Goélette Cardabela/Le germe

Je ne connaissais pas la mer, je n'avais jamais navigué, c'est ce germe ...

Ça m'a pris lors de la visite du premier « Salon de la navigation de plaisance » en 1962 ou 63. Cela se passait à La Défense, au CNIT tout neuf, dans la banlieue ouest de Paris.
J'étais alors étudiant et avec mon ami Philippe. nous traînions nos souliers dans les avenues de Paris. Philippe avait obtenu des entrées gratuites pour ce premier salon sans quoi nous ne l'aurions jamais visité ...

Les chapitres qui suivent décrivent les évènements, sur plusieurs années, qui m'ont conduit à la construction de la goélette Cardabela.

Le germe (au sens du cristal)

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Mon ami Philippe et moi avions été impressionnés par ces grandes coques en polyester, nous avons visité quelques belles unités, puis nous avons visité des unités plus modestes.
Le Corsaire, petit voilier à bouchains de cinq mètres cinquante, m'avait paru très facile à construire; quelques plaques de contre plaqué, un peu de colle, ... facile !
Dès cet instant le germe était là et ne m'a jamais quitté, il ne demandait qu'à grossir.

La frustration

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1967, année spéciale de par la naissance de ma fille Nathalie, je reçus une piqûre de rappel, le germe ... C'était pendant les vacances d'été ...

 
Vaurien dinghy

Nous passions par Toulouse et nos amis Christian et Annick avaient improvisé un pique-nique au bord d'un étang où mon ami disposait d'un petit voilier, un 4.70; je crois. Mais ce voilier était tout neuf et je n'ai pu QUE le voir; cet ami a fait un petit tour à la voile, me laissant sur le bord ! Inutile de préciser ma frustration ...

Les années de réflexion

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Les années 68 et 69 ont été très occupées par les incertitudes universitaires et par la naissance de ma seconde fille Michèle, le germe est toujours là et il grossit petit à petit tant et si bien que pendant l'année universitaire 1970-71 j'étudie l'hydrodynamique pour comprendre et envisager une construction personnelle et bien ciblée. Pour minimiser ma frustration je me résous à acheter un « Vaurien » que j'aurai juste le temps de vernir avant le « Salon de la navigation de plaisance » de 1972.

La chance, le Challenger Scout

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Avec mon épouse nous visitons le Salon de 1972. Je suis alors très excité par les voiliers en résine polyester car le bois perd peu à peu de son intérêt au vu de la grande facilité apparente de la mise en œuvre du polyester, qui a aussi l'avantage d'un entretien annuel minimal. Cependant il y a une grande incertitude sur la stabilité de la résine. Nous discutons de tout cela avec un vendeur et vu mon enthousiasme il me propose un Challenger Scout neuf malgré mes poches vides. Le vendeur qui vient de monter une affaire à La Grande Motte dispose d'un grand hangar encore vide. Nous achetons finalement cette unité en copropriété et le bateau sera à mon nom. Le contrat verbal est une mise à disposition du voilier à sa société, hors vacances, pour assurer les ventes. Nos salaires permettaient une gestion assez serrée et nous n'avons pas obtenu le prêt bancaire, notre associé s'est alors substitué à la banque et nous l'avons remboursé petit à petit.
C'est ainsi, grâce à ce grand geste commercial et à la gentillesse de ce directeur, que nous avons obtenu un magnifique voilier à La Grande Motte dès juillet 1972.

Nos premières navigations ont été excitantes avec « ORPHEE »; à la première sortie en mer personne ne voulait m'accompagner, j'ai préparé le bateau, puis j'ai mis le moteur hors bord de 4 cv 'Tomos en marche. Mes jambes « flageolaient », je suis sorti du port au moteur, il y avait un tout petit peu de houle, j'ai mis le bateau face au vent comme décrit dans le livre des Glénans et arrêté le moteur, puis j'ai hissé les voiles; tout cela avec une certaine incertitude sur le résultat final. Quel bonheur ensuite à la voile, tout ce que j'avais appris et compris dans les livres marchait à merveille. Quel merveilleux bateau ce « Challenger Scout » pour apprendre à naviguer. En revanche le moteur était une catastrophe à l'arrivée au quai avec du vent, car il n'y avait pas de marche arrière ! Ce hors bord deux temps avait aussi un gros problème de calaminage, il fallait changer et nettoyer les bougies toutes les deux heures, dès que la bougie rendait l'âme, et aussi effectuer un décalaminage de l'échappement toutes les 50 heures.

Les rencontres fructueuses

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C'est au cours de ces premières navigations que je fis connaissance de Jean-Paul et Henry, constructeurs amateurs de deux bateaux en acier à St Christol les Ales. Nous sommes évidemment devenus amis et nos discussions furent providentielles, j'ai compris combien la place et l'accessibilité du moteur était importante, que l'effet pendulaire d'un réchaud à gaz peut être dangereux , bref, tout ce qui est important dans la conception. La revue de Loisirs Nautiques commençait à paraître avec des dessins et des conseils.

Ce qui était important ne l'était plus ...

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En 1973 nous avons dû mettre le voilier en location et travailler pour Marine Loisirs pendant les vacances d'été afin d'accélérer le remboursement du Challenger Scout.

Je fus muté à Montpellier en décembre 1973, je me rapprochais de La Grande Motte où nous avons acheté un appartement, mais en janvier 1974 tout allait mal; sans doute à cause de l'amiante de Jussieu associée à l'exposition sur la plage pendant l'été, je suis entré à l'hôpital pour 5 semaines avec la chance de m'en être tiré à bon compte. Le médecin de La Grande Motte m'avait gardé au domicile trop longtemps avec une fièvre de cheval et sous antibiotique à forte dose. Pendant mes trois mois de convalescence j'ai pu réfléchir au simple fait d'exister, au travail, à l'argent ... au bateau, et ce désir de vivre autrement ... Dès la fin de la convalescence je n'ai plus vécu de la même façon. Ce qui était important avant ma convalescence ne l'était plus ... Mon épouse n'a plus rien compris ...

Un problème familial et la Corse

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En 1975 le Challenger Scout était enfin payé. Pour profiter du voilier j'avais organisé une traversée vers la Corse avec des collègues de travail.
En attendant, mon épouse, mon collègue Francis et moi avons accompagné d'autres collègues sur le début du sentier de randonnée GR20. Nous devions ensuite descendre l'ouest de la Corse en bateau, l'est de la Sardaigne et revenir par les îles Baléares. À Bonifacio, à la sortie de la bouche, ORPHEE a pris une rafale de vent et s'est brièvement couché, presque à l'horizontale, nous n'avons pas embarqué d'eau, la voile n'a même pas touché la mer. Ce fut la fin des vacances pour mon épouse qui a été prise de panique; elle a cependant accepté le transport en voilier jusqu'à Bastia pour rentrer à la maison. Devant Bastia, orages, foudre, tout autour de nous. Mon épouse n'est plus jamais remontée sur le bateau !

Il fallait dès cette année 1975 envisager de naviguer seul ... Ce fut sans doute un prélude à une fin conjugale

Une croisière ratée

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En 1976, dès la traversée vers la Corse, après Porquerolles, la houle d'ouest et un vent annoncé de force 9 dans le golfe de Gênes m'ont contraint à l'abandon. J'ai ramené le voilier à La Grande Motte puis j'ai rejoint la famille et les amis en Corse avec les moyens de transports habituels, en train et par bateau. Nous avons marché sur la partie nord du sentier GR20 depuis les environs de Calenzana jusqu'à Corte avec des enfants de 9 et 10 ans qui en ont gardé le souvenir de la dureté et du plaisir à marcher en montagne. Aujourd'hui ils goûtent à ce plaisir avec leurs propres enfants. Mon épouse a malheureusement transmis la peur en mer à mes enfants et je n'ai pas le plaisir de les avoir à mon bord en dehors des escales ...
Pendant mon absence il s'est passé des évènements inacceptables pour moi.

Vivre autrement

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En 1977 je décide de naviguer jusqu'en Grèce. Cela commence par une navigation en solitaire de La Grande motte jusqu'à Porto Canale de Fiumicino, près de l'aéroport de Rome, où des amis doivent me rejoindre. Je téléphone sans succès à mes amis et je ronge mon frein pendant près d'une semaine ! Je les reçois durement, très mécontent de rater la Grèce au vu du temps nécessaire pour contourner le sud de l'Italie. Nous nous contenterons de visiter les îles Pontines.

Au retour, déménagements et changement de vie, nous mettons notre appartement en location.

C'est parti pour la construction de la goélette CARDABELA

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Pré-étude des couleurs de coque

Dès la fin de ma convalescence en 1973 j'avais commencé à dessiner des bateaux; j'envisageais une construction en acier, c'était la mode, et j'avais conçu un plan acier à bouchains de 11 mètres. Je n'ai jamais trouvé de lieu pour cette mise en chantier. Pendant l'hiver 77-78 Mon amie Catherine se joint à moi dans cette aventure. Elle a choisi la couleur « bleu Atlantide » pour la coque qui est devenue la couleur caractéristique de la goélette CARDABELA. J'étudie alors la faisabilité d'un sloop de 13 mètre 60 en polyester avec des bouchains très arrondis et, mettant à profit l'expérience de Jean-Paul d'Ales, j'achète à un constructeur amateur un moteur Indenor XDP85 d'occasion qu'il faut aller chercher dans la grande banlieue est de Paris. Ce fut une arnaque ! Oui mais ça y est, c'est le début d'une construction. Mon collègue Pierre me propose le bas de son terrain dont il ne fera rien les trois prochaines années, j'accepte cette proposition, et je dépose le 8 novembre 1978 une Déclaration de mise en chantier d'un navire à l'antenne de Palavas des Affaires Maritimes de Sète. Avec mon ex-épouse on vend l'appartement de La Grande Motte et je commande les rouleaux de fibre de verre, du roving-mat 800/300 qui encombre vite le petit studio de Montpellier que nous a sous-loué un ami.

L'abri, la serre, la menuiserie

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Ce n'est pas si simple avec les administrations. Je dois construire sous abri et j'envisage la construction d'une serre à petit budget; mais voilà, il y a la guéguerre dans les villages et le maire conseille à mon hôte de déposer une Demande de permis de construire (la serre). Cette serre sera démontable en moins de 48 heures, je fais les plans et dépose la demande. La construction de la serre commence pendant les vacances de Pâques, elle sera terminée et couverte pour les vacances d'été. Nous sommes en 1979.


Épilogue

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Voilà l'histoire d'une visite au « Salon de la navigation de plaisance » et de ses conséquences. Très vite le sloop conçu au moment de la déclaration de mise en chantier s'est transformé en goélette afin de faciliter les manœuvres en solitaire. La suite est décrite avec des photos dans ces pages :

Chronologie de la construction

En début de l'année 1985 l'ami qui m'avait généreusement prêté son terrain avait vendu la maison qu'il avait construite et le nouveau propriétaire m'avait donné six mois pour rendre le bateau transportable et quitter sa propriété.

Au mois de juin 1985 nous avons transporté la goélette sur l'aire de carénage de La Grande Motte où elle reçut ses premières couches de peinture. Le premier juillet la goélette Cardabela était à l'eau, avec un grand trou à l'arrière, mais « hors d'eau », comme on le dit dans le bâtiment.

C'est donc à flot que j'ai terminé l'arrière pendant l'été et à l'automne, tout l'intérieur restait à aménager.

Ce que j'aurais pu faire en un an au chantier de La Boissière il m'a fallu 10 ans pour faire ce même travail à flot, car il est difficile de jongler entre : y habiter, et y travailler avec des conditions climatiques peu propices à la réticulation des résines.

Cardabela reçut l'autorisation de naviguer en première catégorie de navigation en ce début de 21 ème siècle.

Les essais en mer et la suite se trouvent dans les pages de navigation :

Navigations

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