Cosmologie/Les anisotropies du fond diffus

Le fond diffus capté à l'heure actuelle correspond aux photons émis 380 000 ans après le big-bang environ, sur une sphère centrée sur la Terre : cette sphère est appelée la surface de dernière diffusion. Si on regarde le fond diffus, on peut remarquer que celui-ci n'est pas totalement homogène, avec quelques variations de température assez aléatoires et dispersées appelées anisotropies. Les scientifiques définissent les anisotropies comme toute déviation de la température CMB par rapport à sa température moyenne. Dans une anisotropie, il existe une petite différence de température en pourcentage par rapport à la moyenne du fond diffus, qui est égale à :

Carte du fond diffus cosmologique, qui illustre les anisotropies.

L'origine des anisotropies du CMB modifier

Les anisotropies ont diverses origines, les scientifiques font ainsi la différence entre anisotropies primaires et secondaires. Les anisotropies primaires se sont formées lors du découplage, de petites variations de densité ayant laissé leur trace dans le fond diffus. Les anisotropies secondaires après le découplage, quand la matière des étoiles a interagi avec ce fond diffus (rappelez-vous que la matière est à l'état de plasma dans une étoile, plasma qui interagit fortement avec les photons). Les anisotropies secondaires ne sont pas importantes pour le cosmologiste qui étudie la théorie du big-bang. De plus, ces anisotropies secondaires sont de petite taille, peu visibles sur les résultats actuels (à l'exception des anisotropies formées par effet Sache-Wolfe). On peut donc les omettre sans perdre en généralité.

Les empreintes des perturbations de densité dans le CMB modifier

La formation des anisotropies primaires est liée aux perturbations cosmologiques, à la présence de régions de surdensité ou de sous-densité. Les perturbations de densité se traduisent par des perturbations de température, vu que la densité et la température sont reliées par l'équation suivante :

 

On verra à quoi correspond la variable x plus tard, quand nous aborderons l'effet Sache-Wolfe. Toujours est-il qu'on peut la négliger pour le moment, ce qui donne :

 


Démonstration

On a vu dans le chapitre sur l'évolution du rayonnement que pour le rayonnement :

 
 

Quelques manipulations algébriques donnent le résultat voulu.

L'effet Sache-Wolfe modifier

Les surdensités à l'origine des anisotropies sont des zones où la température est plus élevée qu'alentour, cette différence de température entraînant un surcroît de luminosité. Néanmoins, ce sont aussi des zones où la gravité est plus importante. Or, la relativité générale nous dit qu'un photon qui part d'une zone de forte gravité est décalé vers le rouge. Ce décalage gravitationnel est d'origine gravitationnelle, purement lié à la relativité générale. Cela vient du fait que la gravité, dans la relativité générale, est une déformation de la géométrie de l'espace. On peut simplifier en disant que les distances ne se calculent pas de la même manière dans un champ de gravité qu'en dehors. On peut rendre compte de ce phénomène d'une manière simplifiée (et même fausse) en disant que la gravité entraîne une modification stable du facteur d'échelle, par rapport aux environs (c'est une modification "locale"). En sortant d'un champ gravitationnel, un photon garde la même longueur d'onde comobile, ce qui se traduit par une modification de la longueur d'onde perçue (qui tient compte de la modification locale du facteur d'échelle). La modification fait que la longueur d'onde augmente en "sortant" du champ gravitationnel.

Dans le détail, la différence locale de facteur d'échelle est égale au potentiel gravitationnel  .

 

Du fait de ce décalage vers le rouge, la surdensité semble avoir une température inférieure par rapport à celle qu'elle aurait sans ce décalage vers le rouge. C'est ce qu'on appelle l'effet Sache-Wolfe. Pour résumer, on peut décomposer la température perçue par un observateur lointain comme étant la somme du décalage vers le rouge avec la température locale (sans décalage vers le rouge). En notant   et   les températures perçues et locales, on a :

 

Dans leur article original, Sache et Wolfe ont postulé que la valeur de   était proportionnelle à  . Rien d'étonnant à cela : la température dépend de la densité, qui dépend elle-même du potentiel gravitationnel. Leurs calculs et approximations leur ont donné :  . On peut en faire une démonstration relativement simple, basée sur quelques arguments physiques.

Par définition, on sait que :

 

On a vu dans le chapitre sur les modèles cosmologiques que dans un univers où se mélangent rayonnement et matière, on a :

 

On combine les équations précédentes, on a :

 

On peut alors se demander à quoi correspond le terme  . Il faut savoir que dans un champ de gravitation, le temps s'écoule plus lentement : c'est le phénomène de dilatation des durées. La relativité générale nous dit que ce ralentissement du temps est approximativement proportionnel au potentiel gravitationnel. Autrement dit :  . En combinant les deux équations précédentes, on a :

 

En supposant que la matière domine au fond diffus, on trouve :

 

En injectant dans l'équation précédente, on trouve :

 

Ce qui se simplifie en :

 

Le spectre de puissance du fond diffus modifier

La taille des anisotropies a beaucoup de choses à nous dire concernant la courbure de l'univers, le rapport entre masse visible et énergie noire, et ainsi de suite. Pour comprendre pourquoi, il faut faire appel à ce que l'on appelle le spectre de puissance du fond diffus. Pour rappel, la surface de dernière diffusion est une sphère. La localisation d'un point sur cette sphère demande d'utiliser un système de cordonnées avec : un méridien et un équateur : on peut alors déterminer une latitude et une longitude pour chaque point, celles-ci permettant de localiser le point sur la surface de la sphère. Tout point du fond diffus est donc identifié par une longitude   et une latitude  . En chaque point, l'intensité de la lumière qui compose le fond diffus varie, à cause de différences de température liées aux anisotropies. Les scientifiques cartographient le fond diffus en notant pour chaque point, la différence de température en pourcentage par rapport à la moyenne du fond diffus :

 
 
Illustration de quelques harmoniques sphériques.

Les différences de température entre chaque point sont causées par des différences de densité et de pression, elles-mêmes décrites par un champ de densité. Il y a quelques chapitres, nous avions vu que le champ de perturbation peut se décrire comme la somme de plusieurs champs de densité d'amplitudes différentes. En effet, un théorème très utilisé en physique, le théorème de Fourier, nous dit que toute fonction peut être décomposée en fonctions plus simples, de formes sinusoïdales. En additionnant un certain nombre (potentiellement infini) de ces ondes de base, pondérées par un coefficient, on peut obtenir n'importe quelle fonction résultante. Dans le cas du CMB, qui est de forme sphérique, ces ondes simples sont appelées des harmoniques sphériques.

 

Il est possible d'analyser l'amplitude de chaque harmonique sphérique du CMB en fonction de leur fréquence. Il suffit de reporter ces amplitudes sur un graphique, dont l'abscisse donne la fréquence de chaque harmonique, et l'ordonnée son amplitude. Dit autrement, ce graphique donne l'amplitude de chaque anisotropie en fonction de sa taille : telle anisotropie d'une taille de quelques kilomètres aura une amplitude de tant, telle anisotropie plus grosse aura une amplitude de température plus élevée, etc. Le tout est ce qu'on appelle le spectre de puissance du CMB. Le résultat donne la figure suivante, bien connue des cosmologistes :

 
Spectre de puissance du CMB.

Le spectre de puissance du CMB peut se déduire des développements des chapitres précédents. Pour résumer rapidement les chapitres précédents, les perturbations ont évolué de deux manières différentes en fonction de leur taille. Les grosses perturbations sont restées figées si on les regarde en coordonnées comobiles, ce qui signifie qu'elles ont grossi en même temps que l'expansion. Dans le chapitre où nous avions introduit le concept de spectre de puissance, nous avions vu que pour de telles perturbations, le spectre de puissance était décalé par l'expansion et que les amplitudes étaient multipliées par un coefficient dépendant du temps, mais le spectre de puissance n'était pas déformé. À l'inverse, pour les petites longueur d'onde, les oscillations acoustique modifient le spectre de puissance et forment des pics assez visibles.

Le plateau de Sachs-wolfe modifier

Comme dit plus haut, les grosses perturbations n'évoluent plus et ne sont affectées que par l'expansion, elles restent figées en coordonnées comobiles. Leur spectre de puissance est assez stable et ne montre pas de pics particuliers, vu qu'il n'y a pas de taille prépondérante pour de telles perturbations. Il n'y a pas de longueur caractéristique qui se démarque. Le spectre de puissance, dans cette portion, suit une loi de puissance.

La taille minimale de ces perturbations se dérive à partir du calcul de l'horizon sonore, la distance à partir de laquelle les oscillations acoustiques n'ont pas d'effet. Pour une distance angulaire inférieure à 100 (l < 100), on est certain que les deux points étudiés sont séparés par une distance supérieure à l’horizon sonore. Précisons que cette distance angulaire tient compte de l'effet Sachs-Wolfe. On est donc certain que les oscillations acoustiques de baryons n'ont pas pu agir dans cette région du spectre, pas plus que les autres phénomènes. Seules les fluctuations primordiales ont laissé leur trace dans cette région du spectre. Le spectre initial de ces fluctuations a été perturbé par l'effet Sachs-Wolfe, ainsi que par des parasites liés aux anisotropies secondaires. Sur le spectre, on voit que cette région est relativement plate et se trouve juste avant le premier pic. Ce qui lui a valu le nom de plateau de Sachs-Wolfe.

Les pics du CMB modifier

Lorsqu'on observe le spectre de puissance du CMB, on observe la présence de plusieurs pics à certains endroits. Les mathématiques nous disent que ces pics sont localisés à des fréquences bien précises, multiples d'une fréquence dite fondamentale. Les pics sont situés respectivement à la fréquence fondamentale pour le premier pic et aux harmoniques pour les suivants. On observe plusieurs de ces pics sur le CMB, dont l'amplitude nous renseigne sur certains paramètres, comme la courbure ou le rapport entre masse visible et matière noire. Les deux premiers sont déterminés par la taille des oscillations acoustiques de baryons, alors que ce n'est pas le cas des suivants.

Le premier pic donne des indications sur la fréquence fondamentale des ondes sonores, qui est liée à la courbure de l'univers K. Précisément, la fréquence fondamentale correspond à une surdensité dont l'extension était maximale au moment du big-bang, et qui s'est compressée avant le découplage. Au moment du découplage, celle-ci a atteint sa compression maximale et s’apprêtait à se détendre. La fréquence fondamentale ayant l'amplitude maximale, sa longueur d'onde est donc égale à l'horizon sonore. Depuis, cet horizon sonore a gonflé du fait de l’expansion de l'univers, ce qui se traduit par une diminution de sa taille. La fréquence fondamentale actuelle est tout simplement le rapport entre distance de la surface de dernière diffusion et rayon de l'horizon sonore. L'analyse du premier pic donne une courbure nulle.

Le second pic correspond au double de la fréquence fondamentale, qui correspond à une surdensité qui a eu le temps de faire une période complète entre le big-bang et le découplage. Il donne des indications sur la quantité de matière baryonique, à savoir formée de protons et de neutrons (en réalité, de baryons, des particules composites formées de quarks et gluons). Cela vient du fait que la valeur moyenne des ondes sonores vaut, comme on l'a vu plus haut :  . Le rapport entre densité de matière baryonique et de rayonnement modifie la valeur de R, et donc la valeur moyenne. Pour comprendre le mécanisme exact, rappelons que la fréquence des oscillations dépend de la différence entre pression et gravité dans les surdensités. La pression dépend essentiellement de la pression de radiation, mais pas du tout de la pression de la matière baryonique. La gravité par contre, dépend autant de la matière baryonique que du poids du rayonnement. Sans matière baryonique, les amplitudes des compressions et décompressions devraient être égales, symétriques par rapport à la valeur moyenne. Si on ajoute de la matière baryonique, l'amplitude maximale (des décompressions) reste la même, vu qu'elle dépend surtout de la pression de radiation. Mais l'amplitude maximale des compressions est amplifiée par le poids de la matière baryonique. Les amplitudes sont alors inégales, plus amples pour les compressions. Ainsi, le rapport entre matière baryonique et rayonnement influence l'amplitude des ondes sonores, ce qui se remarque dans le spectre de puissance, sur le second pic.

Les pics après le troisième sont quelque peu atténués. Pour comprendre pourquoi, il faut se rappeler, les ondes sonores se propagent par des collisions entre particules. Avant et au moment de la recombinaison, les photons et autres particules avaient un temps de libre parcours moyen très élevé. Dans les unités de distance actuelle, le libre parcours moyen serait de 10 000 années lumières. Il va de soi que sur le CMB actuel, les ondes sonores dont la longueur d'onde est plus petite sont atténuées. Vu que seule une portion des particules a pu entrer en collision, les particules n'ont pas eu le temps de transmettre totalement l'onde sonore par collisions. Cela en réduit l'amplitude. La région du spectre dans laquelle se manifeste cet effet, localisée pour des longueurs l tels que l > 1000, est appelée la queue amortie.

En savoir plus modifier