Aspects épidémio-cliniques de la Drépanocytose
Épidémiologie
modifier- Première maladie génétique la plus répandue dans le monde
- 1 drépanocytose homozygote pour 1200 naissances
- 3 fois plus fréquente que la mucoviscidose
- En Afrique Noire: 1 /65 naissances
- Aux Antilles: 1/260 naissances
- La drépanocytose est également présente dans toute l ’Amérique du Sud, autour du bassin méditerranéen, et en Inde.
- Espérance de vie en 1994: 45 ans
Un peu de science...
modifierGÉNÉTIQUE
- Deux gènes ß hémoglobiniques s’expriment à égalité, l’un de provenance paternelle, l’autre d’origine maternelle.
- 3 génotypes majeurs: AA homozygote normal, AS hétérozygote asymptomatique, SS homozygote = drépanocytaire malade.
- Des hétérozygoties composites: SC, Sßthal, SD punjab, SO arab, conduisent aussi à un syndrome drépanocytaire symptomatique. Le diagnostic biologique doit être confié à un laboratoire spécialisé.
- La transmission est mendélienne (gène autosomique récessif), et le risque d’atteinte des enfants est facile à prévoir en fonction du génotype des parents
PHYSIOPATHOLOGIE
- L’HBs est un tétramère de globine dont les deux globines bêta sont anormales. Le 6ème acide aminé (a.glutamique) est substitué par une valine, ce qui change la conformation spatiale de l ’Hb.
- À l’état oxygéné, cette Hb ne peut pas polymériser, mais elle le peut dans certaines circonstances, notamment en cas de baisse de la pO2, d’acidose, de déshydratation ou d’élévation de la température
- Certains variants de l’HbA s’intercalent également dans la chaîne de polymérisation.
- L’HbS polymérisée a une très faible affinité pour l’O2
Synthèse de l’HbS et de l’HbF
- À la naissance, l’enfant HbS homozygote a 80% d ’HbF (comme l’enfant normal). Il ne risque pas de polymériser. À partir de 3 mois, une hémolyse partielle se produit, induisant le maintien relatif de l ’HbF: à 1 an, l’enfant drépanocytaire a encore 20% d’HbF, contre 3% pour l’enfant HbA.
- La substitution de l’HbF par l’HbS n’est complète que vers 5 ans.
- Le risque de polymérisation dépend donc du taux d ’HbF global, et surtout du taux d’HbF par hématie: celui ci varie d’un GR à l’autre.
- Une hématie qui contient plus de 20% d ’HbF ne peut pas polymériser.
RHEOLOGIE ET MICROCIRCULATION
- La polymérisation entraîne une diminution extrême de la déformabilité des hématies. Initialement réversible, elle cesse de l’être au bout de quelques cycles poly/dépoly, et entraîne alors une falciformisation des hématies.
- Il en résulte un risque majeur d’accident vaso occlusif
- Ce risque est plus important des les tissus à vascularisation terminale et la moelle osseuse (incluse dans une structure rigide)
- Les organes qui fonctionnent à basse pO2 sont plus exposés: rate, rétine, médullaire rénale, muscle en exercice.
La drépanocytose de trois mois à cinq ans
modifierDrépanocytose: diagnostic clinique de 3 mois à 5 ans
- Premiers signes entre 6 et 18 mois:
- Anémie hémolytique régénérative, bien supportée: 6 à 9,5 g/dl
- Splénomégalie avant 5 ans, puis disparaît ensuite (involution de la rate par crises vaso-occlusives: asplénie fonctionnelle majorant le risque infectieux).
- Les douleurs abdominales ou osseuses sont rares à cet âge
- Dactylite: gonflement douloureux et fébrile des extrémités (crises vaso occlusives osseuses, CVO)
Drépanocytose: complications : de 3 mois à 5 ans
Deux complications majeures:
- Les infections, fréquentes et graves: pneumopathies bactériennes, ostéites, méningites, septicémies
- La séquestration splénique aiguë: succédant à une infection banale, douleur abdominale, choc, troubles de la conscience, splénomégalie douloureuse constante. Impose la splénectomie.
La drépanocytose de 5 à 20 ans
modifierClinique Symptôme dominant : crises vaso occlusives
- Suite facteur favorisant ou spontanées
- Douleur intense, s’accentue en 30 à 60 min, dure de quelques heures à 10 jrs (moy 3 jours)
- sièges préférentiels: abdomen, métaphyses des membres.
Biologie
- Hémolyse: élévation des réticulocytes et de la bilirubine libre.
- L ’haptoglobine est tjs effondrée, la VS basse: il faut se fier à la CRP.
- Une hyperleucocytose est fréquente en crise (même sans infection), elle doit disparaître en inter-crises.
- L’élévation de la LDH et l’absence d’élévation des réticulocytes fait craindre une nécrose médullaire étendue
- Anémie
- Retard pubertaire de 2 à 3 ans. Taille finale normale, poids souvent faible
Facteurs favorisant les crises vaso-occlusives
- déshydratation
- acidose (néphropathie, aspirine)
- diabète
- effort musculaire anaérobie
- hyperthermie, infection
- hypoxémie, trouble ventilation, asthme
- HTA
- grossesse
- troubles psychiques, tabac, alcool, haschich
- exposition au froid
- garrot
- compression segmentaire
- voyage en avion
- anesthésie générale
- séjour en altitude
Complications
- Le risque infectieux (pneumopathies++) persiste à un degré moindre
- Crises vaso-occlusives graves: AVC, priapisme (40%), intermittents (quelques minutes à une heure) ou aigus (plus de 3 heures)
- Lithiase biliaire (en rapport avec l’hémolyse). Souvent asymptomatique, la chirurgie doit se discuter en fonction du risque vaso-occlusif et avant pose de matériel orthopédique (éradication d’un foyer infecté potentiel)
Les atteintes oculaire, auditive, cardiaque et rénale sont rares à cet âge
La drépanocytose après 20 ans
modifierClinique
- Les crises vaso occlusives sont plus rares
- Développement d’atteintes dégénératives:
- rétinopathie proliférative, imposant un dépistage systématique
- myocardiopathie et insuffisance cardiaque: HVG et hyperdébit sont constants. HTAP fréquente. Risque d ’IVD
- insuffisance rénale: hyperuricémie, acidose métabolique
- syndrôme restrictif pulmonaire
- insuffisance hépatique
- ostéo arthropathie
- ulcères chroniques de jambe
- Dyspnée par anémie
- Ictère (hémolytique)
Complications
- Séquelles des accidents de l’enfance:
- AVC, paralysies,
- impuissance (priapisme),
- Complications iatrogéniques, notamment des transfusions: hépatites, allo immunisation, séroconversion VIH, VHC, hémochromatose.
- Syndromes thoraciques aigus (douleur thoracique, fièvre, infiltrat radiologique) que l’infection n’explique que dans 20% des cas (infarctus locaux, hypoventilation par infarctus costaux, embolies pulmonaires graisseuses en provenance d’infarctus ostéo médullaires),
- Nécrose aseptique de la tête fémorale: douleurs durant plus de 15 jours, boîterie,
- Nécrose aseptique des condyles fémoraux,
- Arthrites aseptiques, notamment des genoux (épanchement articulaire fébrile aseptique, liquide faiblement cellulaire). Mécanisme discuté, évolution favorable en quelques jours (AINS, repos, antalgiques). La ponction est indispensable pour éliminer une cause infectieuse.
- Infections urinaires
Diagnostic biologique de la drépanocytose
- La drépanocytose homozygote de l’adulte donne constamment une anémie microcytaire régénérative hémolytique. Les hématies falciformisées peuvent être observées sur le frottis
- L’hématocrite moyen est bas : 25% environ
- L’unique examen biologique qui confirme la drépanocytose est l’électrophorèse de l’hémoglobine qui précisera l’état homozygote (SS = drépanocytaire) ou l’état hétérozygote (porteur sain = trait drépanocytaire, asymptomatique)
- Laboratoires où peut se faire l’électrophorèse de l’hémoglobine : Actuellement, à notre connaissance, pour tout Madagascar, trois laboratoires :
- Institut Pasteur de Madagascar, Avaradoha, Antananarivo
- Laboratoire de Biologie Médicale, Faravohitra, Antananarivo
- Service de Biologie HJRA, Ampefiloha, Antananarivo.
Le prix varie entre 16 200 Ar à 35 000 Ar, le résultat s’obtient en une semaine environ. Il existe des variants complexes (doubles hétérozygotes) qui se détectent par une "analyse de l'hémoglobine"
- Différentes formes génétiques existent
- Le test de falciformisation n’est plus utilisé
Le dossier de consultation
Les éléments qu'un bon dossier de consultation devrait contenir sont les suivants:
- Entretien:
- stabilité de la dyspnée, du poids, de l’ictère
- existence d’épisodes fébriles ou vaso occlusives.
- priapismes
- troubles neurologiques transitoires
- retentissement sur les activités scolaires, professionnelles, le sommeil, la vie psy
- surdité, vertiges
- Examen clinique:
- poids, taille
- pâleur, auscultation cardiaque,
- intensité de l’ictère
- taille de la rate, du foie
- signes d ’IVD
- TA (HTA= risque de complications)
- recherche de foyer infectieux: dents, pharynx, peau, biliaire, génital
- rechercher des petits troubles annonciateurs d’infarctus graves:
- déficit vue, audition, goût, parésies, priapismes intermittents, hématurie
- Les autres données du dossier
- génotype (homozygote, SC, Sßthal..)
- données bio intercritiques usuelles (Hb, VGM, TCMHb, réticulocytes, taux d ’HBs et F)
- sérologies virales (VIH, VHB, VHC, HTLV1...)
- complic. organiques en cours de Traitement
- calendrier des vaccinations
- T3 au long cours (acide folique, vitamines, antalgiques, zinc, Magnésium)
Surveillance biologique du drépanocytaire
- Pas de NFS mensuelle systématique: les données de base sont stables
- bandelette urinaire systématique: protéinurie, hématurie
- en cas d’asthénie intense: NFS, plaquettes, réticulocytes, ferritine
- en cas d’ictère accentué: bilirubine, transaminases, gama GT, LDH
- recherche d’un syndrôme inflammatoires: doser la CRP et le fibrinogène (VS tjs basse)
- en cas de syndrôme infectieux: bilan infectieux habituel
Prévention des crises
- Répéter +++ les messages
- bonne hydratation:
- 50 ml/kg/j (ranon’ampango, thé, eau potable : de l’eau purifiée par Sur’Eau*) adapter si fièvre, vomissements, diarrhée
- boire régulièrement, même en classe
- traiter la fièvre
- Eviter l’hypoxémie relative:
- Éviter les ralentissements circulatoires:
- postures sténosantes (jambes croisées, bras sur le rebord d’une chaise…)
- vêtements trop serrés
- exposition segmentaire au froid
- piscine: baignade brève (1/4 h), eau chaude, réchauffer après le bain
- pas de garrot prolongé (prévenir les préleveurs) ou compression artérielle >3 min
- Prévenir et traiter les infections:
- Recherche systématique de foyer inf, une fois par an, en Hôpital de jour
- Antibiothérapie préventive:
- de 3 mois à 5 ans, péni en continu 50000 U par kg et jour en deux ou trois prises. Si allergie vraie, macrolide
- après 5 ans: poursuivre l’Antibiothérapie ou non? Ca se discute
- Antibiothérapie anti pneumococcique systématique de tout épisode grippal (amoxi), en associant repos, hydratation, antalgique ou AINS
- Pas de carence: de nombreux auteurs proposent
- une supplémentation en fer en cas de carence (pour la rechercher il faut demander une saturation de la sidérophylline, car le dosage de ferritine est difficile à interpréter)
- Une supplémentation en zinc
- une supplémentation en folates (acide folique)
- une supplémentation en vitamine E (100 à 500 m par jour, 10 jours par mois) et vitamine B6
- Pas de toxique: éviter alcool, tabac, stupéfiants
- éviter diurétiques, médicaments vaso constricteurs ou à risque d’ergotisme
- éviter l ’asprine >50 mg/kg.j (acidose)
Voyages, vaccinations, certificats
- Drépanocytose: vaccinations.
Respecter rigoureusement le calendrier légal (BCG, DTCP HVB), en plus : recommandations de la SOMAPED (Société malgache de pédiatrie) :
- Vaccin Anti Haemophilus Influenzae type B (Act-HIB*), 6ème 10ème et 14ème semaine, rappel à 15 mois.
- Vaccin Anti-pneumocoque (Pneumo23*) à 24 mois, rappel tous les 5 ans.
- Vaccin Anti-grippal (Vaxigrip*) à partir de 6 mois et tous les ans.
- Vaccin contre la fièvre typhoide (Thyphim VI*) à partir de 2 ans, rappel tous les 3 ans.
- Drépanocytose: voyages
- La prévention du paludisme est systématique, les prophylaxies sont les mêmes que pour les sujets non drépanocytaires
- éviter les piqûres d’insectes, notamment sur les jambes (risques d’ulcères): conseils adaptés (vêtements, répulsifs)
- Drépanocytose: les certificats
- École: CI absolue ou relative au sport et à la piscine. Nécessité de prévention (hydratation, pipi) et de traitement en milieu scolaire
- logement: moins de trois étages sans ascenseur, pas de trajet important domicile-travail
- emploi: éviter efforts violents, station debout prolongée, écarts de T°, atmosphère confinée
- avion: O2 3 L/min, éviter station assise prolongée, hydratation++
Traitements
Traitement de la crise vaso occlusive
- Pas d’antibiothérapie systématique, seulement si point d’appel infectieux
- repos, au chaud et au calme, prolongé trois jours après la fin de la crise
- hydratation orale
- antalgiques: 4 prises de paracétamol par jour, puis niveau 2 (en évitant la noramidopyrine, risque d’aplasie), puis AINS (voies générale et locale), puis morphiniques (discuter l’hospitalisation)
- Apport de folates systématique.
Traitements à discuter
On peut discuter, en cas de crises à répétition:
- un programme transfusionnel au long cours
- l’hydroxyurée (HYDREA) qui stimule la production d’HbF
- L’O2 au domicile
- La prise de bicarbonates
- une chélation par le fer (DESFERAL) en cas d’hémochromatose
Que faire devant une dactylite (crise vaso occlusive de l'enfant)?
- Surveiller la température, rechercher un syndrome inflammatoire biologique pour éliminer un diagnostic différentiel (ostéomyélite, arthrite inflammatoire)
- renforcer l’antibiothérapie en cours: doubler la dose
- associer paracétamol et AINS selon la sévérité
Drépanocytose: autres problèmes
- Ictère conjonctival: le phénobarbital (10 à 20 mg le soir) peut être efficace. Intérêt purement esthétique, mais apprécié par les patients. Attention aux interactions médicamenteuses.
- Priapisme: en cas de priapisme intermittent, l’EFFORTIL (30mg par jour) peut être une prévention efficace. LE PRIAPISME AIGU EST UNE URGENCE
Drépanocytose et grossesse
Situation à risque ++
- anémie majorée:risque d’hypoxie fœtale chronique
- thromboses fin de grossesse
- risque majoré de crises vaso occlusives et de syndrome thoracique aigu
- risque rénal majoré avec risque toxémique. Mortalité maternelle 0.5 à 5%
- 30% de MAP dans cette population
- RCIU 20%
- MFIU 1 à 4%, prématurité 9 à 45%
Attitude thérapeutique: ÉQUIPE SPECIALISÉE +++
- Échanges transfusionnels dès la 28ème semaine
- Oxygénation, réchauffement, hydratation
- Césarienne fréquente (50% des cas) et risquée (anesthésie)
Drépanocytose et thérapie génique
Le 14/12/2001 est paru dans SCIENCE un article annonçant la guérison de souris drépanocytaires par thérapie génique. Les chercheurs ont intégré au génome d’un lentivirus (dont les gènes codant les protéines virales ont été éliminés) un gène anti drépanocytaire et les éléments nécessaires à son expression à un niveau élevé, et uniquement dans les érythroblastes L’hémoglobine produite est normale et fonctionnelle, les souris sont guéries.