vilains [1].
  • Enfin, l'homme du Moyen Âge ne se nourrit pas de la même façon toute l'année. Les périodes de l'Avent et surtout du Carême sont des moments de jeûne au cours desquels le régime alimentaire change. Pendant ces temps liturgiques de préparation à Noël et à Pâques, la consommation de poisson augmente.

Famines et disettes

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Les crises des XIVe et XVe siècles ont donné lieu à des famines et des disettes fréquentes. Cependant, il serait abusif de généraliser ces situations dramatiques à l'ensemble du Moyen Âge français [2]. La rigueur exige également de bien distinguer les trois notions de malnutrition, de disette et de famine.

  • Chronologie des famines

Les chroniques du Haut Moyen Âge font état de famines fréquentes[3]. Au XIIIe siècle, le spectre de la famine et de la disette semble s'éloigner[4].

Rendements, productivité

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Au Moyen Âge, une vache produit en moyenne 8 à 13 litres de lait quotidiennement et représente 150 à 170 kg de viande [5].

Finalement, au Moyen Âge classique, la nourriture semble suffisante même si elle présente des carences. L'alimentation repose sur les céréales, panifiées, préparées en bouillies ou fermentées pour les boissons.

Prépondérance et diversité des céréales

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Avec l'essor agricole du début du XIe siècle, la surface des terres céréalières s'accroît : ce phénomène progressif s'appelle la « céréalisation ». Par contre-coup, les superficies utilisées pour l'élevage tendent à diminuer en valeur relative. Il existe plusieurs sortes de céréales, cultivées sur un même terroir. Les documents médiévaux évoquent les « blés » (bleds) : ce terme générique recouvre en réalité un éventail de diverses céréales : il peut désigner le froment, mais aussi l'épeautre, l'orge, l'avoine ou le millet [6]. Ces « blés » sont de qualité inégale : le blé dur s'oppose au blé tendre (froment) ; le blé blanc désigne le froment, le blé noir, le sarrasin. Les céréales que nous consommons aujourd'hui sont devenues très différentes [7]. La préparation des céréales nécessite l'existence de meules installées dans les maisons paysannes. Au Moyen Âge classique, l'usage du moulin seigneurial est un monopole économique. Il donne lieu au versement d'une taxe au représentant du seigneur banal.

  • Le froment : blé semé en automne et moissonné en été, le froment est la céréale la plus cultivée au Moyen Âge classique. Il a remplacé progressivement l'épeautre de l'époque carolingienne. Le froment est la céréale noble par excellence : il donnait un pain de grande qualité et servait à la préparation des hosties [8].
  • L'avoine : tout comme le froment, il s'agit d'une céréale dont la progression s'explique par le développement de l'élevage, notamment des chevaux. Avec l'essor de la chevalerie aux XIe-XIIIe siècles, les besoins en avoine augmentent. Le ravitaillement est essentiel lors des périodes de guerre. Enfin, n'oublions pas que le cheval est également utilisé pour sa force de traction. Dans le nord du pays, il est de plus en plus employé pour les opérations de labour. L'avoine est consommée sous forme de bouillie. Céréale peu exigeante, elle ne pousse guère en milieu méditerranéen où les printemps sont trop secs [9].
  • L'orge est une céréale d'hiver, même s'il arrive qu'elle soit semée au printemps dans les régions méditerranéennes. Elle entre dans la fabrication de la bière et de la cervoise. Elle est donnée aux bestiaux et peut être panifiée avec du froment. Son importance relative tend à diminuer au cours du Moyen Âge.
  • Le seigle est semé en hiver et pousse surtout en montagne. Sa farine permet de produire un pain noir de qualité médiocre.
  • Le millet est une céréale de printemps et peut être plantée en rattrapage jusqu'en mai / juin.
  • Le méteil désigne un mélange de deux céréales cultivées sur une même parcelle.
  • Les légumineuses offrent une importante source de protéines. Fèves, pois, vesces fixent l'azote dans le sol et leur culture évite donc son appauvrissement rapide. Elles sont réduites en farines grossières, consommées avec du lard (pois) ou encore données au bétail.
  • Le sarrasin n'est pas une céréale mais une polygonacée [10]. Semée en mai-juin, elle est introduite en Bretagne au XVe siècle seulement [11].
  • Le riz est cultivé dans les zones humides d'Espagne et d'Italie à la fin du Moyen Âge. On le retrouve sur les marchés des foires de Champagne [12].

Les autres cultures

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Si la production de céréales a longtemps focalisé l'attention des historiens, il ne faut pas négliger les autres productions agricoles telles que la vigne, les fruits et les légumes. Les vergers et les jardins étaient l'objet de soins intensifs tout au long de l'année. Le maraîchage était pratiqué sur de petits lopins proches des habitations ou à la périphérie des cités. Notons ici que l'espace urbain était mis en valeur pour donner différentes productions agricoles telles que la vigne par exemple. Cela donnait aux villes médiévales un aspect agraire bien différent de celui d'aujourd'hui. Mais revenons aux campagnes maraîchères ; les terres étaient amendées par les fumures. Les productions intéressaient les activités et le marché urbains. L'industrie textile était demandeuse de plantes tinctoriales telles que la guède, le pastel ou la garance. Avec l'essor des échanges commerciaux vers l'an 1000, des productions spécialisées s'orientent nettement vers la spéculation et reçoivent des investissements importants.

L'élevage

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Pendant le Haut Moyen Âge, la consommation de viande était relativement importante [13]. Fernand Braudel écrivait que Des siècles durant, au Moyen Âge, elle (L'Europe) a connu des tables surchargées de viandes et des consommations à la limite du possible [14]. L'élevage fournissait d'autres ressources telles que le lait, le cuir, la laine et la graisse. Il permit une civilisation de l'objet au XIIIe siècle : le cuir était transformé en chaussures ; le parchemin était de la peau traitée. La laine alimentait l'industrie drapière. Les boyaux et les cornes entraient dans la fabrication d'instruments de musique.

Les paysans utilisaient la force des animaux pour les travaux agricoles : bœufs et chevaux tiraient la charrue ou la herse. Ils réalisaient les corvées de charrois (transport de vin, de blé, de bois, de paille ...). Les chevaux halaient les navires sur les fleuves. Ils étaient le bien le plus précieux des chevaliers. Certains moulins utilisaient leur force de travail.

L'élevage fournissait de manière indirecte des fumures pour amender les terres.

Les animaux

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Le cheptel français était constitué de bœufs, de moutons et de porcs essentiellement. La proportion de chaque espèce dépendait des régions : dans la zone méditerranéenne, les ovicapridés l'emportaient nettement en nombre. Elle dépendait aussi de l'époque : avec les grands défrichements, la proportion des porcs tend à diminuer. La fin du Moyen Âge voit l'essor de l'élevage spéculatif.

  • Les bovidés : leur élevage nécessite des espaces herbagers (prés, prairies, pâturages). Après les moissons, ils broutent les restes des épis : c'est la vaine pâture. Ils sont aussi emmenés sur les terres laissées au repos (jachères) qu'ils engraissent de leur fumure. Pendant l'hiver, ils sont nourris grâce au foin. Dès le XIIe siècle en Flandre, les paysans leur donnent un complément de légumineuses [15].
  • Les ovi-caprinés sont élevés pour leur laine et, dans une moindre mesure, pour leur viande et leur lait. Ils font l'objet d'une transhumance en montagne et leur nombre a tendance à augmenter à la fin du Moyen Âge [16].
  • Chaque famille élevait au moins un porc qui fournissait de la viande pour environ 70 kg [17]. Celle-ci était fumée ou salée pour la conservation. Le porcher emmenait les bêtes pour le panage en forêt, c'est-à-dire que les cochons mangeaient les glands et les faines. Mais à partir du XIIIe siècle, les animaux restent de plus en plus dans la porcherie.
  • Le cheval n'était pas consommé pour sa viande car l'Église l'interdisait [18]. Le cheval est un animal à part car il sert de monture aux aristocrates et parce qu'il est très coûteux (35 livres tournois en moyenne en France au milieu du XIVe siècle [19]). Le destrier est un cheval de guerre, le palefroi sert à la chasse. Le cheval exige une nourriture abondante et de qualité (avoine, foin). À partir du XIIe siècle, son usage se répand pour tirer la charrue en France septentrionale. Grâce au collier d'épaule qui remplace le collier de cou, il offre au paysan une puissance et une rapidité supérieures à celle du bœuf.

Les productions alimentent l'artisanat rural

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Les liens entre agriculture et artisanat sont étroits dans la France médiévale : l'agriculture fournit des matériaux indispensables à l'artisan. Le meunier réduit les céréales à l'état de farine. Le cordonnier utilise le cuir pour confectionner chaussures et vêtements. Le tavernier vend des boissons fermentées à base de céréales ou du vin. Dans l'autre sens, les paysans dépendent des produits de l'artisanat : ils se procurent divers objets en fer (versoir, fers à cheval ...) auprès du forgeron. Les vignerons ont besoin de tonneaux et de hottes.

Les activités liées au textile connaissent un formidable essor au Moyen Âge classique et se localisent à la campagne.

Bois et forêts

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Les espaces forestiers sont le plus souvent la propriété éminente du seigneur : le bois fait partie de la réserve et le maître s'y réserve des droits. Avec les grands défrichements, la pression se fait de plus en plus intense sur cet espace inculte mais utile, si bien que la forêt se ferme à partir du XIIe siècle[20]

La forêt est d'abord une source de bois : bois d'œuvre, de menuiserie, de charpente, il sert à la construction des maisons. Sur les chantiers des cathédrales ou dans les arsenaux, son usage est considérable. Le bois représente un combustible et son charbon alimente les forges. Enfin, la plupart des instruments agraires utilisent le bois. Il est indispensable à la fabrication des tonneaux.

La forêt offre une source de nourriture complémentaire, surtout en période de soudure : les porcs sont emmenés au panage pendant lequel ils se nourrissent de glands et de faînes. Les hommes y collectent du miel, des baies, des champignons et des plantes curatives.

Enfin, la forêt est le cadre de la chasse et du braconnage. C'est pourquoi elle est entretenue par un personnel qualifié et dévoué au seigneur. Elle représentait un enjeu entre la communauté rurale et le seigneur qui imposait des droits d'usage et une réglementation précise.

Techniques agraires

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Rotation des cultures

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La rotation des cultures est utilisée pour pallier les insuffisances de l'amendement [21]. Elle consiste à faire se succéder sur une même parcelle différentes cultures selon les années, afin de ne pas épuiser la fertilité du sol. Exemple :

année 1 : céréale d'hiver
année 2 : céréale de printemps
année 3 : jachère

À la fin du cycle, on retourne en année 1 et ainsi de suite.

La rotation biennale se pratique sur deux ans ; la rotation triennale sur trois. Il existait des rotations sur 4 ans ou plus. Il a souvent été avancé que la France du Nord pratiquait la rotation triennale alors que le Sud était le domaine du biennal ; parallèlement, on a souvent dit la supériorité technologique du nord sur le sud. Il a pourtant été démontré que les Alpes du Sud comportaient des parcelles cultivées selon un cycle de trois ans [22].

La rotation biennale implique des récoltes limitées : le paysan ne fait qu'une récolte sur deux ans. La rotation triennale représente un réel avantage si elle est pratiquée sur un terroir agrandi. Elle permet une récolte de blé et une récolte d'avoine (par exemple) sur trois ans. Les céréales de printemps offrent un rendement moindre que celles d'hiver, en partie parce qu'elles sont plus fragiles : par conséquent, le système triennal n'offre qu'une récolte et demie en moyenne sur trois ans [23]. L'avoine engraisse surtout le bétail : la rotation triennale augmente donc la productivité de l'élevage et la quantité de fumure. Les semailles du printemps interviennent à un moment de l'année où les paysans n'ont pratiquement rien à faire dans les champs. Le climat méditerranéen et la pauvreté pédologique entravaient l'épanouissement de la rotation triennale (printemps relativement secs défavorables à l'avoine, au millet et aux légumineuses).

Le réel progrès est la culture de plantes légumineuses sur les terres en jachère à partir du XIIIe siècle : la Flandre disposait déjà de nombreuses cultures dérobées [24]. Elles fixent l'azote et évitent l'appauvrissement du sol. De plus, elles nourrissent les animaux.

Dans tous les cycles intervient une année de jachère au cours de laquelle la parcelle n'est pas cultivée afin que sa fertilité se reconstitue naturellement. En réalité, la jachère n'était pas une terre laissée à l'abandon : après les récoltes estivales, elle était parcourue par le bétail qui la nettoyait des derniers épis et chaumes. Au cours de la vaine pâture, les animaux déposaient leurs déjections qui enrichissaient le sol. Plus tard dans l'année, la jachère subissait un labourage intensif afin de nettoyer et d'aérer la parcelle. On ajoutait de la marne et des fumures. Enfin, le hersage préparait la terre pour le cycle suivant.

La rotation des cultures était pratiquée dans tout l'Occident médiéval selon des modalités très diverses [25].

La vie des paysans

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Un travail cyclique

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Le travail des paysans est d'une grande variété selon les saisons. La période creuse (entre novembre et mars) s'oppose aux grands travaux agricoles des autres mois. Les occupations étaient conditionnées par le climat et réglées par le temps liturgique et les contraintes communautaires.

  • janvier : le mois de Janus, dieu à deux visages qui regarde l'un vers l'année passée, l'autre vers l'année avenir. Les paysans et les bêtes sont rentrés au chaud
  • février : épandage du fumier dans les champs
  • mars : labour et semaille
  • avril
  • mai : semaille du millet
  • juin : fenaison à la faux ; tonte des moutons
  • juillet : moissons à la faucille
  • août : moissons à la serpe par les femmes ; battage au fléau par les hommes et des hommes s'occupent d'ôter les surplus (balle) avec 1 tamis en se mettant dans un courant d'air et on emmène la paille et le blé sur des bœufs ; stockage
  • septembre : vendanges, travail dans les vergers
  • octobre : glandée, engraissage des porcs dans la forêt ; vendanges ; labours, semailles des céréales d'hiver
  • novembre : préparation du bois de chauffage, des réserves de nourriture pour passer l'hiver ; labours, semailles des céréales d'hiver
  • décembre : abattage des porcs

Fêtes et loisirs paysans

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  • Veillée en hiver
  • Pâques : sacrifice de l'agneau
  • Rogations : temps de pénitence et de bénédiction des récoltes
  • Feux de la Saint-Jean (24 juin)

Mutations des espaces ruraux

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Haut Moyen Âge

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Moyen Âge classique

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Les grands défrichements

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Scène de défrichement. Tapisserie de Bayeux, XIe siècle
  • Causes et chronologie

La toponymie donne des signes de ces grands déboisements : « essarts » (sens général), « artigue » (Sud-Ouest de la France), « villeneuve », « sauveterre », « bordes »... Certains noms de villages se terminant par « -dorf », « -feld », « -rode » révèlent des actions de défrichement. Dans le sud de la France, les toponymes bastide, bastidons, bastidonne peuvent correspondre à des établissements fondés lors de défrichements. Pour les historiens, les sources les plus riches sont les textes (par exemple les chartes de défrichements), les apports de la paléobotanique, l'analyse des pollens et des charbons de bois.

De grands défrichements sont attestés dès les années 950 en Flandre et en Normandie mais de nouvelles études montrent que dès l'époque de Charlemagne, la forêt a reculé en Occident, tout particulièrement en Catalogne. La forêt méditerranéenne a été par ailleurs fortement entamée dès l’Antiquité ; toutefois, de nombreux établissements sont datés de la fin des XIIe et XIIIe siècles.

Il faut tenir compte du fait que l'ager, les terres cultivées, peut reculer rapidement en cas d'abandon (en l'espace d'une génération). En ce cas, l'avancée de la forêt ou son recul dépendent généralement de la pression démographique.

Les déboisements semblent se ralentir dès le milieu du XIIe siècle en Normandie et dans le Haut-Poitou. Mais ce ralentissement est plus tardif dans le Bassin Parisien (1230-1250) et les plaines germaniques (vers 1340).

Les principales causes des défrichements sont la forte croissance démographique des XIe-XIIIe siècles et les progrès techniques (utilisation croissante du fer). Il faut aussi noter que lorsque les défrichements battent leur plein, c'est-à-dire vers l'an mil, ceux-ci s'inscrivent dans une période où les invasions sur le territoire franc ont cessé et où les conditions climatiques se sont améliorées. Ces différents facteurs donnent aux hommes une certaine confiance en l'avenir et leur permettent ainsi d'envisager de grandes entreprises de défrichement. Cette vision d'un futur plus propice peut être, dans une certaine mesure, à l'origine de la croissance démographique ou, du moins, en être un stimulateur.

  • Les types de défrichement
    • Élargissement de terroirs existants

Ce type de défrichement est le fait d'ermites, de charbonniers et de paysans qui agissent de manière spontanée et isolée. Ce phénomène est très difficile à décrire faute de sources suffisantes. Il se pratique par grignotement progressif et régulier de la forêt, à la marge des terres cultivées. On estime cependant qu'il contribue pour une part importante aux grands défrichements.

    • Création de terroirs neufs

À l'initiative des seigneurs et des villes (en Italie par exemple), de nouvelles terres agricoles sont mises en valeur : il faut alors couper et brûler la forêt qui souvent entoure le village. Le seigneur laïc ou ecclésiastique pourra ainsi prélever de nouvelles redevances sur les nouvelles terres. Parfois, un seigneur laïc s'associe avec un seigneur ecclésiastique (abbé, évêque) pour créer de nouveaux terroirs : ils signent un contrat de pariage ou de paréage ; Les moines, à la recherche de lieux en marge du monde « civilisé » ont été à l'origine de nombreux défrichements durant tout le Moyen Âge : dès le IXe siècle, en Auvergne, la fondation de l'abbaye de la Chaise-Dieu fait reculer la forêt avec la création de clairières. Les Cisterciens, en particulier, défrichent de nombreuses terres : les « granges » sont des systèmes d'exploitation agricole confiés au travail des frères convers, qui ne sont pas astreints aux obligations spirituelles des autres moines. Les défrichements ont aussi accompagné les opérations de colonisation en Europe : la colonisation germanique vers l'est du continent a été assurée en partie grâce aux hôtes : ce sont des paysans qui s'implantent dans une nouvelle région et auxquels le seigneur donne une terre à défricher. Le seigneur promet des avantage aux nouveaux venus, comme des redevances limitées et l'exemption des corvées. Lors de la Reconquista (reconquête chrétienne sur l'Espagne musulmane), de grands défrichements eurent lieu pour installer la nouvelle population.

  • Disparition totale de la forêt au Moyen Âge ?

Il serait caricatural de dire que les grands défrichements des XI-XIIIe siècles ont fait complètement disparaître la forêt. En montagne, la forêt résiste mieux qu'ailleurs ; la forêt offre un complément important dans l'alimentation médiévale : on y emmène les porcs pour la glandée, on y récolte des baies, des champignons et du miel. Dès le XIIIe siècle, les seigneurs fonciers, souvent propriétaires de la forêt (réserve) réagissent et tentent de protéger la forêt. L'organisation et la réglementation des espaces forestiers se fait dès le XIIe siècle : droits de pacage, droits d’usages (ramassage du bois, chasse par exemple) sont fixés.

  • Les défrichements s'arrêtent ... Car la forêt est indispensable à la vie quotidienne ; on s'est rendu compte que certaines terres défrichées sont médiocres et donnent de faibles rendements. Avec les crises du XIVe siècle (déclin démographique provoqué par la peste noire et la Guerre de Cent Ans), la forêt regagne du terrain, surtout en Europe orientale. Les grands défrichements du Moyen Âge central restent un des symboles de l’expansion de l’Occident (colonisation germanique, Espagne).

De nouveaux paysages

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    • L'incastellamento

Mis en évidence par Pierre Toubert, d’abord dans le Latium puis en Languedoc, il désigne l'habitat perché méditerranéen autour d'un château et d'une église. Les terres cultivées s'organisent en auréoles concentriques autour du village.

    • Genèse de l’openfield au nord-ouest de l'Europe

Elle a lieu à partir du XIe siècle, et prend la forme de champs ouverts au XIIIe siècle, disposés autour d'un village central. L'assolement triennal et un parcellaire particulier s'impose un peu partout dans cette région.

    • Le bocage

Dans des régions à sols pauvres (îles Britanniques, Massif Armoricain, Allemagne du nord) le bocage témoigne d'un certain individualisme agraire. On y pratique surtout l'élevage.

    • Nouveaux villages du Sud-Ouest français

De nombreux établissements sont datés du XIIIe siècle ; on les appelle : sauvetés, castelnaux, bastides

Fin du Moyen Âge

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Références

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  1. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 13.
  2. Laure Verdon, Le Moyen Âge, Paris, Le Cavalier Bleu, 2003, page 10.
  3. Article "famine" du Dictionnaire du Moyen Âge, page 516
  4. Monique Bourin-Derruau, Temps d'équilibres ..., page 12
  5. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 25.
  6. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 13.
  7. Article "céréaliculture" du Dictionnaire du Moyen Âge, pages 239-240.
  8. Article "céréaliculture" du Dictionnaire du Moyen Âge, pages 239-240.
  9. Monique Bourin-Derruau, Temps d'équilibres ..., page 95.
  10. Fernand Braudel, Civilisation matérielle ..., tome 1, page 119.
  11. Article "céréaliculture" du Dictionnaire du Moyen Âge, pages 239-240.
  12. Fernand Braudel, Civilisation matérielle ..., tome 1, page 116.
  13. Article "céréaliculture" du Dictionnaire du Moyen Âge, pages 239-240.
  14. Fernand Braudel, Civilisation matérielle ..., tome 1, page 110.
  15. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 25.
  16. Article "élevage" du Dictionnaire du Moyen Âge, pages 472-473.
  17. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 26.
  18. Article "cheval" du Dictionnaire du Moyen Âge, page 282.
  19. Article "cheval" du Dictionnaire du Moyen Âge, page 282.
  20. Article "forêt" du Dictionnaire du Moyen Âge, page 546.
  21. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 38.
  22. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 42.
  23. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 44.
  24. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 46.
  25. Samuel Leturcq, La vie rurale ..., page 39.

Bibliographie

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  • Samuel Leturcq, La vie rurale en France au Moyen Âge, Paris, Colin, 2004.
  • Monique Bourin-Derruau, Temps d'équilibres, temps de ruptures, Paris, éditions du Seuil, 1990.
  • Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 : articles "famine", "céréaliculture", "élevage" ...
  • Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme (XVe - XVIIIe siècles), trois tomes, Paris, Armand Colin (livre de poche), 1979